Le bijuridisme législatif Canadien :
Expression d'une dualité juridique
Marie-Claude Gaudreault*, notaire, LL.M.
Direction des services législatifs
Ministère de la Justice du canada
Introduction
Peu importe le vocable employé – dualité juridique, dualisme juridique ou tel que préféré au Canada, bijuridisme – l'idée véhiculée en est une de coexistence juridique. Qu'on l'aborde comme étant une « simple coexistence de fait de deux traditions juridiques, interaction entre deux traditions, intégration formelle de deux traditions dans un cadre donné (…) ou, encore, sur un plan plus général, reconnaissance et respect de cultures et d'identités appartenant à deux traditions juridiques »[1], dans tous les cas il s'agit d'une réalité qui a une résonance dans un contexte canadien[2].
La dualité juridique est certes un élément caractéristique du droit canadien puisque deux traditions juridiques distinctes de droit privé s'y côtoient : le droit civil au Québec et la common law dans les autres provinces[3]. Inscrite dans le cadre constitutionnel canadien, cette dualité, ou bijuridisme canadien, représente une part importante du droit fédéral qui, de l'interaction qui en résulte, peut être perçu comme un système juridique mixte. Combinés aux impératifs du bilinguisme, la reconnaissance et le respect du bijuridisme canadien ne sont certes pas sans incidences sur la rédaction de la législation fédérale[4] qui doit, dans un tel contexte, prendre en compte au moins quatre auditoires du droit afin que tant le droit civil que la common law, en français et en anglais, soient adéquatement considérés. Cela étant, il devient souvent nécessaire de faire le pont entre la législation fédérale et les règles, principes et institutions qui relèvent de la compétence exclusive des législatures provinciales. En ceci réside un défi particulier pour le législateur fédéral, que la professeure Ruth Sullivan résume comme suit :
[f]ederal legislation in Canada is not only bilingual, but also bijural in the sense that it is applicable to persons, places and relations that are subject to the civil law in Quebec and to the common law in the rest of Canada. This wealth of possibility creates a difficult challenge for federal drafters, and for interpreters of federal legislation. Although Quebec is the only province with a civil law system, the French version of federal legislation is meant to operate in all the provinces. This makes it impossible simply to reserve the English version of legislation for application in the common law provinces and the French version for application in Quebec[5].
Le bijuridisme législatif canadien est un moyen de prendre en compte ce dualisme juridique qui s'exprime plus particulièrement dans la relation de complémentarité qui existe entre la règle législative fédérale et les règles, principes et institutions des différents droits provinciaux, qui gouvernent le droit privé. Le bijuridisme législatif canadien est aussi un mode d'expression de l'intention législative fédérale qui tient compte du droit civil et de la common law, au regard de leur développement et de leur évolution dans chacune des provinces. Ultimement, le bijuridisme législatif canadien représente une manière d'assurer une meilleure application de la législation fédérale à travers le Canada, d'un océan à l'autre… A Mari usque ad Mare…
I. Le bijuridisme canadien : les origines historiques et constitutionnelles d'une dualité juridique
Le bijuridisme canadien ou, autrement dit la coexistence du droit civil et de la common law au Canada, s'inscrit d'abord et avant tout dans le contexte historique de la colonisation de l'Amérique du Nord dont il est l'un des héritages.
À la suite de la colonisation de la Nouvelle-France, les lois, coutumes et usages propres à la tradition de droit civil – tirés principalement de la Coutume de Paris complétée par les ordonnances des gouverneurs et les édits royaux – s'implantent fermement sur le territoire appelé un jour à faire partie du Canada[6]. Survient, en 1760, la conquête politique et militaire des colonies françaises d'Amérique du Nord; la Nouvelle-France, colonie française depuis plus de deux cents ans, devient une possession britannique[7]. Par la Proclamation royale de 1763[8], le roi George III exerce sa prérogative et légifère pour la colonie conquise. Sont ainsi substitués aux lois, coutumes et usages d'alors, en toute matière, les règles et principes de la common law sur ce territoire que l'on désigne désormais comme la province de Québec. Les tribunaux, pour leurs parts, doivent, à partir de ce moment, « entendre et juger toutes les causes aussi bien criminelles que civiles, suivant la loi et l'équité, conformément autant que possible aux lois anglaises »[9]. Ce nouvel ordre inquiète et suscite bon nombre de doléances des habitants de l'ancienne Nouvelle-France, qui ne tardent pas à réclamer que les règles de droit antérieures à la conquête soient restaurées[10]. Ces représentations, accompagnées de certaines difficultés propres au système d'administration de la justice et le constat de la survie par la pratique du droit civil incitent le régime britannique à faire volte-face[11]. Par l'introduction de l'Acte de Québec de 1774[12], plus particulièrement l'article VIII, les règles et principes du droit antérieur à la conquête en matière de « propriété et droits de citoïens » au Québec sont expressément remis en vigueur, sauf exception[13]. Cette première référence à « propriété et droits civils » dans un document constitutionnel renvoie au droit applicable dans la colonie entre sujets de droit privé. Quant aux règles et principes de la common law, l'Acte de Québec de 1774 les maintient implicitement en matière de droit public; il en va de même pour le droit pénal anglais qui continue également de s'appliquer par l'effet de l'article XI de ce même Acte[14]. En somme, il s'agit là de l'expression première d'une dualité juridique puisque, à partir de ce moment, deux traditions juridiques trouvent application sur le territoire de la colonie, soit le droit civil en matière de droit privé et la common law en matière de droit public.
Par la suite, l'Acte constitutionnel de 1791[15] vient diviser le territoire de la province de Québec de cette époque en deux provinces : la Province du Haut-Canada et la Province du Bas-Canada. Tel que stipulé à l'article XXXIII de cet Acte, les lois, statuts et ordonnances de l'ancienne province demeurent en vigueur jusqu'à rappel ou variation par les nouvelles législatures provinciales. La législature du Haut-Canada adopte ainsi, dès 1792, une loi stipulant que les lois d'Angleterre trouvent désormais application dans la colonie en matière de propriété et droits civils[16]. Pour sa part, la législature du Bas-Canada n'apporte aucune modification au droit existant. Lorsque l'Acte d'Union, 1840[17] réuni de nouveau les provinces du Haut-Canada et du Bas-Canada en la seule Province du Canada, le droit préexistant de chacune des provinces réunies, qu'il soit d'origine anglaise ou française, est maintenu en vigueur[18]. Ainsi, tant les règles issues de la tradition de common law que de celle de droit civil s'appliquent à l'intérieur d'un même territoire en matière de propriété et droits civils.
Eu égard au territoire maintenant connu comme la province de Québec, les dispositions de l'Acte de Québec de 1774 portant sur les sources du droit privé applicable n'ont été ni modifiées ni abrogées par les lois et les documents constitutionnels subséquents; le droit civil demeure le fondement du droit privé au Québec. Une première codification de ce droit entre en vigueur en 1866 : le Code civil du Bas Canada[19], qui « reproduit fidèlement les particularismes juridiques du Québec de l'époque »[20]. Il constitue, jusqu'en 1994, la référence la plus importante quant à la terminologie, aux institutions, aux règles et aux principes du droit civil québécois.
L'an 1867 amène l'union de quatre colonies d'Amérique du Nord britannique – l'Ontario, le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse – sous la bannière du Canada. Le cadre constitutionnel de ce nouvel état fédéral, établi par la Loi constitutionnelle de 1867[21], prévoit un partage des compétences entre l'autorité centrale du gouvernement du Canada et les autorités régionales que sont les provinces. Alors que le pouvoir de l'autorité centrale s'étend à tout le pays, celui de chaque province ne s'exerce qu'à l'intérieur de ses limites territoriales[22]. On pourrait dire que d'un coté se trouve l'uniformité, alors que de l'autre se trouve la diversité.
De ce partage des compétences s'ensuit qu'au Canada, chaque individu est assujetti aux lois de deux autorités : l'autorité centrale ou fédérale qu'est le Parlement du Canada et l'autorité régionale de chacune des législatures provinciales[23]. Aussi simple que puisse paraître ce partage, ses incidences sur l'exercice de leurs compétences eu égard à la propriété et les droits civils sont importantes. À l'intérieur des limites imposées par le cadre constitutionnel, on dit de l'expression « propriété et droits civils » qu'elle est « a compendious description of the entire body of private law which governs the relationships between subject and subject, as opposed to the law which governs the relationship between the subject and the institutions of government »[24]. En attribuant aux législatures provinciales la compétence exclusive en matière de « propriété et droits civils dans la province »", la Loi constitutionnelle de 1867 prévoit, qu'hormis les chefs de compétence du pouvoir législatif fédéral prévus à l'article 91, le droit privé relève de la compétence exclusive des provinces. Par le fait même se confirme de nouveau la dualité juridique canadienne[25]. Ainsi, le corpus législatif préexistant de chacune des provinces partie à la confédération et leur système juridique respectif – droit civil ou common law – demeurent inchangés, et continuent de trouver application sous réserve de l'exercice d'une compétence fédérale, tel que le prévoit l'article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867. Comme le droit privé relève de la compétence législative exclusive des législatures provinciales, il va de soi qu'il diffère d'une province à l'autre. Il en découle également qu'il diffère en fonction de l'héritage colonial qui s'exprime dorénavant à travers une dualité de tradition juridique.
Il s'ensuit que l'expression et le développement de la dualité juridique atteint un autre niveau dans la mesure où le cadre constitutionnel sert à déterminer les éléments structuraux des systèmes juridiques qui coexistent dans le cadre juridique canadien, y compris le système juridique propre au droit fédéral. D'autant plus, c'est à partir de ce cadre constitutionnel qu'est défini où et quand un système juridique trouve application; ce cadre sert à déterminer l'éventail de règles qui viendront compléter la règle fédérale. Finalement, l'admission subséquente de provinces et territoires dans la fédération canadienne – qui se compose présentement de dix provinces et de trois territoires[26], n'a aucunement altéré le cadre constitutionnel ni la relation juridique établie eu égard aux champs de compétences fédérales et au droit supplétif.
II. Le bijuridisme législatif : l'évolution d'une politique
Au delà de ces contextes historique et constitutionnel desquels le bijuridisme canadien tire ses origines, le développement d'une politique législative en la matière, et son évolution, doivent aussi être pris en compte afin d'en saisir pleinement la complexité.
L'article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 impose au Parlement de publier toutes les lois du Canada dans les deux langues officielles – principe également repris à l'article 6 de la Loi sur les langues officielles[27] – alors que l'article 18 de la Charte canadienne des droits et libertés[28], de même que l'article 13 de la Loi sur les langues officielles, prévoient que les deux versions d'un texte législatif ont également force de loi. Aucune obligation similaire n'est prévue quant au bijuridisme qui est néanmoins pris en compte par le législateur fédéral lorsqu'il établit des règles de droit privé ou « lorsqu'il édicte des normes dont l'application interagit avec le droit privé provincial »[29]. Sans contredit, la législation fédérale peut faire appel, à titre complémentaire, aux règles et concepts du droit civil du Québec et de la common law de chacune des autres provinces[30]. Ce rapport de complémentarité[31] de la législation fédérale avec le droit privé des provinces a d'ailleurs maintes fois été confirmé par les tribunaux[32]. C'est par l'effet des décisions de la Cour suprême du Canada dans Quebec North Shore Paper Co. c. Canadian Pacific Ltd.[33], McNamara Construction c. R.[34] et R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd.[35] que se dégage, eu égard à l'interprétation du droit fédéral, une reconnaissance d'un véritable lien de complémentarité entre le droit fédéral et le droit provincial. Effectivement, malgré le caractère détaillé et étendu de ses règles, le corpus législatif fédéral demeure incomplet en matière de droit privé[36].
[T]outes ces lois, quel que soit leur nombre et quelle que soit leur importance, ne constituent pas un système juridique autonome, un ensemble de règles qui se suffirait à lui-même. En l'absence de texte à l'effet contraire, c'est par rapport au droit fondamental de chacune des provinces que ces lois s'inscrivent; c'est à ce droit fondamental qu'elles ajoutent ou qu'elles dérogent; c'est ce droit fondamental qui les complète et leur fournit « le soutien conceptuel » nécessaire à leur interprétation comme à leur application[37].
Toutefois, il arrive parfois qu'une règle de droit privé sous-jacente, bien que développée en concordance avec l'esprit d'une tradition juridique, soit extraite de ce contexte pour plutôt évoluer à l'intérieur de domaines spécifiques de droit fédéral. Le droit maritime canadien, le titre aborigène de même que les situations juridiques dont le fait générateur survient « ailleurs que dans une province »[38] sont tous des exemples de cas où la législation fédérale écarte le principe de la complémentarité et se dissocie[39] du droit privé provincial. Aussi, il va sans dire qu'il est loisible au législateur fédéral d'édicter ses propres règles de droit privé et d'ainsi se dissocier du droit des provinces. Dans la majorité des cas, il demeure par contre beaucoup plus pratique de s'appuyer sur les règles préexistantes du droit privé provincial, soit celles de la common law et du droit civil, comme toile de fond de la législation fédérale. En acceptant ce rapport de complémentarité, le législateur fédéral accepte de ce fait que l'application de ses lois ne soit pas, à tous les égards, nécessairement uniforme partout au pays[40]. En effet, il est indéniable que le droit privé diffère d'une province à l'autre en raison de la coexistence du droit civil et de la common law au Canada mais aussi en raison des variations dans la législation et dans la jurisprudence de chacune des provinces de common law.
Certes, l'existence du rapport de complémentarité avec le droit privé des provinces présuppose de la législation fédérale qu'elle soit adaptée en fonction de l'évolution et du renouvellement de ce droit. Sans altérer la nature du rapport de complémentarité, cette évolution et ce renouvellement du droit privé ont nécessairement des incidences sur l'application de la législation fédérale dans les provinces où de tels changements ont lieu. Cet impératif a d'ailleurs pris l'avant-scène à la suite de l'adoption du Code civil du Québec[41], entré en vigueur le 1er janvier 1994, en remplacement du C.c.B.C. Ce n'est certainement pas sans conséquence sur le corpus législatif fédéral et son application au Québec que s'est opéré le renouvellement mais aussi le rajeunissement du droit québécois, y compris le rajeunissement et le renouvellement de sa terminologie et de certaines de ses institutions[42]. L'introduction du C.c.Q. marque donc un point tournant; la révision de l'ensemble du corpus législatif fédéral à la lumière de la nouvelle terminologie et des nouvelles règles de droit civil devait être entreprise.
La Politique d'application du Code civil du Québec à l'administration publique fédérale[43] adoptée en 1993 abonde en ce sens. Par cette politique, on reconnaît qu'il est nécessaire que des mesures soient prises dans la législation fédérale afin de tenir compte de la nouvelle codification et, de façon générale, de la spécificité du droit civil québécois. De fait, même si le droit civil en anglais existe à tout le moins depuis l'adoption du C.c.B.C. en 1866 et que la common law en français est, depuis une vingtaine d'années, en plein développement, « [l]a comparaison des deux versions officielles des lois fédérales a ainsi révélé que les notions de droit civil n'étaient pas adéquatement représentées en anglais et que les termes de common law n'étaient pas toujours correctement rendus en français »[44].
L'adoption par le ministère de la Justice du Canada, en 1995[45], de la Politique sur le bijuridisme législatif[46] confirme un engagement formel à la rédaction bijuridique des lois et règlements touchant au droit privé. Par cette politique, on :
[r]econnaît formellement qu'il est impératif que les quatre auditoires canadiens (les francophones civilistes, les francophones de common law, les anglophones civilistes et les anglophones de common law) à qui sont destinés les lois et les règlements fédéraux puissent, d'une part, lire ces textes dans la langue officielle de leur choix et, d'autre part, y retrouver une terminologie et une formulation qui soient respectueuses des concepts, notions et institutions propres au régime juridique (droit civil ou common law) en application dans leur province ou territoire[47].
Cette reconnaissance formelle ne doit pas être perçue comme un changement de cap de la politique de rédaction législative mais bien comme une évolution de cette dernière. Il serait ainsi erroné de croire que la législation fédérale rédigée depuis 1867 n'a pas, dans ses rapports avec le droit privé, de résonance dans l'environnement de droit civil du Québec. Depuis 1867, les textes législatifs fédéraux ont, sauf règle de droit s'y opposant, une application bijuridique[48]. Il n'aurait pu en être autrement puisque la législation fédérale doit produire ses effets, peu importe la province où elle trouve application, qu'elle soit de tradition de droit civil ou de common law. Ceci dit, application bijuridique ne rime pas nécessairement avec bijuridisme législatif. D'ailleurs, de 1867 jusqu'à la fin des années 1970, la législation fédérale au Canada était rédigée en anglais, généralement en fonction de la terminologie de common law, et par la suite, traduite en français. Les exigences au plan du bilinguisme étaient certes rencontrées mais l'expression de l'interaction entre le droit fédéral et le droit privé souffrait de cette approche[49]; l'application bijuridique de la législation s'en trouvait, à bien des égards, gênée.
La mise en œuvre de la corédaction[50] en 1978 marque une étape importante de l'évolution de la politique de rédaction législative en matière de bijuridisme. Par cette technique de rédaction, les deux versions linguistiques d'un texte législatif sont rédigées simultanément et aucune n'est la traduction de l'autre. Ce faisant, on favorise le recours aux deux traditions de droit privé puisque la version anglaise d'une loi, généralement rédigée par un légiste anglophone de formation de common law, tend à refléter la terminologie et les notions de common law alors que la version française de cette même loi, généralement rédigée par un civiliste francophone rend l'intention législative dans un langage et selon les notions du droit civil. Toutefois, cette approche laisse pour compte les auditoires anglophone de droit civil et francophone de common law[51] et impose une interprétation croisée des textes[52]. La corédaction constitue néanmoins un pas en direction du bijuridisme législatif tel qu'on l'entend aujourd'hui.
À partir du moment où la Politique sur le bijuridisme législatif est adoptée, le ministère de la Justice du Canada, en tant que rédacteur législatif, renouvelle l'engagement du législateur fédéral d'être lié, dans ses rapports de droit privé, par le droit des provinces et donc par la dualité juridique – droit civil et common law – canadienne. En reconnaissance de cet état de fait dont les fondements sont, rappelons-le, constitutionnels[53], la législation fédérale, en plus d'être rédigée avec un langage à résonance bijuridique, le fera dans ses deux versions linguistiques. Cet engagement au bijuridisme législatif bilingue est formellement réitéré dans la Directive du Cabinet sur l'activité législative[54], approuvée par le Cabinet en mars 1999, par laquelle on affirme tant les objectifs que les attentes du gouvernement fédéral quant à l'activité législative. Les principes de même que le cadre selon lesquels l'activité législative fédérale doit s'exercer y sont définis. On doit ainsi :
veiller à ce que les textes législatifs soient rédigés selon les règles de l'art dans le respect des deux langues officielles et des deux systèmes de droit qui coexistent au Canada : le droit civil et la common law[55].
Et,
[i]l est tout aussi important que les projets de loi et de règlement respectent les deux traditions juridiques canadiennes – le droit civil et la common law –, puisque les lois fédérales s'appliquent en principe à l'ensemble du pays. Les notions propres à chaque système juridique doivent être exprimées dans les deux langues d'une façon qui tienne compte des deux réalités[56].
Fort de cet énoncé et sachant aussi que cette directive gouvernementale s'impose à l'administration fédérale[57], on ne peut guère douter que, sauf règle de droit s'y opposant, le bijuridisme législatif, dans les deux versions linguistiques, constitue désormais la norme de rédaction de la législation fédérale.
Conformément à l'évolution de la politique de rédaction législative et afin de répondre aux impératifs découlant de la réforme et du renouvellement du droit civil québécois, une révision complète du corpus législatif est entreprise afin de réaffirmer, renforcer ou introduire l'aspect bijuridique dans la législation fédérale. Un premier pas significatif en ce sens est l'adoption par le Parlement de principes importants en matière de rédaction législative en contexte de bijuridisme dans la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil[58]. Notamment, le préambule de cette loi constate et énonce d'entrée de jeu les objectifs poursuivis par les mesures législatives en matière d'harmonisation et de bijuridisme : l'accessibilité à la législation fédérale passe par le respect des deux langues officielles mais aussi, en matière de propriété et de droits civils, par le respect de la common law et du droit civil[59]. On y trouve aussi des règles d'interprétation qui reconnaissent et abordent la question de la dualité juridique du droit canadien dans un contexte fédéral. Cette première loi d'harmonisation vient aussi, pour les fins du bijuridisme législatif, modifier une partie de la législation actuelle, et est suivie, à cet égard, par la Loi d'harmonisation no 2 du droit fédéral avec le droit civil[60]. Sur un autre front, des modifications tant de la norme juridique que de la terminologie, ont été introduites en contexte de la législation fiscale[61] dont la révision bijuridique est toujours en cours. Finalement, tel que requis par la Directive du Cabinet sur l'activité législative, les avant-projets de lois et de règlements font l'objet, à l'intérieur même du processus de rédaction, d'une révision bijuridique afin de veiller à ce qu'ils respectent, eu égard au lien de complémentarité avec le droit privé provincial, les traditions de droit civil et de common law.
- Date de modification :