ALLÉGUER
Le verbe « alléguer » a un champ sémantique beaucoup plus restreint que son quasi-homographe anglais. C’est ainsi que le français n’emploiera pas « alléguer » dans les cas où to allege s’applique à des personnes; quand ce dernier s’applique à des faits, « alléguer » est tout à fait correct mais ne constitue qu’une des équivalences possibles.
En anglais, les sens actuels de to allege sont les suivants :
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- to assert, affirm, state without proof or before proving;
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- to state or declare as if under oath positively and assuredly, but without offering complete proof;
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- to bring forward as a cause or reason, especially for excusing oneself from blame, reproach, or dislike.
Le PETIT ROBERT donne, pour « alléguer », les deux sens suivants :
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- citer comme autorité pour sa justification (ex. : alléguer un texte de loi, un auteur);
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- mettre en avant, invoquer (pour se justifier, s’excuser).
On constate ainsi que seuls les sens 3 de l’anglais et 2 du français se superposent.
Or, dans les lois fédérales, to allege semble bien ne s’employer qu’aux sens 1 ou 2 si l’on fait abstraction de la nuance as if under oath.
Aucun de ces sens n’étant donné dans le PETIT ROBERT, il paraît aller de soi que l’on conclue à l’impossibilité de rendre le to allege législatif par « alléguer ».
En fait, la réalité est plus nuancée, du moins dans le français juridique. C’est ainsi que dans le DALLOZ (Dictionnaire de droit), à l’article Diffamation, tome I, p. 571, no 2, on trouve « … la loi ne faisant pas dépendre la criminalité du fait allégué ». Dans le contexte, « allégué » a manifestement un sens équivalent aux sens 1 ou 2 de l’anglais. C’est qu’ici « allégué » relève d’un des deux sens, celui de « affirmation quelconque », que donne le PETIT ROBERT à « allégation ». Ce substantif figure d’ailleurs lui-même à plusieurs reprises dans le même article du DALLOZ, par exemple p. 570, no 1 :
« Éléments constitutifs du délit.– La diffamation est toute allégation ou imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé. »
Que le PETIT ROBERT ne note pas à « alléguer » le sens relevé ci-dessus de « affirmation quelconque », ni ne donne à « allégation » d’autre sens, à part le précédent, que le sens 1 de « alléguer », ne doit pas surprendre. On sait en effet qu’en français, contrairement à ce qui se passe en anglais, les dérivés d’un même radical ne présentent pas toujours le sens de l’un d’eux. Ainsi, en anglais, to appreciate et appreciation peuvent avoir le même sémantisme. Mais, en français, la signification de « apprécier » (« j’apprécie vos efforts ») ne se retrouve pas dans « appréciation » (on ne saurait dire « mon appréciation de vos efforts », pas plus qu’on ne pourrait passer de la tournure adjectif-verbe « … combien j’ai été sensible à vos efforts » à une hypothétique tournure nominale du genre « … ma sensibilité à vos efforts »).
Il arrive cependant, dans des langages spécialisés, que des dérivés s’emploient dans le même sens alors que ces sens ne se recoupent pas dans la langue courante. Tel semble être le cas pour « alléguer » et « allégation » en droit.
De la sorte, au départ, il ne serait apparemment pas contre-indiqué de rendre systématiquement, dans les lois, to allege par « alléguer », si n’entrait en ligne de compte le principe de la fréquence d’emploi.
Il suffit à cet égard de parcourir, d’une part, les lois fédérales pour constater l’abondance des allegations et des to allege ou alleged, et, d’autre part, les textes français pour constater la rareté relative des « allégation », « alléguer » ou « allégué ». Cela ne veut pas dire que l’idée soit absente de ces textes : elle y figure au contraire assez abondamment. Elle s’y exprime seulement, dans la majorité des cas, de façon ou, plutôt, de façons différentes.
En application du principe de la fréquence d’emploi et, en outre, vu l’opportunité, dans la mesure où il ne s’agit pas de termes spécifiquement juridiques, de suivre l’usage courant, nous conseillons donc, pour rendre allege ou alleged, d’employer des formulations adaptées au contexte, comme dans les équivalences possibles qui suivent.
Il ne faut toutefois pas renoncer à utiliser le verbe « alléguer » quand son emploi est correct, c’est-à-dire dans des cas où il s’applique à des faits, et non à des personnes.
Exemples
Art. 87. Pour rappeler un fait déjà allégué, il suffit d’un simple renvoi au paragraphe où il est énoncé.
(Code de procédure civile du Québec)
(Code de procédure civile français)
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