RÉFÉRENCES LÉGISLATIVES
Le légiste francophone utilise, pour faire référence dans un texte législatif à tout ou partie d’un autre texte, des moyens souvent différents de ceux auxquels a recours le légiste anglophone et, surtout, généralement plus nuancés que les siens.
La tendance de la rédaction anglaise à multiplier, même dans des articles courts, les références, internes ou non, s’explique par l’évolution des techniques rédactionnelles d’origine britannique. En rédaction française, il convient de réserver les références aux seuls cas où il s’agit d’éviter toute ambiguïté.
Par ailleurs, sur le plan linguistique, le français puise dans une gamme plus vaste d’expressions ou de formulations tantôt interchangeables, tantôt d’un usage plus strict, alors que l’anglais recourt à un choix relativement restreint de termes.
A - Le rapport de proximité
Il est possible d’établir des rapports de proximité décroissante entre un fait et une disposition législative. L’expression de ces rapports peut varier selon que l’on utilise un degré d’abstraction plus ou moins élevé.
Ainsi, une commission peut être constituée :
- soit par un article;
- soit directement en vertu d’un article (par exemple, pouvoir donné à tel détenteur de l’autorité publique de la créer);
- soit indirectement en vertu d’un article (par exemple, pouvoir donné à tel détenteur de l’autorité de prendre un règlement qui, lui, crée la commission).
On peut, sans qu’il s’impose, en général, de faire juridiquement la distinction entre rapport direct et rapport indirect, recourir à trois types de moyens.
1o Prépositions ou locutions prépositives
Lorsque la disposition citée a valeur habilitante ou contraignante, on emploiera l’une des locutions suivantes : en application de, par application de, aux termes de, en exécution de, en vertu de, sur le fondement de, au titre de.
Lorsque c’est l’idée de conformité qui prévaut, les termes qui conviennent le mieux sont : conformément à, en conformité avec, selon, suivant, d’après.
À noter que « sous le régime de » et « dans le cadre de » peuvent s’employer dans l’un ou l’autre de ces cas, notamment lorsque le rapport de proximité est plus lâche.
Remarques
Au sens de « conformément à », la tournure « en conformité de », correcte en soi, est cependant sentie comme vieillie (voir le PETIT ROBERT). Il convient de lui préférer « en conformité avec ».
L’expression « au titre de » a été condamnée par certains au motif qu’elle ne figure pas telle quelle dans des ouvrages de langue généraux. Or, son emploi est couramment attesté dans des textes originaux, c’est-à-dire non traduits (lois, jurisprudence, doctrine et même journaux). En voici un exemple d’autant plus intéressant qu’il met en évidence sa différence par rapport à « à titre de » :
Par ces motifs : - Condamne… à payer la somme de…
à titre de dommages et intérêts…; les condamne à lui
verser la somme de… au titre de l’article 700 du nouveau
Code de procédure civile.
Il n’y a donc pas lieu d’hésiter à employer « au titre de », si le contexte s’y prête.
D’aucuns sont enclins à privilégier « en vertu de » de la même façon que l’anglais privilégie « under » comme terme de renvoi. Or, outre les situations patentes de contre-indication signalées plus loin en B - Cas particulier des infractions, il convient de noter qu’en français moderne la fréquence d’emploi de l’expression est loin d’être prédominante. Dès lors, vu son sens précis (« par le pouvoir de », PETIT ROBERT), il vaut mieux en réserver l’usage aux cas où il y a fondement d’un pouvoir, d’un droit, d’une obligation, comme dans les exemples suivants, tirés ou adaptés du PETIT ROBERT ou du VOCABULAIRE JURIDIQUE de Cornu :
Tout citoyen appelé ou saisi en vertu de la loi…
Être poursuivi en vertu de la loi.
Verser une indemnité en vertu d’un jugement.
Posséder en vertu d’un titre.
Agir en vertu de l’article… du Code civil.
Agir en vertu d’un mandat, d’un pouvoir.
2o Adjectifs ou participes
Si le contexte le permet, on peut très bien employer des adjectifs comme « conforme à » (… après proclamation conforme à l’article 18… : … where a proclamation has been issued pursuant to section 18…) ou des participes comme « prévu à », « prévu par », « visé à », « mentionné à », « fondé sur », « désigné à », « régi par », « cité à », « défini à » (Le certificat prévu à l’article 2 n’est recevable en preuve que si… : No certificate [issued] under section 2 shall be received in evidence unless…).
Remarques
Entrerait sous cette rubrique la transposition par complément de nom à valeur adjective. Ainsi « … les dispositions de toute autre loi fédérale ou de ses textes d’application… »
aurait pour équivalent en anglais « … the provisions of any other Act of the Parliament of Canada or any orders, rules or regulations made pursuant thereto… »
.
Il faudra veiller à éviter dans la très grande majorité des cas « décrit ». En effet, to describe (comme le substantif description) constitue très souvent un « faux ami ». Alors qu’en français « décrire » (comme « description ») s’applique à un acte beaucoup plus élaboré, en anglais, il s’agit la plupart du temps d’une référence, d’une désignation, d’une mention, d’une qualification. Il suffit de se rappeler les « descriptions » de Balzac ou celles qu’on demande aux « potaches ». Par exemple, dans un bordereau, là où il faut porter l’appellation des articles en question, le français a « désignation » et l’anglais, description.
3o Moyens stylistiques
Il s’agit là d’un type de transposition où la formulation même du français diffère profondément de celle de l’anglais. Par exemple, pour dire qu’un ministre ne peut s’appuyer sur une disposition — le paragraphe (4) — ou arguer de celle-ci pour refuser d’agréer une demande, le légiste écrira : « Le paragraphe (4) n’autorise pas le ministre à refuser de… »
. Il ne s’étonnera pas de voir le légiste anglophone, plus concret, écrire : « The Minister may not, pursuant to subsection (4), refuse to… »
. Autrement dit, le ministre ne peut s’autoriser du paragraphe, l’invoquer, etc., pour refuser de… Ces formulations seraient d’ailleurs également possibles.
À noter que la formulation « se prévaloir de » est fréquente dans les textes de loi ou de convention. L’exemple type en est :
« Les parties ne peuvent se prévaloir [des dispositions] de la présente loi pour se soustraire à des obligations contractées aux termes d’autres textes. »
C’est ainsi que, dans le premier exemple, on aurait pu aussi bien écrire : « Le ministre ne peut se prévaloir du paragraphe (4) pour refuser de… »
.
Il faut en revanche prendre garde d’écrire une phrase du genre « Le ministre ne peut, conformément au paragraphe (4), refuser de… »
, qui friserait le contresens, car ce paragraphe énumère les cas où il peut refuser, et non ceux où il ne le peut pas.
B - Cas particulier des infractions
Dans les formulations relatives aux infractions, il faut se méfier de la solution « en vertu de », car under, utilisé systématiquement en rédaction anglaise, couvre des rapports entre faits et dispositions législatives que le français rend par des expressions différentes où justement « en vertu de » n’apparaît jamais. Et pour cause : à témoin ces calques pour le moins saugrenus de an offence under the Criminal Code : « une infraction en vertu du Code criminel »
ou de any offence under any provincial law : « toute infraction en vertu d’une loi provinciale »
, comme si ces infractions pouvaient être commises avec la bénédiction du législateur ! Noter en outre l’incorrection syntaxique constituée par l’absence de lien verbal. Selon la grammaire, il aurait fallu « infraction commise en vertu du Code criminel »
, ce qui fait encore mieux ressortir l’absurdité de la formulation.
Les expressions à employer s’appuient essentiellement, en fait, sur quatre formules :
- infraction créée par
- infraction à
- infraction visée à
- infraction prévue à.
À cet égard, se reporter à l’article INFRACTIONS ET PEINES, lo Infractions, où l’on trouvera également des exemples d’emploi, et seconde remarque suivant le 6o Consentement du procureur général du Canada.
C - « Prévu à » ou « visé par » ?
Ces deux participes, de même que les prépositions qui les accompagnent, ne sont pas interchangeables; il existe en effet des différences d’emploi entre, d’une part, prévu et visé et, d’autre part, les prépositions à et par.
1o Prévu ou visé ?
La distinction courante faite entre ces deux mots est la suivante : ce qui est prévu fait l’objet même de la règle de droit ou est juridiquement institué par elle; ce qui est visé y est seulement mentionné. Le choix n’est pas toujours aussi simple !
Le premier terme, qui semble le plus naturel, ne peut s’appliquer ni à des êtres vivants (personnes surtout) ni à des objets concrets, contrairement au second; ainsi, on ne saurait dire « les juges prévus à l’article 5 » non plus que « les biens prévus par l’article 10 ». De même, certaines réalités s’accordent mal avec le mot prévu : il est certainement préférable d’éviter de parler des « infractions prévues par l’article 2 » (car l’article en question ne les crée pas pour qu’elles se produisent automatiquement !) ou des « circonstances prévues » (la loi ne faisant en réalité que les préciser ou les déterminer). En revanche, on peut parler des infractions prévues à l’article 2, et des conditions peuvent être prévues ou, mieux encore, fixées.
2o À ou par ?
L’usage est en principe d’utiliser par pour un renvoi fait à la loi dans son ensemble et à pour un renvoi fait à une partie seulement. La distinction semble quelque peu artificielle et n’est pas appliquée uniformément : par exemple, c’est à qui normalement convient pour un code, ce qui fait qu’on doit dire « les conditions fixées au code »
, mais « les conditions fixées par la loi »
! Il pourrait donc s’avérer plus logique de la fonder sur le sens plutôt que la forme.
Ainsi, « les mesures prévues par l’article 3 »
constitueraient la raison d’être de celui-ci tandis que « les mesures prévues à l’article 3 »
n’en seraient pas forcément l’objet premier, l’article en question pouvant viser un objectif plus général que ces mesures permettraient de réaliser. La distinction vaudrait tout autant pour « les biens visés par l’article 10 »
et « les biens visés à l’article 10 »
.
En conclusion, il convient de bien comprendre que, même si l’effet juridique reste inchangé, l’emploi du meilleur cooccurrent sur les plans linguistique et sémantique est souvent à peser et déterminer au cas par cas. Il n’y a pas de règle absolue en la matière : tout est affaire de contexte… et de jugement !
Sources du présent article (en partie et après adaptation) : Antoni Dandonneau, « Dire le droit », Le Palatin, mai 1979, p. 4, et Jacques Lagacé, « Expressions utilisées dans les renvois », Légistique, janvier 1987.
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