PERSONNE MORALE ET SOCIÉTÉ
La terminologie canadienne des personnes morales est depuis longtemps source de nombreuses confusions. Comme le droit qui les régit est d’origine anglo-américaine, la traduction était calquée sur le modèle anglais indépendamment de la pertinence juridique ou linguistique de l’emprunt.
Ainsi a-t-on longtemps rendu corporation par « corporation » sans tenir compte de l’absence de correspondance notionnelle entre ce terme et son calque. Il s’agit dès lors de dégager une terminologie qui respecte l’originalité du concept juridique et la correction linguistique.
1o Personne morale (sens générique)
La personne morale, qui s’oppose à la personne physique, est un sujet de droit titulaire d’un patrimoine distinct de celui des personnes, physiques ou morales, qui la composent. La corporation est, quant à elle, une institution qui, création juridique, dispose d’une personnalité propre, distincte de celle de ses membres et, dans certains cas, perpétuelle. Il y a donc équivalence entre les deux expressions.
Par ailleurs, corporation sole de la Loi sur le gouverneur général (L.R., ch. G-9) et de la Loi sur les terres destinées aux anciens combattants (S.R.C. 1970, ch. V-4) peut aussi se rendre par « personne morale » sans nécessité de qualifier cette expression.
À noter que, dans la majorité des cas où corporation se rencontre isolément, le terme est à interpréter en son sens générique et, par conséquent, à rendre par « personne morale » ou « doté[e][s] de la personnalité morale », selon la situation d’emploi.
Exemples :
En cas de perpétration par une personne morale d’une infraction à la présente loi, …
Les personnes morales constituées sous le régime de …
Est constituée une personne morale dénommée, en français, « Société coopérative de l’énergie » et, en anglais, Cooperative Energy Corporation.
Remarques
La formulation du dernier exemple fait exception à celle des dispositions constitutives des ministères ou organismes. Voir à ce sujet l’article EXPRESSION DE LA GÉNÉRALITÉ.
Est constitué le Conseil de …, doté de la personnalité morale et composé de …
Il convient cependant de s’assurer qu’il s’agit bien du sens générique.
À noter encore que, dans ce même sens, body corporate est synonyme de corporation et correspond lui aussi à « personne morale ».
2o Société par actions (business corporation)
La controverse juridique et linguistique sur « société commerciale » justifie son remplacement par « société par actions ». Cette dernière expression surprendra moins le juriste québécois que « société anonyme ». Elle a de plus l’avantage, en retenant le mot « société », d’écarter « corporation », dont l’intégration au vocabulaire français dans l’acception du droit anglo-américain serait difficile, et de répandre au Canada une terminologie universellement reconnue tant dans la langue du juriste que dans celle du citoyen.
Le choix de « société par actions » est nettement préférable à celui de « société commerciale » dans l’optique du droit civil du Québec. Il n’est pas, d’un autre côté, irrémédiablement inconciliable avec la terminologie française retenue par les provinces de common law, bien que « société » y soit plus proche de partnership que de business corporation.
Une mise en garde s’impose ici : il ne faut surtout pas confondre « société par actions » avec « société de personnes », expression fédérale qualifiant soit le groupement de personnes dénommé partnership en common law, lequel ne possède pas la personnalité morale, soit le groupement de personnes qui existe en droit civil québécois sans que l’État intervienne pour le créer ou lui attribuer l’autonomie juridique ou la lui reconnaître.
L’une des abréviations officielles pour désigner les sociétés par actions est S.A.R.F. (société par actions de régime fédéral).
3o Association personnalisée (non-profit corporation)
Cette appellation remplace « corporation sans capital-actions » et « corporation à but non lucratif », éliminant ainsi « corporation » sans recourir à « société à but non lucratif », expression sentie par certains juristes comme contradictoire dans ses termes mêmes.
La qualification de « association » par « personnalisée » (voir le Petit Robert, article PERSONNALISER, 3o) sert à bien marquer la différence entre l’association qui jouit de la personnalité morale et celle qui n’en bénéficie pas, distinction que le mot n’emporte pas.
Une abréviation possible serait A.P.R.F. (association personnalisée de régime fédéral).
4o Société d’État (Crown corporation)
Cette appellation vise à remplacer « corporation de la Couronne » et « société de la Couronne », et ce quelle que soit la nature de cette personne morale de droit public. Le rejet de « entreprise d’État », qui aurait pu désigner les organismes ne revêtant pas la forme sociale, se justifie par le souci d’éviter la confusion avec « entreprise » équivalent de l’undertaking des lois constitutionnelles ou fiscales. La substitution de « État » à « Couronne » ne constitue que la simple consécration législative d’un syntagme fort courant.
Enfin, s’agissant de personnes morales qui ne relèvent pas à proprement parler de la compétence fédérale ou qui n’en relèvent que partiellement, telles les « corporations » scolaires ou municipales, mais auxquelles les lois fédérales renvoient à l’occasion, il suffit d’adopter une terminologie suffisamment générale pour en faire mention. Ainsi, « dotée de la personnalité morale » pourrait qualifier une administration municipale ou scolaire.
Observation générale
L’usager remarquera la différence dans l’ordonnance des concepts anglais et français de personne morale. Le juriste anglophone sait, quand il parle de corporation, que cette entité jouit de la personnalité morale : il fait donc porter la distinction sur business et non-profit. Le juriste francophone, au contraire, sait que la société a en principe pour but de réaliser un profit, ce qui la distingue normalement de l’association : il lui importe donc de se faire préciser si l’une ou l’autre possède ou non la personnalité morale.
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