Alinéa 11g) – Infractions rétroactives
Disposition
11. Tout inculpé a le droit :
- de ne pas être déclaré coupable en raison d'une action ou d'une omission qui, au moment où elle est survenue, ne constituait pas une infraction d'après le droit interne du Canada ou le droit international et n'avait pas de caractère criminel d'après les principes généraux de droit reconnus par l'ensemble des nations;
Dispositions similaires
Des dispositions semblables se trouvent dans l’instrument international suivant qui lie le Canada : le paragraphe 15(1) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.
On peut aussi consulter les instruments internationaux, régionaux et de droit comparé suivants, qui ne lient pas juridiquement le Canada, mais qui comprennent des dispositions semblables : l’article 9 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme; le paragraphe 7(1) de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; l’article premier et les articles 9 et 10 de la Constitution des États-Unis d’Amérique, qui interdisent au Congrès et aux États d’adopter toute loi ex post facto.
L’autre droit prévu expressément par la Charte contre l’application temporelle rétrograde est l’alinéa 11i), qui prévoit que chacun peut bénéficier de la peine la moins sévère, lorsque la peine qui sanctionne l’infraction est modifiée entre le moment de la perpétration de l’infraction et celui de la sentence. La Cour suprême a également interprété l’alinéa 11h) de la Charte (double péril) comme établissant des restrictions contre des changements apportés rétrospectivement aux conditions de la sanction originale ayant l’effet d’aggraver la peine reçue (Canada (Procureur général) c. Whaling, [2014] 1 R.C.S. 392).
Les droits résiduels relatifs à l’application rétroactive ou rétrospective de la loi peuvent s’appliquer en vertu de l’article 7 de la Charte dans les situations où la vie, la liberté ou la sécurité de la personne est en jeu (R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595; Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143).
Il existe aussi des présomptions d’interprétation de common law contre l’application rétrospective et rétroactive des lois, ainsi que contre l’atteinte aux droits acquis. Cependant, le poids de ces présomptions varie et, à la différence des restrictions constitutionnelles, elles peuvent être réfutées par les termes explicites de la législation ou par l’application nécessaire de ses dispositions. Sous réserve des restrictions prévues à la Charte, il n’y a aucune restriction constitutionnelle générale à l’égard de l’application rétrospective ou rétroactive de la loi (Colombie-Britannique c. Imperial Tobacco Canada Ltée, [2005] 2 R.C.S. 473).
Objet
En analysant la question distincte de l’imprécision en droit, et en ne commentant pas directement l’alinéa 11g), la Cour suprême a fait allusion à des principes contre la rétroactivité en droit pénal comme étant liés à l’ancienne maxime latine nullum crimen sine lege, nulla poena sine lege : il n’y a de crime ou de peine qu’en conformité avec une loi. La Cour a décrit l’objet sous-jacent comme étant de veiller à ce que les personnes citoyennes soient du mieux possible en mesure de prévoir les conséquences de leur conduite afin de recevoir un avertissement raisonnable des conduites qu’ils devraient éviter, et de limiter le pouvoir discrétionnaire de l’État en matière de droit pénal (le juge Lamer dans une opinion concordante dans le Renvoi relatif à l’article 193 et à l’article 195.1(1)c) du Code criminel, [1990] 1 R.C.S. 1123, au paragraphe 34, R. c. Levkovic, [2013] 2 R.C.S. 204, au paragraphe 2, R. c. Poulin, 2019 SCC 47, au paragraph 59). Cette expression de l’objet a été liée directement à l’article 11g) dans l’affaire Front commun des personnes assistées sociales du Québec c. Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes, 2003 CAF 394.
Analyse
Il y a relativement peu de jurisprudence qui examine en profondeur l’alinéa 11g) de la Charte. Les questions liées aux infractions rétroactives qui doivent être examinées au regard de l’alinéa 11g) sont soulevées peu fréquemment par rapport aux questions ayant trait à l’application temporelle des changements à la peine analysés en vertu des al. 11i) ou 11h).
R. c. Finta, [1994] 1 R.C.S. 701 est un arrêt de principe. Dans cette affaire, les changements apportés au Code criminel au moyen de l’adoption de l’article 7(3.71), lequel élargissait la compétence territoriale du Canada à l’égard des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, ont été contestés, notamment en vertu de l’alinéa 11g) de la Charte (N.B., une extension analogue de la compétence du Canada est maintenant prévue à l’article 8 de la Loi sur les crimes contre l’humanité et les crimes de guerre, L.C. 2000, chapitre 24). Six des sept juges qui ont instruit l’affaire ont traité de la question de l’alinéa 11g), mais ils étaient divisés sur cette question. Les trois juges de la Cour suprême qui formaient la majorité pour l’ensemble du jugement ont conclu que les nouvelles dispositions ont effectivement créé de nouvelles infractions en droit canadien qui étaient de nature rétroactive. Cependant, ces trois juges ont conclu qu’il existait une exception aux principes de justice fondamentale qui permettait l’application rétroactive des dispositions prévoyant des infractions pour les actes de cette nature, lesquels étaient illégaux ou immoraux, même s’ils n’étaient pas punissables conformément à des dispositions prévoyant des infractions spécifiques, lorsqu’ils ont été perpétrés. Les motifs ont été établis davantage au regard de l’article 7 de la Charte, que de l’alinéa 11g), mais répondaient manifestement aussi à la question relative à l’alinéa 11g). Trois autres juges dissidents en partie quant à l’ensemble du jugement ont conclu que les nouvelles dispositions étaient de nature juridictionnelle et ne créaient pas de nouveaux actes criminels : les infractions visées par des accusations étaient contraires au droit international au moment où elles ont été commises et, ainsi, ne violaient pas à première vue l’alinéa 11g). Quoi qu’il en soit, d’après ces trois juges, toute violation à l’alinéa 11g) doit être interdite, puisque le libellé de la disposition de la Charte permet la condamnation pour les infractions de droit international et pour les actes criminels, conformément aux principes généraux de droit reconnus par l’ensemble des nations : ces stipulations ont été incluses à l’alinéa 11g) afin de permettre que les crimes de guerre et les crimes contre l’humanité fassent l’objet de poursuites.
La Cour suprême a conclu que l’alinéa 11g) ne porte pas sur le fait qu’une loi pénale ait été publiée ou non, mais seulement sur la question de savoir si la loi prévoyait que l’acte reproché ait été de nature criminelle au moment où il a été commis (R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89). Cela ne signifie pas nécessairement qu’une certaine notion d’accessibilité de la loi n’est pas protégée constitutionnellement par la Charte; il est possible que le prolongement d’une exigence d’avertissement raisonnable, qui fait partie du principe de nullum crimen, sur lequel la Cour suprême se prononce ailleurs, le soit (voir plus haut). Dans l’arrêt Furtney, le juge Stevenson a apparemment laissé la porte ouverte à une certaine protection de la Charte au titre de l’accessibilité de la loi, au paragraphe 46, tout en concluant qu’un tel principe n’a pas été violé en l’espèce.
Le fait qu’une infraction qui existe en common law n’ait pas été codifiée (comme l’outrage criminel) ne signifie pas nécessairement qu’il y a violation de l’alinéa 11g) (United Nurses of Alberta c. Alberta (Procureur général), [1992] 1 R.C.S. 901).
Il y a relativement peu de jurisprudence quant à la question de savoir si la restriction rétroactive d’une défense porterait atteinte à l’alinéa 11g) de la Charte. La Cour suprême du Canada a employé des principes d’interprétation d’application temporelle pour trancher à l’encontre d’une interprétation législative qui autoriserait une limite rétrospective à une défense (R. c. Dineley, [2012] 3 R.C.S. 272).
La Cour d’appel fédérale a pris en considération l’alinéa 11g) de la Charte dans une décision à l’encontre de l’insertion rétroactive d’une condition dans les dispositions d’une loi de nature réglementaire. La Cour d’appel a noté que, puisque la violation des dispositions réglementaires a aussi été définie comme une infraction en vertu de la loi, l’insertion rétroactive de la condition porterait atteinte à l’alinéa 11g) (Front Commun, supra).
D’après une décision rendue en appel, l’alinéa 11g) n’empêche pas de se fonder sur des éléments de preuve qui sont antérieurs au moment où une infraction a été créée en droit. Cette décision laisse entendre que, pourvu que l’action ou l’omission ayant entraîné une déclaration de culpabilité soit survenue pendant la période durant laquelle l’infraction existait, les éléments de preuve d’une période antérieure qui ont contribué à établir le contexte de l’activité criminelle alléguée avant l’entrée en vigueur de l’infraction, et qui peuvent aider à prouver la perpétration de l’infraction, peuvent être admis sans porter atteinte à l’alinéa 11g) (R. c. Ryback (1996), 105 C.C.C. (3d) 240 (C.A. C.-B.)).
Sous réserve des restrictions prévues aux alinéas 11g) et 11i) de la Charte, il peut être loisible au Parlement de corriger une faille constitutionnelle de manière rétroactive (R. c. Albashir, 2021 CSC 48, au paragraphe 35).
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