Revue de la recherche sur la victimisation criminelle et les membres des Premières nations, les Métis et les Inuits, 1990 à 2001

Partie 1 : Étude de la documentation (suite)

3. Le contexte général de la colonisation

La présente section, qui précède l’examen de la victimisation des Autochtones, décrit la victimisation des Autochtones dans le contexte historique de la colonisation. Cette section permettra de mieux comprendre le phénomène de la victimisation des Autochtones au Canada. Aucune théorie sur la victimisation et la criminalité ne saurait être complète si elle ne tient pas compte des effets dévastateurs de la colonisation sur les Autochtones (CRPA, 1996a). On affirme souvent que les effets de la colonisation constituent les causes profondes des troubles sociaux qui existent au sein des collectivités autochtones, où l’alcoolisme, le suicide, la violence et, par conséquent, les victimes de violence, ne sont que quelques-unes des manifestations de ce traumatisme sous-jacent[8].

La colonisation est le résultat d’un processus de colonialisme dans le cadre duquel les Européens ont supposé qu’ils étaient supérieurs aux Autochtones et leur ont refusé de réclamer un gouvernement souverain parce qu’ils n’étaient pas des chrétiens ni, bien souvent, des agriculteurs. Le projet de colonisation supposait qu’il fallait « civiliser » les Autochtones en les obligeant à adopter le mode de vie des Européens, par la force, au besoin. La Loi sur les Indiens, les pensionnats et les processus de cession des terres avaient tous été créés dans ce but.

Les chercheurs et les aînés autochtones ont révélé que les anciennes sociétés autochtones, avant l’arrivée des Européens, étaient en général des sociétés pacifiques qui connaissaient peu la « criminalité » (voir, par exemple, Jennings, 1975; Ryan, 1993). Cela ne signifie pas qu’aucun crime n’y était commis. Par exemple, les agressions sexuelles existaient dans la société préeuropéenne, et le nier revient à se nourrir d’illusions (Supernault, 1993). Cependant, « il n’y a aucune preuve que la nature ou l’ampleur des cas d’abus sexuel commis dans les collectivités autochtones traditionnelles d’autrefois ressemblait, même de façon très lointaine, aux problèmes qui ont cours actuellement » (Hylton, 2002, p. 7). Pourtant, aujourd’hui, les collectivités autochtones sont aux prises avec des taux de criminalité élevés (La Prairie, 1991). Comme l’a souligné la Commission royale sur les peuples Autochtones (CRPA) après avoir examiné un certain nombre de rapports d’enquête clés sur la justice autochtone, ainsi que les recherches qu’elle a elle-même commandées, le taux élevé de criminalité dans les collectivités autochtones est lié directement au passé de colonialisme et à ses répercussions continues sur les Autochtones (CRPA, 1996a).

Les Autochtones font l’objet de victimisation non seulement en tant que personnes, mais aussi en tant que peuple, puisque, pendant la colonisation, les collectivités ont perdu la maîtrise de leurs valeurs familiales et culturelles (p. ex. : par l’entremise du système de pensionnat et de protection de la jeunesse), ainsi que de leurs valeurs sociales (p. ex. : par l’entremise de l’entrée en vigueur de la Loi sur les Indiens, de nature tutélaire). En conséquence, les terres et les ressources qui appartenaient aux collectivités indiennes leur ont été retirées, bien souvent sans indemnités, et parfois en échange d’une indemnité insuffisante[9]. Les Métis ont connu des processus semblables de cession des biens et des ressources aux termes de la Loi sur le Manitoba et de la Loi des terres fédérales à la fin du 19e siècle et au début du 20e siècle. Le présent rapport n’aborde pas la question du système de pensionnat et de la colonisation, mais on doit tout de même tenir compte de leurs répercussions si l’on veut bien comprendre la victimisation dans le sens plus spécifique du terme. Dans son rapport présenté à la CRPA, Brown décrit bien l’incidence profonde de la colonisation :

De plus, la relation avec la terre est au cœur de la vision du monde des Autochtones et inspire les divers aspects de l’expression culturelle qui forment le tissu social des Autochtones. Dans toute culture, la vision du monde, les valeurs et les croyances servent de fondement à la création des principales institutions qui s’occupent de la politique, des communications, de l’enseignement, de l’économie, des affaires sociales et de la spiritualité. Ces institutions sont toutes interdépendantes et jouent un rôle de socialisation. Si une société dominante maîtrise, éclipse ou élimine cette fonction essentielle de l’institution, elle devient maître des concepts culturels qui définissaient la société dominée. En conséquence, cette dernière perd ses traditions et son autonomie, autrement dit, sa source de vie, et une période de désordre social s’ensuit. Les relations du gouvernement du Canada avec les Autochtones s’appuyaient sur une telle stratégie, qui a été en partie fructueuse. Ces phénomènes ont eu de nombreuses répercussions, principalement la honte et la rage immenses que ressentent les Autochtones et qu’ils ont intériorisées (sur le plan personnel, familial et communautaire) pendant une longue histoire de victimisation raciste. Ces sentiments font partie des symptômes de la dépression, de la violence familiale, du suicide et de la toxicomanie, qui existent au sein des collectivités autochtones, et qui sont décrits, par de nombreux auteurs, comme une période sombre de l’évolution culturelle des Autochtones [c’est l’auteur qui souligne]. (Brown, 1994) [Traduction]

Ce paragraphe décrit les répercussions générales que la colonisation a eues et continue d’avoir sur les Autochtones. Le profil démographique fourni ci-dessus fait aussi ressortir les répercussions continues de la colonisation et des politiques gouvernementales d’assimilation.

Le reste du rapport traite des enjeux clés concernant la victimisation des Autochtones, qui sont attribuables, dans bien des cas, aux politiques passées (et présentes) et à l’expérience de la colonisation.