Protocole régissant la conduite de consultations ministérielles sur l’intérêt public par le procureur général du Canada dans l’exercice des pouvoirs que lui confère la Loi sur le directeur des poursuites pénales
Objet de ce protocole
À titre de premier conseiller juridique de l’État, le procureur général du Canada supervise les poursuites fédérales dans le cadre de la Loi sur le directeur des poursuites pénales1. La Loi sur le directeur des poursuites pénales a structuré le rôle du procureur général du Canada dans les poursuites fédérales en confiant au directeur des poursuites pénales la responsabilité principale d’engager et de mener des poursuites, sous l’autorité et pour le compte du procureur général du Canada.
Le procureur général du Canada reçoit les demandes d’information sur les poursuites menées par le directeur des poursuites pénales, le plus souvent dans des affaires très médiatisées. Ces demandes d’information sont courantes et nécessaires pour aider les ministères à comprendre la nature de la procédure. Dans des cas exceptionnels, il peut arriver que des ministres ou des fonctionnaires aient des préoccupations d’intérêt public à soulever relativement à des poursuites qui sont en cours ou qui pourraient être intentées. Puisque le fait de soulever ces préoccupations peut avoir un lien avec l’exercice des pouvoirs que la Loi sur le directeur des poursuites pénales confère au procureur général du Canada, il importe de fournir des lignes directrices claires sur la façon dont celui-ci doit traiter ces cas. En pratique, s’il faut tenir des consultations pour déterminer l’intérêt public dans une poursuite en particulier, c’est le directeur des poursuites pénales qui le fait. Il est rare que le procureur général du Canada mène des consultations relatives à l’intérêt public, mais la doctrine Shawcross le lui permet.
Le présent protocole vise à préserver l’indépendance du procureur général du Canada. Plus précisément, il vise à assurer le respect du principe constitutionnel d’indépendance de la poursuite dans les consultations relatives à des poursuites particulières ou à des interventions fondées sur la Loi sur le directeur des poursuites pénales, tout en veillant à ce que le procureur général du Canada soit en mesure d’obtenir les points de vue appropriés d’acteurs du gouvernement sur des questions pertinentes en matière d’intérêt public. C’est pourquoi le protocole s’applique aux ministres personnellement, y compris le Premier Ministre, au Bureau du greffier du Conseil privé et à la fonction publique.
Le protocole vient répondre aux questions suivantes :
- Qui détermine le processus relatif à ces consultations?
- Qui est autorisé à lancer des consultations?
- Où, quand et comment ont lieu les consultations?
- Qui est autorisé à participer aux discussions de consultation?
- Quelle doit être la portée des discussions?
- Quelles sont les options et obligations du procureur général du Canada en réponse à ces consultations?
La Loi sur le directeur des poursuites pénales autorise le procureur général du Canada à participer aux poursuites de trois façons :
- il peut donner des directives au directeur des poursuites pénales relativement à l’introduction ou à la conduite d’une poursuite en particulier (paragraphe 10(1)) ou, après avoir consulté celui-ci, relativement à l’introduction ou à la conduite des poursuites en général (paragraphe 10(2)); dans les deux cas, les directives sont données par écrit et publiées dans la Gazette du Canada;
- lorsqu’une poursuite soulève des questions d’intérêt public, le procureur général peut intervenir en première instance ou en appel, après en avoir avisé le directeur des poursuites pénales (article 14);
- le procureur général peut prendre en charge une poursuite après avoir consulté le directeur des poursuites pénales et l’avoir avisé de son intention, puis publié l’avis dans la Gazette du Canada (article 15).
Dans ses décisions concernant les poursuites, notamment à savoir s’il y participera conformément à la Loi sur le directeur des poursuites pénales, le procureur général du Canada doit tenir compte des considérations d’intérêt public et doit éviter que des considérations partisanes entrent en ligne de compte. C’est un principe que l’on appelle habituellement la « doctrine Shawcross » et qui a été reconnu par la Cour suprême du Canada (dans l’arrêt Krieger c. Law Society of Alberta, [2002] 3 R.C.S. 372).2
La doctrine Shawcross peut essentiellement être résumée ainsi : a) le procureur général du Canada ne peut pas se faire donner d’instructions en matière de poursuites pénales; b) les considérations partisanes ne doivent pas entrer en ligne de compte dans ses décisions en la matière; c) au regard de ces décisions, les consultations portant sur la question de l’intérêt public peuvent inclure la consultation des membres du Cabinet.
Décision de tenir une consultation ministérielle sur l’intérêt public
- Le procureur général du Canada peut consulter les ministres pour déterminer l’incidence qu’une poursuite ou une intervention en particulier pourrait avoir sur l’intérêt public, mais les consultations de ce genre sont rares.
- Les ministres peuvent aussi demander de consulter le procureur général du Canada pour déterminer l’incidence qu’une poursuite ou une intervention en particulier pourrait avoir sur l’intérêt public.
- C’est au procureur général du Canada de décider s’il accepte ou non d’être consulté par un ministre.
- Les demandes de consultation doivent être faites par écrit et provenir du ministre lui-même, et non de son personnel politique. Elles doivent comprendre des observations et des renseignements pertinents à l’appui, mais ne doivent pas comporter de considérations partisanes.
- Le procureur général du Canada peut demander au ministre en question ou à un autre ministre de fournir de plus amples observations ou renseignements pertinents, qui doivent être sous forme écrite.
- Si un ministre a demandé une consultation relative à l’intérêt public, le procureur général du Canada lui fait part de sa décision par écrit.
- Si le procureur général du Canada refuse sa demande de consultation sur l’intérêt public, le ministre en question ne peut pas lui refaire une demande en ce sens, à moins de pouvoir fournir des renseignements écrits qui tendent à démontrer un changement de contexte important et pertinent ou de nouveaux faits qui se sont présentés depuis la demande initiale.
Processus de consultation sur l’intérêt public
Lorsqu’il décide de consulter des ministres pour déterminer l’incidence qu’une poursuite ou une intervention en particulier pourrait avoir sur l’intérêt public, ou lorsqu’il accepte qu’un ministre le consulte à cet égard, le procureur général du Canada doit déterminer le processus à suivre, conformément aux principes suivants :
- Forme :
- La consultation s’effectue principalement au moyen d’observations écrites;
- les observations écrites peuvent inclure de l’information pertinente à l’appui;
- le procureur général du Canada peut déterminer que les observations écrites doivent être complétées par des discussions en personne avec le ou les ministres ayant fait la demande; à ces discussions, si le procureur général le permet, les ministres demandeurs peuvent chacun être accompagnés de leur sous-ministre ou d’autres personnes, mais le personnel politique n’y est normalement pas admis;
- aucune de ces discussions en personne ne peut avoir lieu pendant une réunion du Cabinet ou d’un de ses comités; les discussions faisant intervenir plus d’un ministre peuvent être autorisées à la discrétion du procureur général du Canada;
- les discussions en personne sur l’intérêt public doivent être documentées, ce qui comprend par exemple le fait d’en consigner la date et la durée, d’identifier les participants et de résumer les discussions et, le cas échéant, les documents écrits qui y ont été communiqués.
- Portée : Les observations écrites et les éventuelles discussions en personne doivent se limiter à l’effet de la poursuite ou de l’intervention sur l’intérêt public. Plus particulièrement, ces observations et discussions doivent être exemptes :
- de considérations partisanes, par exemple en ce qui concerne l’incidence qu’une décision relative à la poursuite en question pourrait avoir sur les perspectives électorales d’un parti politique, d’un député, d’un ministre ou du procureur général du Canada;
- de considérations relatives à l’incidence que la décision du procureur général du Canada pourrait avoir sur la vie personnelle ou professionnelle de celui-ci;
- de directives ou de pressions visant le procureur général du Canada.
- Degré de confidentialité : Les observations écrites et en personne, et toute consignation de ces observations et des documents à l’appui, doivent être classifiées en fonction des privilèges, secrets et immunités applicables, et le procureur général du Canada doit les conserver conformément aux règles et politiques concernées.
- Le procureur général du Canada peut discuter avec son chef de cabinet, avec le directeur des poursuites pénales ou avec le sous-ministre de la Justice de toute observation ou information reçue au cours des consultations ministérielles sur l’intérêt public.
- Il revient au procureur général du Canada de prendre la décision finale quant à la valeur des observations et à ce qu’elles comportent en matière d’intérêt public.
Décision du procureur général du Canada après la consultation des ministres sur la question de l’intérêt public
Une fois qu’il a pris sa décision de prendre aucune mesure, de donner des directives, d’intervenir ou de prendre en charge la poursuite en question, le procureur général du Canada communique cette décision par écrit au ministre ou aux ministres ayant pris part à la consultation. Le procureur général du Canada n’est pas tenu de justifier sa décision, mais il peut arriver qu’une justification soit utile pour des raisons relatives aux politiques générales. Par la suite, le ou les ministres ayant pris part à la consultation ne doivent plus communiquer avec le procureur général au sujet de la poursuite ou de l’intervention en question.
Il y a une seule exception à cette restriction quant aux communications ultérieures avec le procureur général du Canada : s’il se produit un changement de contexte important et pertinent ou si de nouveaux faits se présentent après que sa décision a été prise et communiquée. Le cas échéant, le ministre demandeur peut soumettre une nouvelle demande écrite de consultation ministérielle sur l’intérêt public, en y expliquant l’importance et la pertinence du changement de contexte ou des nouveaux faits. C’est toutefois au procureur général du Canada qu’il revient de déterminer s’il est nécessaire de tenir une nouvelle consultation ministérielle sur l’intérêt public. Si c’est le cas, c’est encore le processus énoncé ci-dessus qui s’applique.
David Lametti, C.P., député fédéral
Procureur général du Canada
Date :
Notes de fin de page
1 De son côté, le ministre des Affaires étrangères est responsable du développement du droit international, et le juge-avocat général exerce des fonctions de conseiller juridique en matière de droit militaire.
2 À la différence du présent protocole, qui s’applique seulement à des poursuites en particulier – et notamment aux pouvoirs exercés en vertu du paragraphe 10(1), de l’article 14 et du paragraphe 15(1) de la Loi sur le directeur des poursuites pénales –, la doctrine Shawcross s’applique aussi aux consultations relatives à l’intérêt public que peut mener le procureur général du Canada relativement à l’éventualité de donner au Service des poursuites pénales du Canada (SPPC) des directives sur les poursuites en général, en vertu du paragraphe 10(2) de la Loi.
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