Article 10 – Généralités
Disposition
10. Chacun a le droit, en cas d’arrestation ou de détention :
- d’être informé dans les plus brefs délais des motifs de son arrestation ou de sa détention;
- d'avoir recours sans délai à l'assistance d'un avocat et d'être informé de ce droit;
- de faire contrôler, par habeas corpus, la légalité de sa détention et d’obtenir, le cas échéant, sa libération.
Objet
L’article 10 contient certains droits qui s’appliquent dès que l’individu est « détenu » ou « arrêté » au sens de cette disposition. L’article 10 « garantit à chaque personne la possibilité de contester la légalité de son arrestation ou de sa détention », en exigeant que la personne soit informée rapidement des motifs de son arrestation ou de sa détention, puis en lui permettant véritablement d’avoir recours à un avocat et de lui donner des instructions sans délai (R. v. Bielli, 2021 ONCA 222, au paragraphe 85). Bien qu’il soit évident que l’arrestation et la détention ne sont pas les seules situations « où une personne peut avoir raisonnablement besoin de l’assistance d’un avocat […], il s’agit de situations où l’entrave à la liberté pourrait, par ailleurs, avoir pour effet de rendre impossible l’accès à un avocat ou d’amener une personne à conclure qu’elle n’est pas en mesure d’avoir recours à l’assistance d’un avocat ». (R. c. Therens, [1985] 1 RCS 613, au paragraphe 52).
Analyse
1. Arrestation
Une arrestation consiste à « appréhender au corps ou toucher une personne dans le but de la détenir, ou ii) à prononcer des mots indiquant l’arrestation à une personne qui se soumet à l’agent ou l’agente qui procède à l’arrestation (R. c. Latimer, [1997] 1 RCS 217, au paragraphe 24; R. c. Asante-Mensah, [2003] 2 RCS 3, aux paragraphes 42-46).
Les « mots indiquant une arrestation » ne doivent pas être interprétés de façon formaliste : l’agent ou l’agente qui procède à une arrestation n’a pas réellement besoin de prononcer le mot « arrestation ». La question est plutôt de savoir ce que la personne doit avoir raisonnablement compris, d’après l’ensemble des mots prononcés et du contexte (Latimer, précité, aux paragraphes 24-25, citant R. c. Evans, [1991] 1 RCS 869, à la page 888).
2. Détention – généralités
La « détention » au sens de l’article 10 a le même sens qu’à l’article 9 de la Charte (R. c. Hufsky, [1988] 1 RCS 621, au paragraphe 12).
La détention exige une forme de contrainte ou de coercition physique ou psychologique considérable (R. c. Grant, [2009] 2 RCS 353, au paragraphe 44). L’article 10 vise une multiplicité d’entraves à la liberté d’une durée variable (Therens, précité, au paragraphe 50).
Une détention psychologique se produit lorsque le sujet est légalement tenu de se conformer à une directive ou, en l’absence d’une telle directive, lorsque la conduite de l’État inciterait une personne raisonnable à conclure qu’elle n’a pas le choix d’obtempérer (Therens, précité, au paragraphe 57; Grant, précité, aux paragraphes 30 et 44; R. c. Le, 2019 CSC 34, aux paragraphes 25‑26; R. c. Lafrance, 2022 CSC 32, au paragraphe 21).
Dans les cas où il n’y a aucune contrainte physique ni obligation légale, il peut ne pas être clair qu’une personne a été détenue. Pour déterminer si la personne raisonnable qui se trouverait dans cette situation conclurait qu’elle a été privée de sa liberté de choix par l’État, le tribunal peut tenir compte des facteurs suivants :
- Les circonstances à l’origine du contact avec les policiers telles que la personne en cause a dû raisonnablement les percevoir : les policiers fournissaient-ils une aide générale, assuraient-ils simplement le maintien de l’ordre, menaient-ils une enquête générale sur un incident particulier, ou visaient-ils précisément la personne en cause dans le cadre d’une enquête ciblée?
- La nature de la conduite des policiers, notamment les mots employés, le recours au contact physique, le lieu de l’interaction, la présence d’autres personnes et la durée de l’interaction.
- Les caractéristiques ou la situation particulières de la personne, selon leur pertinence, notamment son âge, sa stature, son appartenance à une minorité ou son degré de discernement (Grant, précité, au paragraphe 44; Le, précité, au paragraphe 31; Lafrance, précité, au paragraphe 22).
L’analyse qui précède consiste notamment à déterminer de façon objective, en tenant compte des circonstances du contact dans son ensemble , si la conduite des policiers aurait porté une personne raisonnable, placée dans la même situation, à conclure qu’elle n’était pas libre de partir et qu’elle devait obtempérer à la demande des policiers (R. c. Suberu, [2009] 2 RCS 460, au paragraphe 26). Suivant l’analyse, « il faut apprécier [le contact] dans son ensemble, plutôt que d’analyser son déroulement, étape par étape » (Le, précité, aux paragraphes 26‑27). Le point de vue de la personne raisonnable à cet égard doit être éclairé par le fait qu’un témoin n’est nullement tenu par la loi de se conformer à une demande d’information ou d’assistance de la police (Suberu, précité, aux paragraphes 26 et 28). C’est la partie demanderesse qui a le fardeau de prouver qu’elle a été privée de sa liberté de choix (Suberu, précité, au paragraphe 28).
Les droits constitutionnels conférés par l’article 10 (et l’article 9) ne peuvent pas être invoqués en cas de délais qui ne donnent lieu à aucune contrainte physique ou psychologique importante .
[I]l est impossible d’affirmer que la police « détient », au sens des articles 9 et 10 de la Charte, tout suspect qu’elle intercepte aux fins d’identification ou même d’interrogation. La personne interceptée est dans tous les cas « détenue » en ce sens qu’elle est « retenue » ou « retardée ». Cependant, les droits constitutionnels reconnus par les articles 9 et 10 de la Charte n’entrent pas en jeu lorsque le retard n’implique pas l’application de contraintes physiques ou psychologiques appréciables (Suberu, précité, au paragraphe 23, citant R. c. Mann, [2004] 3 RCS 59, au paragraphe 19; Le, précité, au paragraphe 27).
Par conséquent, une détention aux fins d’enquête ne signifie pas qu’il y a nécessairement détention dès que les policiers abordent une personne à des fins d’enquête ou pour poser des questions préliminaires (Suberu, précité, aux paragraphes 23 et 28).
Les situations où les policiers « n’accomplissent pas de fonction répressive, mais prêtent assistance à des membres du public » n’entraîneront généralement pas l’imposition d’une détention. Par exemple, il pourrait s’agir de policiers qui répondent à une urgence médicale à la suite d’un appel au 911 (Grant, précité, au paragraphe 36; R. c. Ranhotra, 2022 ONCA 548).
Des changements dans les conditions d’emprisonnement peuvent être suffisamment profonds pour qu’on les considère comme une deuxième « détention », dont la légalité peut être contrôlée par habeas corpus (voir Cardinal c. Directeur de l’Établissement Kent, [1985] 2 RCS 643, au paragraphe 13; voir aussi May c. Établissement de Ferndale, [2005] 3 RCS 809; Établissement de Mission c. Khela, [2014] 1 RCS 502).
3. Détention – contexte pénal
Pour une discussion plus approfondie sur le sens de « détention » dans le contexte criminel, voir l’entrée de Chartepédia relative à l’« Article 9 – Détention arbitraire ».
Le critère applicable pour déterminer si une détention a eu lieu dans le contexte criminel est toujours l’évaluation objective mentionnée dans l’arrêt Grant, précité, au paragraphe 44, expliqué précédemment. La Cour suprême a ordonné que les tribunaux n’appliquent plus les facteurs énoncés par la Cour d’appel de l’Ontario dans R. c. Moran, 1987 CanLII 124. Ces facteurs avaient souvent été appliqués, par les cours de première instance et les cours d’appel, lorsqu’une personne avait été questionnée dans un poste de police. Voir Lafrance, précité, aux paragraphes 24-28.
Une détention peut avoir lieu du simple fait que le policier ou la policière touche un individu et lui ordonne de se déplacer (R. c. Feeney, [1997] 2 RCS 13, au paragraphe 56). Comme il a été mentionné ci-dessus, ce n’est pas toute interaction entre la police et les individus qui constitue une détention, même lorsque la police mène une enquête criminelle. La Cour suprême a établi qu’« il n’y a pas détention, et donc les droits garantis par l’al. 10b) ne sont pas violés, lorsqu’une personne coopère volontairement avec les policiers, par exemple en acceptant librement de faire une déclaration » (Lafrance, précité, au paragraphe 21). Cela dit, l’évaluation du caractère volontaire doit être éclairée par une compréhension pratique du déséquilibre des pouvoirs entre la police et les individus, surtout dans le contexte des enquêtes criminelles. Le simple fait que la police ait dit à la personne qu’elle n’était « pas détenue », ou qu’elle n’est par ailleurs pas obligée de coopérer ou qu’elle peut partir, n’est pas déterminant pour évaluer objectivement si la personne a été soumise à une détention psychologique (Lafrance, précité, aux paragraphes 37-40).
De même, lorsque la police conduit quelqu’un au poste de police qui n’est pas en état d’arrestation, cela n’équivaut pas nécessairement à une détention : « La question est de savoir si une personne raisonnable mise à la place du passager croirait qu’elle peut cesser de coopérer en demandant aux policiers d’arrêter le véhicule et de partir; la réponse dépendra de l’ensemble des circonstances de l’affaire, y compris ce qui s’est passé auparavant » (Lafrance, précité, au paragraphe 49).
Le lieu de l’interrogatoire de la police peut également jouer un rôle contextuel. L’intrusion de policiers dans un espace privé, comme un domicile ou une cour arrière, « sera raisonnablement perçue comme plus percutante, coercitive et menaçante que si pareil acte de l’État se produisait dans un lieu public » (Le, précité, au paragraphe 51). Lorsque l’interrogatoire a lieu dans un environnement sécurisé contrôlé par l’État, comme une salle d’interrogatoire verrouillée dans un poste de police, il s’agit d’un facteur qui milite en faveur d’une détention psychologique (Lafrance, précité, aux paragraphes 50-51). Cela dit, ce n’est pas un facteur déterminant. Dans un autre cas récent d’interrogatoire dans un poste de police au cours d’une enquête criminelle, la Cour suprême a conclu qu’il n’y avait pas eu de détention psychologique en raison d’un éventail de facteurs contextuels, y compris que la présence de la personne au poste avait été demandée (et non exigée) par la police, et qu’elle était libre de quitter la salle comme elle le souhaitait (R. c. Tessier, 2022 CSC 35, aux paragraphes 105‑111).
Des étudiants convoqués par le directeur ou la directrice et qui se sentent obligés de se présenter ne sont pas détenus aux fins de l’alinéa 10b), mais ce pourrait être le cas si le directeur ou la directrice de l’école agit en tant que personne représentant la police (R. c. M. (M.R.), [1998] 3 RCS 393, aux paragraphes 65‑68).
Lorsque les enquêtes policières sont étendues et visent d’autres infractions au cours de l’interrogatoire, la police a l’obligation d’informer de nouveau l’individu de ses droits garantis à l’article 10 parce que, dans les faits, il fait alors l’objet d’une « nouvelle détention » (R. c. Borden, [1994] 3 RCS 145, aux paragraphes 43‑45; R. c. Black, [1989] 2 RCS 138, aux pages 152‑153).
La demande de fournir un échantillon d’haleine au bord de la route en vertu du paragraphe 234.1(1) (maintenant le paragraphe 254(2)) du Code criminel) satisfait aux critères de la détention. La différence dans la durée de l’entrave à la liberté découlant d’une demande en vertu du paragraphe 234.1(1) (dépistage) et celle découlant d’une demande en vertu du paragraphe 235(1) (alcootest) (aujourd’hui le paragraphe 254(3) du Code criminel) n’est pas telle qu’elle empêche la première de constituer une détention au sens de l’article 10 (Thomsen, précité, au paragraphe 13; Schmautz, précité, aux paragraphes 16‑17).
4. Détention – contexte frontalier
Comme les individus qui ne sont pas citoyens canadiens n’ont pas le droit constitutionnel d’entrer au Canada ou d’y demeurer, et considérant que tous les individus qui cherchent à entrer au Canada, citoyens et visiteurs, doivent passer les contrôles de l’immigration, un examen secondaire de routine équivaut à une inspection des douanes de premier niveau, laquelle a été jugée conforme à la Constitution dans l’affaire R. c. Simmons, [1988] 2 RCS 495. L’entrave à la liberté d’un individu n’a pas dépassé ce qui est nécessaire pour traiter les demandes d’entrée et, par conséquent, ne constitue pas une détention au sens de l’alinéa 10b) (Dehghani c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1993] 1 RCS 1053, aux paragraphes 34‑42).
Un interrogatoire de routine, même si l’on soupçonne que l’individu commet un acte illégal, n’est pas assimilable à une détention dans le contexte douanier (R. c. Hardy, [1994] B.C.W.L.D. 1972 (C.S.), aux paragraphes 64‑73; R. c. Jones (2006), 81 O.R. (3d) 481 (C.A.); R. v. Sekhon, 2009 BCCA 187; R. v. Sinclair, 2017 ONCA 287, autorisation d’interjeter appel à la CSC rejetée, 2017 CanLII 78692; R. v. Canfield, 2020 ABCA 383, aux paragraphes 117-131, autorisation d’interjeter appel à la CSC rejetée, 2021 CanLII 18037).
Cependant, un individu à qui des agents cessent d’appliquer la procédure d’interrogatoire normale et qui le forcent à subir une fouille à nu est détenu au sens de l’article 10 (Simmons, précité, aux paragraphes 35‑36; R. c. Jacoy, [1988] 2 RCS 548, au paragraphe 14).
Le contenu est à jour jusqu’au 2023-07-31.
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