Paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 – Primauté de la Constitution
Disposition
52.(1) La Constitution du Canada est la loi suprême du Canada; elle rend inopérantes les dispositions incompatibles de toute autre règle de droit.
Dispositions similaires
La Constitution renferme trois dispositions qui peuvent être invoquées pour fournir une réparation adéquate s’il est conclu à une incompatibilité avec la Charte : le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, qui prévoit que les dispositions de toute loi incompatible avec la Constitution sont inopérantes; le paragraphe 24(1), qui prévoit des réparations advenant un acte inconstitutionnel du gouvernement; et le paragraphe 24(2) qui prévoit l’exclusion d’éléments de preuve obtenus en violation des droits garantis par la Charte.
Il n’y a aucune disposition identique dans la Déclaration canadienne des droits, mais l’article 2 y est quelque peu analogue. Des dispositions similaires figurent dans les instruments internationaux suivants, qui lient le Canada : l’article 2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; l’alinéa 2(1)c) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; l’article 2f) de la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; et l’alinéa 4(1)b) de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.
Se reporter également aux instruments internationaux, régionaux et de droit comparés suivants, qui ne lient pas juridiquement le Canada, mais qui contiennent des dispositions semblables : les articles 2 et paragraphe 172(1) de la Constitution de la République d’Afrique du Sud de 1996; l’article VI de la Constitution des États-Unis d’Amérique; et l’article 25 de la Convention américaine sur les droits de l’homme. Soulignons par contre que l’article 4 de la Loi sur les droits de la personne du Royaume-Uni (document de nature non constitutionnelle) mentionne les effets d’une « déclaration d’incompatibilité » avec la Convention européenne des droits de l’homme.
Objet
Le paragraphe 52(1) reconnaît la primauté de la Constitution (Ontario (Procureur général c. G, 2020 CSC 38, au paragraphe 89). Il oblige tout organisme habilité à trancher les questions de droit à le faire d'une manière qui soit conforme à la Constitution ou à les traiter comme étant inopérantes dans la mesure de leur incompatibilité avec la Constitution (Mossop c. Canada, [1993] 1 R.C.S. 554, à la page 582; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504, au paragraphe 28). Lorsqu’un tribunal juge ou « déclare » qu’une disposition restreint de manière injustifiée la Charte, le paragraphe 52(1) a pour effet de rendre cette disposition inopérante (R. c. Ferguson, [2008] 1 R.C.S. 96, au paragraphe 35).
Analyse
1. Principes fondamentaux
Le paragraphe 52(1) devrait être lu de concert avec le paragraphe 24(1). Le paragraphe 52(1) traite des lois qui sont incompatibles avec la Constitution, tandis que le paragraphe 24(1) prévoit des réparations à l’encontre d’un acte inconstitutionnel du gouvernement(R. c. 974649 Ontario Inc., [2001] 3 R.C.S. 575 [« Dunedin »] au paragraphe 14; R. c. Ferguson, précité, aux paragraphes 35 et 61). Bien que le paragraphe 52(1) énonce le résultat juridique en cas de conflit entre une loi et la Constitution – les dispositions législatives inconstitutionnelles sont inopérantes dans la mesure de leur incompatibilité – il n’accorde pas explicitement aux tribunaux une compétence en matière de réparation. C’est plutôt la compétence légale ou inhérente dont ils sont investis qui est le fondement du pouvoir des tribunaux de prononcer une déclaration générale et de donner aux termes généraux du paragraphe 52(1) leur plein effet (G, au paragraphe 85).
Les fonctions distinctes du paragraphe 52(1) et du paragraphe 24(1) sous-tendent également le principe général interdisant la combinaison de réparations fondées sur le paragraphe 52(1) et de réparations individuelles fondées sur le paragraphe 24(1) (Schachter c. Canada, [1992] 2 R.C.S. 679, à la page 720; Guimond c. Québec [1996] 3 R.C.S. 347, au paragraphe 19; Mackin c. Nouveau-Brunswick, [2002] 1 R.C.S. 405, au paragraphe 81; Vancouver (Ville) c. Ward, [2010] 2 R.C.S. 28). Malgré des déclarations contraires dans certaines affaires (voir par exemple, Schachter, précité ; R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489, aux paragraphes 61 à 63), il n’existe pas de « règle stricte » interdisant de combiner les réparations fondées sur le paragraphe 24(1) et les réparations fondées sur le paragraphe 52(1) (voir G, aux paragraphes 141 et 142). Il existe cependant un principe général selon lequel l’article 24(1) ne doit pas être utilisé pour accorder des dommages‑intérêts, ou une réparation qui équivaudrait à des dommages-intérêts, relativement à l’adoption d’une loi inconstitutionnelle (voir, par exemple, Mackin, précité, aux paragraphes 79 à 81; Canada (Procureur général) c. Hislop, [2007] 1 R.C.S. 429, au paragraphe 102). Cette règle n’est toutefois pas absolue, car des dommages-intérêts peuvent être octroyés en vertu du paragraphe 24(1) si le comportement de l’État en vertu d’une loi jugée invalide est un « comportement clairement fautif, de mauvaise foi ou d’abus de pouvoir » (Mackin, précité, au paragraphe 78; Ward, précité, au paragraphe 39).
2. Considérations préliminaires
(i) Qui peut se prévaloir de la primauté de la Charte en cas de litige?
D’après la règle générale relative à la qualité pour agir conformément à la Charte, les parties peuvent seulement alléguer une violation de leurs propres droits ou libertés (Hy and Zel’s Inc. c. Ontario, [1993] 3 R.C.S. 675, à la page 690; voir aussi Finlay c. Canada (Ministre des Finances), [1986] 2 R.C.S. 607). Dans le cas des personnes morales, cela signifie qu’elles ne peuvent généralement pas faire valoir des droits ou libertés que les personnes morales ne possèdent pas (p. ex., l’alinéa 2a) et l’article 7) (Irwin Toy c. Québec, [1989] 1 R.C.S. 927, aux pages 1002 à 1004).
Toutefois, tout accusé, que ce soit une personne morale ou une personne physique, peut contester une accusation criminelle au motif que l’interdiction applicable est inconstitutionnelle même si les droits ou libertés garantis par la Charte de l’accusé ne sont pas en cause. La raison en est que nul ne peut être déclaré coupable d'une infraction à une loi inconstitutionnelle (R. c. Big M Drug Mart, [1985] 1 R.C.S. 295, aux pages 313 et 314). De la même manière, lorsqu’une personne morale est contrainte de témoigner à titre de défenderesse dans une poursuite civile intentée par l’État ou un organisme de l’État, elle peut invoquer la Charte comme moyen de défense, qu’elle jouisse ou non du droit ou de la liberté en question (Office canadien de commercialisation des œufs c. Richardson, [1998] 3 R.C.S. 157, au paragraphe 40). L’analyse sera différente lorsque les interdictions criminelles s’appliquent exclusivement aux personnes morales (R. c. Wholesale Travel Group Inc.
, [1991] 3 R.C.S. 154, aux pages 181 à 183 et 255).
Lorsque leurs droits ou libertés ne sont pas directement en cause, les parties peuvent demander une détermination de la validité constitutionnelle fondée sur « la qualité pour agir dans l’intérêt public ». Pour avoir qualité pour agir dans l’intérêt public, les parties doivent démontrer ce qui suit : 1) il existe une question sérieuse quant à la validité de la loi ou de l’action administrative; 2) elles ont un intérêt véritable quant à la validité de la mesure; et 3) le litige constitue une manière raisonnable et efficace de soumettre la question à la cour (Canada (Procureur général) c. Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, [2012] 2 R.C.S. 524; Colombie-Britannique (Procureur général) c. Conseil des Canadiens avec déficiences, 2022 CSC 27). Tous ces facteurs doivent être appliqués d’une manière « souple et libérale », en tenant compte des objectifs qui sous‑tendent les restrictions à la qualité pour agir ainsi que des objectifs qui justifient la reconnaissance de la qualité pour agir. Ces premiers objectifs sont de trois ordres : (i) l’affectation efficace des ressources judiciaires limitées et la nécessité d’écarter les plaideurs « trouble‑fête », (ii) l’assurance que les tribunaux entendront les principaux intéressés faire valoir contradictoirement leurs points de vue, et (iii) la sauvegarde du rôle propre aux tribunaux dans le cadre de notre système démocratique de gouvernement. Ces derniers objectifs sont de deux ordres : (i) donner plein effet au principe de la légalité et (ii) assurer un accès aux tribunaux ou, plus largement, un accès à la justice (Conseil des Canadiens avec déficiences, précité, aux paragraphes 29 et 30; Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, au paragraphe 50). En règle générale, les tribunaux ne devraient pas accorder une importance particulière à l’un ou l’autre des objets, principes ou facteurs – y compris au principe de la légalité et à l’accès à la justice – mais devraient s’efforcer d’« établir un équilibre entre tous les objectifs à la lumière des circonstances et dans l’“exercice judicieux du pouvoir judiciaire discrétionnaire” qui leur est conféré » (Conseil des Canadiens avec déficiences, précité, aux paragraphes 31, 58 et 59). Toutes les autres considérations étant égales par ailleurs, un demandeur qui possède de plein droit la qualité pour agir sera généralement préféré » (Downtown Eastside Sex Workers United Against Violence Society, précité, au paragraphe 37).
(ii) Les lois établissant des délais de prescription
Les lois générales sur la prescription permettent de prononcer l’irrecevabilité de demandes de réparations personnelles fondées sur le paragraphe 24(1) de la Charte. Toutefois, elles ne permettent pas de le faire pour les demandes présentées en vertu du paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, relativement à des mesures législatives qui seraient inconstitutionnelles (Ravndahl c. Saskatchewan, [2009] 1 R.C.S. 181).
(iii) La Charte comme outil d'interprétation
La Charte peut être utilisée pour interpréter une loi même si cette loi n’est pas directement contestée, dans la mesure où le texte de la disposition légale est véritablement ambigu (Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695, à la page 752; Bell ExpressVu c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559, au paragraphe 62). Dans ce cas, la Charte peut aider à déterminer laquelle de deux interprétations possibles est la plus compatible avec les valeurs consacrées par la Charte, par opposition à une application typique de la Charte à une disposition contestée, qui implique une analyse formelle fondée sur la Charte et une éventuelle application de l'article premier.
Lorsque la validité d’une disposition est contestée en raison d’une incompatibilité avec la Charte, il faut d’abord l’interpréter comme il se doit : « Lorsqu’une disposition législative peut être jugée inconstitutionnelle selon une interprétation et constitutionnelle selon une autre, cette dernière doit être retenue
» (R. c. Sharpe, [2001] 1 R.C.S. 45, au paragraphe 33 (et les autres jugements qui y sont cités); voir aussi, de façon générale, Canada (Procureur général) c. JTI-Macdonald Corp., [2007] 2 R.C.S. 610). Cependant, pour que cette règle d’interprétation s’applique, les deux interprétations doivent être plausibles et s’harmoniser chacune également avec l’intention du législateur — la Charte ne peut servir à « créer une ambiguïté alors qu’il n’en existe aucune » (Wilson c. Colombie-Britannique (Superintendent of Motor Vehicles), [2015] 3 R.C.S. 300, au paragraphe 25; R. c. Clarke, [2014] 1 R.C.S. 612, au paragraphe 1).
La Charte ne peut être utilisée pour interpréter une loi de façon à contrarier son objet, à lui donner un effet que le législateur ne souhaitait pas ou à priver le législateur de son pouvoir de restreindre les droits et libertés garantis par la Charte dans des limites pouvant se justifier en vertu de l’article premier (Mossop, précité, à la page 582; Willick c. Willick, [1994] 3 R.C.S. 670, aux pages 679 et 680; Symes, précité, à la page 752; Bell ExpressVu, précité, aux paragraphes 64 à 66).
(iv) Outre les textes législatifs et réglementaires, quelles « règle[s] de droit » doivent être compatibles avec la Charte?
Le libellé général du paragraphe 52(1) exige que toutes les règles de droit, y compris la common law, soient compatibles avec la Charte (SDGMR c. Dolphin Delivery Ltd., [1986] 2 R.C.S. 573, au paragraphe 25). Par conséquent, au fur et à mesure de son évolution, la common law devrait demeurer compatible avec la Charte (Salituro, [1991] 3 R.C.S. 654, à la page 670; R. c. Mann, [2004] 3 R.C.S. 59, au paragraphe 17; R. c. Clayton, [2007] 2 R.C.S. 725, au paragraphe 21). Lorsqu’une règle de common law est incompatible avec la Charte, cette règle devrait être modifiée, si possible, de manière à la rendre compatible, sauf si cette modification risque de perturber l’équilibre entre la fonction judiciaire et la fonction législative (R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, aux pages 978 et 979; Salituro, précité, à la page 675; Dagenais c. Société Radio-Canada, [1994] 3 R.C.S. 835, à la page 878; Hill c. Église de scientologie de Toronto, [1995] 2 R.C.S. 1130, au paragraphe 91; R. c. Golden, [2001] 3 R.C.S. 679, au paragraphe 86).
Une politique contraignante d’application générale adoptée par une entité gouvernementale conformément à un pouvoir de réglementation peut également être qualifiée de « règle de droit » au sens du paragraphe 52(1). Lorsqu’une telle politique est inconstitutionnelle, la réparation appropriée n’est pas une réparation individuelle fondée sur le paragraphe 24(1) de la Charte mais une réparation de nature déclaratoire fondée sur le paragraphe 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 (Greater Vancouver Transportation Authority c. Fédération canadienne des étudiantes et étudiants - Section Colombie-Britannique, [2009] 2 R.C.S. 295, aux paragraphes 87 à 90).
(v) Qui a le pouvoir d’instruire les demandes fondées sur la Charte?
La compétence qu’ont les cours supérieures pour rendre des jugements déclaratoires sur la constitutionnalité des lois fédérales et provinciales est essentielle au régime fédéral canadien (Kourtessis c. Canada (Ministre du Revenu national – M.R.N.), [1993] 2 R.C.S. 53, au paragraphe 93; Procureur général du Canada c. Law Society of British Columbia, [1982] 2 R.C.S. 307, à la page 328).
Lorsque des tribunaux d’instance inférieure ou des tribunaux administratifs sont saisis de demandes fondées sur la Charte, la question pertinente est de savoir si le législateur entendait conférer au tribunal le pouvoir d’interpréter et d’appliquer la Charte (Cuddy Chicks c. Ontario (Commission des relations de travail), [1991] 2 R.C.S. 5, aux pages 14 et 15). Le tribunal sera présumé avoir le pouvoir d'interpréter et d'appliquer la Charte relativement à une affaire dont il est dûment saisi, y compris de décider de la validité de sa loi habilitante, s’il a reçu du législateur le pouvoir exprès ou implicite de trancher des questions de droit et que la compétence à l’égard de la Charte n’a pas été manifestement écartée (Martin, précité, au paragraphe 36; R. c. Conway, [2010] 1 R.C.S. 765, au paragraphe 77).
Bien que l'autorité de la chose jugée soit l'un des piliers de la primauté du droit, la primauté du droit ne saurait permettre l'infliction continue d’une peine cruelle et inusitée qui ne peut se justifier dans une société libre et démocratique. À ce titre, l'autorité de la chose jugée ne saurait jouer de manière à interdire la présentation de demandes visant à faire cesser une situation en cours qui peut constituer une violation de l'article 12 (R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, aux paragraphes 105-109 ; R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23, aux paragraphes 136-37). Les particuliers qui n’ont « plus d’affaire en cours » pourraient être en mesure de s’adresser aux tribunaux pour demander réparation en invoquant le paragraphe 24(1) (voir, par exemple, Boudreault, précité, au paragraphe 109; Bissonnette, précité, au paragraphe 137). Cette exception à l'application de l'autorité de la chose jugée peut ne pas être limitée aux affaires concernant l'article 12 de la Charte (voir R. c. Ndhlovu, 2022 CSC 38, aux paragraphes 140, 142, dans lequel est accordé une réparation personnelle dans des circonstances qui seraient normalement exclues par l'autorité de la chose jugée en ce qui concerne les violations de l'article 7 de la Charte; mais voir R. c. Hills, 2023 CSC 2 au paragraphe 174).
Lorsqu’un tribunal inférieur conclut qu’une loi est incompatible avec la Charte, cette conclusion ne s'applique qu'à l'affaire dont il a été saisi. Aucune déclaration formelle d’invalidité ne peut être prononcée; le tribunal peut seulement traiter la loi inconstitutionnelle comme si elle était inopérante, en ce qui concerne l’obligation légale à satisfaire (si cela est encore possible), et les autres tribunaux ne sont pas liés par cette décision, qui ne constitue pas un précédent. Seules les cours supérieures ont le pouvoir de prononcer une déclaration formelle d'invalidité (Cuddy Chicks, précité, à la page 17; Martin, précité, au paragraphe 31).
3. Quel est l’effet de la conclusion selon laquelle une loi restreint de manière injustifiée la Charte?
Le libellé du paragraphe 52(1) est de nature obligatoire. Un tribunal qui est appelé à statuer sur la contestation constitutionnelle d’une loi doit déterminer dans quelle mesure la loi contestée est inconstitutionnelle et la déclarer telle (G, précité, au paragraphe 86). Il n’y a aucun pouvoir discrétionnaire de permettre aux lois inconstitutionnelles de demeurer opérantes sous réserve de l’octroi d’une réparation accordée au cas par cas (Ferguson, précité, aux paragraphes 35, 64 et 65; Greater Vancouver Transportation Authority, précité,au paragraphe 87; R. c. Sullivan, 2022 CSC 19, au paragraphe 57).
(i) Détermination de l’étendue de l’incompatibilité
Lorsqu’un tribunal conclut à une incompatibilité avec la Charte, il doit d’abord déterminer l’étendue de l’incompatibilité. L’analyse de la réparation qu’il convient d’accorder repose sur la nature et l’étendue de la violation sous-jacente de la Charte, car la portée de la réparation qui est accordée dépend notamment de l’étendue de la violation (G, au paragraphe 108).
Cela permet de s’assurer que la réparation corrige pleinement les vices constitutionnels de la loi, tout en servant l’intérêt public en veillant à ce que l’action gouvernementale soit conforme à la Constitution (G, au paragraphe 109). D’autre part, elle sert également l’intérêt public en préservant l’application des aspects constitutionnels de la loi en question (G, au paragraphe 111).
(Ii) Détermination de la forme et de l’étendue de la déclaration
La deuxième étape consiste à déterminer la forme que doit prendre la déclaration (Schachter, précité, à la page 695; G, au paragraphe 112). Cette partie de l’analyse a fait l’objet d’une discussion approfondie et a été révisée dans une certaine mesure dans l’arrêt G. Elle comprend l’exercice d’un « pouvoir discrétionnaire de réparation fondé sur des principes » (G, au paragraphe 93), basés sur les considérations constitutionnelles qui se dégagent de notre Constitution ainsi que de « l’architecture générale de notre ordre constitutionnel et de la primauté du droit » (G, au paragraphe 158). L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit être guidé par quatre principes fondamentaux – et expliqué de manière transparente en se référant à ces principes – (G, aux paragraphes 94, et 158) :
- Les droits garantis par la Charte doivent être protégés par l’octroi de réparations efficaces.
- Il est dans l’intérêt du public que les lois soient conformes à la Constitution.
- Le public a droit au bénéfice de la loi.
- Les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents.
Pour garantir au public le bénéfice des lois qui sont adoptées, l’interprétation atténuée, l’interprétation large et la dissociation, qui sont des réparations adaptées à l’étendue de la violation, devraient être utilisées dans la mesure du possible afin de préserver les aspects constitutionnels des lois (G, au paragraphe 111). Cependant, des réparations adaptées « ne seront souvent pas appropriées » (G, au paragraphe 114) puisqu’elles ne devraient être accordées que s’il est très plausible de présumer que le législateur aurait adopté la loi telle que modifiée par la déclaration (G, au paragraphe 114). Voici certains facteurs à prendre en considération :
- Sens de la portion restante – Les réparations adaptées devraient être évitées si elles transforment tellement le reste du texte qu’on ne peut supposer que le législateur aurait adopté la loi dans sa forme modifiée (Schachter, précité, aux pages 710 à 712; G, au paragraphe 114). Lorsque la portion restante a une très grande importance ou existe depuis longtemps, ce fait vient renforcer la supposition que le législateur l’aurait adoptée sans la portion fautive (Schachter aux pages 712 à 715).
- Ingérence dans l’objectif législatif — La réparation devrait favoriser l’atteinte de l’objectif législatif. Lorsque les moyens qui violent la Constitution ont été délibérément choisis pour favoriser l’atteinte de cet objectif, la Cour ne devrait généralement pas y substituer des moyens différents et devrait laisser au législateur le soin de choisir la solution (Schachter, précité, aux pages 707 à 710; G, au paragraphe 114).
- Mesure corrective — Les réparations adaptées ne devraient être accordées que lorsqu’elles se dégagent avec suffisamment de précision des exigences de la Constitution. Même si les tribunaux sont en mesure de déterminer les exigences de la Constitution, ils ne sont pas aptes à faire « des choix particuliers entre diverses options » (Schachter, à lapage 707; G, au paragraphe 115).
« L’annulation » signifie qu’il est conclu à l’invalidité de la disposition ou de la loi en question dans sa totalité (par exemple, Big M Drug Mart, précité, aux pages 355 et 356; G, aux paragraphes 112, 114, et 116). Il s’agit de la réparation qui s’applique lorsqu’une réparation adaptée n’est pas appropriée. L’expression « annulation » devrait être considérée comme une figure de style, ayant pour effet de rendre le texte législatif inopérant en application du paragraphe 52(1), et non de modifier le texte ou de l’abroger littéralement (Sullivan, au paragraphe 54).
L’interprétation atténuée consiste pour un tribunal à limiter la portée d’une loi en la déclarant inopérante dans une mesure qu’il définit avec précision. L’interprétation atténuée est une réparation appropriée si « la partie irrégulière d’une loi peut être isolée » (G, au paragraphe 113; Schachter, à la page 697).
L’interprétation atténuée consiste à réduire la portée d’une loi pour en éliminer les applications ou effets inconstitutionnels sans tenir compte du libellé explicite qui serait nécessaire pour arriver à ce résultat (voir par exemple, R. c. Grant, [1993] 3 R.C.S. 223; Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, [2015] 1 R.C.S. 401; R. c. Appulonappa, [2015] 3 R.C.S. 754, au paragraphe 85).
Dans certains cas, la Cour suprême semble avoir utilisé, sans la nommer, la technique de l’interprétation atténuée en stipulant dans sa déclaration d’invalidité que la loi était inopérante « dans la mesure où » elle s’appliquait dans un contexte particulier (voir R. c. Smith, [2015] 2 R.C.S. 602, au paragraphe 31) ou simplement en décrivant les situations dans lesquelles la loi ne s’applique pas (voir R. c. K.R.J., [2016] 1 R.C.S. 906, au paragraphe 115, où on explique que la disposition contestée « ne s’applique […] pas rétrospectivement »).
L’interprétation large consiste pour un tribunal à étendre le champ d’application d’une loi « en déclarant inopérante une limitation implicite de sa portée » (G, au paragraphe 113). Cette réparation peut être appropriée lorsque l’incompatibilité avec la Constitution découle de ce que la loi exclut ou omet à tort (Schachter, à la page 698; G, au paragraphe 113). L’arrêt G utilise le terme « interprétation large » pour décrire l’effet d’une déclaration à un niveau conceptuel plutôt que textuel. La question n’est pas de savoir si des mots doivent être ajoutés au texte législatif pour obtenir le résultat, comme cela a parfois été formulé dans la jurisprudence antérieure (voir par exemple, M. c. H., [1999] 2 R.C.S. 3 au paragraphe 139). La question est plutôt de savoir si la portée de la loi est élargie (interprétation large) plutôt que restreinte (interprétation atténuée).
Avant l’arrêt G, certaines décisions indiquaient que le recours à l’interprétation large devrait être rarement utilisé (voir Trial Lawyers Association of British Columbia c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2014] 3 R.C.S. 31, au paragraphe 66; Miron c. Trudel, [1995] 2 R.C.S. 418, à la page 510). Cette prudence semble avoir été dépassée par G, qui propose la même approche générale à l’égard de toutes les réparations adaptées et qui reconnaît que les considérations associées à l’interprétation large peuvent également être associées à la dissociation, selon la rédaction de la disposition en question (G,au paragraphe 113).
Dans les cas où une loi sur les prestations est déclarée invalide parce qu’elle est trop limitative (par exemple, au titre de l’article 15 de la Charte), l’interprétation large peut être plus rare, car il peut y avoir de multiples façons pour le législateur de répondre (voir Schachter, aux pages 723 et 724). Cependant, l’interprétation large a été jugée appropriée dans l’affaire Miron c. Trudel, dans le cadre de laquelle l’on pouvait se fonder sur des modifications législatives postérieures à l’adoption de la loi à titre de preuve de ce que le législateur aurait fait s’il lui avait fallu modifier la législation attaquée pour la rendre conforme à la Charte.
L’un des facteurs à prendre en compte dans les affaires concernant une loi trop limitative est la taille relative des groupes visés. Lorsque le groupe à ajouter est numériquement moins important que le groupe initial de bénéficiaires, cela peut indiquer qu’il y a lieu de supposer que le législateur aurait adopté la loi (élargie) (Schachter, précité, aux pages 711 et 712).
« La dissociation » consiste pour un tribunal à déclarer inopérants certains termes d’une loi. Cette technique a les mêmes effets que l’interprétation atténuée ou l’interprétation large dans la mesure où la partie retranchée sert à restreindre ou à élargir la portée de la loi. La dissociation est de mise lorsque la partie irrégulière de la loi est énoncée explicitement dans son libellé (G, auparagraphe 113; voir aussi R. c. Morales, [1992] 3 R.C.S. 711, aux pages 741 à 743).
La dissociation peut favoriser l’atteinte de l’objectif du respect du rôle du législateur en maintenant en vigueur les éléments de la loi qui ne violent pas la Constitution. Par contre, lorsque la partie restante est inextricablement liée à la partie fautive, la dissociation peut être plus attentatoire que la simple annulation (Schachter, précité, à la page 697).
Comme pour l’expression « annulation », l’expression « dissociation » devrait être considérée comme une figure de style, ayant pour effet de rendre le texte législatif inopérant en application du paragraphe 52(1), et non de modifier le texte ou de l’abroger littéralement (Sullivan, au paragraphe 54).
(iii) Suspension de l’effet d’une déclaration fondée sur le paragraphe 52(1)
L’approche à l’égard des suspensions a été longuement discutée et considérablement révisée dans l’arrêt G, annulant une grande partie de la jurisprudence antérieure sur cette question.
Le pouvoir de suspendre l’effet d’une déclaration d’invalidité est compris dans celui de déclarer une loi invalide (G, au paragraphe 121). Ce pouvoir reflète la différence entre le fait de déclarer une loi inconstitutionnelle et la détermination des conséquences d’ordre pratique et juridique qui découlent de cette déclaration (G, au paragraphe 122).
Les déclarations avec effet immédiat revêtent un grand intérêt, et reflètent le principe selon lequel les droits garantis par la Charte doivent être protégés par l’octroi de réparations efficaces et le principe suivant lequel il est dans l’intérêt du public que les lois soient conformes à la Constitution (G, aux paragraphes 131 et 132; voir aussi Carter c. Canada (Procureur général), [2016] 1 R.C.S. 13, au paragraphe 2).
Il incombe au gouvernement de démontrer qu’un intérêt public impérieux justifie une suspension. L’intérêt précis, ainsi que la manière dont une déclaration avec effet immédiat menacerait cet intérêt, doit être défini et, le cas échéant, étayé par une preuve (G, au paragraphe 133). Ces intérêts impérieux ne peuvent se limiter à une liste exhaustive de catégories, telles que celles qui ont été établies dans l’arrêt Schachter (lorsqu’une déclaration immédiate constituerait une menace à la primauté du droit ou à la sécurité publique, ou dans les cas où la prestation est limitative). Au contraire, les intérêts impérieux susceptibles de justifier une suspension seront liés à un principe de réparation fondé sur la Constitution (G, au paragraphe 126). Il peut s’agir du principe selon lequel le public a droit au bénéfice de la loi ou du principe suivant lequel les tribunaux et les législateurs jouent des rôles institutionnels différents, selon les circonstances. Le fait de permettre au législateur de s’acquitter de son rôle d’adopter des lois est un facteur pertinent pour trancher la question de savoir si l’effet d’une déclaration d’invalidité doit être suspendu, mais seulement lorsque le gouvernement établit qu’une déclaration avec effet immédiat nuirait considérablement à la capacité du législateur de légiférer (G, au paragraphe 129).
L’avantage qui découle de la suspension (ou le préjudice que celle-ci permet d’éviter) doit alors être soupesé de façon transparente avec les principes fondamentaux faisant contrepoids en matière de réparation. Pour ce faire, divers facteurs doivent être pris en considération, dont l’importance de l’atteinte aux droits, laquelle aura un très grand poids lorsqu’un risque de poursuite criminelle est en jeu, et le préjudice que pourrait causer la suspension, comme la création d’une incertitude juridique (G, au paragraphe 131). L’approche fondée sur des principes vise à rendre l’analyse plus disciplinée et plus rigoureuse, parce que toute suspension doit être justifiée de manière précise. Lorsqu’un juste équilibre est établi, l’effet d’une déclaration n’est suspendu « qu’en de rares circonstances » (G, au paragraphe 132).
Bien que l’arrêt G indique clairement que l’approche visant à déterminer si une déclaration doit être suspendue est une approche de fondée sur les principes, plutôt que sur les catégories, il reconnaît également que les trois catégories de cas reconnues dans Schachter (menaces à la primauté de droit, menaces à la sécurité publique et prestations limitatives) tiennent toutes compte de considérations fondées sur la Constitution, y compris la reconnaissance de l’intérêt qu’a le public dans des lois adoptées pour son bénéfice (G, au paragraphe 124). Toutefois, elle précise également qu’une suspension ne sera pas accordée simplement parce que l’une des catégories énoncées dans l’arrêt Schachter entre en jeu (lorsque l’affaire met en jeu la sécurité du public, par exemple) (G, au paragraphe 132).
Les décisions antérieures à l’arrêt G peuvent demeurer pertinentes dans la mesure où toute décision d’accorder une suspension peut être expliquée en référence aux principes fondamentaux en matière de réparation énoncés dans G. Toutefois, ces décisions doivent être traitées avec prudence à la lumière de G. Dans R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933, aux pages 1021 et 1022, la Cour a accordé une suspension au motif qu’une déclaration immédiate présenterait un danger potentiel pour la sécurité publique en exposant le public à des personnes potentiellement dangereuses. Dans Renvoi : Droits linguistiques au Manitoba, [1985] 1 R.C.S. 721, aux pages 752 et 753, 766 à 769, une suspension a été accordée parce qu’une déclaration immédiate aurait constitué une menace à la primauté du droit. Dans Schachter, la Cour a conclu que l’annulation immédiate d’une loi trop limitative aurait privé les bénéficiaires actuels de la loi, et ce, sans potentiellement fournir de recours à la partie requérante (voir aussi Martin, au paragraphe 119; Trociuk c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 835, au paragraphe 44). Des suspensions ont également été accordées dans des cas où une déclaration immédiate priverait le gouvernement de revenus nécessaires à l’administration de la justice (Succession Eurig (Re), [1998] 2 R.C.S. 565, au paragraphe 44), créerait involontairement des droits acquis (R. c. Guignard, [2002] 1 R.C.S. 472, au paragraphe 32), ou aurait pour effet d’élargir le champ d’application de droits qui ne sont peut-être pas constitutionnellement requis (par exemple, Dunmore c. Ontario (Procureur général), [2001] 3 R.C.S. 1016, au paragraphe 66).
Avant l’arrêt G, les suspensions étaient généralement associées à des mesures réparatrices telles que l’annulation et, dans certains cas, la dissociation (voir par exemple, Corbière c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203, aux paragraphes 118 et 119; T.U.A.C., section locale 1518, c. KMart Canada Ltd., [1999] 2 R.C.S. 1083, au paragraphe 79; voir aussi Sharpe, précité, au paragraphe 114). L’analyse et la décision dans l’arrêt G, dans lequel la Cour a combiné une suspension avec un recours à l’interprétation atténuée, indiquent que les suspensions peuvent être combinées avec toute forme de déclaration.
Lorsqu’il décide d’accorder ou non une suspension, le tribunal doit également en déterminer la durée. Il incombe encore au gouvernement d’établir la durée appropriée. Il n’existe pas de durée « par défaut » de 12 mois (G, au paragraphe 135). Lorsqu’une telle mesure est justifiée, la période de suspension devrait être suffisamment longue pour donner au législateur le temps dont il a démontré qu’il avait besoin pour s’acquitter avec diligence et efficacité de la responsabilité qui lui incombe « tout en reconnaissant que chaque jour additionnel pendant lequel les droits sont violés constitue un contrepoids important à l’octroi de temps supplémentaire au législateur » (G, au paragraphe 139).
C’est un lourd fardeau qui incombe au procureur général sollicitant la prorogation de la suspension de la prise d’effet d’une déclaration d’invalidité constitutionnelle; l’existence de circonstances exceptionnelles doit être démontrée (Carter (2016) au paragraphe 2).
(iv) Exemptions des suspensions
Lorsque l’effet de la déclaration d’invalidité a été suspendu, de sorte que la loi inconstitutionnelle demeure temporairement en vigueur, les tribunaux accordent parfois une réparation individuelle, sous la forme d’une exemption à la suspension, aux plaideurs qui obtiennent gain de cause (voir G, au paragraphe 145; Martin, au paragraphe 120; Guignard, au paragraphe 32; Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), [2009] 3 R.C.S. 208, au paragraphe 47; Swain, au paragraphe 156; Mackin, au paragraphe 88; Renvoi relatif à la rémunération des juges de la Cour prov. de l’ÎPÉ, [1998] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 20).
Le pouvoir d’accorder des exemptions individuelles de suspension découle du paragraphe 24(1) de la Charte (Schachter, à la p. 720; G, aux paragraphes 146 et 147).
L’octroi d’une réparation individuelle en conjonction avec une déclaration suspendue sera souvent approprié et juste, car cela reflète le principe selon lequel les droits doivent être protégés par des réparations efficaces (G, au paragraphe 147; voir aussi Mackin, auparagraphe 20). Elle reconnaît également que les plaideurs qui obtiennent gain de cause ne se trouvent pas dans la même situation que les autres personnes soumises à une loi inconstitutionnelle en ce sens qu’ils ont servi l’intérêt du public en faisant en sorte qu’une loi inconstitutionnelle soit déclarée inopérante. Les exemptions individuelles favorisent l’intérêt public en éliminant les facteurs de dissuasion attribuables à la suspension quant aux litiges d’intérêt public (G, au paragraphe 148).
Il sera souvent nécessaire d’exempter une partie demanderesse d’une suspension pour mettre en balance les intérêts de cette dernier, du public en général et du législateur (G, au paragraphe 152). Il doit y avoir une raison impérieuse de refuser à la partie demanderesse une réparation avec effet immédiat (G, au paragraphe 149). Cela peut être le cas dans des circonstances où l’octroi d’une exemption minerait l’intérêt motivant la suspension en premier lieu (c’est-à-dire les différents rôles institutionnels des tribunaux et du législateur et l’intérêt public dans l’application de la loi) (G, au paragraphe 150). Cela peut également être le cas lorsque des considérations pratiques comme l’économie des ressources judiciaires rendent inopportun l’octroi d’une réparation individuelle. Cela peut être le cas, par exemple, si une catégorie ou un groupe important de demandeurs se pourvoit en justice, car il ne sera peut‑être pas pratique — ni même possible — de procéder aux évaluations individuelles nécessaires pour accorder des exemptions à chacun d’eux (G, au paragraphe 151).
(v) Considérations temporelles
Les principes du constitutionnalisme, de la primauté du droit et de la séparation des pouvoirs déterminent la réparation à accorder dans le cas où une mesure législative est incompatible avec la Constitution. Ces principes donnent lieu à des présomptions fortes, mais réfutables, que les déclarations judiciaires ont un effet rétroactif et qu’un texte législatif – y compris une mesure législative corrective édictée pour répondre à une conclusion d’inconstitutionnalité – s’applique de manière prospective (R. c. Albashir, 2021 CSC 48, au paragraphe 34).
Une déclaration fondée sur le paragraphe 52(1) aura généralement un effet immédiat et rétroactif, de sorte que les tribunaux d’instance inférieure sont tenus d’appliquer la déclaration dans le cadre des affaires dont ils sont saisis (Albashir au paragraphe 38). Des réparations rétroactives applicables immédiatement à toutes les personnes dont l’affaire est toujours « en cours » maximisent la protection et la défense des droits conférés par la Charte, et donnent effet au principe de la suprématie de la Constitution (Albashir,aux paragraphes 31 et 42). Toutefois, le principe selon lequel les déclarations judiciaires ont une portée rétroactive n’est pas absolu (Hislop,au paragraphe 86). Les principes contradictoires comme l’autorité de la chose jugée, qui empêche que des affaires déjà tranchées ne soient rouvertes en raison de décisions judiciaires rendues ultérieurement, et les principes de la validité de facto et de l’immunité restreinte, qui écartent la responsabilité financière à l’égard d’actions gouvernementales fondées sur des régles de droit qui sont ultérieurement jugées inconstitutionnelles, mettent en balance la nature généralement rétroactive des réparations judiciaires avec les impératifs que sont le caractère définitif et la stabilité (Albashir, au paragraphe 40).
Lorsque le tribunal, en concluant à la violation de la Charte, effectue une modification fondamentale du droit plutôt que de simplement appliquer le droit existant, il peut alors être opportun d’accorder une réparation uniquement pour l’avenir (Hislop, précité, au paragraphe 86). La question de savoir si cela est ou non opportun dépend de plusieurs facteurs, notamment de la confiance des gouvernements dans les règles de droit préexistantes, de la bonne foi des gouvernements pour ce qui est de répondre à l’évolution du droit, de l’équité envers les parties et du respect du rôle du législateur (Hislop, au paragraphe 100; Albashir au paragraphe 45).
Une déclaration d’invalidité avec effet suspendu peut constituer une autre exception à la présomption de rétroactivité. Les rares circonstances et les considérations constitutionnelles qui justifient une déclaration avec effet suspendu peuvent légitimer une exception à l’application rétroactive d’une déclaration lorsque cela s’impose pour donner effet à l’objectif de la suspension (Albashir, aux paragraphes 43 à 46).
La décision d’un tribunal de suspendre l’effet d’une déclaration ne modifie pas l’application présumée rétroactive de celle‑ci, mais seulement la date de sa prise d’effet. La présomption de rétroactivité subsiste, quoiqu’elle puisse être réfutée explicitement ou par voie de conséquence nécessaire (Albashir, au paragraphe 44).
(vi) Les règles ordinaires du stare decisis s’appliquent
Les cours supérieures sont habilitées à déterminer si une disposition est incompatible avec la Constitution selon la hiérarchie des lois dans l’ordre constitutionnel (Sullivan, au paragraphe 48). Comme d’autres questions de droit, ces décisions sont assujetties aux règles ordinaires du stare decisis (Sullivan, aux paragraphes 53 à 59).
Lorsqu’une cour supérieure détermine qu’une disposition législative est incompatible avec la Constitution et déclare que la disposition, ou un aspect de celle-ci, est inopérante, la décision judiciaire lie les décideurs qui se prononceront ultérieurement conformément aux règles du stare decisis (Sullivan, aux paragraphes 54 et 63).
En particulier, une décision en matière constitutionnelle d’un tribunal lie les juridictions inférieures par la voie du stare decisis vertical. De telles décisions rendues par les tribunaux de juridiction équivalente dans une province sont sujettes aux règles du stare decisis horizontal. Ces décisions sont particulièrement exécutoires et devraient être suivies par ces mêmes tribunaux dans trois situations précises : (1) la justification d’une décision antérieure a été compromise par des décisions subséquentes de cours d’appel; (2) la décision antérieure a été rendue « par imprudence » ou « par inadvertance » (per incuriam); ou (3) la décision antérieure n’a pas été mûrement réfléchie, c.‑à‑d. qu’elle a été prise dans une situation d’urgence (Sullivan, au paragraphe 75). Bien qu’une déclaration faite en application du paragraphe 52(1) dans une province puisse être suivie dans une autre province en raison de sa force persuasive, le fédéralisme l’empêche de lier les tribunaux partout au Canada (Sullivan, au paragraphe 62).
4. Exemptions constitutionnelles autonomes
Contrairement à l’exemption de l’application d’une loi temporairement valide, l’exemption constitutionnelle indépendante « doit être évité[e] » (Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, [2011] 3 R.C.S. 134, au paragraphe 149). Si une loi a des effets inconstitutionnels, une réparation accordée en vertu du paragraphe 52(1) rend inopérantes les dispositions incompatibles, pour tous les cas futurs, sous réserve des règles ordinaires du stare decisis (Ferguson, précité, au paragraphe 65, Sullivan, aux paragraphes 52 à 54). L’adoption d’une approche au cas par cas à l’égard d’une règle de droit inconstitutionnelle (c’est‑à‑dire par le recours aux exemptions constitutionnelles) ne serait pas indiquée parce qu’une telle approche : 1) ne tiendrait pas compte du régime de réparation prévu par la Constitution, notamment du libellé obligatoire du paragraphe 52(1); 2) créerait de l’incertitude et saperait la primauté du droit; et 3) constituerait une usurpation du rôle et de la responsabilité du législateur (Ferguson, précité, aux paragraphes 58 à 73; Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331, au paragraphe 125). Bien que la Cour n’ait pas expressément fermé la porte aux exemptions constitutionnelles autonomes à titre de réparation pour les lois inconstitutionnelles à l’extérieur du contexte de l’article 12, il semble que ce soit là la conséquence pratique des arrêts Ferguson, PHS et Carter. La Cour a expressément fermé la porte à l’utilisation de telles exemptions pour accorder une réparation pour la violation de l’article 12 de la Charte découlant des peines minimales obligatoires (Ferguson, précité).
Le contenu est à jour jusqu’au 2023-07-31.
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