Projet de loi C-13 : Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois
Déposé à la Chambre des communes le 5 avril 2022
Note explicative
L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.
Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-13, Loi modifiant la Loi sur les langues officielles, édictant la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale et apportant des modifications connexes à d’autres lois, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, conformément à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.
Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-13 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Le présent Énoncé traite surtout des dispositions du projet de loi pouvant avoir un effet possible sur les droits et libertés protégés par la Charte. Il ne se veut pas un survol exhaustif de toutes les dispositions du projet de loi.
Aperçu
Le projet de loi C-13 modifie la Loi sur les langues officielles (LLO) et y apporte plusieurs changements importants afin de la moderniser et de la renforcer, notamment afin de protéger et promouvoir la langue française en reconnaissant son statut comme langue minoritaire au Canada et en Amérique du Nord. Plusieurs dispositions du projet de loi font état de cette reconnaissance.
D’autres dispositions du projet de loi visent à renforcer la partie VII de la LLO, dans laquelle est énoncé l’engagement du gouvernement du Canada à appuyer le développement des minorités francophones et anglophones du Canada ainsi qu’à promouvoir la pleine reconnaissance et l’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne. Les modifications traitent notamment de l’importance d’appuyer les secteurs essentiels à l’épanouissement des communautés de langue officielle en situation minoritaire (par exemple l’immigration, l’éducation – depuis la petite enfance jusqu’aux études postsecondaires – la santé, la culture et la justice), de protéger et de favoriser la présence d’institutions fortes desservant ces communautés, et de renforcer la prise de mesures visant à encourager l’apprentissage, l’acceptation et l’appréciation des deux langues officielles au Canada.
Le projet de loi vient également confier au Conseil du Trésor de nouvelles responsabilités pour renforcer la surveillance et la coordination des parties IV (Communications avec le public et prestation de services), V (Langue de travail), VI (Participation des Canadiens d’expression anglaise et d’expression française) et du paragraphe 41(2) de la partie VII (Promotion du français et de l’anglais) de la LLO au sein des institutions fédérales.
De même, les modifications visant le commissaire aux langues officielles visent à mieux l’outiller en lui accordant de nouveaux pouvoirs, dont celui de conclure des accords de conformité avec des institutions fédérales et de rendre, dans certains cas, des ordonnances à leur égard, afin d’assurer un plus grand respect de la LLO de la part des institutions fédérales.
Les modifications à la partie IX de la LLO créent également un nouveau régime de sanctions administratives pécuniaires visant à favoriser le respect de la partie IV de cette même loi. Un tel régime s’appliquerait aux sociétés d’État et aux personnes morales assujetties à la partie IV de la LLO en application d’une autre loi fédérale qui seront identifiées dans un règlement, exercent leurs activités dans le domaine des transports et offrent des services aux voyageurs et communiquent avec eux.
Au chapitre de l’administration de la justice, le projet de loi vient retirer l’exception se trouvant au paragraphe 16(1) de la LLO visant la Cour suprême du Canada. La plus haute cour du pays aurait donc l’obligation, au même titre que tous les autres tribunaux fédéraux, de veiller à ce que les juges qui entendent une affaire donnée puissent comprendre directement les parties, sans l’aide d’un interprète, peu importe la langue officielle choisie par les parties.
Le projet de loi vient aussi créer une obligation de procéder à un examen périodique de la LLO.
Enfin, le projet de loi inclut l’adoption d’une nouvelle loi, la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale. Cette nouvelle loi créerait de nouvelles obligations en matière de langue de travail et de service pour les entreprises privées de compétence fédérale au Québec ou dans une région à forte présence francophone à l’extérieur du Québec, et qui ne sont assujetties ni à la LLO, ni à la Charte de la langue française du Québec.
Progression vers l’égalité des deux langues officielles
Le paragraphe 16(1) de la Charte prévoit que le français et l’anglais sont les langues officielles du Canada et qu’ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada. Le paragraphe 16(3) de la Charte établit que les dispositions constitutionnelles en matière de langue ne limitent pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais.
Le projet de loi met de l’avant un ensemble de propositions qui favorisent cette progressionvers l’égalitéde statut et d’usage du français et de l’anglais. Plusieurs dispositions du projet de loi sont donc des illustrations concrètes du principe constitutionnel énoncé au paragraphe 16(3) de la Charte. À titre d’exemple, le projet de loi énonce de nouveaux engagements de la part du gouvernement du Canada, notamment les suivants : contribuer à une meilleure estimation de l’ensemble des enfants dont les parents ont le droit de les faire instruire dans la langue officielle minoritaire de leur province ou de leur territoire et dans leurs établissements en vertu de l’article 23 de la Charte; adopter une politique pour favoriser l’immigration francophone; appuyer la création et la diffusion d’informations scientifiques en français; soutenir le bilinguisme au sein de la diplomatie canadienne pour favoriser l’usage du français et de l’anglais dans la conduite des affaires extérieures du Canada et promouvoir le français dans le cadre des relations diplomatiques du Canada. L’adoption de la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, qui créerait de nouveaux droits et promouvrait l’utilisation du français en tant que langue de travail et de service dans certaines entreprises privées de compétence fédérale au Québec, ainsi que dans d’autres régions à forte présence francophone du pays, constitue un autre exemple concret de ce principe de progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais.
Langues officielles du Canada (paragraphe 16(1) de la Charte)
Certaines modifications au préambule, à la disposition d’objet et à la partie VII de la LLO pourraient faire intervenir le paragraphe 16(1) de la Charte car elles viennent reconnaître la situation particulière de la langue française au Canada et en Amérique du Nord, et le besoin de la protéger et de la promouvoir.
Les considérations qui suivent appuient la conformité des nouvelles dispositions au regard de la Charte. Les dispositions en question sont conformes au principe de progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais énoncé au paragraphe 16(3) de la Charte (reflété également dans la disposition d’objet de la LLO) ainsi qu’à la jurisprudence ayant reconnu la vulnérabilité de la langue française et la nécessité de la protéger. Les dispositions reflètent également le principe constitutionnel non écrit de la protection des minorités (principe qui est également reflété dans la disposition d’objet modifiée du projet de loi). Les dispositions en question n’ont pas pour objet de retirer des droits aux communautés anglophones du Canada, y compris la communauté anglophone minoritaire du Québec. Elles ont plutôt comme objectif de reconnaître le statut vulnérable de la langue française au Canada et d’agir afin de freiner son déclin.
Bilinguisme à la Cour suprême du Canada
Le projet de loi modifie le paragraphe 16(1) de la LLO, qui se retrouve à la partie III, laquelle concerne l’administration de la justice devant les tribunaux fédéraux, afin d’y retirer l’exception visant la Cour suprême du Canada. Ainsi, cette dernière, tout comme les autres tribunaux fédéraux, aurait dorénavant l’obligation de veiller à ce que les juges qui entendent une affaire puissent comprendre la ou les langues officielles choisies par une partie, et ce, sans l’aide d’un interprète.
La modification proposéepourrait faire intervenir le paragraphe 15(1) de la Charte car elle pourrait avoir une incidence sur les personnes qui, en raison d’un handicap, sont incapables d’apprendre une autre langue. Le paragraphe 15(1) de la Charte protège le droit à l’égalité. Il dispose que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment la discrimination fondée sur le handicap.
Les considérations qui suivent appuient la conformité de la modification proposée au regard de la Charte. L’exigence de bilinguisme pour les juges à la Cour Suprême a pour but de garantir un accès égal au plus haut tribunal du pays aux justiciables francophones et anglophones. L’objectif de cette mesure est de garantir l’égalité réelle. L’effet potentiel de la modification proposée sur certaines personnes en situation de handicap n’est pas le fruit d’une présomption voulant que ces dernières soient moins aptes ou moins qualifiées. Plutôt, l’exigence de bilinguisme démontre qu’il est impératif que les juges de la Cour suprême qui entendent une affaire puissent comprendre les parties dans la langue officielle de leur choix, et ce, sans l’aide d’un interprète. Le paragraphe 16(3) de la Charte prévoit d’ailleurs que cette dernière ne limite pas le pouvoir du Parlement de favoriser la progression vers l’égalité de statut ou d’usage du français et de l’anglais.
Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale : langue de travail et de service dans les entreprises privées de compétence fédérale
Le projet de loi ajoute une nouvelle loi, la Loi sur l’usage du français au sein des entreprises privées de compétence fédérale, qui consacre de nouveaux droits pour les employés des entreprises privées de compétence fédérale et les consommateurs qu’elles desservent. Le but de cette nouvelle loi est de protéger l’utilisation du français en tant que langue de travail et de service.
Cette nouvelle loi s’appliquerait aux entreprises d’une taille devant être déterminée par règlement qui exercent des activités ou ont un lieu de travail au Québec ou dans une région à forte présence francophone à l’extérieur du Québec, et qui ne sont présentement assujetties ni à la LLO ni à la Charte de la langue française du Québec. En effet, les entreprises au Québec pourraient choisir de s’assujettir volontairement aux obligations prévues dans la Charte de la langue française du Québec relativement à la langue de travail et de service.
La loi ne s’appliquerait pas aux entreprises privées de compétence fédérale en ce qui concerne les activités et les lieux de travail relatifs au secteur de la radiodiffusion.
Cette nouvelle loi entrerait en vigueur au Québec à une date ultérieure devant être fixée par décret et, deux ans après cette date, dans les régions à forte présence francophone, afin de donner le temps aux entreprises concernées de se préparer aux nouvelles exigences. Le projet de loi prévoit des mécanismes de recours auprès du commissaire aux langues officielles en cas de non-respect des nouveaux droits qui y sont énoncés. Par exemple, le nouveau pouvoir du commissaire de rendre des ordonnances, créé sous la partie IX de la LLO, s’appliquerait aux obligations qui incombent aux entreprises privées de compétence fédérale en ce qui a trait à la communication avec les consommateurs, à la prestation de services ainsi qu’à la langue de travail. Enfin, le projet de loi autoriserait la prise de règlements nécessaires à la mise en œuvre des nouvelles dispositions.
En ce qui concerne la langue de service, le projet de loi garantit aux consommateurs au Québec ou dans une région à forte présence francophone le droit de communiquer en français avec une entreprise privée de compétence fédérale qui y exerce ses activités et d’en recevoir des services dans cette langue. Le projet de loi précise toutefois que ce droit n’empêche pas l’utilisation d’une autre langue à la demande du consommateur et dans la mesure où l’entreprise est apte à offrir ses services dans cette autre langue. Cette obligation s’appliquerait tant à la communication écrite qu’orale.
En ce qui concerne la langue de travail, le projet de loi garantit les nouveaux droits suivants aux employés qui occupent un poste dans un lieu de travail situé au Québec ou dans une région canadienne à forte présence francophone, ou dont le poste est rattaché à un tel lieu : (i) le droit d’effectuer leur travail et d’être supervisés en français, (ii) le droit de recevoir toute documentation et toute communication de l’entreprise en français et (iii) le droit d’utiliser des instruments de travail et des systèmes informatiques d’usage courant et généralisé en français. Le projet de loi précise toutefois que l’entreprise peut communiquer avec les employés ou leur fournir de la documentation dans les deux langues officielles, pourvu que l’utilisation du français soit au moins équivalente à celle de l’anglais.
Le projet de loi interdit également tout traitement défavorable à l’égard d’un employé pour la seule raison que celui-ci n’a pas une connaissance suffisante d’une langue autre que le français, ou encore parce qu’il a exercé les droits prévus par le régime de cette nouvelle loi ou a porté plainte devant le commissaire aux langues officielles. Le projet de loi précise cependant que le fait d’exiger la connaissance d’une langue autre que le français ne constitue pas un traitement défavorable si l’entreprise peut démontrer que la connaissance de cette autre langue s’impose objectivement en raison de la nature du travail à accomplir par l’employé.
Est également interdit tout traitement défavorable à l’égard d’un employé au seul motif qu’il n’a pas une connaissance suffisante du français, si l’employé occupe son poste au moment de l’entrée en vigueur de cette disposition.
Enfin, le projet de loi oblige les entreprises privées de compétence fédérale qui ont des lieux de travail situés au Québec ou dans une région à forte présence francophone à prendre des mesures pour promouvoir l’usage du français au sein de l’entreprise. Lorsque l’entreprise établit de telles mesures, le projet de loi prévoit qu’elle doit tenir compte des besoins des employés qui sont près de la retraite, qui ont un grand nombre d’années de service ou qui présentent une condition pouvant nuire à l’apprentissage du français.
Liberté d’expression (alinéa 2b) de la Charte)
Les nouvelles exigences pour les entreprises privées de compétence fédérale d’offrir des services en français et de communiquer avec leurs employés en français pourraient faire intervenir l’alinéa 2b) de la Charte car elles imposent l’usage d’une langue en particulier. L’alinéa 2b) prévoit que chacun a la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. L’alinéa 2b) protège les activités ou communications qui transmettent ou tentent de transmettre un message, à l’exception de la violence ou des menaces de la violence. Il a été interprété comme comprenant la liberté de s’exprimer dans la langue de son choix, pourvu que le mode d’expression ne soit pas lui-même exclu de la protection conférée à l’alinéa 2b).
Les considérations qui suivent appuient la conformité des modifications proposées au regard de la Charte. L’objectif des mesures est de renforcer la présence et l’utilisation du français dans les milieux de travail et les activités des entreprises concernées, et ce, afin de favoriser la progression vers l’égalité de statut et d’usage du français et de l’anglais dans la société canadienne et de freiner le déclin de la langue française en Amérique du Nord, y compris au Québec. La preuve démontre en effet que la langue française connaît un déclin tant dans l’espace public que dans les foyers et les entreprises privées, y compris au Québec. Outre les gouvernements, ces dernières ont un rôle important à jouer pour assurer la pérennité de la langue française. Au Québec, les mesures proposées visent aussi à harmoniser les droits linguistiques dans les entreprises privées de compétence fédérale avec les droits linguistiques des entreprises de compétence provinciale, tels que protégés par la Charte de la langue française. Par ailleurs, l’usage du français ne serait pas exclusif pour autant. Les entreprises pourraient continuer d’offrir des services dans une langue autre que le français et de communiquer avec leurs employés en anglais. Qui plus est, la valeur expressive, le cas échéant, de communications privées entre un employeur et ses employés est amoindrie. Ces communications privées sont en effet moins susceptibles de faire entrer en ligne de compte les valeurs sous-jacentes de l’alinéa 2b) de la Charte, telles que la recherche de la vérité, la participation à la prise de décisions d’intérêt politique et social, et l’épanouissement personnel. Somme toute, les effets bénéfiques des mesures proposées l’emportent sur toute limite qu’elles sont susceptibles de poser à la liberté d’expression.
Droit à l’égalité (article 15 de la Charte)
La disposition obligeant les entreprises privées de compétence fédérale qui instaurent des mesures de promotion de la langue française de tenir compte des besoins des employés qui sont près de la retraite, qui ont un grand nombre d’années de service ou qui ont une condition nuisant à l’apprentissage du français pourrait faire intervenir le paragraphe 15(1) de la Charte car elle pourrait permettre des assouplissements pour les employés plus âgés et ceux qui sont en situation de handicap.
Les considérations qui suivent appuient la conformité de la disposition en question au regard de l’article 15 de la Charte. Les personnes plus jeunes ne constituent pas un groupe particulièrement désavantagé en milieu de travail et elles ont généralement plus de facilité à apprendre une autre langue. Par ailleurs, la disposition tient compte du fait que l’apprentissage du français pourrait constituer un obstacle pour les personnes qui ne peuvent, en raison d’un handicap, apprendre une autre langue. Pour permettre d’atteindre l’égalité réelle, il est parfois nécessaire de faire des distinctions. Le paragraphe 15(2) de la Charte permet d’ailleurs à un gouvernement d’adopter des mesures spéciales destinées à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur âge ou d’un handicap physique ou mental.
Protection contre les fouilles, les saisies ou les perquisitions abusives (article 8 de la Charte)
Quant aux mécanismes de recours, le projet de loi prévoit notamment la possibilité, dans certaines circonstances précises, pour le commissaire aux langues officielles de saisir le Conseil canadien des relations industrielles (CCRI) lorsqu’une plainte alléguant le non-respect des droits linguistiques en milieu de travail est déposée. À cet égard, le projet de loi attribue au CCRI certains pouvoirs, dont celui de pénétrer dans les locaux d’une entreprise et d’obtenir les renseignements pertinents au traitement de la plainte.
Les pouvoirs conférés au CCRI pourraient faire intervenir l’article 8 de la Charte car le CCRI pourrait avoir accès à des informations mettant en jeu le droit au respect de la vie privée. L’article 8 de la Charte protège quiconque contre les fouilles, perquisitions ou saisies « abusives ». Une fouille, perquisition ou saisie ne sera pas abusive si elle est autorisée par une loi, si la loi elle-même est raisonnable (en ce sens qu’elle établit un équilibre entre le respect de la vie privée et les intérêts que poursuit l’État), et si elle est effectuée de manière raisonnable.
Les considérations qui suivent appuient la conformité des dispositions en question au regard de la Charte. Il est nécessaire que le CCRI puisse avoir accès aux lieux et aux documents jugés pertinents au traitement des plaintes qui lui sont transférées. Les pouvoirs qui lui sont conférés ne seraient exercés qu’à des fins réglementaires et non à des fins pénales. Les pouvoirs proposés sont largement analogues aux pouvoirs qui sont conférés à d’autres entités dans des contextes similaires, notamment ceux qui sont conférés au commissaire aux langues officielles.
Le nouveau régime de sanctions administratives pécuniaires (article 11 de la Charte)
De nouveaux articles à la partie IX de la LLO créeraient un régime de sanctions administratives pécuniaires visant à favoriser le respect de la partie IV de cette même loi. Ce régime s’appliquerait à des sociétés d’État et des personnes morales déjà assujetties à LLO en application d’une autre loi fédérale qui exercent leurs activités dans le domaine des transports et qui offrent des services aux voyageurs et communiquent avec eux. De plus, ces entités devront être spécifiquement désignées dans un règlement futur. L’imposition d’une sanction viserait non pas à punir, mais plutôt à favoriser le respect de la partie IV de la LLO.
Le nouveau régime prévoirait que le commissaire aux langues officielles, après enquête, dresserait et signifierait un procès-verbal au prétendu auteur de la violation. La LLO préciserait les éléments devant être inclus dans le procès-verbal. Elle prévoirait aussi la possibilité de conclure des accords de conformité et, pour le prétendu auteur de la violation, de faire réviser la sanction par la Cour fédérale. La partie IX de la LLO établirait également les critères devant être pris en compte par le commissaire aux langues officielles lorsqu’il détermine le montant d’une sanction. Enfin, les modalités de ce nouveau régime seraient précisées via l’adoption de règlements pris par le gouverneur en conseil.
L’article 11 de la Charte garantit certains droits procéduraux aux personnes qui ont été accusées d’une infraction. Sa protection s’applique aux procédures qui sont « de nature pénale » ou qui peuvent donner lieu à de « véritables conséquences pénales ». Les véritables conséquences pénales comprennent l’emprisonnement et les amendes ayant un objectif ou un effet punitif, comme cela peut être le cas lorsque l’amende ou la pénalité est disproportionnée par rapport au montant requis pour atteindre les objectifs réglementaires. L’alinéa 11d) garantit le droit de tout inculpé d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable.
Le régime de sanctions mis en place par la partie IX de la LLO serait de nature administrative et les sanctions n’auraient pas de « véritables conséquences pénales ». Les considérations qui suivent plaident en faveur de la compatibilité de ce régime avec l’article 11 de Charte. L’objectif des sanctions serait de favoriser le respect de la partie IV de la LLO, et non de « punir », selon la définition de ce concept aux fins de l’article 11 de la Charte. Les sanctions seraient déterminées en fonction des critères énumérés dans la partie IX de la LLO et des règlements adoptés par le gouverneur en conseil. Ce nouveau régime, correctement interprété et appliqué, ne permettrait pas l’imposition d’une sanction pouvant donner lieu à de « véritables conséquences pénales ». Enfin, les sanctions seraient soumises aux mesures d’exécution civile devant la Cour fédérale, mais elles ne pourraient pas donner lieu à une peine d’emprisonnement en cas de défaut de paiement.
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