Projet de loi C-42 : Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois

Projet de loi C-42 : Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois

Déposé à la Chambre des communes le 18 avril 2023

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner les projets de loi afin d’évaluer s’ils sont incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage certaines des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte auxquels pourrait porter atteinte le projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des renseignements juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations envisageables liées à la Charte. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C‑42, Loi modifiant la Loi canadienne sur les sociétés par actions et apportant des modifications corrélatives et connexes à d’autres lois, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, en raison de l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C‑42 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Elle n’inclut pas de description exhaustive du projet de loi, mais elle est plutôt axée sur les éléments qui sont pertinents pour l’énoncé concernant la Charte.

Le projet de loi C‑42 modifierait un certain nombre de dispositions de la Loi canadienne sur les sociétés par actions (la LCSA), en s’appuyant sur les modifications apportées par la Loi no 1 d’exécution du budget de 2022, qui visent à améliorer la transparence en ce qui concerne la propriété effective des sociétés canadiennes régies par la LCSA.

Nouveaux pouvoirs de collecte et de communication des renseignements sur la propriété effective

Les modifications proposées ajouteraient aux renseignements que les sociétés sont tenues de conserver dans leur registre des particuliers ayant un contrôle important aux termes de l’article 21.1 de la LCSA, et qu’elles pourraient être tenues, conformément à l’article 21.21, d’envoyer au directeur nommé en vertu de la Loi (« le directeur »). La notion de « particulier ayant un contrôle important » est définie dans la LCSA; elle comprend les personnes qui possèdent un nombre important d’actions d’une société, ou qui exercent un contrôle ou ont la haute main sur celles-ci, ainsi que les personnes qui exercent une influence importante sur la société sans posséder d’actions. Aux termes des modifications proposées, le registre devrait inclure l’adresse résidentielle de chaque particulier ayant un contrôle important ainsi que son adresse aux fins de signification, si celle-ci est fournie à la société. Il devrait également inclure la citoyenneté de chaque particulier ayant un contrôle important.

Les modifications proposées autoriseraient le directeur à fournir des renseignements sur la propriété effective au registre corporatif d’une province ou au ministère d’un gouvernement provincial ou à l’organisme d’un tel gouvernement desquels relève le droit des sociétés dans une province.

En outre, les modifications proposées exigeraient que le directeur rende accessibles au public certains renseignements concernant la propriété effective. Pour chaque particulier ayant un contrôle important, les renseignements rendus publics seraient les suivants :

L’obligation de rendre ces renseignements publics ne s’appliquerait pas aux véritables propriétaires âgés de moins de dix-huit ans. Les renseignements concernant la propriété effective pourraient également être exclus du registre public, sur demande d’un particulier ayant un contrôle important, dans certaines circonstances. Ce serait le cas lorsque le directeur a de bonnes raisons de croire que les rendre ainsi accessibles présenterait une menace sérieuse à la sécurité du particulier ayant un contrôle important. Ce serait également le cas lorsque le directeur est convaincu que le particulier n’a pas de capacité décisionnelle, que le renseignement doit demeurer confidentiel conformément aux obligations prévues par les lois régissant les conflits d’intérêts ou que les circonstances réglementaires s’appliquent à la personne.

Droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives (article 8 de la Charte)

L’article 8 de la Charte garantit une protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies « abusives ». L’objet de l’article 8 est de protéger les personnes contre les intrusions abusives dans leur vie privée. Une fouille, une perquisition ou une saisie qui porte atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même est raisonnable en ce qu’elle établit un juste équilibre entre les droits à la vie privée et l’intérêt de l’État, et si la fouille est effectuée de façon raisonnable. Étant donné que ces pouvoirs de collecte et de communication des renseignements concernant la propriété effective sont susceptibles de nuire aux intérêts en matière de vie privée, ils pourraient porter atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces dispositions avec l’article 8 de la Charte.

Les nouvelles dispositions proposées s’appliqueraient à un ensemble restreint de renseignements nécessaires pour identifier les personnes physiques qui possèdent et contrôlent les sociétés canadiennes. Les intérêts en matière de vie privée relatifs à ces renseignements sont réduits en vertu des renseignements limités concernés, et le contexte commercial et réglementaire, dans lequel les attentes en matière de vie privée sont généralement diminués. Les modifications proposées aideraient à contrer l’utilisation abusive des sociétés constituées en vertu d’une loi fédérale pour mener des activités illégales, notamment le blanchiment d’argent, le financement du terrorisme et la fraude fiscale, en facilitant l’accès en temps opportun aux renseignements sur la propriété effective par les organismes concernés. La création d’un registre central et accessible au public serait conforme aux pratiques exemplaires internationales et contribuerait à l’amélioration de la transparence et de la responsabilisation des entreprises de façon générale, permettant ainsi aux gens et aux institutions financières de prendre des décisions plus éclairées sur les sociétés avec lesquelles ils font affaire. Les dispositions régissant le registre public sont adaptées pour protéger la vie privée des mineurs et des personnes dont la sécurité pourrait être compromise par l’accès public aux renseignements.

Modifications aux pouvoirs existants de collecte et de communication des renseignements

Le projet de loi C‑42 apporte également des modifications aux pouvoirs existants de collecte et de communication des renseignements en vertu de la LCSA. Il modifierait le pouvoir d’enquête prévu à l’article 237 de la LCSA, qui autorise le directeur à procéder à une enquête sur toute personne dans le cadre de l’application de la Loi, afin de préciser que, dans le cadre de cette enquête, le directeur peut exiger que la personne lui remette des registres ou autres documents ou renseignements. Ce projet de loi promulguerait de nouveau, avec des modifications, le pouvoir de consultation prévu à l’article 266 de la Loi, qui permet à toute personne qui paie les droits exigibles de consulter et de prendre des copies des documents ou des renseignements envoyés au directeur. Lorsqu’un particulier ayant un contrôle important fait une demande pour exclure les renseignements sur la propriété effective du registre public, la demande et les documents liés à celle-ci ne seraient pas accessibles aux termes de l’article 266.

Enfin, le projet de loi C-42 édicterait une nouvelle disposition visant à protéger les dénonciateurs. Dans les cas où une personne fournit, de sa propre initiative, des renseignements relatifs à un acte répréhensible ayant été commis au sens de la Loi, il serait interdit au directeur de rendre accessibles ces renseignements, ou tout renseignement risquant vraisemblablement de révéler l’identité de la personne. Le directeur serait toutefois autorisé à fournir ces renseignements à un organisme d’enquête visé au paragraphe 21.31(2) de la Loi, au Centre d’analyse des opérations et déclarations financières du Canada ou à une entité réglementaire.

Étant donné que ces pouvoirs de collecte et de communication des renseignements sont susceptibles de nuire aux intérêts en matière de vie privée, ils pourraient porter atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces modifications avec l’article 8 de la Charte. La constitution en société en vertu de la LCSA relève d’un choix d’entrer dans une sphère d’activité très réglementée où les attentes en matière de protection de la vie privée sont réduites. Il serait toujours possible de se prévaloir du pouvoir d’enquête édicté de nouveau dans le but de vérifier la conformité et de prévenir la non-conformité à la Loi, et non de poursuivre une enquête pénale. Par conséquent, les pouvoirs proposés sont semblables aux pouvoirs réglementaires d’inspection et de demande péremptoire qui existent dans d’autres contextes. Le pouvoir de consultation visé à l’article 266, qui prévoit l’accès public aux renseignements devant être envoyés au directeur, favorise la transparence et reflète un compromis raisonnable au profit de la constitution en société en vertu de la LCSA. Les modifications proposées à cette disposition protégeraient le droit à la vie privée des personnes qui ont demandé que leurs renseignements soient exclus du registre public des véritables propriétaires et des dénonciateurs qui signalent volontairement des actes répréhensibles au sens de la Loi.

Infractions et peines

Le projet de loi promulguerait de nouveau, avec des modifications, l’infraction visée au paragraphe 21.4(1) de la Loi. Cette infraction s’applique aux administrateurs et dirigeants d’une société qui, sciemment, autorisent la société à contrevenir à ses obligations concernant les renseignements sur la propriété effective ou qui lui permettent de le faire. À l’heure actuelle, les obligations auxquelles s’applique l’infraction visée au paragraphe 21.4(1) sont l’obligation de tenir un registre des particuliers ayant un contrôle important (aux termes de l’article 21.1 de la Loi), et l’obligation de communiquer les renseignements à un organisme d’enquête qui en fait la demande au titre de l’article 21.31 de la Loi. La modification proposée ajouterait l’obligation de fournir au directeur les renseignements inscrits au registre. La peine pour cette infraction — une amende maximale de deux cent mille dollars pour déclaration de culpabilité par procédure sommaire ou une peine d’emprisonnement maximale de six mois — ne changerait pas.

Droit à la liberté (article 7 de la Charte)

L’article 7 de la Charte protège chacun contre l’atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne sauf si l’atteinte se fait en conformité avec les principes de justice fondamentale. Ceux-ci incluent les règles interdisant le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion totale d’une mesure. Une mesure législative est arbitraire lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui n’a aucun lien rationnel avec l’objet de la mesure. Une loi d’une portée excessive porte atteinte aux droits garantis à l’article 7 en ce sens que, bien que généralement rationnelle, elle va trop loin en interdisant certains actes qui n’ont aucun lien avec la réalisation de l’objectif législatif. Une mesure législative est totalement disproportionnée lorsque ses effets sur les droits garantis à l’article 7 sont si graves qu’ils sont « sans rapport aucun » avec l’objet de la loi.

Comme l’infraction visée au paragraphe 21.4(1) de la Loi peut être assortie d’une peine d’emprisonnement, elle est susceptible de porter atteinte au droit d’une personne à la liberté, et cette atteinte doit donc être conforme aux principes de justice fondamentale. Après examen de la disposition d’infraction modifiée, le ministre n’a pas relevé d’incohérence possible avec les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7. L’infraction modifiée est adaptée aux objectifs législatifs. Elle comprend un solide élément de mens rea (intention coupable), qui ne s’applique que lorsqu’un administrateur ou un dirigeant s’est sciemment livré à une conduite interdite. Enfin, elle préserve le pouvoir discrétionnaire des juges de première instance d’infliger une peine juste et appropriée.