Projet de loi S-12 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants

Projet de loi S-12 : Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants

Déposé au Sénat le 17 mai 2023

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte.  L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi S-12, Loi modifiant le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels et la Loi sur le transfèrement international des délinquants, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi S-12 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Elle ne constitue pas une description exhaustive de l’ensemble du projet de loi; elle est plutôt axée sur les éléments qu’il convient de prendre en compte aux fins d’un Énoncé concernant la Charte.

Aperçu

Le projet de loi S-12 modifierait le Code criminel, la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels (LERDS) et la Loi sur le transfèrement international des délinquants (LTID) afin de répondre à l’arrêt R. c. Ndhlovu de la Cour suprême du Canada, de renforcer le fonctionnement et l’application du régime d’inscription des délinquants sexuels à un registre et de rendre le système de justice pénale plus adapté aux besoins divers des victimes et survivants d’agressions sexuelles.

Le registre des délinquants sexuels est un important outil d’application de la loi qui permet aux services policiers d’avoir rapidement accès à des renseignements fiables et à jour sur les délinquants sexuels inscrits. L’objet du régime est d’aider les services policiers à prévenir des infractions sexuelles ou à enquêter en la matière. Le cadre juridique du régime est énoncé dans le Code criminel et dans la LERDS.Le Code criminel donne le pouvoir d’obliger les individus à se conformer à la LERDS, et aussi celui d’accorder une dispense ou de prononcer la révocation ou l’extinction de cette obligation. La LERDS énonce les exigences particulières auxquelles les délinquants inscrits doivent se conformer, comme le fait de fournir des renseignements à jour sur leur lieu de résidence ou de déplacement.

L’arrêt Ndhlovu concernait la contestation, au titre de l’article 7 de la Charte, de deux dispositions du Code criminel : la disposition d’inscription obligatoire prévue à l’article 490.012 et celle d’inscription à perpétuité obligatoire prévue au paragraphe 490.013(2.1), applicables lorsqu’au cours d’un même procès, une personne était déclarée coupable de multiples infractions sexuelles, ou déclarée non responsable criminellement. La Cour a conclu que ces dispositions privaient ces délinquants de leur liberté au titre de l’article 7 d’une manière non conforme aux principes de justice fondamentale. Plus particulièrement, la Cour a conclu que le fait d’exiger l’inscription automatique des personnes qui ne présentent pas un risque accru de récidive n’a aucun lien avec l’objectif d’aider les services policiers à prévenir les crimes à caractère sexuel ou à enquêter à cet égard, et donc que cette exigence avait une portée inconstitutionnellement excessive. La Cour a aussi invalidé la disposition d’inscription à perpétuité obligatoire prévue au paragraphe 490.013(2.1). La Cour a trouvé que cette disposition avait également une portée inconstitutionnellement excessive parce qu’elle pourrait s’appliquer aux cas où les infractions multiples n’étaient pas liées à un risque accru de récidive.

Le projet de loi S-12 modifierait les dispositions visées par l’arrêt Ndhlovu – de même que les dispositions correspondantes qui s’appliquent à des condamnations passées, à des condamnations à l’étranger et aux obligations découlant de la LTID –, de façon à ce que les pratiques d’inscription obligatoire, y compris l’inscription à perpétuité, deviennent conformes aux principes constitutionnels énoncés par la Cour suprême. Il apporterait aussi des modifications connexes aux dispositions régissant les demandes de dispense, de révocation ou d’extinction de l’obligation.

Le projet de loi S-12 apporterait aussi un certain nombre de modifications au Code criminel et à la LERDS afin d’améliorer le fonctionnement et l’efficacité du régime d’inscription des délinquants sexuels à un registre. Plus particulièrement, il entraînerait ce qui suit :

Enfin, le projet de loi viendrait modifier des dispositions du Code criminel régissant les interdictions de publication et le droit des victimes à l’information, et ferait augmenter la peine maximale pour l’infraction d’exploitation sexuelle d’une personne ayant une déficience.

Inscription des délinquants sexuels à un registre – modifications au Code criminel et à la LTID (article 7 de la Charte)

Ordonnances et obligation de conformité à la LERDS

Le projet de loi S-12 modifierait la définition d’« infraction désignée » à l’article 490.011 du Code criminel, aux termes de laquelle une ordonnance relative à la LERDS peut être rendue. Le projet de loi modifierait la définition pour faire la distinction entre les « infractions primaires », qui sont intrinsèquement de nature sexuelle, et les « infractions secondaires », qui ne sont pas des infractions sexuelles mais qui peuvent être commises à des fins d’ordre sexuel. Les modifications proposées viendraient ajouter la diffusion non consensuelle d’images intimes à la liste d’infractions primaires désignées et préciser que l’agression sexuelle grave contre une personne de moins de 16 ans est également visée. En ce qui concerne les infractions secondaires, le projet de loi propose d’ajouter le fait d’administrer une substance délétère et le fait de vaincre la résistance à la perpétration d’une infraction par l’étouffement. Il ajouterait aussi l’extorsion à la liste d’infractions secondaires, pour que l’inscription soit applicable aux cas dits de « sextortion ».

En réponse à l’arrêt Ndhlovu, le projet de loi S-12 modifierait les pratiques concernant les ordonnances d’inscription obligatoire relatives à la LERDS et les ordonnances d’inscription à perpétuité. Le projet de loi limiterait l’application des ordonnances d’inscription obligatoire à deux types de situations impliquant des infractions sexuelles particulièrement graves ou des récidives. Premièrement, l’inscription au titre de la LERDS serait requise en cas d’infraction sexuelle visant un enfant (une personne de moins de 18 ans) si la poursuite s’est effectuée par mise en accusation et qu’une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus a été imposée. Deuxièmement, l’inscription serait requise pour les délinquants sexuels récidivistes qui ont déjà été déclarés coupables d’une infraction désignée, ou qui ont déjà fait l’objet d’une ordonnance relative à la LERDS. Dans tous les autres cas, il y aurait une présomption d’enregistrement, mais le juge conserverait le pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre une ordonnance relative à la LERDS si la personne en cause pouvait démontrer que ses effets sur elle seraient totalement disproportionnés, ou que l’ordonnance n’aurait aucun lien avec l’objectif d’aider les services policiers à prévenir des infractions sexuelles ou à enquêter en la matière. Le projet de loi énoncerait les facteurs que les tribunaux auraient à prendre en considération pour exercer ce pouvoir discrétionnaire. Ces facteurs comprendraient ce qui suit : la nature et la gravité de l’infraction; l’âge et les caractéristiques personnelles de la victime; la relation entre la personne en cause et la victime; la situation et les caractéristiques personnelles de la personne en cause ainsi que ses antécédents criminels; et, le cas échéant, les avis des experts qui ont examiné cette personne.

Également en réponse à l’arrêt Ndhlovu, le projet de loi modifierait l’approche utilisée pour déterminer si une ordonnance d’inscription obligatoire relative à la LERDS s’appliquerait à perpétuité. Pour une personne déclarée coupable ou non responsable criminellement d’une infraction désignée, l’ordonnance relative à la LERDS s’appliquerait à perpétuité si la personne avait déjà été déclarée coupable d’une infraction désignée, ou qu’elle avait déjà fait l’objet d’une ordonnance ou d’une obligation relative à la LERDS. Dans les cas où la personne serait déclarée coupable ou non responsable criminellement de plus d’une infraction au cours d’un même procès, une ordonnance d’inscription à perpétuité serait requise si le tribunal était convaincu que les infractions témoignaient d’un mode de comportement indiquant que la personne présenterait un risque accru de commettre à nouveau un crime de nature sexuelle. Si le tribunal n’en était pas convaincu, la durée de l’ordonnance relative à la LERDS serait déterminée en fonction de l’infraction désignée pour laquelle la peine maximale d’emprisonnement est la plus longue.

Ordonnances de révocation et d’extinction

Le projet de loi modifierait les dispositions du Code criminel et de la LTID qui permettent aux délinquants de présenter une demande pour la révocation ou l’extinction de leurs ordonnances relatives à la LERDS en réponse aux décisions de la Cour suprême du Canada et de la Cour d’appel de l’Ontario dans l’affaire Ontario (P.G.) c. G. Ces décisions concernaient des contestations fondées sur l’article 15 de la Charte à l’encontre de lois de l’Ontario et du Canada sur l’inscription des délinquants sexuels à un registre. Dans cette affaire, les tribunaux ont conclu que les accusés déclarés non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux faisaient l’objet d’un traitement plus sévère, comparativement aux délinquants condamnés pour la même infraction, et que ce traitement violait la garantie d’égalité prévue à l’article 15 de la Charte parce qu’il constituait de la discrimination fondée sur la déficience mentale.Ce traitement plus sévère découle du fait que les délinquants déclarés coupables étaient éligibles à présenter une demande en vue d’être libérés de leurs obligations en obtenant un pardon ou une suspension de casier judiciaire. En effet, aucun mécanisme comparable n’est offert aux personnes déclarées non responsables criminellement – qui ne sont pas admissibles au pardon ou à la suspension du casier – lorsqu’elles obtiennent une absolution inconditionnelle d’une commission d’examen constituée au titre du Code criminel. L’absolution conditionnelle est seulement possible lorsque la personne ne présente aucun danger important pour la sécurité du public. Pour remédier à ce traitement différencié, le projet de loi modifierait les dispositions de révocation et d’extinction pour harmoniser le traitement des personnes déclarées non responsables criminellement avec celui des délinquants déclarés coupables. Les personnes déclarées non responsables criminellement auraient la possibilité de demander auprès d’un tribunal une ordonnance de révocation ou d’extinction après avoir obtenu une absolution inconditionnelle de la commission d’examen, de la même façon que les délinquants déclarés coupables peuvent demander ce genre d’ordonnance après avoir obtenu un pardon ou une suspension de casier judiciaire.

Le projet de loi S-12 modifierait aussi les dispositions qui permettent aux délinquants de demander la révocation ou l’extinction des ordonnances au titre de la LERDS après une certaine période. À l’heure actuelle, une personne qui demande une ordonnance de révocation ou d’extinction doit démontrer qu’un maintien de son inscription aurait des effets totalement disproportionnés sur elle. Les modifications proposées harmoniseraient le critère applicable aux ordonnances de révocation et d’extinction avec celui qui s’applique au moment de l’inscription au registre. Le tribunal serait autorisé à rendre l’ordonnance de révocation ou d’extinction si le maintien de l’inscription aurait des effets totalement disproportionnés sur la personne en cause, ou si le maintien de l’inscription n’était pas lié à l’objectif d’aider les services policiers à prévenir des crimes de nature sexuelle ou à enquêter à cet égard. Pour en décider, le tribunal aurait à tenir compte des mêmes facteurs que ceux qui s’appliquent au moment du prononcé de la peine ou du verdict.

Autres ordonnances pour les personnes qui font actuellement l’objet d’ordonnances obligatoires ou d’obligations

Dans l’arrêt Ndhlovu, la Cour suprême a indiqué que les personnes qui font actuellement l’objet d’ordonnances relatives à la LERDS au titre de dispositions d’inscription obligatoire qui ont été déclarées inconstitutionnelles devraient pouvoir demander réparation à un tribunal. Le projet de loi S-12 répondrait à cet aspect de la décision de la cour en mettant en place un cadre statutaire pour ces demandes. Les personnes qui ont été inscrites au registre entre le 15 avril 2011 (date où la disposition d’inscription obligatoire est entrée en vigueur) et la date où le projet de loi S-12 entrerait en vigueur auraient la possibilité de présenter une demande de dispense d’inscription au registre. Le critère applicable serait le même que celui qui s’applique au moment de l’inscription au registre. La dispense ne serait pas possible dans les cas qui donnent lieu à une inscription obligatoire selon le nouveau régime – à savoir les cas d’infraction sexuelle grave visant un enfant et les cas de récidive. Dans les autres cas, il y aura une présomption d’inscription continue mais le tribunal serait autorisé à accorder la dispense s’il était convaincu que, au moment où l’ordonnance originale a été rendue, il n’y avait aucun lien entre l’ordonnance ou l’obligation et les fins de la LERDS, ou que les effets de l’ordonnance ou de l’obligation sur la personne en cause étaient totalement disproportionnés. En considérant une demande de dispense, le tribunal serait obligé de prendre en compte les mêmes facteurs qui s’appliquent au moment de l’inscription au registre (la nature et la gravité de l’infraction désignée, l’âge et les caractéristiques personnelles de la victime, la nature de la relation entre la victime et la personne en cause, les caractéristiques personnelles et les circonstances propres à la personne en cause, incluant ses antécédents criminels, et l’avis des experts qui ont examiné la personne en cause). Dans l’éventualité où le tribunal accorderait la dispense, il serait aussi tenu d’ordonner que tout renseignement lié à cette personne dans le registre au titre de l’ordonnance ou l’obligation d’inscription originale soit définitivement retiré.

Aussi en réponse à la décision de la cour dans Ndhlovu, les personnes visées par l’inscription à perpétuité obligatoire parce qu’elles ont été déclarées coupables d’infractions multiples au cours d’un même procès pourraient demander que la durée d’application de l’ordonnance soit modifiée. Le tribunal serait autorisé à le faire s’il était convaincu que les infractions ayant donné lieu à l’ordonnance d’inscription à perpétuité n’indiquaient pas un risque accru de récidive.

Considérations relatives à la Charte

L’article 7 de la Charte protège contre l’atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité d’une personne, à moins que cela ne se fasse en conformité avec les principes de justice fondamentale. Parmi ces principes, on retrouve les notions de caractère arbitraire, de portée excessive et de disproportion totale. Une loi est arbitraire lorsqu’elle touche les droits garantis à l’article 7 d’une manière qui n’est pas rationnellement liée à l’objet de la loi. Une loi d’une portée excessive touche les droits garantis à l’article 7 en ce sens que, bien que généralement rationnelle, elle va trop loin en interdisant certains actes qui n’ont aucun lien avec la réalisation de l’objectif législatif.  Une loi est totalement disproportionnée lorsque ses effets sur les droits garantis à l’article 7 sont si sévères qu’ils sont « sans rapport aucun » avec l’objet de la loi.

Les ordonnances relatives à la LERDS comportent diverses obligations qui touchent les enjeux concernant le droit à la liberté garanti par l’article 7. Ces obligations comprennent l’exigence de se rendre chaque année à un endroit particulier à un moment précis, de même que l’exigence de fournir de façon continue des renseignements précis aux responsables du registre. Le non-respect de ces obligations peut entraîner une peine d’emprisonnement. Par conséquent, les modifications décrites ci-dessus, qui instaurent le pouvoir de rendre des ordonnances relatives à la LERDS et énoncent la possibilité d’accorder une dispense ou de prononcer la révocation ou l’extinction de l’obligation de conformité à la LERDS, doivent respecter les principes de justice fondamentale. Les facteurs suivants militent en faveur de la conformité de ces modifications avec l’article 7.

Les ajouts et les clarifications à la définition d’« infraction désignée » concernent tous une conduite liée aux objectifs de la LERDS. Comme expliqué plus haut, la définition d’« infraction désignée » inclut à la fois les infractions primaires, qui sont intrinsèquement de nature sexuelle, et les infractions secondaires, qui ne sont pas des infractions sexuelles mais qui peuvent être commises à des fins d’ordre sexuel. Une ordonnance relative à la LERDS peut seulement être rendue par rapport à une infraction secondaire pour laquelle la poursuite établit hors de tout doute raisonnable que la personne en cause l’a commise dans l’intention de commettre une infraction primaire. L’ajout des infractions proposées à la définition d’infraction désignée est lié à l’objectif d’aider les services policiers à prévenir des crimes de nature sexuelle et à enquêter à cet égard, en exigeant l’enregistrement de certains renseignements sur les délinquants sexuels.

L’inscription obligatoire serait limitée à deux types de cas impliquant une conduite sexuelle particulièrement grave associée à un risque accru de récidive : les cas d’infraction sexuelle grave visant un enfant et les cas de récidive. Dans tous les autres cas, le tribunal aurait le pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre d’ordonnance relative à la LERDS si la personne en cause démontre que l’ordonnance ne serait pas liée aux objectifs de la LERDS ou que ses effets seraient totalement disproportionnés.

Les ordonnances d’inscription à perpétuité obligatoire sont liées aux objectifs de la loi, car elles visent les personnes qui avaient déjà été déclarées coupables d’une infraction désignée, ou qui avaient déjà fait l’objet d’obligations relatives à la LERDS. Or, une personne qui a commis des infractions désignées en des occasions distinctes a démontré, par sa conduite, qu’elle présente un risque accru de récidive. Pour les personnes reconnues coupables de multiples infractions désignées au cours d’un même procès, le tribunal serait seulement tenu d’imposer l’inscription à perpétuité s’il était convaincu que les infractions témoignent d’un mode de comportement associé à un risque accru de récidive. Cela répondrait à l’arrêt Ndhlovu en préservant le pouvoir discrétionnaire du tribunal de ne pas rendre d’ordonnance d’inscription à perpétuité lorsque le mode de comportement ne tend pas à démontrer ce genre de risque accru.

Le projet de loi répondrait à la conclusion de la cour dans Ndhlovu selon laquelle les personnes faisant actuellement l’objet d’une ordonnance relative à la LERDS au titre des dispositions inconstitutionnelles devraient avoir la possibilité d’exercer un recours judiciaire pour demander une réparation personnelle. À cette fin, le projet de loi mettrait en place un cadre statutaire pour traiter ces demandes, et il y aurait aussi harmonisation du critère applicable pour les infractions passées et celles qui seraient visées par le régime modifié. Les délinquants ne pourraient pas se faire accorder de dispense si la conduite ayant donné lieu à l’ordonnance relative à la LERDS concernait des cas d’infraction sexuelle grave visant un enfant ou s’il s’agissait de récidive. Dans les autres cas, les délinquants pourraient demander une dispense – et le retrait de leurs renseignements du registre – au motif que l’ordonnance n’avait pas de lien avec les objectifs de la LERDS ou que ses effets étaient totalement disproportionnés. De même, les délinquants faisant l’objet d’une inscription à perpétuité obligatoire pourraient demander que la durée d’application de leur ordonnance relative à la LERDS soit réduite s’ils n’ont pas déjà demandé que cette ordonnance soit modifiée et s’ils peuvent établir que les infractions ayant donné lieu à leur inscription à perpétuité ne témoignent pas d’un mode de comportement indiquant qu’ils présentent un risque accru de récidive.

Infraction consistant à faire une déclaration fausse ou trompeuse (article 7 de la Charte)

Le projet de loi S-12 modifierait l’infraction consistant à faire sciemment une déclaration fausse ou trompeuse dans le cadre de la LERDS afin de clarifier que cette infraction s’applique aux exigences de notification améliorées auxquelles les délinquants sexuels qui ont commis une infraction sexuelle visant un enfant doivent satisfaire au titre du paragraphe 6(1.01) de cette loi.  La sanction pour cette infraction mixte, qui comporte une peine maximale d’emprisonnement de deux ans par mise en accusation, ne changerait pas.

Puisque cette infraction peut mener à une peine d’emprisonnement, elle fait intervenir le droit à la liberté et doit être conforme aux principes de justice fondamentale. Le ministre n’a pas identifié d’incohérences possibles entre la modification proposée et les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7. L’infraction modifiée est adaptée aux objectifs de la LERDS, dont l’atteinte est compromise lorsque des délinquants inscrits font des déclarations fausses ou trompeuses au bureau d’inscription.  Les juges de première instance conservent le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine juste et appropriée dans tous les cas.

Pouvoir d’enjoindre l’accusé à comparaître (article 7 de la Charte)

Le projet de loi S-12 créerait un nouveau régime pour les mandats visant les personnes qui ne respectent pas les exigences de la LERDS en matière de comparution et d’avis.  Si un agent de la paix le demande, un juge qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a contrevenu à ses obligations au titre de la LERDS pourrait délivrer un mandat autorisant cet agent à arrêter la personne en cause et à l’amener à un bureau d’inscription pour remédier à cette contravention. Dans les cas où la personne respecte ses obligations au titre de la LERDS après la délivrance du mandat, la loi empêcherait que des accusations soient portées relativement à toute contravention à laquelle il aura été remédié, sans égard au fait qu’elle figurait ou non dans le mandat.

Le projet de loi créerait aussi un nouveau pouvoir de sommation qui s’appliquerait aux situations où la question des obligations relatives à la LERDS n’avait pas été décidée au moment du prononcé de la peine ou du verdict. Dans ce genre de situation, le tribunal aurait à fixer la date de l’audience à cet égard et serait autorisé à décerner une sommation enjoignant l’intéressé à comparaître.

Étant donné que les pouvoirs relatifs à la délivrance de mandats et à la sommation peuvent être privatifs de liberté, l’article 7 de la Charte entre en jeu. Après examen des dispositions pertinentes, le ministre n’a pas identifié d’incohérences possibles par rapport aux principes de justice fondamentale. Le nouveau mandat d’arrestation exigerait une autorisation judiciaire préalable, et il pourrait seulement être délivré lorsque le juge de paix est convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de croire qu’une personne contrevient à ses obligations au titre de la LERDS.  Le mandat a pour but d’aider à assurer la conformité à la LERDS et offre une solution de rechange au dépôt d’accusations pour défaut de s’y conformer. La disposition relative à la sommation s’appliquerait dans les cas où le tribunal est tenu de déterminer si une ordonnance relative à la LERDS doit être rendue, mais que cela n’a pas lieu au moment du prononcé de la peine ou du verdict. Le fait d’exiger la comparution d’une personne qui serait assujettie à l’ordonnance – et dont on peut raisonnablement s’attendre à ce qu’elle détienne des renseignements pertinents eu égard à la décision du tribunal – est lié et proportionné aux objectifs des dispositions.

Collecte et communication de renseignements – modifications au Code criminel et à la LERDS (articles 7 et 8 de la Charte)

Le projet de loi S-12 modifierait la LERDS afin d’exiger que les délinquants déclarés coupables ou non criminellement responsables d’infractions sexuelles à l’étranger fournissent plus de renseignements aux services de police, notamment des précisions sur leurs condamnations ou verdicts, de façon à ce qu’il y ait suffisamment de renseignements pour déterminer s’ils devraient être inscrits au registre.  Plus particulièrement, ces délinquants seraient tenus de fournir leurs nom, date de naissance, sexe, adresse et numéro de téléphone au Canada.  Ils devraient également fournir les renseignements suivants, au mieux de leur connaissance : l’infraction pour laquelle ils ont été condamnés ou ont fait l’objet d’un verdict de non-responsabilité; le pays et, le cas échéant, la province, l’État, le territoire ou la municipalité où l’infraction a été commise; la date de l’infraction; la date de la condamnation ou du verdict de non-responsabilité; la date à laquelle la peine a été prononcée.

Le projet de loi modifierait aussi les dispositions de la LERDS qui obligent les délinquants inscrits à fournir un avis avant de voyager. Ces obligations de fournir un avis s’appliquent aux délinquants sexuels inscrits lorsqu’ils s’absentent de leur résidence principale ou secondaire pendant plus de sept jours, et à ceux ayant commis une infraction sexuelle visant un enfant lorsqu’ils quittent le Canada pour quelque période que ce soit.  Les modifications exigeraient que l’avis soit fourni au moins quatorze jours avant la date de départ de leur résidence principale ou secondaire. Cette exigence ferait l’objet d’une exception si la personne avait une excuse raisonnable pour ne pas fournir l’avis quatorze jours d’avance, auquel cas elle serait tenue de fournir un avis le plus tôt possible avant son départ. Les modifications exigeraient également que les délinquants fournissent par défaut les adresses précises où ils séjourneront, et il serait permis de fournir une destination plus générale seulement lorsque l’adresse précise n’est pas disponible.

Enfin, le projet de loi modifierait le paragraphe 16(4) de la LERDS, qui énonce les cas particuliers où les renseignements sur l’enregistrement de délinquants sexuels peuvent être communiqués. Selon ce que prévoit le projet de loi, les renseignements recueillis au titre de la LERDS pourraient être communiqués à un service de police lorsque cela est nécessaire pour leur permettre de vérifier que le délinquant sexuel respecte les exigences de cette loi en matière de comparution, ou encore de demander ou d’exécuter un mandat visant à assurer la conformité.

L’article 8 de la Charte protège contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies « abusives ». L’objet de cet article est de protéger toute personne contre les intrusions abusives lorsqu’il y a une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. Une fouille, une perquisition ou une saisie qui porte atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée sera raisonnable si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même est raisonnable (en ce qu’elle établit un juste équilibre entre les questions de droit à la vie privée et l’intérêt de l’État), et si la fouille est effectuée de façon raisonnable. Puisque les modifications autorisant la collecte et la communication de renseignements concernant les délinquants inscrits sont susceptibles de soulever des enjeux concernant le droit à la vie privée, elles pourraient faire intervenir l’article 8.

L’exigence selon laquelle les délinquants inscrits doivent constamment prévoir leur voyage en conformité avec la LERDS – sous peine de poursuite et d’emprisonnement – pourrait également avoir une incidence sur les enjeux concernant le droit à la liberté protégé par l’article 7.  Les facteurs suivants militent en faveur de la conformité des pouvoirs visés avec la Charte.

Les renseignements supplémentaires que les délinquants auraient à fournir au sujet de condamnations ou de verdicts de non-responsabilité criminelle à l’étranger se limiteraient à des renseignements d’identification et à des coordonnées de base, ainsi qu’aux renseignements qui pourraient habituellement faire partie du dossier public d’une instance pénale au Canada. Il s’agit de renseignements à l’égard desquels les individus auraient une attente limitée, voire inexistante, à l’égard de la vie privée. Le fait de demander à des individus de fournir ces renseignements constitue un équilibre approprié entre la vie privée et les objectifs de la LERDS, car cette information est nécessaire pour déterminer si l’infraction commise à l’étranger équivaut à une infraction canadienne, et si l’individu en question devrait être inscrit au registre.

Les modifications apportées aux exigences d’avis que les délinquants sexuels inscrits doivent remplir lorsqu’ils voyagent font appel aux mêmes renseignements essentiels que ceux qu’ils doivent déjà fournir dans les mêmes circonstances, avec un degré de précision accru pour ce qui est des lieux où ils séjourneront. Exiger des délinquants sexuels inscrits qu’ils fournissent ces renseignements permet d’atteindre un équilibre raisonnable entre la vie privée et les objectifs de la LERDS, tout en veillant à ce que les services de police détiennent des renseignements exacts et à jour sur le lieu où se trouve la personne en cause. Préciser que l’avis doit être fourni 14 jours avant le départ est conforme aux objectifs de la LERDS, car cela donne aux services de police le temps nécessaire pour effectuer une évaluation des risques et pour aviser d’autres services de police, s’il y a lieu. L’inclusion d’une exception pour les cas où un délinquant inscrit a une excuse raisonnable permet à celui-ci d’effectuer un voyage urgent ou important mais imprévu, limitant ainsi toute incidence sur sa liberté individuelle à ce qui est raisonnablement nécessaire à la lumière des objectifs de la LERDS.

Enfin, le fait d’autoriser la communication de renseignements sur l’enregistrement du délinquant sexuel à un service de police lorsque c’est nécessaire pour obtenir un mandat ou pour vérifier s’il s’est acquitté de ses obligations de comparution est conforme aux autres dispositions de communication énoncées au paragraphe 16(4) et représente un équilibre raisonnable entre la vie privée et les objectifs de la LERDS.

Peine accrue pour l’exploitation d’une personne handicapée à des fins sexuelles (article 7 de la Charte)

Le projet de loi S-12 établirait une peine accrue pour l’infraction d’exploitation d’une personne handicapée à des fins sexuelles.  Dans les situations où la poursuite procède par mise en accusation, la peine maximale d’emprisonnement passerait de cinq à dix ans.

Les infractions punissables d’emprisonnement font intervenir le droit à la liberté et doivent être conformes aux principes de justice fondamentale. Le ministre n’a pas identifié d’incohérences possibles entre la modification proposée et les principes de justice fondamentale garantis par l’article 7. La peine maximale plus sévère reflète la gravité de l’infraction tout en préservant le pouvoir discrétionnaire des juges de première instance d’imposer une peine juste et appropriée.

Interdictions de publication (alinéa 2b) de la Charte)

Les interdictions de publication empêchent la diffusion de renseignements permettant d’identifier les victimes, les témoins ou, dans certaines circonstances, l’accusé. Elles visent à permettre aux victimes et aux témoins de participer au système de justice sans subir les conséquences négatives liées à la divulgation de leur identité, en plus d’encourager la déclaration des infractions qui sont sous-déclarées, comme les infractions sexuelles. Les interdictions de publication sont discrétionnaires dans de nombreux cas, mais elles sont obligatoires lorsqu’il s’agit de victimes d’infractions sexuelles et que les témoins de ces infractions ont moins de 18 ans.

Le projet de loi S-12 apporterait un certain nombre de modifications aux dispositions du Code criminel relatives aux interdictions de publication. Premièrement, il ajouterait l’infraction de publication non consensuelle d’une image intime à la liste d’infractions par rapport auxquelles une interdiction de publication peut être ordonnée. Deuxièmement, il mettrait à jour la formulation des dispositions pour qu’elles incluent les choses qui avaient déjà été publiées avant l’interdiction de publication, mais qui demeurent accessibles sur Internet. Troisièmement, elle exigerait que des mesures raisonnables soient prises pour consulter les victimes avant que la Couronne demande une interdiction de publication, tout en continuant d’exiger que la Couronne en fasse la demande si la victime ne lui a pas indiqué de ne pas le faire. Enfin, il clarifierait le processus permettant aux personnes visées de demander la révocation ou la modification des interdictions de publication. Plus particulièrement, il exigerait une audience pour décider si l’ordonnance doit être révoquée ou modifiée si la demande est présentée au nom de la victime protégée par l’interdiction de publication.

L’alinéa 2b) de la Charte garantit à chacun la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. Il s’applique aussi au « principe de la publicité des débats judiciaires », selon lequel les membres du public ont le droit de recevoir de l’information sur les instances judiciaires.

Puisque les interdictions de publication limitent l’accès à des renseignements sur les instances judiciaires, tels que les noms des victimes et des témoins, elles font intervenir le principe de la publicité des débats judiciaires protégé par l’alinéa 2b). Les considérations suivantes militent en faveur de la conformité des interdictions de publication avec la Charte. Les dispositions du Code criminel sur l’interdiction de publication visent à atteindre un équilibre entre, d’une part, la protection de la vie privée des victimes et des personnes plaignantes et, d’autre part, le principe de la publicité des débats judiciaires. Plus précisément, elles visent à permettre aux victimes et témoins de participer dans le système de justice sans subir de conséquences négatives associées à la publication de leurs identités, et à encourager la dénonciation d’infractions insuffisamment signalées, telles les infractions sexuelles. Clarifier que les interdictions de publication peuvent s’appliquer à l’information qui demeure disponible sur l’Internet, même celle publiée avant l’interdiction de publication, favorise la réalisation de l’objectif et établit un équilibre raisonnable avec le principe de la publicité des débats judiciaires. Sauf dans les cas traitant de la pornographie juvénile, où les interdictions de publication sont obligatoires, le tribunal conserve le pouvoir discrétionnaire de rendre une ordonnance et d’en préciser la portée. Les propositions de modifications à ces dispositions qui nécessiteraient la prise de mesures raisonnables pour déterminer les souhaits des victimes et qui clarifieraient le processus par lequel une interdiction de publication pourrait être révoquée ou modifiée, ajusteraient cet équilibre d’une façon qui respecte l’autonomie des victimes et des personnes plaignantes, et qui modère les entraves possibles au principe de la publicité des débats. Elles le feraient en créant des mécanismes qui permettraient l’accès à l’information sur les instances judiciaires – par l’évitement, la modification ou la levée d’interdictions de publication – dans des cas où les personnes que l’interdiction vise à protéger ne souhaitent pas qu’elle s’applique.