Ce que nous avons entendu - Transformer le système Canadien de justice pénale

Message de la ministre

Quand j’ai été nommée ministre de la Justice et procureur général du Canada, dans la lettre de mandat qu’il m’a envoyée, le premier ministre Trudeau m’a demandé de faire un examen des modifications qui ont été apportées à notre système de justice pénale et des réformes de la détermination de la peine qui ont été faites au cours des dix dernières années.

Il m’a été demandé d’évaluer ces modifications afin de m’assurer que nos collectivités sont plus sécuritaires et que nous obtenons un bon rendement sur nos investissements. De plus, il m’a été demandé de combler les lacunes et de m’assurer que les dispositions actuelles sont en accord avec les objectifs du système de justice pénale. 

Il s’agit d’un défi de taille, mais également d’une chance extraordinaire.

Nous tenons à revoir le système de justice pénale afin que nous puissions nous assurer qu’il est équitable, axé sur la compassion et la justice et qu’il favorise la sécurité, le bien-être et la prospérité de la société canadienne.

Cet examen exige qu’il y ait un dialogue attentif et ouvert. Cela fait, selon moi, partie intégrante d’un dialogue national sur le système de justice pénale au Canada. Ce dialogue nous permettra de transformer notre système de justice pénale afin qu’il soit mieux adapté aux besoins actuels de tous les Canadiens.

Ce dialogue a commencé il y une année  et demi avec une série de consultations avec des intervenants du système de justice pénale et des parties intéressées de partout au Canada. L’objectif visé par ces consultations était de rassembler des personnes de part et d’autre du système afin de discuter de leurs pratiques et de leurs suggestions pour améliorer le système.

Le présent rapport résume les points de vue que nous avons entendus jusqu’à maintenant dans le cadre de ces consultations. Un certain nombre de thèmes récurrents et de messages se sont dégagés. On nous a dit qu’il est essentiel de relier les données et les renseignements provenant de l’ensemble des secteurs de la justice et de divers systèmes sociaux si l’on veut poser des gestes et que nous devons élaborer une approche qui tient compte de ces systèmes, qui comprennent notamment la santé, le logement, la santé mentale, l’éducation et l’aide à l’enfance.

On nous a dit que les personnes vulnérables sont les plus touchées pas le système, alors nous devons déterminer où et comment elles entrent en contact avec le système de justice pénale. Il nous a donc été suggéré, comme solution immédiate, d’apporter des modifications législatives distinctes et exhaustives.

Il ne fait aucun doute qu’il est nécessaire de faire un examen du système de justice pénale et qu’il y a longtemps que l’on aurait dû en faire un. Il faut plus qu’un seul mandat pour pouvoir réaliser un changement systémique, mais je suis convaincue que cet examen peut jeter les bases qui permettront de s’attaquer à certains des problèmes les plus épineux auxquels le système de justice pénale est confronté aujourd’hui.

J’aimerais remercier toutes les personnes qui ont pris le temps d’exprimer leurs opinions sur l’examen du système de justice pénale.

Aperçu

En novembre 2015, le premier ministre Justin Trudeau a énoncé par écrit le mandat de chacun des ministres de son cabinet. La lettre de mandat de l’honorable Jody Wilson-Raybould, ministre de la Justice et procureur général du Canada, décrivait divers objectifs à atteindre. L’un des objectifs importants consistait à examiner et à évaluer les modifications apportées au système de justice pénale au cours des dix dernières années, y compris les réformes de détermination des peines. L’examen de certains des passages a lieu en collaboration avec le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, comme il est mentionné dans la lettre de mandat de ce dernier.

L’examen du système de justice pénale visait également à veiller « à ce que nous accroissions la sécurité de nos collectivités, que nous utilisions au mieux l’argent des contribuables, que nous comblions les lacunes et que nous nous assurions que les dispositions actuelles cadrent avec les objectifs du système de justice pénale ». La lettre de mandat demandait également à la ministre de la Justice d’accroître le recours à la justice réparatrice au Canada. La ministre accomplit son mandat en tenant compte de ces multiples facettes. Après avoir entendu des intervenants et des partenaires de partout au pays, la ministre a changé le projet d’examen en projet de transformation du système de justice pénale. Par contre, il est impossible d’y arriver dans un seul mandat.

Pour ce faire, la ministre de la Justice ou sa secrétaire parlementaire ont tenu des tables rondes avec des personnes qui travaillent dans le système de justice pénale et des parties intéressées dans l’ensemble du Canada. On comptait parmi les participants des procureurs de la Couronne, des avocats de la défense, des universitaires, des défenseurs des droits des victimes, des partisans de la justice réparatrice, des représentants de première ligne des systèmes communautaires de soutien de même que des représentants de systèmes, dont ceux de la santé et de la santé mentale, de l’habitation et d’autres programmes d’aide sociale.

Lors de ces rencontres, les participants ont soulevé des questions préoccupantes concernant le système de justice pénale. Ils ont aussi pris connaissance d’initiatives locales de justice qui donnent de bons résultats et des raisons pour lesquelles celles-ci obtiennent du succès.

Ce rapport résume les discussions qui ont eu lieu lors des tables rondes. Il met en lumière les pratiques exemplaires, les problèmes et les améliorations proposées.

Ce rapport ne reflète pas nécessairement l’opinion du gouvernement du Canada.

Points saillants des conclusions

Presque tous les participants à la table ronde ont exprimé les mêmes préoccupations majeures. Ils ont dit que presque toutes les personnes qui ont des démêlés avec le système de justice pénale sont des personnes vulnérables ou marginalisées. Elles souffrent de problèmes de santé mentale, de toxicomanie, de pauvreté, d’itinérance et ont déjà été victimes d’actes de violence. La plupart des participants ont estimé que le système de justice pénale n’est pas outillé pour répondre aux problèmes qui sont à la source de comportements criminels chez ces groupes, et qu’il ne devrait pas l’être. Selon les participants, ces problèmes sont aggravés par un recours excessif à l’incarcération.

Selon eux, le système doit promouvoir la sécurité publique et le respect de la loi. Il doit aborder la criminalité de façon juste et équitable et avec compassion. Le système de justice pénale du Canada fonctionne bien dans certains domaines, mais il n’atteint pas les objectifs visés en ce qui concerne la plupart des personnes qui ont affaire à celui-ci. Plusieurs participants ont dit que les modifications qui ont été apportées aux lois au cours des dix dernières années n’ont pas permis d’atteindre ces objectifs. En fait, selon eux, ces modifications ont eu pour effet de surcharger davantage le système et d’aggraver la situation.

Toutefois, on trouve de nombreux exemples au pays de programmes qui permettent aux victimes et aux délinquants d’obtenir les services dont ils ont besoin. Ces programmes offrent des services de justice réparatrice et comportent des approches collaboratives de nature communautaire. Les participants ont exhorté la ministre à s’inspirer de ces exemples et à s’en servir comme guide.

Les tables rondes qui ont eu lieu un peu partout au Canada ont porté sur les cinq thèmes principaux suivants :

Les préoccupations au sujet du système de justice pénale du Canada

Le système de justice pénale du Canada est confronté à de nombreux problèmes complexes qui ont une incidence sur sa capacité de produire efficacement, avec compassion, des résultats équitables. Les participants aux tables rondes ont souligné que le système de justice pénale doit être amélioré. Les participants ont mentionné un certain nombre de correctifs qui pourraient être apportés à court terme, mais ils ont également dit que le système nécessite d’importantes réformes. Certains participants ont remis en question les principes qui sous-tendent notre système. Ils ont notamment proposé comme solution que des modifications mineures soient apportées au Code criminel et que des améliorations soient apportées aux programmes et ils ont demandé que les principes et la philosophie qui sous‑tendent le système et sa façon d’administrer la justice soient modifiés de façon fondamentale. Les participants ont reconnu que l’administration du système est une affaire complexe étant donné qu’elle est faite par les provinces et les territoires et c’est pourquoi plusieurs participants ont demandé que le gouvernement fédéral prenne la tête des réformes.

Plusieurs participants ont estimé que le système de justice pénale du Canada est trop prompt à criminaliser les symptômes des personnes vulnérables et marginalisées. Selon eux, cela est particulièrement le cas pour les personnes qui ont des problèmes de dépendance et de santé mentale. Ils ont dit que le système manque de compréhension et de compassion en ce qui concerne les délinquants et les victimes d’actes criminels. Ils ont également dit que le système judiciaire est mal intégré aux autres systèmes de soutien social. 

Plusieurs participants ont demandé que l’on adopte une approche qui tente de régler les problèmes plutôt qu’une approche dans laquelle on ne fait que se pencher sur les faits et la culpabilité. Selon ces participants, le système est surchargé de personnes vulnérables et marginalisées qu’il ne vise pas à traiter. Ils ont également estimé que le système doit s’occuper d’un grand nombre d’infractions moins graves qui ne constituent aucun danger pour la sécurité du public.

Ils ont dit que dans bien des cas le système réussit bien à établir la culpabilité, mais que son efficacité est minée par le grand volume de cas. Le traitement des victimes et des délinquants a été un thème récurrent tout au long des discussions. Les participants ont fait mention de problèmes qui existent depuis longtemps en ce qui concerne les victimes et les survivants d’actes criminels. Selon eux, un certain nombre de problèmes pourraient être réglés grâce à des modifications mineures, mais que d’autres ne peuvent être réglés que par un changement systémique.

Plusieurs de ces problèmes ne sont pas nouveaux, mais les participants ont d’une manière générale estimé que cet examen constituait une occasion pour enfin les régler de façon significative. Ils ont estimé que l’examen et les modifications subséquentes au droit et à la politique doivent être fondés sur des éléments de preuve solides. Ils ont également souligné qu’il fallait régler le problème de manque de renseignements quant à de nombreux aspects du système. Ils ont dit que les politiques et ceux qui les administrent doivent être sensibilisés aux cultures, particulièrement en ce qui concerne les Autochtones. Enfin, ils ont dit que les collectivités doivent jouer un rôle de premier plan.

Pratiques exemplaires

Les participants ont souligné les réalisations qui contribuent à la sécurité de la collectivité et qui favorisent le bien-être chez les victimes et les délinquants. L’élément dont il a été le plus souvent fait mention est le système de justice pour adolescents dans lequel les taux d’incarcération dans l’ensemble du Canada ont diminué au cours des vingt dernières années. Selon plusieurs participants, les approches envers le système de justice pour adolescents qui ont été fructueuses pourraient être appliquées au système de justice pénale pour adultes.  

La baisse des taux d’incarcération des adolescents a commencé huit ans avant que le Canada adopte la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents en 2003. C’est en Colombie-Britannique que la baisse a été la plus marquée. Le gouvernement de cette province a commencé à financer des solutions de rechange à l’incarcération, à savoir les peines purgées dans la collectivité. Le nombre d’adolescents incarcérés a tellement diminué que des centres de détention ont été fermés. Cela a permis de libérer des fonds pour l’amélioration des programmes, ce qui a permis de réduire la charge de travail du personnel travaillant dans la collectivité.

Le Nouveau-Brunswick et l’Alberta ont également réussi à améliorer leurs systèmes. Le Nouveau-Brunswick a rationalisé son système grâce à la « vérification préalable aux accusations ». Maintenant, les procureurs de la Couronne examinent et approuvent les accusations avant que celles-ci ne soient portées. Cela a entraîné un faible taux de retrait des accusations et une augmentation du nombre de plaidoyers de culpabilité. De plus, lorsqu’il y a compatibilité, les délinquants en détention provisoire à faible risque sont placés dans des unités où sont détenus des délinquants condamnés. Cela leur permet d’avoir accès à des programmes et de recevoir des visites, ce qui ne serait pas possible dans les établissements de détention provisoire. Entre-temps, l’Alberta a modernisé son système grâce à la gestion des dossiers judiciaires et au dépôt électronique, ce qui a rendu le système plus efficace.

Les défis

Le Code criminel du Canada : Parmi les nombreuses personnes qui travaillent principalement à interpréter et à appliquer la loi, plusieurs ont proposé des changements à apporter au Code, tandis que d’autres ont demandé sa refonte complète. Plusieurs personnes étaient d’avis que le Code criminel actuel est un ensemble de dispositions législatives disparates et difficiles à suivre. Plusieurs articles ne sont pas à jour et d’autres qui ont été invalidés demeurent en vigueur. D’après certains participants, le Code ne reflète pas les réformes sociales majeures ayant eu lieu et a souvent des répercussions injustes sur les personnes vulnérables, incluant les femmes, les toxicomanes et les Autochtones.

Infractions contre l’administration de la justice : De nombreux participants, dont des policiers, des procureurs, des avocats de la défense, des universitaires et d’autres intervenants de première ligne, ont demandé des changements en ce qui concerne les infractions contre l’administration de la justice. La majorité de ces infractions sont attribuables au non-respect des ordonnances de mise en liberté sous caution et de sursis par une personne, ce qui peut comprendre un manquement aux conditions de la probation, l’omission de se présenter en cour ou le non-respect des conditions fixées par le tribunal.
Ces types d’infraction constituent une forte proportion des infractions criminelles et, selon les participants, elles contribuent à l’arriéré actuel du système des tribunaux. Les participants ont relevé de nombreux problèmes en ce qui concerne la façon dont ces dossiers sont traités et ont estimé que cet arriéré était causé par la culture qui existe actuellement dans le système de justice pénale, et plus particulièrement par les dérives d’un système de conditions excessives imposées sans discernement aux contrevenants au nom de la sécurité du public.

Les participants ont dit que plusieurs de ces conditions ne contribuent en rien à la sécurité du public et imposent aux contrevenants des conditions qu’ils ne pourront pas remplir, ajoutant ainsi des infractions à leur dossier criminel. Par exemple, si un tribunal ordonne à un alcoolique de ne pas consommer d’alcool sans lui fournir le soutien communautaire, médical et social nécessaire, cela a toutes les chances de l’amener à enfreindre une ou plusieurs de ses conditions.

De plus, les participants ont aussi expliqué que des conditions sont parfois imposées à des personnes qui sont mentalement incapables de les comprendre ou de les suivre. Ils ont dit que les juges, les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense doivent disposer de suffisamment d’informations sur les contrevenants pour leur imposer des peines  adéquates. Selon les participants, il faudra un changement de culture pour obtenir un équilibre entre les besoins des individus, les circonstances des délits et la sécurité du public.

Mise en liberté sous caution et détention provisoire : Selon plusieurs participants, le régime de mise en liberté sous caution a également besoin d’une révision. Ils ont dit que les accusés disposent de très peu d’options à l’étape de la mise en liberté sous caution et peuvent se retrouver en détention provisoire pour de longues périodes en attendant leur procès ou leur peine. (On entend par « détention provisoire » une personne gardée en détention en attendant sa première audience à la cour. Elle peut aussi attendre son procès ou son jugement.)

Le régime de mise en liberté sous caution fait face à de nombreux problèmes. Certains participants ont expliqué que les personnes gardées en « détention provisoire » ont une plus forte probabilité de recevoir une peine d’emprisonnement que celles qui sont mises en liberté sous caution. Ce régime, disent-ils, est aussi inéquitable pour les personnes vulnérables et les groupes marginalisés.

De plus, les participants ont souligné que les conditions dans les lieux de détention provisoire étaient déplorables. Par ailleurs, même si les accusés sont parfois gardés en « détention provisoire » pendant de longues périodes, ils n’ont pas droit aux programmes offerts aux contrevenants purgeant une peine. Ces conditions de détention peuvent fortement détériorer la situation de ces personnes. Ils ont souligné que, pour éviter la « détention provisoire », il arrive souvent que les accusés plaident coupables quant à leur crime afin d’éviter de rester sous garde en attendant leur procès. Selon eux, cela augmente le risque qu’une personne avoue un crime qu’elle n’a pas commis. 

Au Nouveau-Brunswick, les participants à la table ronde ont présenté le problème de la « détention provisoire de fin de semaine ». Les personnes accusées d’infractions le vendredi soir ne peuvent se présenter en cour avant le lundi suivant. Cela pose un sérieux problème aux personnes vulnérables, dont celles qui ont besoin de médicaments pour des problèmes de santé mentale.

Détermination de la peine : Les participants sont nombreux à croire que les juges, la police et les procureurs ont perdu beaucoup de leur pouvoir discrétionnaire dans la détermination de la peine. Ils ont dit que l’instauration de peines minimales obligatoires avait diminué la capacité du tribunal d’imposer des sanctions équitables. Les participants ont demandé des changements législatifs pour rétablir les pouvoirs discrétionnaires des personnes qui travaillent dans le système de justice pénale.

Les participants étaient également nombreux à demander un changement général de culture à l’égard de la façon dont les délinquants sont condamnés. Plusieurs participants ont demandé que la détermination de la peine prenne en considération dans chaque cas les raisons profondes du comportement du criminel. Même si tout le monde a convenu que la sécurité du public est la principale préoccupation, on a proposé de moins avoir recours à l’emprisonnement et de se diriger de façon concertée vers d’autres solutions. Selon eux, aider les gens à obtenir le soutien dont ils ont besoin pour vivre dans le respect des lois, réduirait les risques qu’ils commettent des infractions et fassent du tort aux autres.

De plus, les participants ont dit que, dans la plupart des cas, l’incarcération et les peines plus sévères ne sont pas la meilleure manière d’assurer la sécurité du public. Plusieurs participants ont souligné que le premier contact d’une personne avec le système de justice pénale entraînait une série d’effets délétères qui la coinçait dans une sorte de porte tournante la ramenant inlassablement devant la cour. Ils ont dit que cela est particulièrement vrai dans le cas des personnes vulnérables et marginalisées.

Certains participants ont aussi dit que les changements dans la façon dont les délinquants sont condamnés n’étaient qu’une partie de la solution. Les juges et les autres intervenants du système de justice doivent obtenir toute l’information dont ils ont besoin à propos de la personne qui se trouve devant eux. Un participant a dit qu’une peine de 30 jours lui semblait être honnête et raisonnable jusqu’à ce qu’il apprenne que le détenu avait perdu son logement social étant donné que l’agence ne savait plus où il était.

Plusieurs participants ont dit que les personnes ayant des problèmes de santé mentale et des problèmes d’abus de substances ont besoin de soutiens, qu’ils soient placés sous garde ou qu’ils purgent leur peine dans la communauté. Ces soutiens les aident à se réadapter et à se reprendre en main. Pour atteindre ces objectifs, les participants ont demandé que le système de justice collabore plus étroitement avec les autres systèmes afin de partager des renseignements concernant les services offerts. Ils ont estimé que cela permettrait de s’assurer que les délinquants reçoivent les services dont ils ont besoin.

Peines minimales obligatoires : Plusieurs participants ont mentionné que des modifications apportées au Code criminel au cours des dix dernières années, notamment le nombre accru d’infractions assorties de peines minimales obligatoires, ont rendu le système de justice pénale moins équitable, moins efficace et moins compatissant. Une peine minimale obligatoire est une peine qui doit être imposée à une personne déclarée coupable d’une infraction. Plusieurs participants ont exprimé l’avis que les peines minimales obligatoires créent une situation où les juges sont privés de leur pouvoir d’adapter une peine aux circonstances particulières de l’affaire.

Selon les participants, dans plusieurs cas, les peines sont inappropriées, trop sévères ou, dans certains cas, ont enfreint les droits garantis par la Charte. Les participants ont également souligné que les personnes vulnérables, dont les Autochtones et les personnes ayant une maladie mentale et des dépendances, sont souvent celles qui sont le plus injustement touchées. De plus, les participants ont affirmé que les peines minimales obligatoires ont rendu le système moins efficace. En raison de la possibilité d’être déclarés coupables d’un crime pour lequel ils seront certainement emprisonnés, moins d’accusés plaident coupables et plus de causes se rendent à l’étape du procès.

Selon les participants, ces modifications visaient clairement à faire pencher la balance en faveur de la sécurité du public, mais elles n’ont toutefois pas obtenu l’effet escompté. La plupart des participants ont affirmé qu’imposer des peines plus sévères plutôt que de mettre l’accent sur la réhabilitation ne rend pas les communautés plus sécuritaires.

Réhabilitation, mise en liberté et soins continus : Les participants ont demandé qu’il y ait un effort concerté en matière de réhabilitation des délinquants. Mais ils ont dit que pour atteindre cet objectif, l’accès aux services doit être offert en détention et dans la collectivité. Ils ont souligné que, en ce qui concerne les personnes qui en ont absolument besoin, les services ne sont pas une solution et que, ainsi, il est impératif que le système de justice pénale collabore ou s’intègrent systématiquement aux secteurs de la santé et de la santé mentale et à d’autres systèmes de soutien social.

En Colombie-Britannique, selon les participants, 90 p. 100 des pires délinquants souffrent de traumatismes graves et ont des problèmes de santé mentale et de dépendance. Les participants estiment que la plupart d’entre eux pourraient être traités avec succès.

Les participants ont soulevé certaines questions qui, selon eux, sont alarmantes. Par exemple, il arrive parfois que des accusés qui ont des problèmes de santé mentale et de dépendance, qui peuvent présenter un risque plus élevé de récidive et qui sont incapables de prendre soin d’eux-mêmes, soient mis en liberté sans supervision dans des collectivités. 

D’autres participants ont dit que dans les prisons on a trop recours à l’isolement solitaire, également appelé isolement préventif. Selon eux, cette pratique nuit souvent aux délinquants, en particulier à ceux qui ont des problèmes de santé mentale. Certains participants ont souligné que cette pratique est souvent utilisée pour assurer la sécurité du délinquant, mais certains autres ont demandé qu’il soit mis fin à la pratique ou qu’il existe des règles strictes quant à son utilisation.

Les participants ont souligné que le besoin de réhabilitation ne devrait pas prendre fin lorsqu’une personne est mise en liberté. Ils ont demandé que le soutien communautaire continu offre des services aux personnes qui en ont besoin. Plus particulièrement, l’absence de services accessibles dans les collectivités nordiques et les collectivités éloignées a été considérée comme étant un obstacle. Selon les participants, les collectivités, dans l’ensemble du pays, doivent être en mesure de fournir des services continus.

Casiers judiciaires et pardons : Les participants ont demandé que des modifications soient apportées au processus de pardon. Ils ont souligné que les casiers judiciaires peuvent nuire à la capacité d’une personne de se réinsérer dans la société. Ils ont également dit qu’un casier judiciaire peut avoir une incidence sur tous les aspects de la vie d’une personne, qu’il peut empêcher une personne d’obtenir un emploi, de s’acquitter de ses obligations familiales, de faire du bénévolat ou de voyager. Selon eux, l’existence d’un casier judiciaire peut empêcher une personne de se réinsérer de façon stable dans la société.

Certains participants ont dit que l’existence d’un casier judiciaire peut même avoir pour conséquence qu’une personne continuera à commettre des actes criminels. Ils ont souligné qu’il n’est pas facile d’obtenir un pardon et que les coûts d’une demande de pardon peuvent être trop élevés pour plusieurs délinquants qui ont de faibles revenus ou qui sont pauvres. De plus, l’obtention d’un pardon peut prendre beaucoup de temps.

Traitement des femmes au sein du système de justice pénale : Bon nombre de participants ont fait part de la nécessité de revoir le traitement des femmes au sein du système de justice. Ils ont indiqué que les femmes ont souvent l’impression qu’on ne les croit pas et, par conséquent, elles ont perdu confiance dans le système de justice. Certains participants ont fait remarquer que le système de justice est sexiste de manière systématique et qu’il doit mieux répondre aux besoins des femmes. Ce point a été souligné particulièrement en ce qui a trait au traitement des femmes victimes et des femmes autochtones. Les participants ont mentionné que les femmes ne se sentent pas épaulées par le système de justice, et qu’elles se sentent plutôt comme des criminelles. Plus particulièrement pour les femmes autochtones, les participants ont expliqué qu’il est nécessaire d’adopter des approches qui tiennent compte des contextes historiques et oppressifs afin de mieux appuyer cette partie de la population. Il a aussi été mentionné qu’il y a un manque de données qui illustrent les expériences liées aux genres. Les participants ont indiqué qu’il y a de plus en plus de femmes qui entrent en contact avec le système de justice à titre de contrevenantes et de victimes, et qu’il serait bon de recueillir des données dans une optique qui tient compte de la spécificité des sexes.

Lois régissant le commerce du sexe : Certains participants à la table ronde sur les réformes du droit pénal de 2014, inhérentes au commerce du sexe, ont approuvé la démarche actuelle en ce qui concerne le cadre législatif sur le commerce du sexe (c’est-à-dire la version canadienne du « modèle nordique », qui vise à réduire la demande pour des services sexuels), alors que d’autres ont demandé son abrogation en faisant ressortir que les nouvelles lois font en sorte que la sécurité des personnes qui pratiquent le commerce du sexe est moins protégée. Les deux groupes, néanmoins, ont appuyé l'abrogation d’infractions criminalisant les personnes qui vendent leurs propres services sexuels.

Relations publiques : Les participants ont déclaré que le système de justice pénale du Canada souffre d’un « important problème de relations publiques ». Selon eux, le public n’est pas au courant des problèmes auxquels le système fait face, notamment en ce qui concerne les nombreuses personnes vulnérables et marginalisées qui sont prises dans l’engrenage du système. Ils ont également été d’avis que les Canadiens ne sont pas au courant des faits et que c’est principalement grâce aux reportages diffusés dans les médias et grâce à la télévision américaine qu’ils en apprennent sur le système. Ils ont souligné que la confiance dans le système peut varier selon les reportages qui ont été diffusés dans les médias et que la majorité des Canadiens ne sont intéressés à savoir comment le système fonctionne que lorsqu’ils ont affaire à celui-ci.

Les participants ont dit que, dans le cadre du présent examen, il faudrait examiner les façons de susciter davantage l’intérêt des Canadiens et de les informer quant aux problèmes complexes auxquels le système de justice est confronté. Selon eux, les Canadiens devraient connaître les faits en ce qui concerne les politiques et les pratiques en matière de justice pénale ainsi qu’en ce qui concerne la recherche et les renseignements sur les pratiques exemplaires dans le domaine. Ils ont dit que la confiance du public dans le système repose sur des perceptions fondées sur un manque d’information. Ils ont également été d’avis qu’inviter les Canadiens à des discussions sur le système pourrait permettre de le rendre meilleur. 

Financement et ressources : La fourniture d’un financement adéquat a été régulièrement mentionnée comme étant un élément essentiel à la réussite et à viabilité d’une réforme. Les participants ont notamment demandé qu’un financement stable et continu soit fourni quant aux programmes de justice qui portent fruit. Ils ont également dit que bien que certaines initiatives exigeront du nouveau financement provenant de sources gouvernementales, des fonds affectés à des initiatives existantes pourraient être transférés pour être affectés à de nouvelles approches. Par exemple, l’incarcération a souvent été mentionnée comme étant un exemple d’approche qui est démesurément onéreuse et qui ne produit pas les résultats auxquels les Canadiens s’attendent.

Les participants ont également demandé que l’on conçoive des modèles de financement novateur, comme, par exemple, des commandites publiques/privées. Certains participants ont dit qu’un argument économique justifie de garder les personnes dans le marché du travail plutôt que dans les prisons.

Les participants ont demandé que le gouvernement fédéral favorise l’innovation et la souplesse en ce qui concerne la recherche de modèles pour les programmes de justice pénale. Plus particulièrement, ils ont fait état de cas où il y a eu chevauchement entre les fonds affectés à un programme et le financement pour la santé et d’autres initiatives sociales, comme des choix de traitement pour les délinquants qui ont des problèmes de santé mentale et de dépendance. 

Les participants ont demandé que, au Nunavut, par exemple, le ministère de la Justice du Canada finance des services de lutte contre la dépendance par le biais du Programme de financement des tribunaux de traitement de la toxicomanie. Ils ont estimé que cela était important parce que, dans le territoire, l’alcoolisme est souvent un élément qui amène une personne à commettre des actes criminels.

De plus, ils ont souligné que le financement à long terme n’est pas garanti en ce qui concerne certains programmes de justice pénale. Ils ont estimé que cela limite les chances de succès de ces programmes, qui sont alourdis par des exigences en matière de rapports et pour lesquels il est difficile de garder l’effectif parce que l’emploi n’est pas garanti. Ils ont également souligné que le financement relatif à d’autres programmes a été réduit. Dans une province, deux programmes gérés par le conseil autochtone régional ont vu leur financement réduit même si leur charge de travail a doublé.

Les participants ont également parlé de l’importance de la recherche empirique et de la nécessité de mettre en place un lien plus direct avec l’allocation de fonds.

Améliorations proposées

Au cours des discussions qui ont lieu lors des tables rondes, un certain nombre de propositions de réforme ont été mentionnées par les participants. Ces propositions étaient diverses. Certaines avaient un caractère précis alors que d’autres étaient d’ordre technique ou philosophique.

Les troubles mentaux, la dépendance et le système de justice pénale

Presque tous les participants ont convenu que le système de justice pénale doit mieux tenir compte des troubles mentaux et des dépendances. Ils ont affirmé qu’environ 70 p. 100 des personnes qui ont recours au système souffrent de troubles mentaux ou de toxicomanie. Il arrive souvent que ces personnes ont d’autres problèmes qui les rendent plus vulnérables, comme l’itinérance, la pauvreté ou un traumatisme antérieur. Parfois, ces problèmes peuvent se traduire par un comportement allant à l’encontre des lois et des mœurs de la société ou par un comportement criminel.

Les participants ont indiqué que le nombre élevé d’accusés dans ce groupe est l’un des plus importants problèmes auxquels est confronté le système. Ils étaient également d’avis que ce domaine est celui qui est le plus susceptible d’offrir des changements importants. Ils ont indiqué que de garder séparés les services de justice, les services de santé et les services sociaux nuisait de façon importante à l’efficacité des interventions.

De plus, les participants étaient d’avis que la façon habituelle d’aborder la justice pénale continuerait d’avoir un effet négatif sur l’efficacité du système, sur les résultats individuels et sur la sécurité du public. Par conséquent, ils exigent que le système de justice conventionnel soit complètement revu.

Pratiques exemplaires

Les participants ont indiqué que des travaux très prometteurs ont été réalisés dans l’ensemble du pays pour coordonner et cibler la façon dont le système de justice répond à ces groupes. Par exemple, en Colombie-Britannique, où un grand nombre de personnes souffrant de troubles mentaux et de dépendance vivent dans les rues du Downtown East Side de Vancouver, la province a élaboré plusieurs initiatives coordonnées pour les traiter. La province a également créé une base de données probantes pour soutenir une approche efficace et coordonnée envers ces groupes.

Au Yukon, les participants ont souligné le succès de l’étude sur la prévalence des troubles causés par l’alcoolisation fœtale sur le territoire en 2014-2015. Cette étude a permis de déterminer approximativement le nombre de détenus qui souffrent de troubles causés par l’alcoolisation fœtale, de troubles de santé mentale et de dépendances. Plus de 90 p. 100 des détenus souffraient de troubles de raisonnement, ainsi que de problèmes de santé mentale et de toxicomanie. Près du tiers souffrait, ou souffrait probablement, de troubles causés par l’alcoolisation fœtale. Plus on en sait sur ces groupes, plus les interventions seront adaptées. Bon nombre de participants ont fait observer que la réussite dans ce domaine n’est possible qu’avec l’aide de travaux de recherche et d’évaluations.

Les défis

Les participants étaient d’avis que le système devrait être moins axé sur la culpabilité ou l’innocence et davantage sur l’aide à la réadaptation et à la réinsertion des personnes aux prises avec des troubles mentaux et des dépendances. Par exemple, les participants ont cité la surreprésentation des Autochtones dans les tribunaux et les prisons. Selon eux, cette surreprésentation démontre que les tribunaux spécialisés ou le système de justice doivent absolument prendre en compte les facteurs sociaux, économiques et culturels à la base du comportement criminel. Ils étaient favorables à une transition d’une approche axée sur la recherche des faits vers une approche plus centrée sur la guérison.

Les participants ont fait remarquer que bien que les poursuivants ou les juges ne veulent pas criminaliser les personnes souffrant de troubles mentaux, la politique de justice pénale au fil des dernières décennies a été axée sur une augmentation des peines d’emprisonnement et a réduit le pouvoir discrétionnaire des tribunaux en matière de détermination de la peine.

Ils étaient d’avis que la transition vers d’autres types d’approches serait fondamentale et que le gouvernement fédéral devrait prendre le dossier en main. Selon eux, un signal fort de la part du gouvernement fédéral permettrait aux provinces et aux territoires de faire concorder leurs ressources, leurs lois et leurs pouvoirs discrétionnaires. Ils ont affirmé que les provinces et les territoires ne peuvent pas agir seuls parce que les poursuivants sont tenus de travailler au sein du système de justice pénale.

Ils étaient également d’avis que le système ne laisse actuellement pas assez de place aux pouvoirs discrétionnaires des juges. Un vrai changement exigerait une approche qui permet aux tribunaux de prendre en compte les antécédents de la personne accusée. Par exemple, les participants ont fait observer que les tribunaux devraient avoir le loisir d’appliquer les principes de la Cour suprême du Canada énoncés dans les arrêts Gladue et Ipeelee. Ces principes enseignent aux tribunaux à examiner les circonstances uniques des délinquants autochtones lors de la détermination de la peine.

En Colombie-Britannique, certains participants avaient l’impression que les liens entre le système civil, le système de santé mentale dans le contexte judiciaire et le système de justice sont ténus. Ils ont affirmé que les soins continus qui sont cruciaux pour éviter que les personnes se retrouvent en prison sont manquants. Ils ont affirmé que plus les personnes restent en prison longtemps, plus leur santé physique et mentale décline.

Au Nunavut, certains participants ont indiqué que chaque détenu au centre correctionnel de la région vit avec des traumatismes. Ils étaient d’avis que ces détenus avaient besoin d’une approche pangouvernementale pour être réadaptés, réinsérés et stabilisés dans leurs collectivités.

Améliorations proposées

Les approches axées sur la collaboration

Les participants de l’ensemble du pays ont indiqué que le chemin menant à un véritable changement dans le système de justice pénale requiert la collaboration et l’intégration des systèmes de soutien social. Ils ont demandé que les divers ordres de gouvernement, les praticiens de la région ainsi que les collectivités communiquent leurs efforts, leurs connaissances et leurs renseignements. Ils ont également affirmé que les approches axées sur la collaboration étaient nécessaires pour régler les causes fondamentales de la criminalité et pour créer des interventions efficaces et ciblées.

Ils ont fait observer qu’établir des liens et favoriser la prise de mesures au niveau régional est fondamental et ne peut être fait au moyen de la bureaucratie gouvernementale. Ils ont affirmé que les approches axées sur la collaboration doivent être façonnées selon les réalités sur le terrain. Elles sont parfois appelées « approches holistiques », où un service comme le tribunal de traitement de la drogue entoure le client du soutien et des services nécessaires pour cheminer vers une vie sans crime. Ces services peuvent être un logement, un centre de réhabilitation et un soutien en santé mentale et physique.

Pratiques exemplaires

Les participants partout au pays ont fréquemment cité le modèle intégré. Ce modèle collaboratif réunit des fournisseurs de services compétents et favorise la communication de renseignements ainsi que la sensibilisation aux services disponibles. En tant que pratique exemplaire en Saskatchewan, ce modèle est aussi utilisé ailleurs au pays. 

À l’Île-du-Prince-Édouard, le modèle « pont » réunit divers fournisseurs de services en une salle. Ils discutent de la façon d’aider les personnes qui risquent grandement de commettre un crime ou de récidiver avant que l’intervention des policiers soit nécessaire. Les fournisseurs de services aident les personnes ou les familles à risque d’itinérance, de problèmes de santé mentale, de violence ou d’abus. Les participants ont affirmé que ce programme est un bon exemple de collaboration qui pourrait être utilisé ailleurs.

Le projet des équipes de soutien du centre Thunderwing au Manitoba est un autre exemple de réussite. L’initiative de bien-être et de sécurité communautaire Block by Block pilote ce projet, qui contribue à rendre deux des quartiers North End de Winnipeg plus sécuritaires. Les équipes de quartier indiquent aux familles les ressources qu’elles peuvent utiliser pour prévenir ou régler une crise familiale. Intervenir rapidement et sensibiliser les gens rapidement au niveau régional incitent à l’action.

Le Tribunal communautaire du mieux-être a été établi au Yukon en 2007 et était le premier de son genre au Canada. Le Centre de mieux-être de Justice, créé en 2010, fournit d’autres services. Les participants ont affirmé que le Tribunal et le Centre ont tous deux énormément aidé les délinquants. Le traitement est basé sur la situation de chaque personne.

Au Manitoba, deux procureurs de la Couronne ont mis sur pied un tribunal communautaire informel à Winnipeg avec l’aide de partenaires provenant du système de justice pénale et de l’extérieur. Un juge mène les audiences. Elles peuvent faire intervenir des membres de la collectivité comme des aînés, du personnel des refuges pour itinérants ainsi que des praticiens du domaine de la santé mentale. Tout le monde doit convenir de l’approche et le tribunal tentera de résoudre les problèmes sur-le-champ. Le tribunal n’a aucune compétence formelle, mais les procureurs tentent de trouver des façons de rendre le processus officiel.

En Ontario, le tribunal Gladue de Toronto, situé au palais de justice de l’ancien hôtel de ville, a aidé certains accusés autochtones à obtenir des peines qui n’emportent pas l’emprisonnement. Cela découle d’un changement apporté en 1996 au Code criminel qui oblige les tribunaux à envisager toutes les solutions de rechange raisonnables à l’emprisonnement lorsqu’ils déterminent la peine. En particulier, les tribunaux doivent porter une attention particulière à la situation des délinquants autochtones. Le tribunal a appliqué ce changement pour la première fois dans l’affaire R c. Gladue. Aujourd’hui, Toronto dispose de plusieurs tribunaux Gladue, qui sont uniquement destinés aux Autochtones. Ces tribunaux instruisent des demandes de mise en liberté sous caution et déterminent la peine à infliger aux Autochtones qui plaident coupables aux accusations. Les peines autres que l’emprisonnement permettent aux délinquants de rester dans des centres de traitement communautaires. 

Les participants ont affirmé qu’un délinquant est moins susceptible de contrevenir à la loi après avoir établi des liens avec sa collectivité. Ils ont également affirmé qu’il fallait remédier au manque de lits de traitement.

Le Tribunal de guérison et du mieux-être d’Elsipogtog au Nouveau-Brunswick, créé en 2012, applique une méthode judiciaire conventionnelle ainsi qu’une méthode visant la guérison et le mieux-être. Cette dernière traite les causes sous-jacentes à la criminalité chez les jeunes et les adultes, y compris les dépendances, l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale ainsi que les troubles de santé mentale. Le traitement est adapté à chaque client et combine une surveillance intensive avec une approche adaptée à la réalité culturelle. Le personnel travaille sur la prévention, la réduction des méfaits et l’établissement de relations. La réussite du programme peut être compléter au cours de six à dix-huit mois pour les jeunes et jusqu’à trois ans pour les adultes.

Selon les participants, plusieurs initiatives collaboratives pilotées par la Colombie-Britannique constituent des pratiques exemplaires.

Les défis

Les participants ont indiqué que, naturellement, les membres du personnel des services de justice, de santé et sociaux travaillent « en vase clos ». C’est-à-dire que les services ne communiquent aucun renseignement entre eux. Les participants ont affirmé que cette façon de procéder représente un obstacle aux interventions efficaces et aux changements. Ils ont affirmé que les approches axées sur la collaboration peuvent permettre de garder les personnes à l’abri du système de justice pénale en les renvoyant à des services avant que leur situation ne les mène à commettre un acte criminel, mais que les membres du personnel des divers secteurs devraient travailler ensemble.

Par exemple, ils ont fait observer que les policiers, à titre de premiers répondants, doivent disposer de solutions lorsqu’ils sont prêts à intervenir. Ils ont affirmé que les policiers doivent être au courant des options et celles-ci doivent être accessibles et disponibles – souvent, seuls les hôpitaux et les postes de police sont ouverts vingt-quatre heures sur vingt-quatre.  

Dans les Territoires-du-Nord-Ouest, les participants ont indiqué que la criminalité découle de la toxicomanie et de traumatismes, qui sont pires lorsque les personnes sont pauvres et ont peu d’éducation. Les programmes qui abordent ces facteurs sont notamment les suivants :

Les participants ont également remarqué que les collectivités isolées comme celles dans les Territoire-du-Nord-Ouest et au Nunavut sont confrontées à des défis uniques. Les participants à la discussion à Yellowknife ont indiqué qu’il est difficile de séparer le délinquant de la victime dans des petites collectivités. Ils ont affirmé que les conjoints masculins sont souvent les seuls soutiens de famille, alors les victimes, habituellement les femmes, peuvent perdre leur famille, leurs amis et leur sécurité financière en dénonçant le crime. À Iqaluit, les participants ont indiqué que les délinquants choisissent d’être traduits en justice et de faire de la prison pour ne pas affronter les membres de la collectivité au moyen de la justice réparatrice. Ils ont affirmé que les délinquants veulent éviter d’assumer la responsabilité de leurs actions et de réparer les dommages qu’ils ont causés.

Améliorations proposées

Les rapports issus de l’arrêt Gladue pourraient également être utilisés pour d’autres groupes marginalisés, comme les Afro-Canadiens. 

La justice réparatrice

Bon nombre de participants ont indiqué qu’il conviendrait de recourir plus souvent aux pratiques de justice réparatrice. La justice réparatrice se définit comme une approche de la justice axée sur la réparation des torts causés par un crime, en tenant le délinquant responsable de ses actes. Elle donne l’occasion aux parties directement touchées par un crime de déterminer leurs besoins et d’y répondre à la suite de la perpétration d’un acte criminel. Elle aide la victime (ou les victimes), le délinquant et la collectivité à trouver une solution qui favorise le rétablissement, la réparation et la réinsertion et qui évite les torts à l’avenir.

Les programmes de justice réparatrice peuvent prendre diverses formes et peuvent être disponibles à différentes étapes du processus de justice pénale, pour des infractions désignées. Les critères et l’accessibilité diffèrent largement en fonction du programme et de l’administration.

Bon nombre de participants ont demandé à la ministre de la Justice d’utiliser plus souvent cette approche au Canada. Ils désiraient voir un changement philosophique dans la façon dont la justice pénale est gérée dans ce pays, lequel est fondé sur des principes de justice réparatrice, comme la responsabilité et le respect des parties, et est adapté aux traumatismes et aux cultures.  Les participants percevaient cette réforme comme une occasion importante de rebâtir le système de justice pénale du Canada, sur le fondement de principes de justice réparatrice.

Pratiques exemplaires

La justice réparatrice est pratiquée partout au Canada, mais son accessibilité et son utilisation varient grandement. La Nouvelle-Écosse est perçue comme un chef de file en la matière au Canada. Le programme de justice réparatrice de la Nouvelle-Écosse a commencé en 1999 et est l’un des programmes les plus importants et les plus complets de ce genre au pays. Le programme est offert aux jeunes âgés de douze ans et plus et s’est récemment élargi aux adultes. Il existe quatre façons, aussi appelées points d’entrée, pour les clients de participer à un programme de justice réparatrice en Nouvelle-Écosse. Les clients peuvent être recommandés :

Les participants à la discussion axée sur la justice réparatrice ont beaucoup appris de l’expérience de création et d’administration du programme en Nouvelle-Écosse. Les participants ont communiqué les pratiques exemplaires et les leçons apprises de leurs expériences.

Ils ont affirmé que la volonté des principaux décideurs de prendre des risques a été la clé pour intégrer les pratiques de justice réparatrice dans le système. Ils ont insisté sur le fait que cette volonté est nécessaire pour convertir une idée « géniale » en une action concrète. Les partenariats communautaires, la capacité et la volonté doivent d’abord exister.

Ils ont fait observer que les collectivités doivent d’abord être habilitées à essayer de nouvelles pratiques et avoir les ressources nécessaires pour les mettre en œuvre parce que les programmes ne peuvent s’appuyer sur des ententes uniquement. Ils doivent disposer de ressources suffisantes – ces programmes ne peuvent être perçus comme la solution de rechange la moins chère au système conventionnel. Ils ont également indiqué clairement que les programmes ne connaîtront aucun succès à moins d’être élaborés et appliqués en fonction de la culture.

De plus, les participants en Nouvelle-Écosse ont indiqué qu’il n’était pas nécessaire d’apporter des modifications législatives pour assurer le succès du programme. Ils ont affirmé que le Code criminel est déjà un « outil flexible », étant donné que les dispositions de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents permettent des mesures de rechange. En Nouvelle-Écosse, ces autres mesures sont la justice réparatrice. Toutefois, d’autres participants au pays ont demandé des modifications législatives.

Certains participants ont souligné que la Nouvelle-Écosse est plus petite comparativement aux autres provinces, tant sur le plan géographique que sur le plan de la population, et estimaient que cela aurait pu faire une différence.

Le succès du programme a engendré une « approche réparatrice » utilisée partout dans la province pour favoriser et soutenir la guérison en contexte non juridique. Les écoles, les milieux de travail et même les responsables d’enquêtes formelles ont appliqué des pratiques réparatrices.

Les défis

Les participants ont affirmé que les initiatives de justice réparatrice partout au pays ont été très fructueuses. Le problème le plus courant est qu’il n’y en a pas assez au Canada. Les participants ont également indiqué que le public comprend très peu la justice réparatrice et n’y est pas vraiment sensibilisé. Ils avaient l’impression que le public perçoit la justice réparatrice comme une approche « indulgente par rapport à la criminalité ». Mais comme l’ont indiqué certains participants, la philosophie est basée en partie sur la responsabilité personnelle.

Bien que le succès de la Nouvelle-Écosse dans ce domaine soit sans précédent, les participants ont souligné certains défis à son succès. Par exemple, il y a un moratoire sur son utilisation en matière d’agression sexuelle, un fait que certains ont considéré comme une occasion manquée.

Dans tout le pays, la justice réparatrice existe souvent pour certaines infractions moindres et non violentes. Les participants voient cela comme une occasion manquée, étant donné que la justice réparatrice est censée être plus efficace dans les cas de violence interpersonnelle et de rupture de relations.

De plus, les participants ont affirmé que le succès du programme de justice réparatrice jusqu’à présent repose sur un groupe restreint d’adeptes occupant une position favorable, plutôt que sur la formation. Ils étaient d’avis que cela n’est pas viable et ont demandé qu’une formation continue soit offerte.

Bon nombre de participants ont convenu que les programmes de justice réparatrice avaient besoin d’un financement supplémentaire et d’une meilleure capacité. Tous s’entendaient pour dire que le financement des programmes doit être assuré pour que ceux-ci soient efficaces.

Améliorations proposées

Les questions relatives aux victimes

En 2015, la Charte canadienne des droits des victimes a été créée et établit les droits des victimes d’actes criminels au niveau fédéral. Malgré cette étape importante, bon nombre de participants étaient d’avis que l’on pourrait faire beaucoup plus pour aider les victimes et les survivants d’actes criminels. Les participants ont affirmé que le système de justice pénale ne les traite pas toujours avec compassion et respect. De plus, les victimes et les survivants d’actes criminels continuent de se sentir exclus du système de justice pénale et de nouveau victimisés par le système.

Pratiques exemplaires

Les participants ont affirmé que les victimes et les survivants d’actes criminels sont souvent les principaux ou les seuls témoins appelés à témoigner dans une affaire. Ainsi, si le système de justice pénale était davantage axé sur les besoins des victimes d’actes criminels, celles-ci auraient davantage confiance dans le système, le taux de signalement augmenterait et l’ensemble des issues dans les affaires pénales serait amélioré. Les participants ont fait part de certaines pratiques exemplaires qui répondent aux besoins des victimes, comme le modèle de Philadelphie qui remédie au faible taux de signalement et au taux élevé de plaintes non fondées dans les cas d’agression sexuelle, et comme les programmes d’exécution des mesures de réparation, comme ceux établis en Saskatchewan et en Nouvelle-Écosse. Le modèle de Philadelphie fait en sorte que des organismes externes réexaminent les cas que les agents ont jugés être non fondés. Cette approche permet de s’assurer que les allégations d’agression sexuelle font l’objet d’une enquête approfondie et adéquate.

Les participants ont ajouté que la justice réparatrice est une exception. Bon nombre de victimes se sont dites plus satisfaites de ce processus que du processus de justice pénale. Il en est ainsi parce que les victimes ont souvent l’impression que la justice réparatrice leur offre un rôle plus significatif et fait appel à un processus plus agréable que la justice conventionnelle. La justice réparatrice permet également aux victimes de poser des questions aux délinquants. En obtenant des réponses à leurs questions, les victimes et les collectivités peuvent guérir. Dans ce contexte, bon nombre de participants ont convenu que la justice réparatrice devrait être présentée comme une option à toutes les victimes d’actes criminels.

De plus, les participants ont indiqué que les programmes de justice réparatrice sont plus fructueux lorsqu’ils appliquent une approche adaptée aux traumatismes et centrée sur les victimes. Un programme de justice réparatrice centré sur la victime, par exemple, évaluerait le délinquant à l’avance pour veiller à ce qu’il soit disposé à assumer sa responsabilité pour les torts causés, pour veiller à ce que la participation volontaire de la victime soit centrale au processus et pour permettre à la victime de choisir la façon de communiquer avec le délinquant (en personne ou par écrit, par exemple) et la durée de sa participation.

Les défis

Les participants ont soulevé un certain nombre de questions qui ont des effets néfastes sur les victimes dans l’ensemble du processus de justice pénale. Selon certains participants, un problème majeur est que les victimes obtiennent peu de renseignements au sujet des enquêtes et des affaires devant les tribunaux. De plus, les participants étaient particulièrement préoccupés par l’absence de services de soutien abordables et opportuns pour les victimes dans l’ensemble du processus de justice pénale, et du manque d’accès à des services de soutien abordables et de longue durée (comme le counseling) après la conclusion de leur dossier dans le système.

Une autre difficulté est la lenteur des tribunaux et l’arriéré des dossiers. Les participants ont affirmé que personne n’indique aux victimes que la procédure a été inscrite au rôle, alors qu’ils doivent tout de même se présenter en cour. Les retards dans le système de justice contribuent également à maintenir un niveau de stress et d’anxiété prolongé chez les victimes. Les victimes ne peuvent trouver la paix lorsque les délinquants ne sont pas tenus responsables, selon certains participants.

Certains participants étaient préoccupés par l’utilisation de la justice réparatrice dans des cas particuliers. Par exemple, dans des affaires de violence conjugale et sexuelle, où il y a un déséquilibre de pouvoir important entre la victime et le délinquant. Selon les participants, pour que la justice réparatrice soit une réussite dans ces cas, le programme de justice réparatrice devrait adopter une approche adaptée aux traumatismes et centrée sur la victime.

Améliorations proposées

Conclusion

Les discussions tenues partout au Canada jusqu’à maintenant ont permis d’exposer de nombreuses idées pour améliorer le système de justice pénale.

Les participants ont mentionné que bon nombre de ces idées sont simples et comportent des étapes financièrement avantageuses qui pourraient réduire la pression sur le système à court terme. Par exemple, les partenariats avec les systèmes sociaux et le secteur privé pourraient mener à la communication de renseignements cruciaux qui rendent le système plus efficace. Investir dans des initiatives de justice réparatrice pourrait empêcher les délinquants de contrevenir à la loi une deuxième fois et réduire les taux d’emprisonnement.

Appliquer des stratégies de justice applicable aux jeunes au système de justice pénale pour adultes pourrait engendrer les mêmes résultats pour les délinquants adultes.

Nous devons encore mettre en œuvre des réformes à plus long terme pour tenir compte de la société très différente d’aujourd’hui.

Dans le cadre des prochaines étapes de l’examen du système de justice pénale, il faudra examiner davantage les principaux thèmes désignés :

Ces cinq thèmes principaux font également partie d’autres séances de communication et de discussion. Certains de ces thèmes sont ajoutés aux principaux résultats de l’examen de la justice pénale. Ces résultats sont notamment les suivants :

Ces discussions ont engendré de précieuses réflexions. Le gouvernement du Canada souhaite remercier les partenaires, les intervenants et les citoyens passionnés qui se sont exprimés durant ces séances. 

Annexe A

Depuis mai 2016, le gouvernement du Canada a tenu une série de tables rondes avec des intervenants de partout au pays pour discuter de la façon dont nous pouvons transformer le système de justice pénale.

Les personnes suivantes étaient présentes :

Tables rondes avec les des intervenants provinciaux et territoriaux

Location Date Thème

Toronto, Ont.

19 et 20 mai 2016

Première table ronde d’experts – échelle nationale

Charlottetown, Î. -P. -É.

8 août 2016

Généralités

Vancouver, C-B.

15 août 2016

Santé mentale et système de justice pénale

Vancouver, C-B.

16 août 2016

Leçons tirées du système de justice pour les jeunes

Edmonton, Alb.

8 septembre 2016

Généralités

Pratiques prometteuses en Alberta

Moncton, N-B.

11 octobre 2016

Tribunaux communautaires du mieux-être

Caution et détention provisoire

Généralités

Halifax, N-É.

14 octobre 2016

Justice réparatrice

Yellowknife, T. N. -O.

5 décembre 2016

Généralités

Réactions sociales à la criminalité

Winnipeg, Man.

6 décembre 2016

Tribunaux communautaires à Winnipeg

Généralités

Iqaluit, Nt

25 janvier 2017

Approche de mieux-être à l’égard de la justice

Généralités

Saskatoon, Sask

16 mars 2017

Combler les lacunes liées aux services fournis aux Autochtones dans le cadre du système de justice pénale

Whitehorse, Yn 

18 avril 2017

Justice collaborative

Généralités

St. John’s, T. - N. -L.

26 avril 2017

Justice réparatrice

Généralités

Toronto, Ont.

26 mai 2017

Généralités

Ottawa, Ont.

1 juin 2017

Enjeux auxquels font face les victimes et les survivants d’actes criminels

Gatineau, QC.

9 novembre 2017

Généralités

Autres échanges

Location Date Thème

Halifax, N-É.

15 octobre 2016

Mi’kmaq-Nouvelle-Écosse-Canada Forum tripartite– Table ronde des comités sur la justice

Toronto, Ont.

10 février 2017

Convictions injustifiées

Vancouver, C-B.

24 mai 2017

Lois régissant le commerce du sexe