Les facteurs de risque pour les enfants exposés à la violence familiale dans le contexte de la séparation ou du divorce
Annexe B
Description détaillée des répercussions de l'exposition à la violence familiale sur les enfants aux différents stades de développement
Il est reconnu que la violence n’a pas les mêmes incidences sur tous les enfants. Des facteurs de résilience individuels, relationnels et contextuels doivent aussi être pris en compte pour comprendre les trajectoires du développement des enfants. En outre, les effets seront généralement plus nocifs dans le cas des enfants qui ont des expériences plus chroniques, plus fréquentes et plus graves de violence et d’adversité au cours de leur enfance (p. ex., les enfants qui sont victimes de plus d’une personne ou qui font l’objet de plusieurs formes de violence) que dans celui des enfants qui ont vécu des expériences de violence moins chroniques et moins fréquentes (Finkelhor, Ormrod et Turner, 2007). Il est important de noter que, peu importe le stade de développement, les enfants exposés à la violence familiale peuvent subir des blessures corporelles parce qu’ils sont la cible des actes de violence ou parce qu’ils tentent d’intervenir dans une dispute violente opposant leurs parents (Wathen, 2012; Fantuzzo et al., 1997; Jaffe et Juodis, 2006).
- Grossesse
La violence familiale pendant la grossesse a des incidences négatives non seulement sur la mère, mais aussi sur l'enfant à naître. Comparativement aux autres mères, les mères qui ont été victimes de violence familiale pendant leur grossesse sont plus susceptibles de donner naissance à leur enfant avant terme ou d'avoir un enfant plus petit ou qui mourra en bas âge (Alhusen, et al., 2013; Shah et Shah 2010). Il peut aussi y avoir des issues néonatales défavorables lorsque la mère consomme des drogues et de l'alcool pour supporter la violence (Alhusen, et al., 2013). Alhusen et ses collègues (2013) ont réalisé une étude sur les effets négatifs de la violence conjugale exercée pendant la grossesse. Selon cette étude basée sur un échantillon de 166 femmes enceintes à faible revenu, une femme sur cinq a signalé avoir subi de la violence physique pendant sa grossesse. Soixante-trois pour cent (63 %) des femmes ayant été battues par leur conjoint ont dit avoir consommé de la marihuana pendant leur grossesse. De plus, les femmes enceintes qui sont victimes de violence familiale sont plus susceptibles d'être tuées par leur conjoint (Campbell et al., 2003; Krulewitch, Roberts, & Thompson, 2003; Shadigian & Bauer, 2004). En raison de ce risque plus grand auquel sont exposées les femmes enceintes, les enfants à naître courent également un risque plus élevé de mortalité.
- Nourrissons, tout-petits et enfants d'âge préscolaire (de 0 à 3 ans)
La petite enfance est une étape critique du développement de l'enfant, car c'est la période pendant laquelle les enfants créent des liens d'affection avec leurs parents (Emanuel, 2004). L'état émotif du parent a une incidence sur l'attachement qui se crée entre lui et son enfant. Par exemple, un parent victime de violence conjugale qui ressent une grande anxiété et qui est stressé peut ne pas être en mesure de créer des liens d'affection sains avec son enfant à cause de l'imprévisibilité de ses émotions et de ses actes (Emanuel, 2004), ce qui peut, au bout du compte, avoir une incidence sur le développement normal de l'enfant et sur la régulation émotionnelle (Levendosky, et al., 2006). En outre, les enfants qui sont maltraités ou qui sont victimes de violence familiale sont plus susceptibles d'avoir des problèmes de comportement et des difficultés sociales, de manifester des symptômes de stress post-traumatique et d'avoir de la difficulté à montrer de l'empathie et à s'exprimer verbalement (Holt, Buckley, & Whelan, 2008; Huth-Bocks et al., 2004). Une irritabilité excessive, une agressivité, des crises de colère, des troubles du sommeil et des troubles émotifs ainsi qu'une forte résistance au réconfort peuvent aussi être présents chez ces enfants (Holt, Buckley, & Whelan, 2008; Osofksy, 1999; Lundy & Grossman, 2005). Des effets psychosomatiques négatifs sont également observés chez les enfants exposés à la violence familiale, comme des maux de tête, des maux d'estomac, de l'asthme, de l'insomnie, des cauchemars et du somnambulisme (Martin, 2002).
Des recherches ont démontré que le stress environnemental, comme la violence conjugale, peut nuire au développement neurocognitif des jeunes enfants. L'exposition à la violence conjugale peut avoir une incidence négative sur le QI et retarder le développement intellectuel des enfants (Koenen et al., 2003). Dans le même ordre d'idées, l'exposition à la violence conjugale et aux mauvais traitements peut susciter une activité neuronale accrue dans le cerveau d'un enfant, semblable à celle relevée chez les soldats exposés à des situations de combat violent (McCrory et al., 2011). Une autre étude a révélé que l'exposition à la violence au cours de l'enfance (c.-à-d. exposition à au moins deux types de violence, notamment la violence conjugale, les mauvais traitements et l'intimidation) est associée à l'érosion accélérée des télomères (des segments protecteurs situés à l'extrémité d'un chromosome d'ADN) qui mène, à l'âge adulte, à des maladies liées à l'âge (Shalev et al., 2012).
Par suite de la reconnaissance des effets de la violence sur le développement des jeunes enfants, des systèmes complets de surveillance de la petite enfance ont été mis en place afin d'assurer des interventions en temps opportun (Hertzman, Clinton, & Lynk, 2011). En 2009, l'Ontario a lancé un bilan de santé amélioré à 18 mois, une consultation médicale qui est susceptible d'être le dernier examen médical régulier avant que l'enfant commence l'école. Un groupe d'experts, dont l'Ontario College of Family Physicians et le ministère des Services à l'enfance et à la jeunesse, a recommandé que des outils normalisés (p. ex., le relevé postnatal Rourke et le questionnaire de dépistage du district de Nipissing) soient utilisés pendant cette visite afin d'encourager une discussion plus large avec les parents sur le développement et l'éducation des enfants et l'accès aux programmes et aux services qui favorisent le développement et l'apprentissage ainsi que l'alphabétisme chez les jeunes enfants (Williams & Clinton, 2011).
- Enfants d'âge scolaire (de 4 à 12 ans)
Les enfants d'âge scolaire ont souvent une sensibilité émotionnelle et des capacités cognitives accrues en raison de leur tendance à mieux comprendre la violence familiale (Holt et al., 2008). Ces enfants développent souvent un raisonnement concernant la violence sur lequel ils se fondent pour tenter de prévoir et de prévenir les mauvais traitements (Holt et al., 2008). Le risque de développer des réflexes antisociaux est élevé, car ils ont tendance à se rendre responsables du comportement de leur parent (Cunningham & Baker, 2004; Holt et al., 2008). Certains de ces enfants agissent ainsi afin de faire face à la violence, mais ils intériorisent alors souvent des comportements d'humiliation, de honte, de culpabilité, de méfiance et de faible estime de soi (Avanci et al., 2012). De plus, ils sont souvent dans un état d'anxiété et de crainte à cause de la désorganisation de la vie familiale découlant de la violence familiale (Jaffe et al, 2012). Les enfants peuvent ne pas savoir avec certitude quand rechercher la sécurité auprès de leur famille et quand s'éloigner en cas de violence.
Les enfants d'âge scolaire qui sont victimes de mauvais traitements ont habituellement une plus grande difficulté à établir et à entretenir des contacts humains, ce qui peut les amener à réagir de manière inappropriée (de manière trop agressive ou trop passive) aux situations sociales (Bauer et al, 2006; Cunningham & Baker, 2004). Malheureusement, ces réactions antisociales peuvent aussi les amener à extérioriser ou à intérioriser des comportements comme la difficulté de respecter les règlements de l'école qu'ils fréquentent, le fait d'entretenir de mauvaises relations avec leurs pairs, les passages à l'acte, la dépression et l'intimidation (Avanci et al., 2012; Lundy & Grossman, 2005). Selon Moore et Pepler (1998), les enfants victimes de mauvais traitements adoptent deux comportements en ce qui concerne l'école : soit leur aptitude aux études est compromise en raison de leur incapacité à se concentrer, à leur manque d'énergie et à leur absentéisme, soit ils se donnent entièrement aux études dans le but de se changer les idées ou d'éviter de rentrer à la maison. Il est des plus important de tenir compte du fait que, comme chaque enfant est différent, leurs façons d'intérioriser ou d'extérioriser des comportements peuvent varier. Ce ne sont pas tous les enfants victimes de mauvais traitements qui agissent de manière à justifier une intervention clinique (Kernic et al., 2003).
- Adolescents (de 13 à 19 ans)
Comparativement aux enfants d'âge scolaire, les adolescents veulent avoir une plus grande indépendance et faire leurs propres choix. Dans une certaine mesure, ils ont la liberté de prendre un certain nombre de décisions (positives ou négatives) pour eux-mêmes, notamment quitter une maison où règne la violence, demander l'aide d'autres membres de la famille, se livrer à des activités antisociales avec des pairs ou faire une fugue. Cependant, malgré cette liberté nouvellement acquise, les adolescents vivant dans une famille marquée par la violence sont souvent limités par des obstacles semblables à ceux qui touchent les enfants d'âge scolaire ou par des problèmes encore plus sévères, par exemple une dépression, des idées suicidaires, de l'angoisse, de l'inquiétude, de l'agressivité et le retrait social (Avanci et al., 2012; Holt et al., 2008; Jaffe et al., 2012).
Les adolescents entrent dans une période où les effets de la violence conjugale et des mauvais traitements se font sentir dans leur vie personnelle et sociale. Comme nous l'avons mentionné précédemment, l'expérience de la violence familiale peut entraîner des comportements affectifs mésadaptés, dont le plus courant est le fait d'éviter tout attachement (éviter les parents; ne pas rejeter l'attention, mais ne pas la rechercher non plus; traiter le parent/fournisseur de soins comme un étranger) (Levendosky, Huth-Bocks, & Semel, 2002). En conséquence, ces adolescents ont de la difficulté à nouer et à entretenir des relations intimes saines. L'adolescent qui grandit au sein d'une famille où règne la violence peut avoir une perception faussée des relations intimes et développer une méfiance dans le cadre de ces relations (Levendosky, Huth-Bocks, & Semel, 2002). Non seulement ces adolescents ressentent un sentiment de méfiance, mais ils sont davantage susceptibles de commettre des actes violents en s'en prenant à des pairs ou à leur partenaire intime (Wolfe, Wekerle, Scott, Straatman, & Grasley, 2004). De plus, les adolescents qui ont été maltraités pendant leur enfance sont souvent incertains à l'égard de leur capacité de se maîtriser et de ne pas se montrer violents dans le cadre de leurs relations intimes (Goldblatt, 2003). Leur comportement peut être très différent selon qu'ils s'identifient au parent violent ou au parent victime.
Pour surmonter leurs expériences de violence, il arrive que des adolescents consomment de l'alcool et des drogues illicites ou se retirent des situations de violence physiquement ou mentalement (Cunningham & Baker, 2004; Jaffe et al., 2012). Ils peuvent aussi développer une colère intense à cause de la situation et essayer de la prévenir ou d'intervenir (Hester, Pearson, & Harwin, 2000; Holt et al, 2008). En règle générale, l'adolescent adoptera l'un des deux comportements suivants : il essaiera de réduire le conflit en calmant les personnes concernées ou en leur changeant les idées, ou bien il y participera physiquement afin de protéger les victimes (Goldblatt & Eisikovits, 2005; Jaffe et al., 2012). Si son intervention peut soulager les victimes sur-le-champ, l'adolescent peut aussi, à long terme, souffrir de troubles émotifs graves parce qu'il a dû devenir un adulte responsable à un jeune âge et qu'il n'a pas franchi en conséquence certains stades normaux de son développement (Holt et al., 2008).
- Adultes
Selon la théorie de la tranmission intergénérationnelle de la violence établie depuis longtemps, les enfants maltraités sont susceptibles de devenir de futurs agresseurs violents dans leur propre famille (Curtis, 1963). Smith et ses collègues (2011) ont entrepris en 1987 une étude longitudinale visant à évaluer cette théorie en examinant le cas de près de 1 000 adolescents. Les résultats ont démontré que ceux qui avaient été exposés à la violence conjugale pendant leur adolescence étaient plus susceptibles de commettre des actes de violence à l'égard de leur partenaire au début de leur vie adulte. De plus, ceux qui ont vécu une relation marquée par la violence au début de leur vie adulte étaient plus susceptibles d'entretenir une relation marquée par la violence avec leurs partenaires plus tard au cours de leur vie. Un certain nombre d'enfants victimes de violence familiale choisissent plutôt l'évitement (éviter les situations stressantes ou sortir de telles situations). Ceux qui continuent à le faire lorsqu'ils sont adultes sont plus susceptibles d'avoir des relations caractérisées par la violence avec leurs partenaires, car ils n'ont peut-être pas développé des mécanismes d'adaptation leur permettant de régler les problèmes (Hezel-Riggin & Meads, 2011).
Les personnes qui ont été victimes de violence familiale pendant leur enfance et leur adolescence sont également plus susceptibles de montrer des symptômes de dépression, d'anxiété, de dissociation et de stress post-traumatique au cours de leur vie adulte (Fijiwata, Okuyama, & Izumi, 2012; Hetzel-Riggin & Meads, 2011). Les symptômes de dépression et de dissociation des adultes ayant survécu aux mauvais traitements dont ils ont été l'objet pendant leur enfance sont associés à une baisse de la qualité du rôle parental (Fijiwata et al., 2012). En particulier, à cause de leurs problèmes de santé mentale, les mères qui ont été maltraitées pendant leur enfance sont moins susceptibles de complimenter leurs enfants que les autres mères. En outre, l'exposition à la violence sexuelle pendant l'enfance est associée à des problèmes de relation interpersonnelle, d'éducation et de comportement criminel (Wathen, 2012). D'autres problèmes de santé physique peuvent se manifester à long terme, par exemple des maladies du foie, des maladies transmises sexuellement et des maladies cardiaques (Wathen, 2012).
- Filicide
Un filicide (le meurtre d'un enfant par l'un de ses parents) survient dans une petite proportion des cas de violence familiale. La proportion de pères qui commettent un filicide est égale ou légèrement supérieure à celle des mères qui commettent ce crime. Les filicides sont associés à des taux élevés de suicide, à des facteurs de stress importants, à un manque de soutien social, à l'isolement social et à des antécédents de mauvais traitements pendant l'enfance (Bourget, Grace, & Whitehurst 2007). Les filicides commis par les pères et les mères sont différents, bien que certains facteurs de risque soient identiques dans les deux cas. Le type de mauvais traitements causant la mort d'un enfant le plus fréquent est la violence physique grave causant la mort (UNICEF 2003; Baralic et al. 2010; Lee & Lathrop 2010; Kajese et al. 2011; Sidebotham et al. 2011). La mort est généralement alors causée par une blessure à la tête résultant d'une agression violente (p. ex. l'enfant est secoué ou est blessé par suite d'un impact), mais aussi par des coups, des coups de couteau et la strangulation alors que l'agresseur n'a manifestement pas l'intention de tuer l'enfant. Ce type de filicide est surtout commis par les pères. Ces derniers sont également responsables d'environ la moitié des filicides commis délibérément (Baralic et al., 2010; Sidebotham et al., 2011). Les familicides (tentatives de tuer plusieurs membres d'une même famille) et les filicides commis délibérément par un parent pour faire souffrir l'autre parent et lui causer un préjudice sont beaucoup plus souvent commis par les pères et surviennent dans le contexte de la violence conjugale (Finkelhor et Ormrod, 2001a; Liem et Koenraadt, 2008). Entre 2002 et 2007, il y a eu en Ontario 23 pères qui ont tué leur enfant dans le contexte de la violence familiale (Ontario CEDVF, 2008). Bien que les recherches indiquent que la plupart de ces filicides sont commis pour se venger de l'autre parent (Ewing, 1997; Jaffe et al., 2012), certains enfants sont parfois tués indirectement parce qu'ils ont essayé de protéger l'autre parent pendant un incident violent; leur mort peut aussi survenir dans le cadre d'un familicide, lorsqu'un parent – le plus souvent le père – tue plusieurs membres de sa famille dans le but de continuer à exercer un contrôle et de prévenir la dislocation de la famille (Jaffe et al., 2012; Jaffe & Juodis, 2006; Websdale, 1999). En outre, dans les cas d'homicide au sein de la famille dont l'enfant n'est pas la victime, celui-ci peut subir les répercussions émotives, psychologiques et physiques de la perte de l'un ou de ses deux parents et de l'exposition à des actes de violence terribles (Hamilton, Jaffe, & Campbell, 2013).
En revanche, les infanticides (meurtres d'un enfant âgé de moins d'un an) sont plus souvent commis par les mères (Liem & Koenraadt, 2008). Il semble y avoir deux principaux profils de risque en ce qui concerne les infanticides dans les nations développées. Le premier est celui de femmes jeunes et célibataires qui ont une grossesse non planifiée et non désirée, qui n'ont pas le soutien de leur famille et qui ont eu un développement compliqué et problématique (Porter & Gavin 2010; Shelton et al., 2011). Un deuxième groupe d'infanticides est commis par des mères chez qui sont présents relativement peu des facteurs de risque associés au premier groupe, mais qui ont de graves problèmes de santé mentale. Il semble que l'augmentation du risque causée par différentes maladies mentales (p. ex. la dépression postérieure à l'accouchement, le trouble bipolaire) chez les femmes dans les jours et les mois suivant la naissance d'un enfant joue un rôle important dans un grand nombre de décès d'enfant en bas âge.
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