Les facteurs de risque pour les enfants exposés à la violence familiale dans le contexte de la séparation ou du divorce
1. La prévalence et l’impact de la violence familiale pendant la séparation et le divorce des parents
1.1 La prévalence
Au cours de la dernière décennie, la violence familiale a été décrite de plus en plus souvent comme un fléau qui afflige les enfants et les familles du monde entier (Perry, 2009). Selon l’Étude canadienne sur l’incidence des signalements des cas de violence et de négligence envers les enfants 2008 (ÉCI-2008), étude nationale qui présente une estimation des signalements de cas de violence faite aux enfants au Canada à la lumière des données fournies par les autorités de protection de l’enfance, environ 235 842 enquêtes ont été menées au Canada en 2008 au sujet d’allégations de mauvais traitements infligés aux enfants et plus du tiers des allégations étaient fondées (Trocmé, 2011). Parmi les types de mauvais traitements faisant partie de ces cas, mentionnons l’exposition à la violence conjugale (34 %), la négligence (34 %), la violence physique (20 %), la violence psychologique (9 %) et la violence sexuelle (3 %). Plusieurs formes de mauvais traitements ont été établies dans 18 % des cas (Ma et al., 2013).
Dans une petite proportion des cas de mauvais traitements infligés aux enfants, la violence peut dégénérer jusqu’au filicide (père ou mère qui tue son enfant). En 2010 au Canada, 3,8 enfants et adolescents pour chaque tranche d’un million d’enfants et d’adolescents ont été victimes d’homicide (Statistique Canada, 2012). Au Canada, entre 2000 et 2010, plus de 90 % de tous les homicides d’enfant ont été commis par des parents (Statistique Canada, 2011). Les enfants les plus susceptibles de se faire tuer par un membre de leur famille étaient des nourrissons de moins d’un an, suivis d’enfants âgés d’un an à trois ans (Statistique Canada, 2013). Les nourrissons de moins d’un an en question ont été tués le plus souvent par suite du syndrome du bébé secoué (Statistique Canada, 2013). La volée de coups, la strangulation et la suffocation étaient les méthodes le plus souvent employées contre les enfants âgés d’un an à six ans. Les adolescents âgés de 12 à 17 ans étaient plus susceptibles d’être tués par un membre de la famille qui a utilisé un instrument perforant. Les nourrissons et les jeunes enfants ont davantage tendance à être tués par des mères ayant des problèmes de santé mentale, y compris des problèmes de dépression survenant après l’accouchement, tandis que les pères sont plus enclins à tuer des enfants dans le contexte d’incidents répétés de violence conjugale et d’une vengeance exercée à l’endroit de leur partenaire qui a décidé de se séparer (Bourget et al 2007).
Il est généralement admis que les taux déclarés de violence familiale représentent une sous-estimation de la réalité. Cette sous-estimation s’explique par plusieurs facteurs, dont la sous-déclaration, l’absence de reconnaissance de la violence, le silence des enfants ainsi que le manque d’uniformité sur le plan des définitions concrètes de l’exposition de l’enfant à la violence familiale (Jaffe, Wolfe, & Campbell, 2012).
1.2 Les préjudices liés à la séparation ou au divorce
La séparation ou le divorce peut atténuer ou aggraver les préjudices auxquels les enfants sont exposés. Dans certains cas, la séparation peut permettre à l’enfant qui vit avec le parent protecteur de bénéficier de la sécurité et d’un certain soutien. Il appert de certaines recherches que la cessation de la violence peut mener à une diminution des problèmes psychologiques et comportementaux qu’éprouvent les enfants (Jaffe, Wolfe & Wilson, 1990; Jaffe, Poisson & Cunningham, 2001). Dans d’autres circonstances, selon l’intervention du système judiciaire et des organismes communautaires, l’enfant devra peut-être passer du temps avec un parent violent sans surveillance. La séparation peut déclencher une longue période de conflits et poursuites au sujet de la garde et du droit d’accès, de la pension alimentaire et d’autres questions d’ordre financier (Jaffe, Wolfe & Campbell, 2012).
Bien que la plupart des dossiers de séparation et de divorce se règlent autrement, les parents qui s’affrontent dans un litige extrêmement conflictuel éprouvent bien souvent des problèmes de violence et de santé mentale (Johnston, Roseby & Kuehnle, 2009). L’exposition continue des enfants à ce conflit, voire à de nouvelles menaces de violence, ne fait qu’exacerber les problèmes d’adaptation des enfants (Jaffe et al, 2008). L’impact des mauvais traitements infligés aux enfants peut dépendre en partie de la gravité et de la fréquence des actes de violence auxquels ils sont exposés ainsi que de la mesure dans laquelle la séparation aggrave la violence ou ouvre la voie à la sécurité et à un début de guérison. Selon les recherches, certains enfants peuvent subir plusieurs formes de violence pendant la période de séparation et d’exposition à la violence familiale continue (Johnston, Roseby & Kuehnle, 2009). Il peut aussi y avoir des cas qui se règlent de façon moins conflictuelle en apparence parce qu’un des parents hésite à révéler la situation de violence conjugale ou de violence faite aux enfants, par crainte de représailles de la part de l’auteur.
Les enfants risquent aussi d’être tués lorsqu’il y a des situations de violence conjugale au cours de la séparation de leurs parents. La séparation peut représenter la période la plus dangereuse non seulement pour les adultes victimes de violence conjugale, mais aussi pour les enfants. La séparation augmente le risque d’homicide conjugal (fait de tuer un partenaire intime) ainsi que le risque de filicide par vengeance (meurtre délibéré d’un enfant pour infliger des souffrances à l’autre parent) ou de familicide (fait de tuer plusieurs membres d’une même famille). Le familicide peut se produire lorsque l’agresseur est très contrôlant, tout en étant très dépendant à l’endroit des membres de la famille (Ewing, 1997). Selon certains auteurs, l’agresseur peut se sentir assailli par un sentiment de honte et par la conviction qu’il n’a pas joué le rôle attendu de lui comme époux et père (Websdale, 2010).
[traduction] Si l’agresseur estime que la domination qu’il exerce sur la famille est en péril, souvent parce que des membres de la famille menacent de partir ou de signaler à d’autres les mauvais traitements qu’il leur inflige, il se tournera peut-être vers l’homicide dans une tentative desespérée de préserver son contrôle et d’empêcher une rupture complète de la cellule familiale. (Websdale, 2010, page 135)
1.3 L'impact de l'exposition à la violence familiale pour les enfants
L’exposition à la violence familiale peut avoir en soi de nombreuses répercussions néfastes pour les enfants et les adolescents, notamment des problèmes psychologiques et comportementaux qui persistent tout au long de la vie de ceux-ci. De nombreux ouvrages sur le sujet mettent en lumière les préjudices que les enfants risquent de subir lorsqu’ils grandissent dans un environnement caractérisé par la violence conjugale (Wolfe, Crooks, Lee, McIntyre & Jaffe, 2003; Jaffe, Wolfe & Campbell, 2012). Le tableau 1 présente un aperçu des préjudices pouvant découler de la violence familiale, à chaque stade du développement. Pour une description plus détaillée des répercussions, voir l’annexe B.
Aperçu des préjudices pouvant découler de la violence familiale
Nourrissons, tout-petits et enfants d’âge préscolaire (de 0 à 3 ans)
- mortalité infantile, naissance prématurée, faible poids à la naissance
- issues néonatales défavorables découlant du fait que la mère consomme de la drogue pour supporter la violence
- le parent qui subit de la violence développe un attachement malsain à l’endroit de l’enfant en raison du stress et de l’anxiété accrus qu’il éprouve
- problèmes de comportement
- difficultés de nature sociale, y compris la difficulté à contrôler les émotions
- symptômes du TSPT
- problèmes liés à l’empathie et aux habiletés verbales
- irritabilité excessive, agressivité, crises de colère, troubles du sommeil et troubles émotionnels
- résistance au réconfort
- effets psychosomatiques défavorables
- effets défavorables sur le développement neurocognitif
- filicide
- blessures corporelles
Enfants d'âge scolaire (de 4 à 12 ans)
- développement de réflexes antisociaux en réaction à la violence
- sentiment de culpabilité
- comportements d’intériorisation (p. ex. humiliation, honte, culpabilité, méfiance, perte d’estime de soi)
- angoisse et crainte
- problèmes liés aux habilités sociales
- problèmes liés au contrôle des émotions
- relations négatives avec les pairs
- dépression
- intimidation
- aptitude aux études compromise
- filicide
- blessures corporelles
Adolescents (de 13 à 19 ans)
- dépression
- idées suicidaires
- angoisse
- agressivité
- retrait social
- attachements malsains menant à des difficultés à créer des relations intimes saines
- perceptions faussées des relations intimes
- méfiance
- risque accru d’adopter des comportements violents envers les pairs ou les partenaires intimes
- abus d’alcool ou d’autres drogues
- problèmes liés à la colère
- détresse émotive à long terme
- filicide
- blessures corporelles
- problèmes liés au contrôle des émotions
Impact à l'âge adulte
- risque de commettre des actes de violence dans leur propre famille
- dépression
- angoisse
- dissociation
- TSPT
- problèmes liés au contrôle des émotions
- diminution de la qualité parentale
- faible rendement académique
- maladies chroniques (p. ex. maladie du foie, maladies transmises sexuellement)
- troubles du sommeil
- abus d’alcool ou d’autres drogues
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