Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 3
Documenter la croissance des ressources pour les victimes/survivants d’actes de violence
Par Myrna Dawson, Professeure agrégée et titulaire de la chaire de recherche du Canada sur les politiques publiques en matière de justice pénale, Université de Guelph
Introduction
Au cours des dernières décennies, les victimes d’actes criminels ont pris conscience de leurs droits et des ressources qui sont à leur disposition, grâce principalement aux mouvements de défense des droits des victimes et de lutte contre la violence faite aux femmes.Durant la même période, la quantité et les types de ressources à la disposition des victimes/survivants d’actes criminels ont augmenté de façon importante. Étant donné que le nombre de victimes/survivants d’actes criminels cherchant à obtenir du soutien augmente alors que les fonds sont limités, il devient de plus en plus difficile d’attribuer les ressources disponibles de façon à répondre efficacement à l’augmentation de la demande. S’ajoute à ce défi le fait que malgré la croissance des ressources dans la plupart des pays industrialisés, très peu d’efforts ont été fait en ce qui concerne documenter la nature de ces ressources, où celles-ci se trouvent et à qui elles profitent.
Cette lacune est importante car les victimes/survivants d’actes criminels n’ont pas tous accès de façon égale aux ressources. Pour pouvoir déterminer et documenter quels groupes et quels secteurs sont mal desservis, il faut des renseignements cohérents et détaillés sur quels services sont offerts, où ceux-ci sont offerts et à qui. Ces renseignements contribueraient à mieux éclairer les décisions d’intérêt public concernant la distribution et l’attribution des ressources destinées aux victimes et à mieux comprendre les répercussions qu’ont ces décisions sur les victimes/survivants d’actes criminels et sur les taux de criminalité et de violence dans les collectivités.
Au Canada, la première Enquête nationale sur les services aux victimes a été menée en 2003; puis elle a été répétée en 2005-2006 et en 2008. Si on se concentre sur le profil instantané d’une journée précise de l’année, les conclusions des deux premiers cycles[1] de l’enquête ont révélé que les victimes/survivants d’actes de violence et les femmes représentaient la majorité des personnes auxquelles ont avait offert des services (72 % et 68 % respectivement, au cours du cycle le plus récent) (Brzozowski, 2008, p. 36). Parmi les femmes victimes de violence qui avaient cherché à obtenir de l’aide, près de la moitié avaient été agressées par leur partenaire intime actuel ou ancien, et près d’un quart, par un membre de leur famille. Cette enquête nationale représente un premier pas important vers le comblement des lacunes dans les renseignements sur les ressources disponibles au pays et donne sans doute au Canada une longueur d’avance sur les autres pays en ce qui concerne la documentation des ressources pour les victimes.
La conclusion selon laquelle les femmes victimes d’un partenaire intime ou de violence familiale représentent une proportion importante des personnes bénéficiaires des services d’aide aux victimes permet également de comprendre pourquoi la plupart des recherches effectuées jusqu’à maintenant, principalement dans d’autres pays, se sont concentrées surtout sur la documentation des ressources liées à la violence familiale ou à la violence faite aux femmes et sur l’étude de l’incidence de ces ressources sur les taux de violence. Ces tendances peuvent également être en partie attribuables au fait que la violence exercée à l’encontre des femmes, particulièrement par des partenaires masculins, a été un des points principaux sur lesquelles se sont concentrés des initiatives touchant les lois, les politiques et les programmes dans bon nombre de pays qui reconnaissent aujourd’hui qu’historiquement, ces victimes/survivantes n’ont pas eu accès de façon égale aux ressources ou à la justice en général (Fineman et Mykitiuk, 1994).
Étant donné l’importance qu’on accorde à ce sujet, les résultats de deux corpus de recherche sont décrits brièvement ci-dessous et sont suivis d’une discussion des défis liés à la documentation systématique de cette information, même lorsqu’on ne se concentre que sur un seul type d’acte criminel ou un seul groupe de victimes/survivants. Sans ces recherches, les fournisseurs de services, les décideurs et les chercheurs ne disposent pas des renseignements dont ils ont besoin pour déterminer si les ressources sont distribuées de façon égale à toutes les victimes et pour comprendre le rôle que jouent ces ressources dans la protection des victimes et la prévention de futurs actes de violence.
Ressources affectées à la violence familiale et homicide commis par un partenaire intime
Un indicateur du niveau de sécurité des victimes qui a fait l’objet de beaucoup de recherches est le niveau de violence mortelle ou d’homicide au sein de la société. En particulier, les baisses dans le nombre d’homicides commis par un partenaire intime qui ont récemment été documentées dans plusieurs pays ont mené à des efforts intenses pour découvrir, au moyen d’un cadre de réduction de l’exposition, les facteurs qui contribuent peut-être à cette diminution (Dawson et coll., 2009; Dugan et coll., 1999, 2003). En s’appuyant sur la conclusion constante selon laquelle la violence chronique dans les relations précède souvent les meurtres commis par un partenaire intime, quel que soit le sexe de la victime, ce point de vue soutient que les facteurs qui aident les partenaires maltraités à quitter en toute sécurité des relations violentes ou à éviter en premier lieu de telles relations devraient réduire les taux de violence et d’homicide entre partenaires intimes (Dugan et coll., 1999). La disponibilité croissante de ressources affectées à la violence familiale constitue l’une des trois tendances sociales qui se dessinaient en même temps que diminuait le nombre d’homicides entre partenaires intimes, ce qui a sans doute également contribué à réduire l’exposition à l’homicide commis par un partenaire[2].
Des chercheurs américains se sont interrogés sur la possibilité qu’il y ait un lien entre l’augmentation des ressources et la diminution des taux de violence, et leur étude a révélé une tendance inattendue. Cette recherche portait surtout sur l’existence de lois d’État liées à la violence familiale, sur les politiques des services de police et de poursuite locaux et sur l’existence de numéros d’urgence et de refuges. Les résultats de l’étude indiquent que pendant que les ressources affectées à la violence familiale augmentaient au cours des dernières décennies, le risque d’homicide d’une partenaire intime est demeuré stable ou n’a diminué que légèrement, tandis que le risque d’homicide d’un partenaire intime a diminué de façon significative (Browne et Williams, 1989, 1993; Dugan et coll., 1999). Des tendances similaires ont été observées en Angleterre, au pays de Galles et au Canada (Aldridge et Browne, 2003; Dawson et coll., 2009; Ogrodnik, 2008). Ces conclusions peuvent être perçues d’une part comme étant positives; on pourrait les interpréter comme indiquant que les ressources accrues offrent aux femmes des solutions de rechange à la violence mortelle envers leurs agresseurs pour échapper à la victimisation. Cependant, les chercheurs américains ont aussi conclu que certaines ressources peuvent en fait augmenter le risque pour certaines femmes, probablement en raison des représailles violentes exercées par le partenaire masculin et de l’attention insuffisante accordée à la protection des femmes dans les mesures d’intervention (Dugan, 2003; Dugan et coll., 2003). Les résultats de l’étude ont démontré, en outre, que les ressources ont des répercussions différentes selon le type de victimes, en fonction notamment de leur race ou de leur origine ethnique ou de la nature des relations intimes qu’elles entretiennent avec leur agresseur (p. ex. mariés ou non mariés). En dépit de ces variations, Dugan et ses collaborateurs (2003) ont conclu que, la plupart du temps, les collectivités qui disposent de plus de ressources affichent des taux de violence plus bas. Si cette étude fait état d’une corrélation entre les ressources et les taux de violence plutôt que d’un rapport de cause à effet, les conclusions de celle-ci ont néanmoins des répercussions pour les victimes/survivants d’actes criminels qui n’ont pas accès de façon égale aux ressources, une situation qui a été étudiée et documentée par un second corpus de recherches menées au Royaume-Uni.
Répartition géographique des services de soutien offerts aux femmes victimes de violence
On constate un regain d’intérêt pour la géographie de la criminalité, ou criminologie environnementale, qui attire l’attention sur le fait que les actes criminels ne sont pas répartis de façon uniforme, mais sont plutôt concentrés dans des secteurs particuliers (p. ex. Brantingham et Brantingham, 1981). Par exemple, Statistique Canada a récemment publié plusieurs documents utilisant le Système d’information géographique (SIG) pour examiner les caractéristiques des quartiers et la répartition de la criminalité (p. ex. Fitzgerald et coll., 2004; Savoie, 2008). Par ailleurs, les recherches effectuées par le passé et à l’heure actuelle se sont peu intéressées sur la façon dont la disponibilité des ressources pour les victimes/survivants d’actes criminels est peut-être aussi concentrée dans des secteurs ou des régions géographiques particulières, ce qui peut aussi, à son tour, avoir des répercussions sur la répartition et le taux de criminalité et de violence dans ces secteurs. La pénurie de la recherche dans ce domaine est en partie attribuable au manque de données disponibles permettant d’examiner ces questions. Des études menées au Royaume‑Uni ont orienté la recherche dans une direction positive en ce qui concerne obtenir une certaine compréhension de la manière dont sont réparties les ressources dans les administrations, en utilisant le SIG pour recenser la présence ou l’absence de ressources pour les victimes, ce qui a permis de voir quels secteurs sont clairement mal desservis (Coy et coll., 2007; Coy et coll., 2008).
Cette étude, qui met l’accent sur les services spécialisés de soutien aux femmes victimes de violence, indique que « l’accès au soutien est un peu comme une loterie fondée sur le code postal » pour les victimes/survivantes de violence (Coy et coll., 2007, p. 6). En bref, certaines victimes/survivantes, selon l’endroit où elles vivent, ont accès à des services adéquats, tandis que d’autres n’ont accès qu’à peu ou pas du tout de services. Si cela peut sembler évident pour bon nombre de personnes qui œuvrent dans ce domaine et qui sont conscients de la répartition souvent inégale des ressources, la capacité de documenter cet état de fait et d’en fournir la preuve a présenté un certain défi. Cette étude a pu démontrer clairement, sous forme graphique, qu’un tiers des administrations au Royaume‑Uni n’offraient aucun service de soutien spécialisé aux femmes victimes de violence. Les chercheurs ont constaté, en outre, que la plupart des femmes n’avaient aucun accès aux centres d’aide aux victimes de viol, que moins d’un quart d’entre elles avaient accès à un service quelconque spécialisé dans la violence sexuelle, et que la région désservie par les centres d’aiguillage pour victimes d’agression sexuelle était minimale. Moins d’une administration sur dix offraient des services spécialisés aux femmes noires ou de minorités ethniques; presque un tiers des administrations n’offraient aucun service d’aide aux victimes de violence familiale; et seulement quelques administrations disposaient de services destinés aux femmes se livrant à la prostitution. Les auteurs ont conclu que peu de secteurs pouvaient vraiment prétendre offrir une prestation de services suffisante et que plusieurs secteurs étaient particulièrement mal desservis. Des améliorations ont été observées lors d’un suivi effectué en 2008; toutefois, une administration sur quatre n’offrait toujours pas de services de soutien spécialisés, les femmes noires ou de minorités ethniques étaient toujours mal desservies, la plupart des nouveaux services étaient prévus par la loi (c.‑à‑d. surtout liés au système de justice pénale), tandis que les niveaux de prestation de services dans le secteur tertiaire et bénévole étaient restés les mêmes ou avaient diminué (Coy et coll. 2008, p. 7).
Défis inhérents à la documentation des ressources pour les victimes/survivants
La recherche susmentionnée suggère qu’il est possible de documenter les ressources pour les victimes/survivants et d’en examiner les répercussions sur la réduction des taux de violence pour des types particuliers de victimes/survivants. Ces études mettent également en lumière les difficultés inhérentes à la documentation. Par exemple, on a soutenu que l’étude américaine qui démontrait que les initiatives conçues pour mieux protéger les femmes offraient en fait davantage de protection aux hommes pouvait être le résultat de recherches qui se sont appuyées sur des données limitées ou inadéquates pour établir l’existence de ressources en matière de violence familiale (DeLeon‑Granados et Wells, 2003). En fait, Dugan et ses collaborateurs (1999, 2003) ont reconnu eux-mêmes la rareté de l’information disponible. On pourrait soutenir à peu près la même chose au sujet de la disponibilité des données qui documentent de façon plus générale les ressources pour les victimes/survivants, ce qui est en générale le cas dans la plupart des pays qui ont connu une croissance rapide de leurs ressources depuis le milieu des années 1970. Si la collecte de tels renseignements représente une tâche complexe et de grande envergure étant donné les nombreux changements qui sont survenus, les différences qui existent entre les administrations et la nature fragmentée et peu fiable des données existantes, par exemple, cette information est essentielle si nous voulons comprendre les répercussions relatives de ces tendances et d’autres tendances sociales sur les expériences de victimisation des femmes et des hommes. Pour commencer à combler cette lacune, il faut d’abord passer par les trois étapes suivantes : définir l’expression « ressources pour les victimes »; déterminer quelles sont les mesures appropriées de prestation des ressources; et établir les besoins et les sources de données appropriées.
Définir les « ressources pour les victimes/survivants »
Il existe aujourd’hui une multitude de nouvelles initiatives qui sont associées à des ressources de longue date et qui s’adressent à divers types de victimes/survivants. Dans le domaine de la violence faite aux femmes, les centres d’aide aux victimes d’agression sexuelle et de viol et les refuges qui sont issus des mouvements de lutte contre la violence faite aux femmes des années 1970 sont des ressources aisément identifiables. Les tribunaux spécialisés pour l’instruction des causes de violence conjugale et les unités de police spécialisées qui ont étés mis en place récemment dans certaines administrations peuvent également servir d’exemples de ressources pour les victimes/survivants. S’il ne faut pas négliger l’importance des initiatives les plus évidentes,le fait de mettre uniquement l’accent sur celles-ci ne permet pas de reconnaître l’abondance des ressources sociales, de santé, communautaires et autres qui sont, directement ou indirectement, liées au soutien des victimes de violence (p. ex. personnelinfirmier spécialisé en traitement des victimes d’agression sexuelle, protocoles communautaires coordonnés). Par conséquent, définir ce qu’on entend par « ressources pour les victimes » – répondre à la question « de quoi s’agit-il » – est la première étape à franchir si on veut comprendre le rôle que jouent des ressources particulières dans la vie des victimes. Selon la définition de l’Enquête nationale canadienne sur les services aux victimes, les organismes de services aux victimes sont « des organismes qui offrent des services directement aux victimes principales ou secondaires d’un acte criminel et qui ont été financés, en tout ou en partie, par un ministère chargé des affaires juridiques » (Brzozowski, 2008, p. 33). Il est d’abord important de déterminer si certaines ressources importantes qui sont essentielles pour les victimes/survivants sont exclues en fonction de ces critères.
Au Royaume‑Uni, l’expression « services de soutien » pour les femmes victimes de violence a été utilisée pour englober les agences et les organismes qui offrent [Traduction] « une gamme d’options de soutien permettant aux femmes de créer un climat de sécurité, de réclamer que justice soit faite et de réparer les torts causés par la violence » (Coy et coll.,2007, p. 10). Reconnaissant que ces ressources se retrouvent souvent dans ce qu’ils nomment le « secteur tertiaire/bénévole », les auteurs ont inclus dans leur étude les organisations qui œuvraient [Traduction] « principalement dans le domaine de la violence et qui fournissaient un soutien direct significatif aux femmes victimes/survivantes » (2007, p. 16). En fonction de ces critères, les ressources suivantes ont été incluses dans l’étude : refuges (foyers d’accueil), projets communautaires de lutte contre la violence familiale, centres d’aide aux victimes de viol et services de soutien aux victimes de violence sexuelle; services spécialisés du secteur législatif qui fournissent d’importants services de soutien, notamment centres d’aiguillage pour victimes d’agression sexuelle et tribunaux spécialisés pour l’instruction des causes de violence conjugale; programmes à l’intention des agresseurs et faisant partie d’un réseau qui veille au respect des normes et des lignes directrices minimales; services associés à la prostitution, à la traite des personnes et à l’exploitation sexuelle; services du secteur de la santé liés à la mutilation génitale des femmes.
Aux États‑Unis, où les chercheurs se sont employés plus précisément à documenter les répercussions des ressources affectées à la violence familiale, Dugan (2003) et ses collaborateurs (1999, 2003) ont inclus dans leur définition des ressources les lois et les politiques en vigueur concernant la violence familiale ainsi que les organisations et les initiatives qui ont réagi à la violence familiale. Ils ont examiné plus particulièrement le rôle des refuges, du parrainage juridique, des lignes d’écoute et des services de counseling,ainsi que les politiques locales et d’État en vigueur, telles que la réglementationconcernant la garde d’enfants, le pouvoir judiciaire discrétionnaire entourant les infractions aux ordonnances de protection, les arrestations sans mandat, les arrestations obligatoires, les politiques concernant les poursuites « qu’on ne peut retirer » et les mesures législatives portant sur les armes à feu. Des efforts ont également été faits pour rendre compte du degré d’engagementdu système de justice pénale envers le problème de la violence familiale qui s’est traduit par la mise en place d’unités de polices et de formations spécialisées ainsi que la poursuite des infractions aux ordonnances de protection et l’élaboration de politiques écrites qui ont normalisé la poursuite judiciaire.
Ces études mettent en évidence deux questions liées à la définition. Tout d’abord, l’étude effectuée au Royaume‑Uni indique qu’avant de définir les ressources, il faudra clairement identifier les groupes précis de victimes/survivants et d’actes criminels et de violence qui sont à l’étude en raison de la grande variété des ressources disponsibles, des divers types de victimes et des besoins particuliers et urgents pouvant varier d’un pays à l’autre. Par exemple, au Canada, il se peut que les services liés à la prostitution, à la traite des personnes et à l’exploitation sexuelle ainsi que les services du secteur de la santé liés à la mutilation génitale des femmes n’aient pas été systématiquement pris en compte dans la définition des « services de soutien pour les femmes victimes de violence », même si cela pourrait certainement être justifié. Deuxièmement, la recherche menée aux États‑Unis met en évidence le besoin d’élargir la conceptualisation étroite des ressources pour les victimes/survivants afin de sortir du cadre des seuls organismes et agences qui interviennent et d’englober les initiatives politiques et législatives qui mènent souvent à divers niveaux de ressources dans les collectivités ou les pays.
Mesurer les ressources pour les victimes/survivants
Lorsque les ressources pour les victimes/survivants sont identifiées, le défi est de trouver des mesures appropriées pour les niveaux de prestation des ressources. Si la disponibilité des ressources représente une première étape importante, elle n’est qu’un aspect de la prestation, une mesure de base quelque peu brute qui indique si les ressources sont distribuées de façon uniforme parmi les victimes/survivants. Des mesures plus détaillées de l’accessibilité des ressources, de l’utilité et des diverses caractéristiques importantes d’une organisation ou d’une politique devront être cernées. Les mesures d’accessibilité pourraient comprendre la distance moyenne parcourue par les victimes/survivants pour accéder aux ressources (s’applique particulièrement aux victimes/survivants habitant dans des régions rurales ou éloignées), les langues dans lesquelles les services sont disponsibles ou le délai de l’accès aux services, selon que les victimes/survivants aient accès immédiatement ou que leur nom soit ajouté à une liste d’attente. L’utilité des ressources peut être mesurée en fonction des caractéristiques des victimes/survivants qui reçoivent les services, et celles-ci peuvent ensuite être comparées aux caractéristiques des victimes/survivants au sein de la population. Un secteur peut compter une forte concentration d’Autochtones victimes/survivants d’actes criminels mais on constate que seulement une petite partie de ces victimes/survivants bénéficient d’une ressource particulière. De telles tendances peuvent être utilisées pour mettre en évidence les secteurs nécessitant un examen plus approfondi et peuvent mener à un accès aux ressources et une utilisation de celles-ci qui soient plus équitables.
Pour finir, comme le soutiennent Coy et ses collaborateurs (2008), documenter où se trouvent les services et qui en bénéficie ne brosse toujours qu’une partie du tableau. Les mesures qui saisissent les caractéristiques des ressources à l’étude mèneront à une meilleure compréhension du niveau des ressources qui sont offertes dans l’ensemble des administrations. Par exemple, documenter l’existence d’un refuge ne nous dit pas combien de lits sont disponibles ou quels services sont offerts à l’interne ou dans la collectivité par l’entremise de programmes de sensibilisation. Documenter la disponibilité d’une unité de police spécialisée dans la violence familiale ne fournit pas de renseignements concernant la taille de l’unité (p. ex. si elle comprend un agent de police à temps plein ou partiel, dix agents de police et du personnel de soutien ou un certain nombre d’employés civils). En outre, les services en matière de violence sexuelle offerts dans une région donnée peuvent être accessibles 24 heures par jour, sept jours par semaine ou uniquement quelques journées par semaine. Le processus de documentation doit donc aller au‑delà des questions de disponibilité, d’accessibilité et d’utilité et se pencher sur la qualité des ressources disponibles du point de vue de l’envergure et de l’ampleur des services, de même que du niveau d’engagement relativement à la population de victimes/survivants desservie. Les efforts qu’ont fait les chercheurs américains en vue de documenter le niveau d’engagement des services de police et de poursuite en sont un exemple, tout en reconnaissant que les politiques en vigueur sont souvent mises en œuvre au niveau local par divers intervenants et que, par conséquent, la mise en œuvre des politiques et des ressources variera d’une région à l’autre.
Établir les besoins et les sources de données appropriées
À part l’Enquête nationale sur les services aux victimes, il n’existe actuellement aucune base de données centrale sur les ressources juridiques ou communautaires pour les victimes/survivants qui fournirait un point de départ pour ce genre de projet, et puisque l’information peut varier tant d’une province ou d’un territoire à l’autre qu’à l’intérieur de ceux-ci, la documentation actuelle des resources au niveau provincial ou local n’est pas uniforme. Même l’Enquête canadienne sur les services aux victimes a ses limites, puisque la plupart des réponses proviennent d’organismes gouvernementaux, et donc les organismes non gouvernementaux et communautaires sont probablement sous‑représentés. En fait, le plus grand nombre de répondants étaient d’organismes relevant de la police (42 %), ce qui vient appuyer les dires de DeLeon‑Granados et Wells (2003) qui soutiennent qu’une trop grande importance est accordée aux services de justice pénale, ignorant la grande diversité des ressources communautaires et des organismes sans but lucratif qui offrent également de l’aide aux femmes victimes de violence.Par conséquent, une fois que les ressources pour les victimes/survivants sont définies et les mesures établies, la tâche finale sera de déterminer s’il existe des données fiables et valables qu’on peut utiliser. Si ce n’est pas le cas, il faudra déterminer quelles données sont nécessaires et quelle méthodes employer pour recueillir ces données.
Pourquoi est‑il important de documenter les ressources pour les victimes/survivants?
Les transformations qui se sont opérées au cours des dernières décennies dans la réponse de la société aux victimes/survivants d’actes criminels ont créé un besoin urgent de commencer à définir des mesures normalisées fiables et valables pouvant être utilisées pour comprendre le rôle de cette croissance des ressources dans la vie des victimes/survivants et dans les collectivités où ces personnes habitent. L’examen de la distribution de ces initiatives est un élément essentiel dans l’élaboration de politiques publiques à long terme, mais, comme le soutiennent DeLeon-Granados et Wells (2003), tout effort en vue de documenter et, à la limite, d’examiner les répercussions des ressources nécessite [Traduction] « un dialogue entre les principaux intervenants, praticiens, chercheurs et décideurs au sujet d’un domaine de recherche important qui est en pleine croissance; une discussion des façons d’améliorer les systèmes de données et d’améliorer la manière dont ces données sont utilisées en sciences sociales; et une meilleure connaissance des méthodes pour suivre l’efficacité de la politique fédérale et d’État au fil du temps » (2003, p. 150). Un tel dialogue constituera un début de réponse à la demande que les décideurs et les chercheurs commencent à déterminer quels programmes, politiques et réformes législatives ont protégé les victimes/survivants d’actes criminels en général et, en particulier, les victimes/survivants d’actes criminels violents (Campbell et coll., 2007).
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