Recueil des recherches sur les victimes d’actes criminels, no 5

Déclaration de la victime : Principes récemment énoncés par les cours d’appel

Marie Manikis est membre du Barreau du Québec et candidate au doctorat à la Faculté de droit de l’Université d’Oxford, à Oxford (Angleterre).

Julian Roberts, PH. D. enseigne la criminologie à la Faculté de droit de l’Université d’Oxford, à Oxford (Angleterre). Ses principaux domaines de recherche sont la détermination de la peine, les victimes, le système de justice pénale et l’opinion publique.

Bien que dans tous les pays de common law les victimes d’actes criminels aient le droit de déposer une déclaration de la victime pour aider la cour à l’étape de la détermination de la peine, c’est au Canada que cette déclaration a fait l’objet du plus grand nombre de recherches et a le plus retenu l’attention des tribunauxNote de bas de la page 1. Depuis des années déjà, une jurisprudence s’est dégagée partout au pays qui oriente l’utilisation de la déclaration de la victime (Katz, 2009). La plupart des jugements rendus ont précisé la nature du témoignage de la victime et son rôle lors de la détermination de la peine et ont contribué à son évolution au Canada. Ils ont aussi réaffirmé l’importance de la déclaration de la victime en tant qu’élément de la détermination de la peine au Canada. Cependant, malgré les principes importants établis par les cours d’appel ces dernières années, il demeure pour les tribunaux à éclaircir diverses questions de preuve. Dans notre bref article, nous commenterons des décisions récemment rendues en la matière (de 2010 à ce jour) par les cours d’appel de plusieurs provinces. Il y a lieu de noter que la plupart des affaires nouvelles concernaient des sévices graves à la personne et bien souvent des agressions sexuelles. Cela fait ressortir l’important rôle joué par la déclaration de la victime dans le cas de telles infractions.

Qui est la victime?

Plusieurs jugements récents ont traité du rôle des victimes secondaires, habituellement des membres de la famille de la victime principale. Dans l’affaire Cook, le jury a rendu un verdict d’homicide involontaire alors que l’accusé était inculpé de meurtre au premier degré. M. Cook avait eu une relation prolongée avec la victime, et il était donc conscient des conséquences pour certains tiers de tout préjudice causé à la victime directe. Le juge du procès a infligé une peine de douze années d’emprisonnement, une peine pouvant être considérée de « niveau élevé » pour un homicide involontaire, en raison de la présence de nombreux facteurs aggravants. Bien qu’aucune déclaration de la victime n’ait été déposée en application du paragraphe 722(2), le juge du procès, exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui conférait le paragraphe 722(3), a pris en considération le témoignage écrit que la fille de la victime avait produit avant l’audience de détermination de la peine et qu’elle avait été autorisée à lire devant la cour. Son témoignage a clairement fait voir que l’homicide avait occasionné, en plus du décès de la victime directe, un préjudice durable à de nombreuses autres personnes. Le juge du procès a fait remarquer ce qui suit en qui concerne la déclaration de la victime : [Traduction] « J’ai décidé de prendre en considération, comme m’y autorise le paragraphe 722(3) du Code criminel, les répercussions de l’homicide sur les parents proches de la victime. »

La question essentielle soulevée par le jugement était de savoir si le dommage additionnel infligé aux autres victimes et attesté par la déclaration constituait un facteur aggravant légitime. S’exprimant au nom de la Cour d’appel du Québec, le juge en chef associé Hilton a conclu que [Traduction] « le juge du procès n’a commis aucune erreur en recourant à la déclaration [de la fille de la victime] pour conclure que l’effet dévastateur du décès [de la victime] sur sa famille immédiate constituait un facteur aggravant ». L’arrêt Cook permet ainsi d’affirmer sans équivoque que la déclaration peut servir de source quant à l’existence de facteurs aggravants aux fins de la détermination de la peineNote de bas de la page 2.

Dans l’affaire Johnny, l’accusé, membre d’une collectivité autochtone, avait été reconnu coupable et avait été condamné pour voies de fait graves (la victime étant par son fait dans le coma et sur respirateur artificiel) et pour vol qualifié dans une bijouterie. Lorsqu’il a évalué les dommages subis, le juge chargé de déterminer la peine a fait état des conséquences des voies de fait graves sur la victime et sur les membres de sa famille, y compris ses enfants ainsi que sa mère et son père à la retraite [Traduction] « qui se sont vu imposer le lourd fardeau de prendre soin de [la victime] Randall Cote ». Le juge a également fait état des déclarations fournies par les commis qui travaillaient à la bijouterie et par le propriétaire qui s’y trouvait aussi au moment du vol. La défense en a appelé de la peine en faisant valoir que le juge n’avait pas tenu expressément compte, en vue de la détermination de la peine, de la situation de délinquant autochtone de l’accusé. L’appel a toutefois été rejeté.

En ce qui concerne la présentation d’une déclaration, les tribunaux ont adopté une définition large des victimes qui ne se restreint pas à la seule victime immédiate du crime. Dans les deux affaires mentionnées, par exemple, le préjudice accessoire subi par les membres de la famille a été considéré, sans aucune ambiguïté, comme un élément de preuve pertinent pour la détermination de la peine.

Leçon à tirer pour les avocats : si vous avez une objection, dites-le maintenant ou taisez-vous à jamais …

La jurisprudence récente a également des conséquences pour les intervenants du système de justice pénale. L’une des leçons à tirer de Revet et de R. c. G.(K.) concerne le rôle à jouer par les avocats face aux déclarations des victimes. Il ne fait aucun doute avec ces deux décisions que l’avocat de la défense doit examiner la déclaration avec soin, en vue d’établir si un élément qu’elle renferme nécessite d’élever une objection ou encore de contre-interroger la victime. Dans Revet, la déclaration renfermait des renseignements qui, selon l’appelant, échappaient à sa portée prescriteNote de bas de la page 3, et malgré cela les avocats de la défense n’avaient élevé aucune objection. À la Cour d’appel de la Saskatchewan, la majorité des juges ont statué que, faute d’en avoir contesté des éléments, les avocats de la défense étaient présumés avoir consenti à la teneur de la déclaration, celle-ci ayant eu en fin de compte une incidence sur la peine infligée. Dans de longs et solides motifs de dissidence, le juge Jackson a adopté dans Revet un point de vue différent. Il a dit estimer qu’on ne pouvait utiliser une déclaration pour étoffer les faits exposés par la Couronne et que le défaut des avocats de la défense de s’opposer à la teneur de la déclaration n’avait pas transformé cette teneur en une preuve concluante.

On a réitéré toutefois, tant dans l’opinion majoritaire que dissidente, que dans le modèle accusatoire les faits à prendre en compte dans la détermination de la peine doivent provenir directement des parties, et non pas d’autres sources comme une déclaration de la victime ou un rapport présentenciel. L’arrêt Dunn de la Cour d’appel de la Colombie- Britannique vient également étayer cette position. Dans cette affaire, la déclaration de la victime avait influé sur la décision de la Cour de rendre une ordonnance de dédommagement. C’était la prise en compte de la déclaration et non une demande de la poursuite qui avait incité le juge du procès à rendre cette ordonnance. Ainsi, l’ordonnance était le fruit [Traduction] « d’une réflexion après coup et on l’avait rendue sans qu’aient été exposés tous les arguments  »; le juge avait simplement rendu l’ordonnance sans examiner si le délinquant était capable de payer et sans se demander si elle cadrait bien avec les autres éléments de la peine. L’appel a par conséquent été rejeté et l’ordonnance de dédommagement annulée.

L’arrêt R. c. G.(K.) va encore plus loin que les arrêts Revet et Dunn. La Couronne avait concédé dans cette affaire que des parties de la déclaration en excédaient la portée prescrite et qu’on aurait dû les retrancher ou les déclarer inadmissibles. L’avocat de la défense n’avait pas fait objection à ces parties bien qu’il ait eu amplement l’occasion de le faire. Ce défaut, selon la Cour d’appel de l’Ontario, empêchait de faire valoir le caractère inéquitable de l’audience pour la détermination de la peine. Mis ensemble, ces trois jugements consacrent encore davantage l’importance de la déclaration de la victime comme élément de la détermination de la peine au Canada, tout en réaffirmant le rôle à jouer par les avocats dans une procédure accusatoire. Ils laissent aussi clairement entendre que la teneur d’une déclaration ne peut être contestée en appel si elle ne l’a pas été à l’étape de la détermination de la peine.

Dans l’arrêt R. c. M. (W.), la Cour d’appel de la Colombie-Britannique a adopté une approche quelque peu différente face à la déclaration de la victime. L’appelant a interjeté appel d’une peine de cinq ans infligée pour deux infractions d’agression sexuelle à l’endroit de ses belles-filles. Un des motifs d’appel était que la Cour avait admis des déclarations sans autoriser de contre-interrogatoire qui aurait permis de déterminer la véracité de leur contenu. La Cour d’appel a statué qu’on ne présentait pas des déclarations [Traduction] « en raison de la véracité des faits qui y figurent; il s’agit d’expressions des répercussions psychologiques et autres des infractions sur les plaignants et, à ce titre, le désaccord de l’appelant avec certains de ses éléments ne soulève aux fins d’appel aucune question susceptible de contrôle ». Cela pourrait laisser entendre que les déclarations des victimes n’ont aucune force probante, qu’elles aident seulement la Cour à mieux comprendre les conséquences de l’infraction, ce qui rendrait inévitablement moins nécessaire pour les avocats de la défense d’en contester la teneur.

La teneur, le rôle et les limites de la déclaration dans la détermination de la peine

Le régime de la déclaration de la victime au Canada (et dans tous les autres pays de common law à l’exception des É-U; se reporter à Roberts 2009) ne permet pas aux victimes de formuler des recommandations relativement à la détermination de la peineNote de bas de la page 4. Il est maintenant bien établi en jurisprudence que si des commentaires sont exprimés quant à la peine qu’il conviendrait d’infliger, la poursuite devrait les retrancherNote de bas de la page 5. Si les commentaires sont exprimés sans avertissement alors que la déclaration est présentée oralement, c’est à la Cour qu’il revient de les mettre de côtéNote de bas de la page 6.

Dans Penny, l’appelant soutenait que la Cour avait pris erronément en compte des renseignements figurant dans la déclaration mais non mentionnés dans le témoignage de la victime. La Cour d’appel du Nouveau- Brunswick a réaffirmé qu’une déclaration devait respecter les limites fixées par les dispositions du Code criminel, et ainsi ne décrire que « les dommages — corporels ou autres — ou les pertes causées à [la victime] » (par. 722(1)). Ce qui ressort du jugement c’est que si la déclaration avait renfermé de l’information extrinsèque ayant influé sensiblement sur la peine infligée, une erreur donnant lieu à cassation aurait alors été commise. Dans l’affaire Penny, toutefois, le passage litigieux ne contenait pas pareille information; on y précisait tout simplement les circonstances de la perpétration de l’infraction.

L’arrêt Woodward, récemment rendu par la Cour d’appel de l’Ontario, nous donne un autre exemple du rôle important joué par la déclaration en vue d’établir, aux fins de la détermination de la peine, les dommages causés par le délinquant. Tout en rejetant l’appel, la Cour d’appel a fait remarquer que [Traduction] « la déclaration de la victime déposée par la plaignante vise à montrer les dommages directs qu’elle a subis ». La Cour d’appel a poursuivi avec une description de la teneur de la déclaration, dont elle a cité des extraits.

En outre, la Cour d’appel de l’Alberta a également confirmé dans l’arrêt Arcand l’importance de la déclaration dans l’évaluation des dommages. Nulle déclaration n’avait été produite dans cette affaire, et la Cour a fait remarquer combien il était difficile d’évaluer les dommages alors qu’on n’avait aucunement fait état de la situation de la plaignante. La Cour d’appel a déclaré qu’une déclaration contribue à pleinement apprécier les faits et [Traduction] « réduit le risque que la peine soit déterminée en fonction uniquement du délinquant ». Elle a donc fait ressortir combien importait l’obligation prévue à l’article 722.2 de s’enquérir si la possibilité de rédiger une déclaration avait été offerte afin de s’assurer que les victimes aient été informées de leur « droit » de faire une déclaration; or ce droit n’avait été mentionné par personne à l’audience de détermination de la peine, pas même par l’avocat de la Couronne. Par conséquent, la Cour d’appel a exprimé très clairement que [Traduction] « le juge chargé de déterminer la peine devrait s’assurer que le plaignant a été informé en bonne et due forme, soit par l’avocat de la Couronne ou autrement, de son droit de faire une déclaration de la victime »s.

De même manière, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a réaffirmé dans Steeves l’importance des déclarations des victimes et la pertinence de la question des dommages dans les observations conjointes et dans la détermination de la peine; elle a toutefois imposé des limites au pouvoir de celles-ci d’influencer la détermination de la peineNote de bas de la page 7. L’accusé dans cette affaire, une ancienne toxicomane, avait plaidé coupable à des accusations de vol, de fraude et de manquement à une promesse, des actes perpétrés contre son employeur et à plusieurs reprises contre ses parents. Les parties avaient recommandé dans des observations conjointes qu’une peine de deux années d’emprisonnement soit infligée à l’accusée, mais le tribunal de première instance avait statué, en se fondant uniquement sur la description faite des dommages dans les déclarations des victimes, que la peine recommandée n’était pas suffisamment longue et avait infligé à l’accusée une peine de 48 mois d’emprisonnement, en sus de ses trois mois de détention préventive. L’accusée a fait appel de la peine infligée, et la Cour d’appel a annulé la décision de première instance, condamnant plutôt l’accusée à un emprisonnement cumulatif de deux ans, tel qu’il avait été initialement recommandé dans les observations conjointes. L’appel a été accueilli au motif que le juge du procès « était bouleversé par le récit émouvant, dans les déclarations des victimes, du supplice qu’avaient vécu les parents de l’appelante » et que cela avait « jeté un voile sur les plusieurs circonstances atténuantes que révélait le dossier ».

La Cour d’appel dans cette affaire a souligné l’importance des déclarations des victimes, en laissant entendre qu’elles ont « un rôle important à jouer dans la détermination de la peine », mais elle a aussi remarqué qu’il ne faut pas permettre à ces déclarations de déterminer l’issue de l’affaire en allant à l’encontre des observations conjointes. Autrement dit, si les déclarations ont leur importance et leur utilité dans l’évaluation des dommages causés à la victime, on doit les prendre en considération avec tous les autres facteurs pertinents lorsqu’il s’agit d’établir la peine.

Dans Tejeda-Rosario, finalement, la Cour d’appel de l’Ontario, qui avait affaire à une situation relativement rare mettant en cause à la fois une procédure civile et une procédure criminelle, a donné à entendre qu’une action au civil n’affectait en rien l’importance d’une déclaration de la victime dans la détermination de la peine. Le délinquant était un psychiatre qui avait été condamné sous deux chefs d’agression sexuelle à l’endroit d’un de ses patients. Le tribunal de première instance avait conclu que le procès civil avait privé la déclaration de toute importance comme facteur à considérer dans la détermination de la peine. La Cour d’appel a rejeté cette conclusion, en faisant remarquer que les dommages psychologiques causés par l’infraction – qui avaient donné lieu à l’action au civil — pouvaient, au criminel, dûment être pris en compte par le juge chargé de déterminer la peine.

Ces récents jugements confirment sans aucune ambiguïté la pertinence des déclarations des victimes dans la détermination de la peine; elles permettent d’évaluer et de bien comprendre les dommages causés aux victimes par les infractions. Ces jugements reconnaissent également les limites de ces déclarations quant à leur teneur et leur valeur probante dans la détermination de la peine. Bien qu’ils aient réaffirmé que les déclarations des victimes sont un facteur important dans la détermination de la peine, les tribunaux n’ont pas encore établi sans équivoque le rôle et l’effet de ces déclarations. Alors que certaines décisions ci-dessus considèrent les déclarations comme une preuve concluante pouvant influer sur la peine (se reporter, par exemple, à R. c. Cook et Revet), d’autres laissent entendre qu’il s’agit simplement d’une expression des répercussions psychologiques de l’infraction sur la victime, qui peut aider le juge à mieux comprendre les conséquences de l’infraction (se reporter, par exemple, à R. c. M. [W.]). La nature de la déclaration de la victime peut avoir une grande incidence sur toutes les parties concernées par le processusNote de bas de la page 8, et en préciser la nature exacte aiderait alors à éclaircir la question de l’admissibilité dans la détermination de la peine au Canada des contre-interrogatoires portant sur les déclarations des victimes.

Conclusion

Il semble se dégager de ce bref aperçu de la jurisprudence récente que les cours d’appel canadiennes se sont penchées sur la définition des victimes et sur la nature et la teneur des déclarations des victimes. Si on a souligné dans toutes les décisions l’importance des déclarations des victimes ainsi que les limites de leur rôle dans la détermination de la peine, une certaine ambiguïté demeure quant à la nature de l’information qu’elles renferment. Dans la plupart des décisions, on a traité cette information comme preuve des dommages causés, mais dans certaines autres, on a considéré qu’à titre d’expression des dommages psychologiques subis, cette information n’avait aucune valeur probante et devait simplement aider les juges à mieux comprendre les conséquences de l’infraction. Certaines décisions donnent en outre à croire que les dispositions relatives aux déclarations des victimes imposent certains devoirs positifs aux parties prenantes : les procureurs ont l’obligation d’informer les victimes qu’il leur est possible de faire une déclaration, puis de communiquer celle-ci avant le procès (se reporter à Lonegren), et les juges doivent s’enquérir du respect de cette obligation et prendre en compte la déclaration lors de la détermination de la peine. Pour bien défendre les intérêts de leurs clients, finalement, les avocats de la défense ont aussi comme devoir important de vérifier la teneur des déclarations des victimes et de s’opposer à tout élément non pertinent ou inadmissible avant que la décision sur la peine ne soit rendue.

Références et publications récentes portant sur les déclarations des victimes

Jurisprudence citée