JusteRecherche no. 12

Profil de recherches (suite)

Profil de recherches (suite)

Recherches financées par le ministère de la Justice du Canada s'appuyant sur l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les adolescents.

Par Catherine Thomson[26]

INTRODUCTION

Peu de sources de données nationales canadiennes peuvent servir de base à l'analyse des répercussions pour les enfants de la séparation et du divorce de leurs parents. Dans notre souci de trouver des façons de veiller aux meilleurs intérêts des enfants, nous cherchons des données empiriques sur ce qui arrive de nos jours dans les cas d'éclatement de la famille. L'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes nous procure une chance exceptionnelle de suivre le développement et le vécu d'enfants jusqu'à ce qu'ils parviennent à la maturité. La première collecte de données en 1994-1995 a porté sur des enfants âgés de 0 à 11 ans et ces enfants ont été suivis aux deux ans depuis. Le présent article résume plusieurs études parrainées par le ministère de la Justice se fondant sur l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes.

Garde des enfants, droit de visite et pension alimentaire : Résultats tirés de l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes[27]

Marcil-Gratton et Le Bourdais ont préparé ce rapport pour le Ministère. La section « Antécédents relatifs à la famille et à la garde légale des enfants » de l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ)[28] est une source grandement nécessaire de données canadiennes sur le vécu familial d'enfants. Nous ne pouvons étudier le contexte familial lors de la rupture, ni le vécu subséquent et la longévité des modalités de garde à partir d'autres sources de données. Les données sur l'exécution des ordonnances alimentaires disponibles au Centre canadien de la statistique juridique ne renferment que des sous-ensembles de cas pour lesquels des ententes de pension alimentaire officielles et exécutables ont été enregistrées. Elles ne reflètent donc pas fidèlement la population entière des familles dont les modalités de soutien alimentaire et de garde doivent être déterminées lors de la rupture familiale. Les statistiques sur le divorce publiées par l'intermédiaire de la Section de l'état civil de Statistique Canada ne couvrent pas la rupture des unions de fait ni les couples mariés qui se séparent sans divorcer et par conséquent, elles ne reflètent qu'une partie de toutes les familles au Canada.

Un examen préliminaire des données sur les antécédents relatifs à la famille et à la garde légale révèle quelques constatations intéressantes : les enfants naissent en plus grand nombre de couples de fait et ils risquent davantage de vivre la séparation de leurs parents que s'ils étaient nés de parents mariés. Après la séparation des couples de fait, les enfants sont plus susceptibles de vivre avec leur mère, ils voient leur père de façon irrégulière et ils sont moins susceptibles de bénéficier du paiement régulier d'une pension alimentaire pour enfants.

Les enfants dont les parents divorcent (au lieu de se séparer simplement) sont plus susceptibles de faire l'objet d'une ordonnance de pensions alimentaires pour enfants; les enfants qui font l'objet d'une entente privée de pensions alimentaires pour enfants sont plus susceptibles de bénéficier de paiements réguliers.

La comparaison des données provenant de l'Enquête sur la famille 1984 (cohortes de 1961-1963), de l'Enquête sociale générale 1990 (cohortes de 1971-1973) et de l'ELNEF 1994-1995 (cohortes de 1983-1984 et de 1987-1988) illustre l'ampleur et les tendances de la rupture familiale pour les enfants sur des périodes différentes. Parmi les enfants nés au début des années 1960, environ le quart sont nés d'une mère célibataire ou ont vécu la séparation de leurs parents avant d'avoir 20 ans. La moitié du temps, la séparation s'est produite après le dixième anniversaire de l'enfant.

Figure 3 - Pourcentage cumulé des enfants canadiens nés d'un parent seul ou dont les parents se sont séparés

Figure 3 - Pourcentage cumulé des enfants canadiens nés d'un parent seul ou dont les parents se sont séparés
[Description]

Sources :

Les enfants nés dans les années 1970 ont vécu la séparation de leurs parents plus jeunes. Dès l'âge de 15 ans, le quart d'entre eux avaient déjà vécu la séparation de leurs parents, la plupart d'entre eux avant d'avoir dix ans.

Pour les enfants nés au début des années 1980, le quart d'entre eux avaient déjà vécu la séparation de leurs parents avant d'avoir dix ans. Pour les enfants nés plus tard dans la décennie (1987-1988), cette marque était atteinte avant l'âge de six ans.

Les données préliminaires de cette enquête montrent que 80 % des enfants de moins de 12 ans sont confiés à la garde de leur mère, 7 % à la garde de leur père et 13 % vivent dans une situation de garde partagée. Parmi les 13 % de cas de garde partagée, 69 % de ces enfants vivent en fait la plupart du temps avec leur mère.

Incidences des changements familiaux, de la situation d'emploi et du revenu des parents sur le bien-être économique des enfants : perspective longitudinale[29]

Ce rapport de Juby, Le Bourdais et Marcil-Gratton examine les situations où la rupture familiale est survenue entre les deux cycles de collecte de données (cycle 1 en 1994-1995 et cycle 2 en 1996-1997) et compare les situations en fonction des caractéristiques des familles avant la rupture. Les possibilités de revenu, les choix de travail et les situations d'emploi existant avant la séparation peuvent avoir une incidence sur les choix et les ententes conclues après la rupture. D'autres cycles de données ont également permis d'analyser la durabilité des résultats déjà présents au cycle 1.

Dans les familles biparentales, la plupart des enfants (95 %) ont au moins un parent travaillant à temps plein. Selon la situation la plus courante, partagée par 43 % des enfants, les deux parents ont un emploi à temps plein. Dans la deuxième situation la plus courante, un parent travaille à temps plein et l'autre à temps partiel (67 %), suivi des enfants ayant un parent à la maison et l'autre travaillant à temps plein (20 %). Dans les familles monoparentales, un peu plus de 40 % des enfants vivent avec un parent travaillant à temps plein.

Les auteures ont examiné la situation financière de la famille avant la séparation en fonction des modalités de garde après la séparation. Plus le revenu familial est élevé avant la séparation, plus les enfants sont susceptibles de vivre sous la garde de leur père ou en régime de garde partagée après la séparation. L'importance du revenu par rapport à la garde partagée est évidente, compte tenu du besoin d'avoir deux domiciles familiaux.

La garde partagée est un choix populaire pour les couples à deux revenus. Environ 20 % des enfants vivant dans une famille à deux revenus vivent dans un régime de garde partagée, comparativement à 6 % des enfants dans d'autres familles (un seul parent ou aucun parent au travail).

Les enfants des familles dont un seul parent travaille sont plus susceptibles que les autres enfants d'être confiés à la garde de leur père après une séparation. Vingt pour cent de ces enfants demeuraient avec leur père à la séparation, comparativement à moins de 8 % des enfants dont les deux parents travaillent ou dont aucun des parents ne travaille. Les enfants restent avec leur mère dans 89 % des cas quand aucun parent ne travaille à temps plein.

Les auteures ont également examiné la longévité des diverses modalités de garde et de visite. Elles ont comparé les données du cycle 2 pour les enfants qui faisaient déjà l'objet de modalités de garde et de visite au cycle 1. Les modalités de résidence pour les enfants dont le père ou la mère ont la garde sont très durables. Presque tous les enfants vivant avec leur père au cycle 1 (un groupe relativement petit, soit 7 % seulement des enfants en 1994-1995) étaient encore avec lui deux ans plus tard. De même, les enfants vivant avec leur mère vivaient en grande partie encore avec elle. La fréquence des contacts avec le père a varié pendant cette période et pas seulement dans une direction.

À l'inverse, les modalités de résidence partagée en vigueur en 1994 n'étaient pas les mêmes deux ans plus tard au cycle 2. Pour neuf enfants sur dix, les modalités de résidence étaient différentes : quatre enfants sur dix vivaient maintenant avec leur père et la moitié, avec leur mère.

Quand les parents se séparent: nouveaux résultats de l'Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes [30]

Après la collecte d'un troisième cycle de données (1998-1999), Juby, Marcil-Gratton et Le Bourdais ont examiné plus à fond l'évolution des tendances et constaté que :

On peut également examiner l'arrivée d'enfants dans un contexte familial du point de vue de son appartenance ou non à la deuxième famille de la mère ou du père. Pour les enfants plus âgés, c'est la situation que 11 % d'entre eux vivent, comparativement à 18 % pour les enfants plus jeunes.

L'examen de la structure familiale peut être une façon trompeuse d'étudier la rupture familiale, compte tenu qu'il y a différentes façons d'arriver à une famille monoparentale ou même à une famille « intacte ». De même, les enfants nés d'un deuxième lit ont un environnement familial différent de ceux nés d'un premier lit. La présence de beaux-frères ou belles-sœurs et de demi-frères ou demi-sœurs peut ajouter un autre degré de complexité. Pour l'enfant de parents séparés ou divorcés, son « unité familiale » peut désigner une unité résidentielle ou bien des parents biologiques ou l'expression peut renvoyer à ses parents biologiques dont l'un ne vit pas avec lui. Pour cette raison, les auteures introduisent l'approche du parcours de la famille pour étudier la rupture familiale, au lieu de s'arrêter à la structure familiale.

Il y a deux formes de familles biparentales, les familles intactes (4 enfants sur 5 appartiennent à cette catégorie) dans lesquelles aucun parent n'a d'autres enfants vivant ailleurs, et les deuxièmes familles.

Les deuxièmes familles, quant à elles, se déclinent en trois variétés :

  1. demi-frères et demi-sœurs du côté du père vivant ailleurs (c.-à-d. avec leur mère - environ 5 % des enfants font partie de ce groupe qu'on qualifie parfois de famille quasi-intacte);
  2. belle-famille (c.-à-d. demi-frères ou demi-sœurs du côté de la mère seulement - environ 5 % des enfants appartiennent à ce groupe également);
  3. demi-frères ou demi-sœurs du côté du père et parfois demi-frères ou demi-sœurs du côté de la mère (environ 3 % des enfants sont dans cette situation).

Onze pour cent des enfants nés en 1997-1998 avaient vécu avec des demi-frères ou des demi-sœurs à partir de la naissance, tandis que 7 % avaient des demi-frères ou des demi-sœurs dans un autre ménage.

Les auteures ont pris en compte l'âge des enfants, leur sexe, si les parents avaient obtenu une ordonnance officielle ou conclu une entente privée et si la famille vivait au Canada dans un modèle de régression logistique multinomial afin d'évaluer ces facteurs par rapport à la probabilité que les enfants vivent avec leur père plutôt qu'avec leur mère.

Le modèle a confirmé que l'âge de l'enfant est un facteur important du lieu de résidence, puisqu'il est plus probable que les enfants plus âgés vivent en garde partagée ou avec leur père. La popularité de la garde partagée a aussi augmenté dans la dernière partie des années 1990. Les ententes amiables relatives à la garde étaient peu susceptibles de comporter une garde partagée, tout comme les ententes conclues au Québec. Fait intéressant, les enfants étaient beaucoup plus susceptibles soit de vivre en garde partagée ou avec leur père que les enfants d'ailleurs. Fait intéressant également, le sexe de l'enfant ne semblait pas avoir d'incidence sur les modalités de garde.

Il semble donc que la garde partagée a gagné en popularité, mais les auteurs ont examiné de plus près ce qu'impliquent les détails des ententes. Le concept de garde partagée englobait un éventail relativement vaste de possibilités, certains répondants indiquant qu'ils avaient une entente de garde partagée tandis que la description fournie correspondait enfin à une garde exclusive assortie de modalités de visite libérale. Dans 17 % des cas, l'entente de garde prévoyait que l'enfant passe une fin de semaine sur deux avec un parent et le reste du temps avec l'autre parent. La plupart des répondants reconnaissaient qu'une telle situation consistait en une garde exclusive assortie de modalités de visite libérales.

Les ententes de garde partagée ont tendance à être plus souples et cette souplesse contribue peut-être au manque de clarté. Des données de 1998-1999 révèlent que la transition aux ententes de garde partagée se fait graduellement. Si la durée de la séparation est inférieure à deux ans, 83 % des enfants vivent encore en garde partagée; entre deux et trois ans, cette proportion passe à 37 %. De quatre à cinq ans, 13 % seulement des enfants vivent en garde partagée et après plus de six ans de séparation, 8 % seulement des enfants vivent en garde partagée.

Et la vie continue: expansion du réseau familial après la séparation des parents [31]

Ce rapport de Juby, Marcil-Gratton et Le Bourdais se concentre sur les réseaux familiaux plus étendus des enfants dont les parents se sont séparés ou ont divorcé. Le parcours conjugal qu'emprunteront les parents pourrait comprendre l'arrivée de beaux-parents ainsi que de beaux-frères ou belles-sœurs et de demi-frères demi-sœurs ce qui complique encore l'environnement familial d'un enfant. Les auteures examinent les rapports avec les parents et les beaux-parents du point de vue de l'enfant : comment perçoit-il ses rapports avec ses parents et beaux-parents?

En concentrant leur étude sur la notion de transition familiale, les auteures peuvent se concentrer sur le réseau familial et sur les rapports avec les membres non résidents de la famille qui font encore partie de la famille de l'enfant. En regardant au-delà du groupe résidentiel, on constate que la composition de la famille d'un enfant dépend du moment de son arrivée dans l'itinéraire conjugal de ses parents.

Les constatations présentées dans ce rapport comprennent, entre autres :

Dans près de la moitié des cas, les nouvelles relations sont formées avec des partenaires qui ont déjà des enfants. ètant donné que la plupart des enfants vivent avec leur mère après la séparation, les beaux-frères ou belles-sœurs vivent rarement dans la même résidence. Cependant, les mères ont tendance à avoir plus rapidement de nouveaux enfants de ces unions subséquentes que les pères. Par conséquent, les enfants vivent plus souvent avec des demi-frères ou demi-sœurs du côté de la mère qu'avec des demi-frères ou demi-sœurs du côté du père. Pour les enfants qui étaient âgés de 0 à 13 ans lors du cycle 1996-1997 de l'ELNEJ, près d'un sur cinq avait au moins un demi-frère ou demi-sœur ou un beau-frère ou belle-sœur.

Les enfants gagnent des demi-frères ou demi-sœurs plus jeunes quand leurs parents séparés ont des enfants de leurs nouvelles unions et ils gagnent des demi-frères ou demi-sœurs plus âgés en naissant dans une deuxième famille qui compte déjà des enfants de l'une des unions précédentes de leurs parents. Les demi-frères ou demi-sœurs sont unis par le sang tandis que les beaux-frères ou belles-sœurs peuvent ne fait partie de la famille que le temps que les parents vivent ensemble. Dans la situation la plus courante, les enfants naissent dans le contexte d'une belle-famille (le fait d'avoir des demi-frères ou demi-sœurs plus âgés). Très peu d'enfants (3 %) ont à la fois des beaux-frères ou belles-sœurs et des demi-frères ou demi-sœurs.

Dans le cadre de l'ELNEJ, on a demandé aux enfants âgés de 10 à 15 ans de parler de leur capacité à se confier à leurs parents et à d'autres figures d'autorité, comme des enseignants et des entraîneurs. Les garçons et les filles ont dit être plus susceptibles de se confier à leur mère qu'à leur père. On ne s'étonnera pas d'apprendre que, peu importe la situation familiale, les adolescents disent être de moins en moins capables de se confier à leurs parents, même si c'est plus vrai pour les adolescentes. Dans les familles ayant vécu la séparation des parents (même s'il y a eu réconciliation), moins d'enfants se sentent à l'aise de se confier à l'un ou l'autre de leurs parents.

Les auteures ont également examiné les rapports avec les beaux-parents. L'enquête identifie encore le père biologique comme « la figure paternelle avec laquelle ils passent le plus de temps » même quand les enfants vivent avec leur mère et un beau-père. Les enfants estiment davantage leur père biologique que leur beau-père. Malgré tout, lorsque les beaux-pères sont considérés comme la principale figure paternelle (par les enfants), 45 % des enfants disent avoir reçu beaucoup d'affection de leur beau-père, plutôt que très peu (21 %).

Une analyse de régression logistique multivariée a permis de clarifier l'interaction entre l'environnement familial et le contexte socioéconomique. Le fait de vivre avec une mère seule augmente la probabilité que les enfants ne se sentent pas proches de leur père. Le fait de vivre avec leur mère et un beau-père crée des liens moins étroits avec ce dernier (s'il a été identifié comme la principale figure paternelle par l'enfant). Les enfants qui vivent avec leur père biologique se sentent très proches de lui, encore plus que les enfants dont les parents ne se sont jamais séparés.

L'étude de la famille en fonction de catégories peut masquer un éventail d'éléments dynamiques. L'étude des transitions familiales et du parcours peut révéler beaucoup plus de choses à propos de la nature de l'environnement familial d'un enfant, son milieu de vie, l'existence d'une fratrie étendue et l'existence de beaux-parents. Il faut prendre en compte la complexité de ces situations familiales changeantes pour certains enfants et pour certains parents lorsqu'on examine la façon dont les politiques et les services doivent être adaptés pour satisfaire à leurs besoins.

« Le cheminement familial des enfants est donc fait de contrastes - entre les enfants nés dans des familles biparentales et ceux nés dans des familles monoparentales, par exemple, ou ceux dont les parents étaient mariés ou non - compte tenu des différents degrés de complexité des parcours familiaux. La série d'événements enclenchés par la séparation modifient l'univers familial de l'enfant, multiplient le nombre de parents, de frères et de sœurs ainsi que d'autres proches avec qui l'enfant devra interagir durant ses premières années. Il existe un autre contraste, entre les enfants qui passent toute leur enfance dans une famille « intacte », sans parents autres que leur père et mère biologiques et sans demi-sœur ni demi-frère, et ceux qui vivent différemment. Dans ce dernier groupe, il y a de plus en plus de jeunes pour qui la notion et l'expérience de la vie de famille sont tout à fait différentes.».

CONCLUSION

Il reste beaucoup d'autres choses à étudier tandis que ces enfants atteignent l'âge où ils prendront leurs propres décisions à propos de la formation de leur famille et de l'éducation des enfants. L'ELNEJ a fourni un contexte canadien à une étude de la rupture familiale. Le domaine du droit de la famille est extrêmement fluide et l'identité du répondant y est tout aussi importante que la réponse.