Ce que vous ignorez peut vous faire du mal : L’importance des outils de dépistage de la violence familiale pour les praticiens du droit familial
Dynamiques de violence familiale
La violence familiale prend plusieurs aspects. Le travail de Joan B. Kelly et de Michael P. Johnson (2008) porte sur divers types de violence conjugale, qui vont de ce qu’ils appellent la « violence de couple situationnelle », où l’un ou les deux partenaires ont des comportements négatifs envers l’autre, mais où aucun ne craint l’autre, jusqu’à la « violence contrôlante coercitive », où le comportement violent est toujours le fait de l’un des partenaires contre l’autre, à tel point que la victime vit dans la peur du partenaire violent, qui détient tout le pouvoir ou presque et contrôle la relation. Les relations de violence contrôlante coercitive nécessitent les interventions juridiques les plus fortes, à la fois en droit familial et en droit criminel.
L’étude de Kelly et de Johnson (2008) montre que certains types de violence conjugale, y compris la violence de couple situationnelle, ne présentent pas de dynamique de genre particulière, puisque les femmes comme les hommes adoptent ce genre de comportement. Par contre, la violence contrôlante coercitive, soit le type le plus susceptible de provoquer des blessures physiques graves, des dommages psychologiques à long terme et la mort dans le cadre de relations hétérosexuelles, est exercée en immense majorité par des hommes contre des femmes (Kelly et Johnson, 2008).
Ces conclusions sont appuyées par le rapport de 2016 de l’administrateur en chef de la santé publique du Canada :
En 2014, 131 Canadiens ont été tués par un membre de la famille et 133 920 cas de violence dans les fréquentations ou de violence familiale ont été signalés. Dans la majorité des cas, la victime était une femme [...] Les femmes sont plus susceptibles que les hommes d’être tuées par un partenaire intime et d’être victimes de violence sexuelle et de formes plus graves de violence conjugale chronique […] (Administrateur en chef de la santé publique du Canada, 2016, message et p. 3).
Ce rapport de recherche reflète le caractère sexué de la violence familiale, surtout les formes les plus graves de violence contrôlante coercitive et le meurtre. Dans la présente étude, nous emploierons les mots « femme » ou « elle » pour désigner la personne qui subit la violence et les mots « homme » ou « il » pour désigner la personne qui l’inflige. Nous admettons que les hommes peuvent être des survivants de violence infligée par leur conjointe et que la violence familiale survient aussi dans les relations homosexuelles féminines et masculines (Administrateur en chef de la santé publique du Canada, 2016). Pour que les outils de dépistage puissent être utilisés de manière universelle, ils doivent être conçus pour fonctionner avec des personnes (hommes, femmes, et ceux situés ailleurs sur le continuum d’identité de genre) engagées dans une diversité de relations intimes, et les mots employés devraient refléter cette diversité.
Il est important que les praticiens du DF comprennent les différents types de violence et sachent quel type de violence leur client subit afin de pouvoir déterminer les procédures et les solutions juridiques appropriées à la situation de leur client (Carey, 2011). Par ailleurs, les tactiques de violence peuvent varier d’une relation à l’autre. Les tactiques fréquentes comprennent la violence physique, sexuelle, émotionnelle ou psychologique, sociale, verbale et financière, mais un agresseur peut aussi utiliser la religion, la race, l’ethnicité, l’âge ou une autre caractéristique de sa victime pour l’intimider et la contrôler. La plupart des agresseurs utilisent plusieurs tactiques au fil du temps et certaines des violences les plus graves, qui ont les effets les plus durables sur la victime, ne sont pas physiques, mais psychologiques (Johnson et Dawson, 2011).
Le cercle de contrôle et de pouvoir ci-dessous, conçu par les programmes d’interventions en violence familiale de Duluth (Pence et Paymar, 2003), fournit une description visuelle utile des diverses tactiques de violence (Domestic Abuse Intervention Programs, s.d.).
Le cercle de contrôle et de pouvoir, © Domestic Abuse Intervention ProgramsNote de bas de page 2
Version texte – Le cercle de contrôle et de pouvoir
L’image représente une roue de chariot. Les mots dans la partie supérieure de la roue disent : Physique violence sexuelle. Les mots dans la partie inférieure de la roue répètent les mots : Physique violence sexuelle.
Au centre, on peut lire : POUVOIR et CONTRÔLE.
Il y a huit pointes qui sont décrites ci-dessous.
- Recours à l’Intimidation : effrayer la victime par des regards, actes et gestes; fracasser des objets, détruire ses possessions; maîtriser l’animal de maison; brandir une arme
- Recours à la violence Psychologique : rabaisser la victime; susciter une mauvaise opinion d’elle-même, l’insulter; lui faire croire qu’elle souffre de folie, jouer au plus malin, l’humilier; la culpabiliser
- Recours à l’Isolement : surveiller ce que la victime fait, qui elle voit et à qui elle parle, ce qu’elle lit, où elle va; limiter sa participation aux activités extérieures; mettre sur le compte de la jalousie certaines actions
- Nier, blâmer et minimiser : minimiser l’abus et allouer peu d’importance aux préoccupations de la victime; refuser d’admettre l’existence de mauvais traitements; ne pas se sentir responsable du comportement violent; dire que c’est de sa faute.
- Utilisation des ENFANTS : culpabiliser la victime à propos des enfants; utiliser les enfants pour communiquer avec elle; utiliser le droit de visite pour la harceler; menacer de lui enlever les enfants
- Invocation du privilège masculin : traiter la victime comme une domestique; prendre toutes les décisions importantes; se comporter comme le maître des lieux; être celui qui définit les rôles masculins et féminins
- Recours à l’abus économique : empêcher la victime d’obtenir ou de conserver un emploi; l’obliger à demander de l’argent; lui fournir une allocation; lui prendre son argent; ne pas la renseigner ou lui donner accès au revenu familial
- Recours à la coercition et menace : menacer de faire du mal à la victime et(ou) mener les menaces à exécution; menacer de la quitter, de se suicider, de la dénoncer à l’aide sociale; l’obliger à retirer ses accusations; lui faire commettre des actes illégaux
Toute personne travaillant avec des survivants de violence familiale, y compris un praticien du DF, a aussi besoin de comprendre la violence après une séparation (Ornstein et Rickne, 2013). C’est important, car non seulement la violence ne cesse pas à la séparation, mais elle augmente alors souvent (Zeoli, Rivera, Sullivan et Kubiak, 2013).
Le rapport annuel 2016 du Comité d’examen des décès dus à la violence familiale de l’Ontario constate, comme dans chaque rapport précédent depuis 2003, que la séparation effective ou imminente est le second facteur de risque de décès, suivant de près le premier facteur de risque : des antécédents de violence familiale (73 %). Soixante-sept pour cent des cas étudiés dans le rapport 2016 comprennent une séparation effective ou imminente (Bureau du coroner en chef de l’Ontario, 2017).
La violence après la séparation comporte beaucoup plus de risque de blessures mortelles, comme le montre ci-dessous le cercle de contrôle et de pouvoir après une séparation des programmes d’intervention en violence familiale de Duluth (Programmes d’intervention en violence familiale, s.d.).
Cercle de contrôle et de pouvoir après une séparation
Version texte – Cercle de contrôle et de pouvoir après une séparation
Une image de roue de chariot. Le cercle extérieur répète deux fois l’énoncé suivant : Antécédents de violence physique ou sexuelle, contrainte et contrôle de la mère et des enfants.
Le cercle intérieur répète deux fois l’énoncé suivant : Attention soutenue sur la mère.
Au centre de la roue, on peut lire : Contrôle et pouvoir après une séparation.
Il y a huit pointes qui sont décrites ci-dessous :
- Recours au harcèlement et à l’intimidation : détruire des objets qui appartiennent ou font penser à la mère ou aux enfants; ne pas respecter une ordonnance de non-contact en utilisant les enfants comme prétexte; menacer ou traquer la mère ou les enfants; faire connaître sa présence tout en restant à l’extérieur des limites géographiques imposées par le tribunal; maltraiter un animal; recourir à des tiers pour harceler
- Saper les capacités parentales de la mère : chambouler les habitudes alimentaires et de sommeil des enfants; ne pas tenir la mère au courant des besoins sociaux, émotionnels et physiques des enfants; aller à l’encontre des règles imposées par la mère aux enfants; exiger des droits de visite qui nuisent aux enfants
- Discréditer la femme en tant que mère : dénigrer la mère à cause de son statut social, identité sexuelle, niveau d’éducation ou revenu, de sa race ou religion, ou du fait qu’elle est immigrante; accuser à tort sans arrêt la mère de maltraiter les enfants, de tromper le père, de se droguer, d’être « folle »; tenter d’attirer la sympathie en abusant du « besoin d’un père pour les enfants »; isoler la mère de sa famille, de ses amis, des professionnels de la santé qui la suivent et de ses autres appuis
- Priver la mère d’argent : ne pas payer les frais d’assurance, médicaux ni de base; recourir aux tribunaux pour priver la mère de son argent ou de ses ressources; nuire aux activités professionnelles de la mère; empêcher la mère de recevoir l’argent auquel elle a droit après une séparation
- Mettre les enfants en danger : négliger les enfants quand il en a la garde; placer les enfants dans des situations physiques ou émotionnelles qui ne conviennent pas à leur âge; faire preuve de violence devant les enfants
- Négliger les enfants : ne pas tenir compte de l’horaire ni des devoirs scolaires des enfants; se moquer des besoins, des désirs, des craintes et de l’identité des enfants; obliger les membres de sa famille, sa nouvelle épouse ou petite amie ou d’autres femmes à élever les enfants; traiter les enfants comme s’ils étaient plus jeunes ou plus vieux; imposer des stéréotypes de genre aux enfants
- Nuire au lien entre la mère et les enfants : obliger les enfants à s’allier à lui; parler aux enfants en mal de leur mère; utiliser les enfants pour espionner leur mère; isoler les enfants de leur mère, et vice-versa
- Faire subir de la violence physique ou sexuelle aux enfants ou à leur mère : menacer les enfants de les tuer, ou de les kidnapper; blesser la mère; faire preuve de violence physique, sexuelle ou émotionnelle à l’endroit des enfants; menacer de se suicider; imposer des contacts sexuels à la mère comme préalable à la sécurité des enfants ou à une relation entre la mère et les enfants; recourir à de la pornographie en présence des enfants.
Droit d’auteur© 2013
Programmes d’intervention en violence familiale
202 East Superior Street
Duluth (MN) 55802
218-722-2781
www.theduluthmodel.org
La plupart des agresseurs cherchent des moyens de reprendre le pouvoir et le contrôle après que leur partenaire les a quittés (Brownridge, 2006). Certains pensent qu’ils doivent punir la femme de les avoir quittés. D’autres espèrent, d’une certaine manière, que s’ils rendent la vie difficile à leur ancienne conjointe, elle reviendra en couple. La motivation de l’ancien conjoint influencera le type de violence qu’il commet. Par exemple, un agresseur qui veut reprendre le pouvoir et le contrôle est susceptible d’adopter un comportement coercitif. Un agresseur qui veut punir son ancienne conjointe peut être violent physiquement. Celui qui veut la faire revenir peut utiliser l’exploitation financière.
De plus, les tactiques particulières peuvent changer. Si l’agresseur n’habite plus avec son ex-conjointe, il est peut-être incapable de la violenter physiquement autant qu’avant. Dans ce cas, ce sont plutôt la traque furtive, le harcèlement criminel et les menaces qui deviennent plus fréquentes. L’agresseur peut hanter le lieu de travail de la femme, un endroit où il sait pouvoir la trouver (Showalter, 2016). Il peut commencer à cibler les enfants et à les manipuler affectivement pour qu’ils prennent son parti (Fotheringham, Dunbar et Hensley, 2013; Zeoli, et coll., 2013).
Comme le révèle le travail du Centre de recherche interdisciplinaire sur la violence familiale et la violence faite aux femmes de l’Université Laval, la violence après la séparation peut avoir des incidences graves, physiques, psychologiques et financières, à la fois sur la femme et ses enfants (Dubé et coll., 2008).
Les services de soutien aux femmes battues de Vancouver (Battered Women’s Support Services) ont examiné la relation entre la violence après la séparation et les procédures devant les tribunaux de la famille, et ont relevé certaines tactiques qu’un agresseur peut employer pour garder le pouvoir et le contrôle sur son ex-conjointe (Law, 2014).
Voici certaines tactiques courantes d’intimidation juridique :
- refuser de déposer des documents judiciaires, le faire en retard ou déposer des documents incomplets ou inexacts, en particulier quant à l’information financière;
- se représenter soi-même quand ce n’est pas nécessaire;
- présenter des motions vexatoires;
- refuser de se conformer aux ordonnances d’un tribunal;
- retarder la procédure en demandant des ajournements à répétition ou en changeant d’avocat plusieurs fois;
- refuser de négocier;
- mêler les enfants à l’affaire de droit familial;
- menacer ou agresser physiquement la femme pendant la procédure devant les tribunaux de la famille.
(Abshoff et Lanthier, 2008; Bemiller, 2008; Coy, Scott, Tweedale, Perks, 2015; Martinson et Jackson, 2017).
Signaler un problème sur cette page
- Date de modification :