Programmes d'intervention en matière de violence envers le partenaire intime

ANALYSE

Dans le présent rapport, nous avons passé en revue et résumé les divers programmes offerts au Canada dans le domaine de la justice, en portant une attention particulière aux services proposés dans les cadres judiciaire, clinique et communautaire et destinés à la majorité des auteurs de VPI. Les résultats obtenus nous renseignent tant sur les caractéristiques communes des programmes que sur les différences considérables qui existent dans l’organisation des systèmes et dans le contenu. L’analyse qui suit porte sur quelques-uns des grands thèmes pour lesquels des différences ou des similitudes ont été constatées.

Service d’intervention

Un des éléments les plus frappants qui ressort de l’examen des programmes a trait à l’immense variété des mesures adoptées en matière de justice pour intervenir auprès des auteurs d’infractions de violence familiale, et ce, non seulement d’un territoire ou d’une province à l’autre, mais également à l’intérieur même de ces provinces et territoires. Le programme le plus fréquent suit une forme ou une autre de thérapie psychopédagogique, cognitivo-comportementale ou narrative offerte à des groupes de 8 à 12 participants pendant 16 Ã  20 semaines (pour un total de 32 à 40 heures). Dans certains endroits, le programme proposé est plus court : il est de 10 à 12 semaines (20 à 24 heures) et s’adresse le plus souvent à des contrevenants à faible risque. Dans tout le pays, on ne trouve qu’un seul programme obligatoire d’une durée inférieure à 20 heures : le programme Second Chance, qui s’échelonne sur 5 semaines, et pour lequel peuvent opter les contrevenants à faible risque de la Nouvelle-Écosse. Par ailleurs, dans l’une des provinces, l’Ontario, le financement est conditionnel à la taille du groupe : celui-ci doit accueillir au moins 15 participants. En ce qui a trait à la question du contenu, les programmes couvrent normalement plusieurs des notions suivantes, et ce, indépendamment de leur durée, du modèle thérapeutique privilégié ou de la taille du groupe : les clés pour comprendre la violence, les répercussions de la violence sur les victimes, la capacité à réguler les émotions et la résolution de problèmes. La plupart des programmes comportent un volet d’information concernant les effets de la VPI sur les enfants.

Il semble que les programmes offerts au Canada se divisent à peu près également selon trois principaux modèles thérapeutiques : la thérapie psychopédagogique, la thérapie cognitivo-comportementale et la thérapie narrative. Aucun lien n’a été observé entre la durée du programme et le modèle thérapeutique privilégié, pas plus qu’entre ce dernier et le niveau de risque, mais on remarque que les programmes fondés sur une approche psychopédagogique ont le plus souvent tendance à cibler les contrevenants à faible risque. Fait intéressant, le mode d’intervention privilégié varie autant à l’intérieur d’une même province que d’une province à l’autre. On pourrait en conclure que cette situation permet au contrevenant de choisir les modalités thérapeutiques qu’il préfère; en réalité, elle est plutôt la conséquence du fait que les organismes d’une même région n’adoptent pas forcément tous une même approche. Ainsi, dans les faits, rares sont les cas où un contrevenant sera en mesure de choisir un mode d’intervention autre que celui qui lui est proposé.

Bien que l’intervention de groupe demeure la forme prédominante d’intervention liée à la justice, une proportion minoritaire, mais importante de programmes (notamment, la plupart des programmes fondés sur une approche narrative) offre des séances en individuel en plus du travail en groupe. Dans la plupart des cas, ces séances individuelles se tiennent avant les rencontres de groupe et servent à évaluer le client et à le motiver. Font exception les organismes dont la mission est de servir les populations autochtones : ceux-ci adoptent souvent une perspective holistique, centrée sur la famille, et ils ont tendance à offrir toute une gamme de services pour répondre au problème de la violence conjugale, dont le travail en groupe et les séances de thérapie en individuel, en famille et en couple.

Enfin, il est important de souligner que la plupart des provinces et territoires appliquent des procédures plus ou moins différentes devant les TICVF en fonction du niveau de risque présenté par le délinquant selon une évaluation standardisée. En revanche, les programmes d’intervention ne font généralement pas ce genre de distinctions. Dans la plupart des régions, qu’il s’agisse de contrevenants chez qui le risque de récidive est évalué comme étant faible, modéré ou élevé, de délinquants dirigés vers le service en application d’une ordonnance judiciaire ou envoyés par un autre organisme communautaire, ou encore de participants volontaires, tous suivent le même programme et reçoivent les mêmes services. Dans les régions où on trouve un tribunal chargé des causes de violence familiale, la probabilité de trouver également différents services adaptés est plus élevée. Dans ces régions, le modèle le plus courant consiste à offrir deux services : a) un programme spécialisé plus court, relativement bien intégré aux tribunaux et ouvert uniquement aux contrevenants à faible risque; b) un programme d’intervention plus long, offert en milieu communautaire, qui s’adresse aux contrevenants posant un risque modéré à élevé qui ont été envoyés par leur agent de probation, ainsi qu’aux clients recommandés par des organismes communautaires ou par les services de protection de l’enfance et aux volontaires. Dans l’ensemble du Canada, seule une minorité de tribunaux et d’organismes offrent des programmes d’intervention de groupe réservés exclusivement aux contrevenants posant un risque modéré à élevé (voir un exemple de ce modèle de service dans la section sur la Colombie-Britannique).

Responsabilités envers les victimes

Un des aspects qui fonde la réponse du domaine de la justice à la VPI réside dans ce double souci qui consiste à favoriser la responsabilisation des auteurs de violence familiale et à offrir des services et du soutien aux victimes comme aux agresseurs. Les provinces et les territoires qui se sont dotés d’un plan d’action se sont tous engagés à intervenir auprès des agresseurs et à soutenir les victimes. Ainsi, la plupart des mesures d’intervention liées à la justice qui ont été mises en place à l’échelle du Canada prévoient une forme ou une autre de soutien pour les victimes. Cela dit, la pratique consistant à intégrer certaines mesures à l’intention des victimes – comme la prise de contact et la prestation de services de soutien et d’orientation – aux programmes d’intervention s’adressant aux agresseurs n’est pas généralisée. Il est vrai que dans un certain nombre de provinces et de territoires, le contact avec la victime constitue une composante obligatoire de tous les services d’intervention liés à la justice en matière de VPI. C’est le cas, par exemple, dans les Territoires du Nord-Ouest, où le soutien aux victimes constitue un des aspects centraux de tous les services. Cependant, dans d’autres provinces, les organismes qui Å“uvrent auprès des contrevenants contraints par le tribunal de suivre un programme de traitement de la VPI s’en remettent aux services de probation, à la police, aux services d’aide aux victimes, voire au gestionnaire du tribunal pour apporter un soutien à la victime. Dans tout le pays, seule une minorité de programmes offre du soutien thérapeutique (à savoir, des services qui vont au-delà de la communication d’informations, de la planification de mesures de sécurité et de l’aiguillage) aux victimes de la violence perpétrée par les hommes. Les organismes les plus susceptibles d’offrir une aide thérapeutique aux agresseurs ainsi qu’aux femmes violentées sont ceux dont le mandat est de servir les populations autochtones.

Compétences parentales

Les recherches ont clairement démontré que l’exposition à la VPI avait des répercussions négatives chez l’enfant et qu’il existait un taux très élevé de recoupements entre le comportement violent d’un homme envers la mère d’un enfant et la violence physique et psychologique qu’il exerce directement sur l’enfant. Pour tenir compte de ce fait, certains plans d’action en matière de PVI comportent désormais un énoncé sur l’importance d’intervenir sur le plan des compétences parentales afin d’empêcher l’éventuelle poursuite du cycle intergénérationnel de la violence. La question de savoir si la réponse de la justice à la VPI devrait ou non comporter des mesures ciblant les compétences parentales est matière à débat. Cela dit, d’après l’examen réalisé dans le cadre de la présente étude, il est une chose qui ne fait pas de doute : à quelques exceptions près, les programmes de lutte contre la VPI n’interviennent que de façon limitée sur la question des compétences parentales. Certes, les programmes d’intervention fondés sur une approche psychopédagogique ou cognitivo-comportementale sont nombreux à consacrer une ou deux séances de groupe à la sensibilisation des hommes aux effets de la VPI sur les enfants qui y sont exposés et à des discussions sur l’importance du rôle du père, qui sert de modèle pour ses enfants. Ces deux séances représentent probablement une précieuse source de motivation pour les hommes qui y participent et elles concourent sans doute aussi à leur faire prendre davantage conscience de l’impact de la VPI. Toutefois, elles sont bien insuffisantes pour traiter des problèmes engendrés par une séparation ou pour envisager de modifier les comportements problématiques de ces pères (attribution d’intention hostile, faible réceptivité émotionnelle). Les exceptions auxquelles il est fait allusion plus haut sont les quelques organismes qui, à divers endroits au pays, offrent le programme Caring Dads et les autres, également peu nombreux, qui proposent aux auteurs d’infractions de VPI une intervention axée sur les besoins de la famille.

Intégration à un système

Les programmes d’intervention relevant du domaine de la justice font nécessairement partie d’un dispositif plus vaste d’intervention pour lutter contre la VPI. Nous en avons examiné un certain nombre d’aspects, notamment les questions de l’aiguillage, du financement, de la prise de responsabilités envers les victimes, de l’évaluation du risque et du degré d’intégration entre services de justice et services communautaires. Comme on pouvait s’y attendre, compte tenu des différences qui caractérisent les origines et l’évolution des divers services offerts au Canada, nous avons observé de nombreuses différences entre les dispositifs d’intervention liés à la justice. Souvent, il est possible d’établir un lien entre ces différences et les priorités énoncées dans les divers plans d’action contre la violence familiale. Par exemple, si le plan d’action souligne l’importance du soutien aux victimes, ces dernières auront davantage de services à leur disposition. Si le plan insiste sur le fait que violence conjugale et compétences parentales lacunaires sont intimement liées, il prévoira davantage de services interreliés pour tenir compte du fait que le système de justice pénale et celui de la protection de l’enfance se saisiront tous deux du dossier du contrevenant.

Au vu des résultats de l’examen que nous avons effectué, un autre élément qui attire l’attention est l’intérêt plus ou moins marqué que prêtent les divers intervenants à la question de l’intégration. Les avantages découlant de l’échange d’information et de la concertation entre intervenants communautaires et intervenants du secteur de la justice semblent faire largement consensus. Or, le degré réel d’intégration varie considérablement d’un endroit à l’autre. Dans les provinces et territoires où il existe de solides liens entre programmes d’intervention et système de justice, les agresseurs sont dirigés vers des programmes pour lesquels les canaux de communication avec les services de justice sont clairement établis (à défaut d’être efficaces dans tous les cas). C’est la situation inverse qui règne dans les systèmes où délinquant et agent de probation doivent faire des recherches pour tenter de trouver le service qui convient le mieux parmi ceux qui sont offerts. Partant, un examen approfondi des avantages, inconvénients et implications de ces différences d’interconnexion s’impose.

Évaluation

On recense un nombre assez important d’études qui se sont penchées sur les interventions liées à la justice pour lutter contre la VPI au Canada. Les études les plus exhaustives semblent porter sur les tribunaux chargés des causes de violence familiale et sur les procédures et processus qui y sont associés, quoique certaines s’intéressent également à des programmes d’intervention particuliers. Cela dit, la plupart des recherches effectuées au sujet des programmes et services au Canada font partie de la « documentation parallèle Â» publiée pour un public restreint, même s’il arrive que les résultats paraissent aussi dans des revues scientifiques avec comité de lecture. Il y aurait peut-être lieu de procéder à un examen complet des évaluations qui ont été réalisées au Canada, examen dont les constatations pourraient servir de base à la poursuite de l’élaboration, à partir de données empiriques, de normes de pratiques exemplaires pour encadrer l’action des intervenants liés à la justice auprès des auteurs d’infractions de VPI.

Limites

Dans ses efforts pour avoir accès aux politiques et pratiques accompagnant les réponses au problème de la VPI qui ont été mises en œuvre dans le secteur de la justice un peu partout au Canada, puis les examiner et les décrire, le projet se voulait ambitieux. Bien que nous ayons pu discuter de nos conclusions – en constante évolution – avec des intervenants clés de chaque province et territoire, il est tout à fait possible que nous ayons omis certains aspects d’une politique ou d’une pratique. De plus, comme nous l’avons signalé précédemment, nous n’avons pas entrepris d’examen systématique des services destinés aux contrevenants appartenant à une minorité (femmes, LGBTQ, minorités culturelles et linguistiques); or on trouve vraisemblablement de nombreux services innovants à l’intention de ces clientèles, et ceux-ci n’ont pas été étudiés.

CONCLUSIONS

Le projet a été l’occasion de procéder à un examen des services d’intervention liés à la justice mis sur pied au Canada pour lutter contre la VPI. Parce qu’elle nous éclaire sur les caractéristiques communes de mesures d’intervention appliquées au pays comme sur leurs différences, l’entreprise s’est révélée enrichissante, et ses résultats constitueront sans doute un excellent point de départ pour la tenue d’un vaste débat sur les politiques et programmes qui existent au Canada en matière de VPI.

Ressources

Établir les liens dans les cas de violence familiale : collaboration entre les systèmes de droit de la famille, de protection de la jeunesse et de justice pénale, Ministère de la Justice

Arguments en faveur d’un plan d’action canadien contre la violence faite aux femmes
Réseau canadien des maisons d’hébergement pour femmes, octobre 2013.

Établir les liens dans les cas de violence familiale : collaboration entre les systèmes de droit de la famille, de protection de la jeunesse et de justice pénale, vol. II, Annexes au rapport du Groupe de travail spécial fédéral-provincial-territorial sur la violence familiale