Dépistage rapide et orientation des familles vivant une séparation ou un divorce fortement conflictuel
POUR MIEUX SAISIR LES EFFETS DU DIVORCE
Jusqu’aux années 80, les professionnels de la santé mentale ne semblaient pas s’entendre à savoir si le divorce avait, sur les enfants, des effets nocifs durables ou si le divorce était vécu par les enfants comme une expérience anodine, voire constructive. Dans les années 60 et 70, alors que de nombreux pays commençaient à libéraliser leur législation en matière de divorce, beaucoup estimaient que, pour les enfants, il était mieux d’affronter les difficultés provisoires nées de la séparation de leurs parents que de continuer de vivre dans une famille où l’un des conjoints, parfois les deux, étaient malheureux.
Richard Gardner (1970 : xix), plus connu depuis pour ses idées sur l’aliénation parentale, a ainsi pu écrire que « l’enfant dont les parents sont pris dans un mariage malheureux sera plus sujet aux difficultés psychiatriques que celui dont les parents mal assortis ont été assez sains et assez forts pour mettre fin à leur relation insatisfaisante »
.
Plusieurs études cliniques (Felner, 1984; Felner et Terre, 1987; Peterson et autres, 1984; Rutter, 1981) tendent à confirmer cela, concluant en général que la mésentente conjugale risque d’être plus nuisible au développement de l’enfant qu’une séparation ou un divorce. Rutter (1981) estime que la séparation d’un couple va, à court terme, certes, être durement ressentie par l’enfant, mais que cela ne devrait pas entraîner de perturbations plus tard.
Cette idée que le divorce constitue, pour les enfants, un trouble passager, est reprise par la Commission de réforme du droit du Canada de 1975 (Richardson, 1996 : 233), pour dire que « le divorce ne détruit pas nécessairement la vie familiale »
. Étant donné que de nombreux divorcés se remarient, la Commission a affirmé que : « le divorce peut parfois offrir une solution constructive aux conflits conjugaux, en permettant aux conjoints et aux enfants de créer un nouveau foyer plus viable »
.
Cela dit, les études qui voient dans le divorce une période de transition difficile, certes, mais n’ayant, à long terme, que des effets relativement anodins, sont en minorité. En effet, selon la majorité des études, le divorce des parents constitue, pour les enfants, une période extrêmement difficile susceptible d’entraîner, dans l’immédiat et à long terme, de graves répercussions.
Ces études peuvent être classées en quatre catégories :
- celles qui détaillent les retombées néfastes que subissent les enfants après le divorce de leurs parents;
- celles qui détaillent les facteurs qui, sur le plan des émotions, des relations, qu’ainsi qu’au niveau structurel/environnemental, contribuent, pour les enfants, à une issue favorable;
- celles qui détaillent les facteurs d’ordre émotionnel, relationnel et structurel qui contribuent, pour les enfants, à une issue néfaste;
- celles qui se penchent sur les liens existant entre les décisions prises en matière de garde et de droits de visite et leurs répercussions sur la vie des enfants.
Les études mettant en évidence les conséquences néfastes chez les enfants
Plusieurs études sur la vie des enfants après le divorce de leurs parents ont révélé, chez ces enfants, un ensemble récurrent de problèmes ayant trait à leur développement et à leur apprentissage scolaire, ainsi qu’au niveau de leur vie émotionnelle et sociale. Jacobson (1978b) établit un lien entre une mauvaise adaptation au divorce des parents, qui donne lieu à divers symptômes, et l’hostilité qui se manifeste entre les parents après le divorce. Il relève, parmi les symptômes de cette inadaptation, des signes d’hyperactivité, des troubles de l’apprentissage, un comportement immature ou psychotique et des signes de déviance sociale. L’analyse de 31 autres études, à laquelle se sont livré Amato et Keith (1991a), va à l’encontre de l’argument généralement avancé selon lequel le divorce des parents n’entraîne, en bout de ligne, que peu de problèmes dans le développement des enfants. Celle-ci conclut qu’il est fréquent que les enfants subissent les contrecoups du divorce de leurs parents dans les domaines suivants :
- bien-être psychologique (dépression, peu de satisfaction de vivre);
- bien-être familial (vie conjugale difficile et prédisposition au divorce);
- bien-être socio-économique (faibles niveaux de scolarité et de revenu, et faible statut sur le plan de l’emploi);
- santé physique.
Dans une seconde méta?analyse portant sur 92 études, Amato et Keith (1991b) ont conclu que le divorce des parents semble nuire au bien-être des enfants dans les domaines suivants :
- résultats scolaires;
- comportement social;
- adaptation psychologique;
- image de soi;
- adaptation sociale;
- relation mère-enfant;
- relation père-enfant.
Dans une autre méta-analyse d’un certain nombre d’études portant sur le divorce, Amato (1994) concluait que les enfants dont les parents ont divorcé manifestent :
- davantage de problèmes de comportement;
- de plus nombreux symptômes d’une inadaptation psychologique;
- des résultats scolaires inférieurs;
- davantage de difficultés sur le plan social;
- une faible estime de soi.
Dans une étude de 121 enfants dont les parents ont divorcé, Healy et autres (1993) ont suivi les effets du sentiment de culpabilité que développent les enfants à la suite du divorce de leurs parents. Les enfants qui avaient vécu dans des familles où, après le divorce, les parents ont éprouvé davantage d’hostilité réciproque, avaient plus tendance à se reprocher ce qui s’était passé, ce sentiment de culpabilité entraînant généralement chez eux un sens appauvri de leur valeur personnelle ainsi qu’un taux plus élevé de symptômes psychologiques et de problèmes du comportement. Dans un même ordre d’idée, les adultes qui, enfants, avaient également assisté au divorce de leurs parents, obtenaient, selon une grille d’indicateurs psychologiques, interpersonnels et socio-économiques, des résultats inférieurs à ceux des adultes élevés dans une famille intacte.
Franklin et autres (1990) ont mené des recherches afin de voir comment le divorce de leurs parents affectait les idées que se faisaient du mariage et de la confiance envers les autres des jeunes effectuant des études post-secondaires. Selon leur étude auprès de 568 jeunes étudiant à l’université, les enfants de parents divorcés se montraient beaucoup plus pessimistes que les enfants issus d’une famille intacte au sujet de leur propre mariage éventuel. Selon des études complémentaires, ce pessimisme concernait uniquement le mariage et n’affectait en rien d’autres domaines liés à la confiance interpersonnelle.
Guidubaldi et Perry (1985) se sont penchés sur les problèmes d’adaptation ressentis, après le divorce de leurs parents, par 699 enfants qui furent suivis pendant deux ans. Les auteurs ont constaté que les enfants de parents divorcés obtenaient de moins bons résultats au niveau du comportement social et du développement émotionnel, et manifestaient davantage de symptômes d’ordre psychologique que les enfants issus de familles intactes.
Une enquête canadienne, l’Enquête longitudinale nationale sur les enfants et les jeunes (ELNEJ), a déjà permis la publication de plusieurs études sur le divorce, y compris celles de Willms (1996), Lipman et autres (1996), Cheal (1996) et Haddad (1998). Ces études sont intéressantes car, de manière générale, elles ne confirment pas les conclusions de la plupart des autres travaux ni en ce qui concerne les contrecoups néfastes que le divorce entraînerait pour les enfants, ni pour ce qui est de l’intensité des incidences fâcheuses. On ne parvient pas encore à expliquer ces différences de résultats.
Selon Willms (1996), les enfants de 2e, 4e et 6e année vivant dans une famille monoparentale avaient en général, souvent en raison de la séparation des parents mais pas toujours, des résultats scolaires de 20 p. 100 inférieurs à ceux des enfants vivant avec leurs deux parents.
Lipman et autres (1996) font état de résultats surprenants après avoir comparé les problèmes éprouvés, en matière d’émotions, de comportement et de vie en société, par des enfants vivant au sein de familles monoparentales et au sein de familles comportant deux parents. Selon cette étude, si les enfants vivant sous le toit d’un seul parent ont plus de chances d’éprouver ce genre de problèmes personnels, la majorité des enfants éprouvant de tels problèmes vivent dans des familles comportant deux parents. Le risque encouru par ces enfants est vraisemblablement lié au fait que les familles monoparentales, et en particulier celles menées par une femme, ont généralement un revenu sensiblement inférieur à celui d’autres familles, la faiblesse du revenu après divorce constituant, d’après de nombreuses autres études, un facteur de risque important pour les enfants.
L’étude menée par Cheal (1996) sur 875 enfants vivant avec un parent qui est remarié, démontre, chez les enfants, un stress dû à leur relation avec le beau-père ou la belle-mère. L’étude ne permet toutefois pas de dire si ces rapports avec un beau-père ou une belle-mère entraînent, pour l’enfant, un plus grand risque d’être maltraité. Les conclusions de cette étude vont à l’encontre d’autres travaux qui démontrent que la présence d’un beau-père ou d’une belle-mère, et particulièrement d’un beau-père ayant lui-même des enfants du sexe féminin, crée effectivement pour l’enfant un plus grand risque d’être maltraité. Selon d’autres études, l’entrée dans la famille d’un nouveau partenaire adulte est effectivement un facteur d’augmentation du risque de voir les enfants éprouver, après le divorce de leurs parents, des difficultés d’adaptation sociales ou émotionnelles.
Selon Haddad (1998) 15,7 p. 100 des enfants canadiens âgés de moins de 12 ans habitent dans des familles monoparentales, souvent en raison du divorce de leurs parents, et 8,6 p. 100 des enfants vivent soit dans une famille recomposée, soit avec des adultes qui ne sont pas leurs parents naturels. Selon cette étude, il n’existe qu’un faible lien entre le divorce et les problèmes éprouvés par les enfants au niveau des émotions ou du comportement. On n’y constate de plus aucune différence sensible en ce qui a trait aux problèmes éprouvés entre les enfants dont les parents se partagent la garde, les enfants confiés à la garde de leur mère et ceux qui sont confiés à la seule garde de leur père.
Les études qui tentent de cerner les facteurs émotionnels, relationnels, structurels/environnementaux qui favorisent une heureuse issue pour les enfants après la séparation et le divorce de leurs parents
Kurdek and Siesky (1981) ont cerné plusieurs facteurs qui favorisent une bonne adaptation des enfants, en l’occurrence :
- le fait de voir dans le divorce une séparation surtout psychologique plutôt que physique;
- la possibilité de pouvoir en parler à ses camarades;
- le fait d’avoir des deux parents une impression favorable;
- le fait de parvenir à puiser dans le divorce qui s’est produit de nouvelles forces et un nouveau sens des responsabilités.
Dans une étude portant sur 51 familles s’étant entendues sur la garde conjointe des enfants, Steinman et autres (1985) ont cerné un certain nombre de facteurs qui contribuent à la réussite de mesures de garde conjointe. Selon cette étude, les familles parvenues à s’entendre sur une garde conjointe étaient caractérisées par :
- du respect entre les enfants et l’ex-conjoint et une appréciation de ce lien;
- la faculté de rester objectif en ce qui a trait aux besoins des enfants au cours de périodes difficiles du divorce;
- la capacité de se mettre à la place de l’enfant et de l’autre parent;
- la faculté de faire évoluer ses attentes émotionnelles et de passer du rôle de conjoint à celui de co-parent;
- la capacité de définir les nouveaux rôles;
- en général beaucoup d’amour-propre, de la souplesse et la volonté d’aider les autres.
Pour Buchanan et ses collègues (1981), le principal indicateur d’un avenir favorable pour les enfants est le maintien de la relation entre les deux parents et l’enfant.
Les études qui tentent de cerner les facteurs émotionnels, relationnels et structurels/environnementaux qui pèsent lourdement sur l’avenir des enfants après le divorce de leurs parents
Selon Felton (1979), la capacité des enfants de s’adapter à un divorce est la plupart du temps en rapport avec le sentiment de perte que le parent éprouve en raison du divorce.
Selon l’étude que Jacobson (1978b) a menée sur 51 enfants, plus le conflit entre les parents est aigu, plus le comportement des enfants risque d’en être affecté, l’auteur relevant qu’au niveau de leur adaptation au divorce de leurs parents, le facteur le plus perturbateur pour les enfants est d’avoir à assister à des scènes violentes.
Kurdek et Siesky (1981) ont relevé plusieurs facteurs qui pèsent défavorablement sur l’adaptation des enfants au divorce de leurs parents :
- les conflits entre les parents au cours de la période qui précède la séparation;
- le fait de faire de l’enfant le pivot du divorce;
- les problèmes qu’éprouvent les enfants avec les camarades;
- le fait qu’ils portent sur leurs deux parents un jugement défavorable.
D’après Peterson et Zill (1986), les facteurs qui exercent une influence défavorable sur l’avenir des enfants sont :
- les conflits entre les parents avant la séparation et après celle-ci, à leur résidence respective;
- de mauvaises relations parent-enfant dues au stress et aux inquiétudes découlant du divorce.
Selon Stolberg et autres (1987), un certain nombre de conditions pratiques et émotionnelles permettraient de prédire qu’un enfant aura du mal à s’adapter à la séparation ou au divorce de ses parents :
- les déménagements fréquents;
- les changements de quartier et de camarades;
- le changement de partenaires de ses parents;
- l’hostilité parentale après le divorce;
- l’adaptation des parents eux-mêmes, c’est-à-dire leur capacité de continuer à jouer de manière constructive leur rôle de parents.
Kalter et autres (1989) se sont livrés à une étude des travaux publiés en ce domaine et ont relevé six hypothèses souvent admises sur les façons dont un divorce peut entraîner chez les enfants un contrecoup néfaste. Citons notamment :
- l’absence du père;
- les difficultés financières;
- la multiplicité des stress découlant de l’existence;
- l’hostilité entre les parents;
- l’adaptation des parents;
- l’existence de crises ponctuelles.
D’après Peterson et Zill (1986), il existe plusieurs liens entre l’adaptation des enfants et le divorce des parents :
- en général, les filles acceptent mieux un divorce que les garçons (c’est cependant l’inverse lors d’un remariage, où les garçons s’adaptent mieux que les filles);
- les enfants confiés à la garde du parent du même sexe s’adaptent mieux que les enfants vivant avec un parent du sexe opposé;
- les troubles du comportement chez les enfants augmentent proportionnellement aux conflits existant entre les parents après leur divorce.
Selon Amato (1993), cinq facteurs influencent l’adaptation des enfants dans le cas d’un divorce :
- l’absence du parent qui n’en a pas la garde;
- l’adaptation du parent qui en a la garde;
- les conflits entre les parents;
- les difficultés financières;
- des changements de circonstances ou des situations stressantes pour l’enfant.
Dans une étude des résultats recueillis dans le cadre du U.S. National Survey of Children, Furstenberg (1990) note deux facteurs principaux qui semblent accroître le risque de maladaptation des enfants en cas de divorce :
- l’instabilité économique et la perte de revenu dans les familles monoparentales;
- une moins grande participation du père à la vie de l’enfant.
Selon Kelly et Wallerstein (1976), les enfants âgés de moins de huit ans voient s’amplifierles sentiments suivants :
- la tristesse et le chagrin lié au processus de deuil;
- la peur;
- la privation affective;
- les fantasmes de responsabilité et de réconciliation;
- la perte de la relation avec le père qui s’en va;
- les tensions et les troubles que provoquent les visites, la colère envers la mère qui a la garde de l’enfant;
- les conflits de loyauté envers les deux parents;
- la colère vis-à-vis des camarades d’école vivant dans des familles intactes.
D’après Kelly et Wallerstein (1977), il existe un lien direct entre l’adaptation psychologique de l’enfant et la qualité de vie qui prévaut au sein de l’unité familiale résultant du divorce ou au sein de la famille fondée par le conjoint qui se remarie. Les enfants s’adaptaient bien à la nouvelle situation lorsque les parents semblaient eux-mêmes sereins et qu’un nouveau partenaire stable était admis. Si, cependant, les parents continuaient à se montrer perturbés, ou si le conjoint ayant la garde de l’enfant accueillait dans l’intimité familiale une ou plusieurs relations problématiques, les enfants continuaient à manifester le même niveau de perturbation qu’au cours de la première année suivant le divorce.
Ces études font fréquemment état de conflits parentaux et d’hostilité interparentale mais il n’existe aucune définition généralement admise de ce que l’on entend par ces termes. De nombreuses études se fondent sur les déclarations faites par les enfants et par les parents en cause et chacun semble retenir une définition différente de ce qu’on entend par conflit parental ou conflit aigu, le seuil de tolérance vis-à-vis de ce genre de comportement variant, lui aussi, énormément.
En Amérique du Nord, Judith Wallerstein est sans doute la personne la plus connue pour ses études sur le divorce et sur les effets qu’il peut avoir à long terme sur les enfants. Avec ses collègues du Centre for Families in Transition, Wallerstein suit, depuis 1970, 131 enfants issus de 60 familles divorcées. La lecture de certaines des études qu’elle a menées (Kelly et Wallerstein, 1976, 1977; Lewis et Wallerstein, 1987; Wallerstein, 1987, 1991; Wallerstein et Blakeslee, 1989; Wallerstein et autres, 1985; Wallerstein et Kelly, 1980; Wallerstein et Lewis, 1998) nous montre que les enfants dont les parents ont divorcé ont tendance à manifester les caractéristiques suivantes :
- une tendance certaine à la sous-performance, tant au niveau des études primaires, secondaires, universitaires que dans le monde du travail;
- des problèmes psychologiques, notamment la dépression et l’angoisse, persistant pendant l’adolescence et l’âge adulte dans presque 40 p. 100 des cas;
- une tendance à abuser des drogues et de l’alcool, ce problème continuant à marquer leur existence du moins dans la vingtaine et le début de la trentaine;
- en ce qui concerne les enfants qui avaient assisté à des scènes de violence au sein de leur famille, une tendance fréquente à la violence envers leurs partenaires adultes et leurs propres enfants.
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