Dépistage rapide et orientation des familles vivant une séparation ou un divorce fortement conflictuel

MODÈLES CONFLICTUELS RELIÉS AU DIVORCE

Lorsque nous parlons de conséquences néfastes pour les enfants, il apparaît dans la majorité des études qu’une grave situation conflictuelle entre les parents représente un facteur de risque certain pour les enfants. Cela dit, il n’est pas facile de savoir exactement ce qu’on entend par situation conflictuelle. S’agit-il d’un comportement qui se manifeste dans certaines familles mais non dans d’autres? Est-ce une caractéristique psychologique que certaines personnes ont tendance à manifester dans telle ou telle circonstance? Ou encore s’agit-il d’un vécu émotionnel qui ne sera perçu que par les participants et des observateurs proches de la situation? Les situations très conflictuelles peuvent-elles être perçues et mesurées par des observateurs extérieurs? En de telles circonstances, le problème se situe-t-il au niveau du comportement ou de la réaction que les enfants peuvent avoir face à la situation à laquelle ils sont exposés? Tous les enfants en sont-ils également affectés, ou y a-t-il des enfants qui tolèrent mieux que d’autres ce genre de conflit?

Les enfants qui ont témoigné devant le Comité spécial mixte, soit par enregistrement vidéo, soit lors d’un témoignage privé, ont évoqué à cet égard des comportements tels que :

Ces enfants ont évoqué les sentiments de crainte, de tristesse et d’impuissance qu’ils éprouvent dans ce genre de situation, ainsi qu’un sentiment de loyauté partagé.

Des parents ont, eux aussi, évoqué devant le Comité spécial mixte des situations très conflictuelles, s’exprimant sous forme de comportements. Il était notamment question :

Ces mêmes parents ont évoqué aussi les sentiments de crainte, de colère et d’impuissance et les bouleversements qu’ils en éprouvent.

Les spécialistes de la santé mentale parlent souvent des situations très conflictuelles sous l’angle de la dynamique, où ils vont faire état d’un sentiment de colère ou d’impuissance, ou encore sous l’angle du comportement, et il s’agira là de violence conjugale ou d’agression physique, émotionnelle et verbale. Les spécialistes du domaine juridique et judiciaire vont souvent évoquer les situations gravement conflictuelles en termes épisodiques et y feront là état des ressources judiciaires que cela suppose et d’instances judiciaires, parfois récurrentes, introduites. Les mesures varient et manquent de précision, mais les parents et les spécialistes s’entendent pour dire que ces querelles se révèlent coûteuses pour les parents et exigent des ressources juridiques, judiciaires et cliniques très considérables.

Étant donné l’absence de critères permettant de distinguer clairement les familles fortement conflictuelles de celles qui composent avec un niveaude bouleversement et de conflit dit «  normal », tel qu’on l’observe dans la plupart des divorces, il n’est pas possible de connaître quel est, au Canada, la proportion précise des situations fortement conflictuelles. Selon les témoins qui ont comparu devant le Comité spécial mixte pour le compte du ministère de la Justice, de 5 à 10 p. 100 des divorces sont à cet égard « perturbateurs  ». D’autres témoins (Bala et Richardson, par exemple) estiment que le nombre de divorces donnant lieu à une multiplicité de litiges en matière de garde, de droits de visite et de pension alimentaire est de l’ordre de 10 à 15 p. 100. Certains avocats et représentants d’associations de défense de droits des pères estiment pour leur part que le nombre de litiges en matière de garde ou des droits de visite est un mauvais indicateur car de nombreux pères ne s’adressent jamais à la justice, estimant en effet que les tribunaux ont tendance à favoriser les mères, acquiescant la plupart du temps à leurs demandes en matière de garde et de droits de visite.

Compte tenu du débat concernant la manière dont il y aurait lieu de définir ce qu’on entend par une situation fortement conflictuelle, même si le seul critère mesurable de ce genre de situations est la multiplicité des litiges auxquels donnent lieu des problèmes de garde, de droits de visite ou de pension alimentaire, il est impossible de dire combien de familles et d’enfants peuvent effectivement être classés dans cette catégorie de situations issues du divorce.

Les recherches sur cette catégorie prennent l’une de trois formes :

Les études portant sur les divorces fortement conflictuels
et leurs effets sur les enfants

Raschke et Raschke (1979) ont effectué une comparaison de la manière dont 289 enfants inscrits à l’école primaire et appartenant indifféremment à des familles intactes, à des familles monoparentales ou à des familles divorcées (c’est-à-dire dans les cas où les deux parents continuaient à jouer un rôle dans la vie de l’enfant) faisaient face à divers types de conflits et comment ces conflits affectaient, chez les enfants, le développement du moi. Selon cette étude :

Emery (1982) s’est livré à une étude approfondie des recherches menées jusqu’alors afin de relever d’éventuelles différences entre la manière dont les enfants de familles divorcées sont affectés par l’hostilité interparentale par rapport à la manière dont en sont affectés les enfants appartenant à une famille intacte. Il trouva, d’abord, qu’il était difficile de cerner les critères extérieurs de l’hostilité et de la discorde étant donné que chaque parent, et aussi des observateurs de l’extérieur tels que les thérapeutes et les enseignants, attribuaient souvent à ce facteur une importance très variable. Il trouva également, lors d’études fondées sur un échantillon clinique, de très grandes variations par rapport aux échantillons choisis de manière aléatoire au niveau des conflits familiaux dont il était fait état, supposant que cela résultait du fait que les échantillons cliniques avaient fait l’objet d’une sorte de présélection. Autrement dit, les échantillons cliniques étaient, en raison, justement, d’un contact antérieur dans le cadre de la clinique, davantage sensibilisés à l’idée de conflit.

D’après Emery, il est très difficile d’établir une définition de ce qu’on entend par hostilité familiale mais d’autres études semblent privilégier trois facteurs ou critères :

Au moyen de ces trois facteurs, Emery a constaté que les conflits manifestes semblent faire plus de mal aux enfants que les mesures d’évitement et l’indifférence, et que la durée du conflit marquait plus que l’objet à l’origine des disputes. Il en conclut que, dans la durée, aussi bien dans les familles divorcées que dans les familles unies, l’hostilité patente fait plus de mal aux enfants que les manifestations indirectes d’hostilité ou que l’objet même du conflit.

Dans ces familles, les problèmes manifestés par les enfants comprenaient :

Emery en conclut que :

Dans une étude ultérieure portant sur 40 familles séparées, Shaw et Emery (1987) ont comparé les effets que peuvent avoir sur les enfants divers types de conflit interparental après le divorce. D’après eux, plus les enfants assistent à des manifestations d’hostilité entre les parents, plus ils souffrent. Comparés à d’autres types de tension familiale, les conflits parentaux semblent être ceux qui ont le plus mauvais effet sur les enfants, les conflits patents faisant plus de tort que les sentiments de colère qui sont réprimés.

Camera et Resnick (1989) se sont penchés sur la manière dont les divers types de conflit et de coopération après le divorce sont susceptibles d’affecter les enfants. Leur étude de 82 familles divorcées leur a permis de constater que l’hostilité et les conflits interparentaux, lorsqu’ils se manifestent par des agressions verbales ou physiques, avaient, sur les enfants, des effets extrêmement néfastes, les enfants ayant alors tendance à se faire agressifs et abusifs dans leurs propres relations avec les autres.

Utilisant une échelle des conflits dus au divorce afin de mesurer l’hostilité parentale, et une liste des troubles du comportement pour mesurer le degré d’adaptation des enfants, Long et ses collègues (1988) ont conclu que lorsqu’ils perdurent, les conflits interparentaux affectent défavorablement les résultats scolaires des enfants ainsi que leur comportement envers les autres. D’après ces travaux, plus le conflit interparental est manifeste, plus les garçons se montreront agressifs dans leur propre comportement.

Afin d’étudier les rapports existant entre les mesures de garde, conjointe ou exclusive, et les niveaux d’hostilité, de conflit et de coopération, Nelson (1989) a suivi, pendant les trois ans suivant leurs divorces, 121 familles. Elle en a conclu que :

Parmi les critères de situations fortement conflictuelles figuraient :

Mathis (1998) a cherché à savoir pourquoi certaines familles répondaient mal aux efforts de médiation à l’occasion de leur divorce, finissant par conclure que le taux d’échec était d’environ 75 p. 100 supérieur dans les situations où l’un des parents, ou les deux, restait « indifférencié  » par rapport à l’autre, continuant à penser en termes de « nous » plutôt que de « toi et moi  ». Souvent, ces parents n’avaient pas repris leur autonomie après le divorce et avaient du mal à définir de nouvelles frontières par rapport à l’autre; autrement dit, ces parents-là, souvent, ne parvenaient pas à accepter la dissolution des liens conjugaux et continuaient à vouloir maintenir, avec l’autre parent, des liens actifs. Le parent qui était parvenu à se différencier, c’est-à-dire celui qui avait repris, après le divorce, une existence autonome, en voulait à l’autre, lui reprochant son intrusion, et devenait moins coopératif et plus hostile. Mathis en a conclu qu’à l’étape de la médiation, la résolution des conflits pourrait être facilitée par des indices permettant de mesurer le niveau de différenciation auquel les deux conjoints étaient parvenus.

Une des collègues de Wallerstein, Janet Johnston, a effectué plusieurs études sur les divorces fortement conflictuels. Johnston, Gonzalez et Campbell (1987) ont tenté de déceler les liens entre les niveaux de conflit après le divorce et les problèmes psychologiques et de comportement de 56 enfants âgés de 4 à 12 ans. Afin de cerner ces conflits, l’étude a eu recours à trois critères :

Le niveau de participation des enfants allait d’une participation purement passive (la simple présence lors des querelles ou des incidents de violence) à la participation active (le fait qu’on leur demande de transmettre d’un parent à l’autre des messages abusifs).

D’après cette étude, une forte hostilité entre parents entraîne chez les enfants, dans un premier temps, un niveau élevé de dépression, de repliement sur soi, de somatisation et de comportements agressifs. Plus l’hostilité interparentale dure, et plus l’on peut prédire avec exactitude qu’à long terme, les enfants éprouveront des difficultés d’adaptation.

Johnston, Kline et Tschann (1989) ont suivi pendant quatre ans 100 familles choisies en raison de l’opiniâtreté des conflits en matière de garde et de droits de visite afin d’étudier les effets que cela avait sur les enfants. Ces familles n’étaient pas parvenues à résoudre leurs différends en matière de garde et de droits de visite, malgré des négociations menées par leurs avocats et la brève période de médiation ordonnée par les tribunaux de Californie. D’après cette étude, alors que les mesures précises adoptées en matière de garde n’avaient que peu d’effet sur la manière dont les enfants parvenaient à s’adapter au divorce, les mesures de garde conjointe exposaient davantage les enfants à des conflits interparentaux et risquaient davantage d’entraîner chez les enfants des conséquences néfastes. Ces enfants manifestaient effectivement :

Cette étude a également porté sur l’objet des querelles, permettant de constater que :

D’après cette étude, les mesures législatives en faveur de la garde conjointe auraient tout intérêt à prendre en compte les travaux qui montrent comment les hypothèses sur lesquelles de telles mesures sont fondées peuvent affecter les enfants.