Les effets du divorce sur les enfants : Analyse documentaire

4. La réduction des effets négatifs sur les enfants

La réduction des effets négatifs du divorce sur les enfants représente souvent une tâche complexe pour les parents et pour les professionnels des services sociaux. Puisque, comme nous l'avons vu plus haut, le divorce a une gamme variée de répercussions sur les enfants, les interventions destinées à en réduire les effets négatifs devront peut-être être polymorphes et expressément adaptées aux besoins et à la situation de chacun. Plus l'enfant est gravement touché, plus l'intervention doit être intensive et certains enfants requièrent les services de psychologues ou de conseillers spécialisés. D'autres enfants peuvent recevoir une aide de leur famille ou de leurs amis, ou dans leur milieu local. Les résultats de recherche mettent en évidence plusieurs façons clés de réduire les effets négatifs du divorce sur les enfants, par exemple: accroître l'autonomie des mères seules, réduire les conflits entre les parents, chercher des solutions de rechange au recours aux tribunaux pour déterminer les modalités de garde et d'accès, améliorer les modalités d'accès et faire appel à des groupes de soutien hors de la famille immédiate.

4.1 L'autonomie des mères seules

On a constaté qu'une grande proportion de mères assumant la garde des enfants connaissent une forte dégradation de leur situation financière à la suite du divorce, alors que la situation financière s'améliore chez une grande proportion de pères divorcés (Arditti, 1992). De plus, beaucoup de mères seules qui sont censées toucher une pension alimentaire pour le soutien des enfants ne la reçoivent pas. Le taux élevé de non-respect des ordonnances contribue à plonger les parents qui assument la garde des enfants dans une situation financière instable et précaire.

Même si les recherches montrent que l'adaptation des enfants ne semble pas être uniquement liée à leur situation financière, une plus grande autonomie des mères seules accroîtrait la stabilité des ménages qui en assument la garde. En outre, une meilleure situation financière peut avoir des répercussions indirectes (meilleure adaptation de la mère, meilleur cadre de vie, etc.) dont on sait qu'elles ont des effets bénéfiques sur l'adaptation des enfants au divorce. Une surveillance plus stricte du respect des ordonnances concernant les pensions alimentaires destinées à la conjointe et aux enfants serait utile à cet égard.

4.2 Les conflits et les communications

Il ressort clairement des travaux de recherche que les conflits entre les parents ont des répercussions décisives sur l'adaptation des enfants après le divorce. Il est donc essentiel que les parents s'efforcent de réduire les conflits qui surviennent entre eux. Cet objectif peut cependant être très difficile à atteindre, surtout lorsque subsistent deshostilités de longue date. À tout le moins, comme l'affirment Hetherington et Camara (1988) ainsi que Devine (1996), les enfants ne devraient pas être directement exposés aux conflits. Par ailleurs, certains des programmes thérapeutiques décrits plus bas peuvent contribuer à la réalisation de cet objectif.

S'il semble être impossible de réduire les conflits, ou si l'un des parents ou les deux ne sont pas disposés à le faire, il peut être nécessaire d'envisager la formule de la garde unique avec peu ou pas de droits de visite pour l'autre parent. Dans les cas où il y a eu de la violence conjugale, c'est peut-être là la seule solution viable. L'adoption d'une formule d'accès selon laquelle un tiers se charge du transfert de l'enfant d'un parent à l'autre peut être une autre façon d'atténuer les conflits. Dans ces circonstances, le tiers (par exemple, un autre membre de la famille ou un policier) fait office d'intermédiaire lorsque l'enfant passe d'un parent à l'autre et les parents ne sont pas forcés d'entrer en interaction.

Outre la réduction des conflits entre les parents, les études ont montré qu'il faut améliorer les communications entre les parents et les enfants et entre les parents euxmêmes. Les enfants touchés par un divorce se sentent fréquemment exclus du processus. Souvent, ils apprennent très soudainement le divorce de leurs parents et peuvent donc ne pas être prêts à faire face aux bouleversements qui s'ensuivent dans leur vie. Dans l'étude de Schlesinger (1982), 55 pourcent des enfants interrogés ont affirmé que leurs parents ne les avaient pas informés de la séparation à l'avance. De plus, Mitchell (1988) a constaté que le tiers des enfants n'avaient reçu aucune explication quant à la raison pour laquelle leurs parents se séparaient. Il est important que les parents expliquent aux enfants pourquoi ils divorcent.

Il est également nécessaire d'améliorer les communications entre les parents; cette démarche est liée à la réduction des conflits dont nous avons fait état plus haut. Il faut que les parents soient en mesure de discuter du comportement des enfants et de s'entendre sur des modes d'intervention.

4.3 Les groupes de soutien et les programmes thérapeutiques

Une fois le divorce survenu, les enfants ont besoin d'aide pour pouvoir atténuer les effets négatifs qu'ils ressentent. Cette aide peut adopter la forme d'un soutien informel de la part de la famille, des camarades ou du système scolaire, ou de programmes thérapeutiques plus structurés dirigés par des conseillers professionnels. Ces dernières années, des services de counselling en matière de divorce ont aussi fait leur apparition sur le réseau Internet.

Les camarades, particulièrement ceux qui ont vécu une expérience analogue, peuvent jouer un important rôle de soutien. De plus, les réseaux de soutien intrafamiliaux et extrafamiliaux peuvent grandement contribuer à la réduction du degré de stress chez l'enfant et l'aider à faire face aux bouleversements engendrés par la rupture du mariage. Schreiber (1983) affirme que le milieu habituel de l'enfant peut être une bonne source de soutien. Par exemple, il peut être utile que l'enfant conserve sa chambre, son domicile, sa garderie, son école, ses voisins. De la sorte, certains des systèmes de soutien déjà établis sont en place durant le processus de divorce.

Le système scolaire peut contribuer de diverses façons à atténuer les effets néfastes du divorce, notamment en offrant aux enfants des services directs et indirects, ainsi que des services de prévention. Les services directs peuvent être dispensés selon une formule individuelle ou collective, par des conseillers ou dans le cadre d'une thérapie de groupe (Parker, 1994). Les services indirects peuvent adopter la forme d'une sensibilisation du personnel scolaire aux façons de dépister et d'aider les enfants touchés par un divorce. Les services de prévention seraient axés sur la modification du programme d'études et l'offre aux enfants de moyens additionnels pour les aider à s'adapter au divorce (Hutchison, 1989).

Grych et Fincham (1992) ont examiné en profondeur divers programmes d'intervention et les ont évalués. Selon eux, la plupart des interventions axées sur l'enfant cherchent à l'aider en atténuant les sentiments négatifs, les idées fausses et les problèmes pratiques qui sont courants à la suite d'un divorce. Les programmes adoptent généralement la forme d'une intervention en petit groupe (de quatre à dix enfants) limitée dans le temps; ils ont tendance à être rattachés au milieu scolaire; leurs objectifs et leurs stratégies sont semblables. D'ordinaire, les groupes ont une double fonction éducative et thérapeutique et les types d'objectifs visés sont les suivants: démêler les questions déroutantes et bouleversantes liées au divorce, fournir un lieu propice à la résolution des problèmes pénibles, améliorer la capacité des enfants de faire face aux émotions bouleversantes et aux situations familiales difficiles et, enfin, améliorer les communications parents-enfants. Parmi les techniques utilisées, on compte souvent les jeux de rôles, les moyens audiovisuels, les contes, les exercices de résolution de problèmes d'ordre social, le dessin, la thérapie par la lecture et la création en commun d'un journal ou d'une émission de télévision portant sur le divorce.

Même si les groupes d'intervention axés sur l'enfant sont très répandus, il semble y avoir eu peu d'évaluations officielles des divers programmes offerts. Les résultats des évaluations qui ont été faites paraissent encourageants : les programmes d'intervention semblent avoir certains effets positifs sur divers aspects comme l'estime de soi, la dépression, les aptitudes sociales et certaines formes de comportement. Cependant, Grych et Fincham font une mise en garde : une bonne part des résultats à l'appui de ces programmes s'avèrent impressionnistes ou limités, car les évaluations présentent de graves lacunes sur le plan méthodologique. Par surcroît, ils mettent en doute les perspectives de succès des interventions à court terme axées uniquement sur l'enfant plutôt que sur l'ensemble de la famille.

Il y a deux types d'interventions axées sur la famille. Le premier, à caractère éducatif, porte sur le rôle parental et les relations parent-enfant; on tente d'aider les parents à améliorer leurs méthodes d'éducation et leur compréhension des réactions des enfants au divorce. Le deuxième type d'intervention se concentre sur l'adaptation personnelle des parents au divorce plutôt qu'uniquement sur leur rôle à titre de parents. Ce genre de programme est fondé sur la conviction qu'en amenant les adultes à être des parents plus efficaces, on favorise le bien-être des enfants. Les deux types de programme sont offerts sous la forme d'une intervention en groupe conçue pour aider les participants à améliorer leurs facultés d'adaptation et pour créer un climat de soutien, ce qui peut atténuer le sentiment de solitude et d'isolement qu'éprouvent de nombreux adultes divorcés. Des groupes de ce genre ont été constitués dans divers milieux, notamment dans des écoles, des centres communautaires de santé mentale et des églises.

Selon Grych et Fincham, on possède encore moins de données empiriques sur l'efficacité des groupes d'intervention axés sur les parents que sur l'efficacité des groupes s'adressant aux enfants. D'après les trois évaluations examinées, les programmes ont semblé engendrer des améliorations dans certains domaines comme l'adaptation du parent assumant la garde, la relation mère-enfant et les pratiques disciplinaires. Cependant, bien que les programmes visent à améliorer les pratiques disciplinaires des parents, peu d'entre eux portent sur la qualité des relations parent-enfant ou les conflits entre les parents, deux autres importants facteurs mis en relief par la recherche pure. De plus, il est essentiel d'intervenir à la fois auprès du parent qui assume la garde et de l'autre parent. Puisque les effets de ces programmes sur les enfants sont indirects et sont susceptibles de ne se produire qu'après une longue période, il serait peut-être utile de constituer deux groupes fonctionnant en parallèle, l'un axé sur les parents et l'autre, sur les enfants. Selon Grych et Fincham, les groupes axés sur les parents se révèlent très prometteurs pour ce qui est d'améliorer la qualité de la vie des enfants après le divorce, mais l'information sur l'efficacité des interventions auprès des parents est limitée par trois facteurs: les travaux d'évaluation de l'efficacité de ces interventions viennent tout juste de commencer; les études présentent bon nombre des mêmes problèmes d'ordre méthodologique que les programmes axés sur les enfants; enfin, comme dans le cas des groupes d'enfants, la brève durée des interventions peut en limiter l'efficacité.

Même si l'on n'a pas encore clairement déterminé quel type de programme parvient le plus efficacement à atténuer les effets négatifs du divorce sur les enfants, il semble que les interventions visant à offrir un soutien aux parents, menées en parallèle avec les groupes d'intervention auprès des enfants, soient les plus prometteuses. Cependant, il importe de faire participer à la fois le parent qui assume la garde et l'autre parent. De plus, il importe de tenir compte des résultats de recherche pour élaborer des programmes appropriés. Par exemple, puisque les études ont montré que les conflits entre les parents, la discipline et les relations parent-enfant sont des facteurs importants de l'adaptation des enfants au divorce, on devrait s'efforcer d'intégrer ces dimensions aux programmes s'adressant aux parents. Enfin, on pourrait obtenir des effets plus puissants et de plus longue portée si les programmes ciblaient les enfants le plus tôt possible après que les parents ont décidé de divorcer.

4.4 Résumé

Dans l'ensemble, les travaux de recherche effectués montrent de façon plutôt constante que la réduction des conflits entre les parents et le renforcement des communications (entre les parents et avec les enfants) peuvent atténuer les effets négatifs du divorce sur les enfants. En outre, accroître l'autonomie des mères seules peut contribuer à rendre plus stable la vie familiale des enfants. La recherche indique aussi que l'accès aux deux parents est important pour le bien-être des enfants, mais dépend de certains facteurs (comme les conflits entre les parents). Par ailleurs, la question de savoir si la garde conjointe ou la garde unique présente la meilleure solution pour les enfants n'a pas été résolue et est très vraisemblablement fonction d'une série de facteurs. Il faudra examiner plus attentivement les solutions de rechange à la procédure judiciaire officielle avant de prendre toute décision concernant leur utilité pour l'adaptation des enfants au divorce. Enfin, il semble que les groupes de soutien et les programmes thérapeutiques peuvent contribuer à l'atténuation des effets négatifs sur les enfants. Il faudra toutefois mener d'autres recherches afin de déterminer quels programmes sont les plus efficaces.

Amato (1993) examine en profondeur cinq grands modèles auxquels on a eu recours pour caractériser l'adaptation des enfants au divorce. Ces modèles s'articulent autour des facteurs suivants: l'absence du parent qui n'assume pas la garde; l'adaptation du parent qui assume la garde; les conflits entre les parents; les difficultés économiques; enfin, les changements de vie stressants. Se fondant sur les recherches antérieures, Amato examine dans quelle mesure les hypothèses relatives à chacun des modèles sont corroborées. Ses résultats montrent que, même si chacun des angles d'approche est dans une certaine mesure fondé, le modèle des conflits entre les parents est celui dont la corroboration est la plus solide. Puisqu'aucun modèle n'offre à lui seul toutes les réponses, Amato propose d'élaborer un plus vaste modèle dans lequel seraient intégrés des éléments de chacun des angles d'approche: le «modèle des ressources et des agents stressants», basé sur le raisonnement suivant.

Le développement de l'enfant est favorisé par la présence de certains types de ressources (p. ex., soutien des parents, ressources socioéconomiques). En outre, la rupture du mariage peut occasionner des problèmes, parce qu'elle fait entrer en action divers agents stressants qui entravent le développement de l'enfant (p. ex., conflits entre les parents, changements de vie perturbateurs) et parce qu'elle peut priver l'enfant des ressources apportées par les parents (p. ex., perte du lien et perte d'accès au revenu). Par conséquent, il faut tenir compte de la structure globale des ressources et des agents stressants plutôt que de s'attacher uniquement à la présence ou à l'absence d'un facteur donné.