Le point de vue de l'enfant dans la médiation et les autres méthodes de règlement extrajudiciaire des différends dans les cas de séparation et de divorce : une analyse documentaire

4.0 LEÇONS APPRISES AU SUJET DE LA PARTICIPATION DES ENFANTS À LA MÉDIATION ET AUX AUTRES MÉTHODES DE RED UTILISÉES AU CANADA ET DANS D'AUTRES PAYS

Comme nous l'avons décrit précédemment, la participation des enfants à la médiation et aux autres méthodes de RED varie considérablement au Canada, aux États‑Unis et dans d'autres pays, ainsi que d'un pays à l'autre. C'est d'ailleurs ce que les participants au présent examen ont confirmé. Ces personnes ont également évoqué différents modèles de participation des enfants et se sont demandé quand ceux‑ci devraient être inclus dans le processus.

L'importance du point de vue de l'enfant et de sa prise en compte lors de la séparation ou du divorce des parents est reconnue partout dans le monde. Toutefois, la meilleure façon d'obtenir ce point de vue (représentation de l'enfant par un avocat, évaluations en matière de garde, interventions rapides, rapports sur le point de vue de l'enfant, entrevues par un juge, coordination des responsabilités parentales ou recours à des spécialistes auprès des enfants) et le moment auquel celui‑ci doit être entendu (avant, pendant ou après la médiation) ne sont pas clairs. Un autre principe qui fait consensus est qu'il faut, en priorité, protéger l'enfant contre le différend qui oppose ses parents et faire en sorte qu'il ne subisse pas les effets néfastes du sentiment de loyauté qu'il ressent à l'égard de ses parents ou qu'il n'ait pas l'impression d'avoir une trop grande influence ou d'être responsable de la décision et ce, peu importe la méthode employée pour le faire participer.

Comme nous l'avons mentionné, bon nombre des mécanismes de règlement des différends rattachés aux tribunaux qui ont été décrits précédemment permettent la participation des enfants, non pas pour qu'ils participent aux décisions de concert avec leurs parents, mais surtout pour aider le tribunal à prendre sa décision. Malgré les nombreux projets pilotes d'excellente qualité qui ont été mis en œuvre au Canada et en Nouvelle‑Zélande, il est encore difficile de savoir quelles méthodes sont les plus efficaces pour assurer la participation de l'enfant à la médiation et aux autres processus de RED et pourquoi. Cela s'explique en partie par la nature limitée des « programmes pilotes » et par les problèmes constants de financement. En outre, sur le plan de la recherche, il faut aussi tenir compte de la difficulté d'évaluer les programmes financés par des subventions uniques à court terme sans disposer de modèles de recherche comparatifs qui donneraient plus d'informations sur ce qui est efficace et sur ce qui ne l'est pas. De plus, on aurait une meilleure idée des méthodes favorisant la participation des enfants si les participants étaient plus nombreux et si l'on faisait un suivi à long terme des approches examinées. Finalement, comme il y a peu de recherches pour guider les décideurs, il devient plus difficile de savoir quels types de ressources ont une incidence sur la participation des enfants. En fait, nous nous retrouvons avec une mosaïque de services et de programmes auxquels les enfants n'ont pas tous accès. Des recherches de l'ampleur de celles menées en Australie aideraient à mieux connaître les avantages ou les limites potentiels de la participation des enfants.

Dans la section suivante, nous combinons les leçons tirées des services existants au Canada, aux États‑Unis et dans d'autres pays et les questions soulevées par les participants relativement à la médiation et aux autres processus de RED incluant les enfants. Les leçons sont regroupées par sujet :

Représentation de l'enfant par un avocat

La représentation par un avocat a pour but de permettre à l'enfant de se faire entendre dans le cadre du différend opposant ses parents. Différentes approches sont privilégiées à cet égard au Canada et dans les autres pays. Comme nous l'avons mentionné précédemment, la documentation et la jurisprudence font état de trois types de représentation :

Le Bureau de l'avocate des enfants de l'Ontario offre aux enfants la possibilité d'être représentés par un tiers indépendant, en particulier dans les cas très conflictuels (lorsqu'il y a comparutions répétées, allégations de violence familiale, consommation abusive d'alcool ou de drogue et préoccupations quant aux capacités parentales)[56]. L'avocate des enfants affirme qu'un grand nombre des enfants dont le Bureau s'occupe ont déjà des problèmes par suite de la séparation de leurs parents et savent très bien ce qui se passe dans leur famille. Aussi, le fait d'avoir un avocat qui les représente leur permet de faire entendre leur voix, s'ils le veulent. Elle ajoute cependant que cela ne signifie pas que la décision finale appartient aux enfants, mais plutôt que ceux‑ci ont l'occasion d'exprimer leur point de vue, lequel peut être très différent de celui de leurs parents. Un grand nombre de ces enfants estiment que le fait de parler à leur propre avocat peut les aider (Birnbaum, 2008).

Selon l'avocate des enfants, il faudrait que les personnes qui interrogent les enfants reçoivent de la formation pour que le point de vue des enfants soit entendu de façon plus systématique. De plus, un centre d'échange national devrait être créé pour que tous les professionnels (de la santé mentale et du droit) puissent échanger de l'information sur ce qui fonctionne, ce qui ne fonctionne pas et pour quelles raisons[57]. Des recherches plus poussées doivent cependant être effectuées avant de donner suite à ces suggestions.

Même si le Bureau de l'avocate des enfants de l'Ontario fournit l'aide d'un avocat et d'un enquêteur clinique, la principale préoccupation reste l'instance devant le tribunal. Le rôle de l'enquêteur clinique consiste donc principalement à recueillir de l'information et à la transmettre à l'avocat de l'enfant afin qu'il puisse présenter les conclusions au tribunal au nom de l'enfant.

Un projet pilote réalisé à Calgary (Alberta) faisait appel à une équipe formée d'un avocat et d'un professionnel de la santé mentale. Ce projet pilote, Speaking For Themselves[58], a été lancé il y a trois ans. Il ressemble au modèle avocat‑enquêteur clinique existant en Ontario, mais il propose une approche différente et met l'accent sur le counselling des enfants en plus de leur représentation juridique. Le directeur exécutif croit que la combinaison d'un volet juridique et d'un volet thérapeutique pour l'enfant constitue l'une des approches les plus originales au Canada permettant aux enfants d'intervenir dans le litige opposant leurs parents. Il existe maintenant une liste d'attente de personnes qui veulent participer au projet.

Interventions rapides

Les interventions rapides peuvent prendre différentes formes, d'une courte entrevue avec un parent et un enfant à une intervention ciblée qui aide les parents à comprendre les besoins de leur enfant. Comme nous l'avons mentionné précédemment, la note de pratique no 7 de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta permet que le point de vue des enfants soit présenté au tribunal par un professionnel de la santé mentale compétent. En règle générale, les enfants âgés d'au moins 12 ans peuvent être invités à faire connaître leur point de vue et leurs souhaits, lesquels seront ensuite communiqués au tribunal par un clinicien qui se gardera d'émettre une opinion sur la question. Certaines personnes s'inquiètent cependant de la possibilité qu'un enfant plus jeune soit pris dans le conflit opposant ses parents et ne soit pas en mesure de s'en dégager[59]. Cette inquiétude est partagée par de nombreux médiateurs.

À Edmonton, des praticiens du secteur privé fournissent des services concernant la note de pratique no 7 et proposent des mécanismes qui permettent aux enfants d'exprimer leur point de vue et leurs souhaits dans le cadre du processus de séparation ou de divorce. L'un de ces praticiens indique que lui et ses collègues utilisent trois modèles différents[60]. Le premier modèle — l'évaluation des opinions — consiste à rencontrer chaque parent pendant une heure afin de connaître les problèmes et les préoccupations et de rencontrer ensuite les enfants. Les enfants sont soumis à un test de vocabulaire visant à évaluer leur niveau de développement du langage. Un rapport peut être rédigé à l'intention des avocats ou du tribunal et les parents sont informés du fait que les commentaires faits par leurs enfants lors des rencontres ne sont pas confidentiels. Cependant, les enfants sont interrogés au sujet des opinions et des souhaits qui seront mentionnés dans le rapport destiné au tribunal. Le deuxième modèle est fondé sur une approche parent‑conflit ou la restructuration de la famille; l'attention est portée aux besoins et aux intérêts des enfants après la séparation ou le divorce. Un thérapeute travaille avec les parents pendant qu'un autre travaille avec les enfants, puis fait part aux parents du point de vue de ceux‑ci. Le troisième modèle est fondé sur une approche thérapeutique visant à faciliter l'exercice du droit d'accès. Un thérapeute aide l'enfant et le parent avec lequel il n'a plus de contact à renouer les liens. Tous ces modèles ressemblent dans une large mesure à l'approche thérapeutique privilégiée en Australie, le but étant de renforcer les relations entre un parent et un enfant après la séparation ou le divorce[61].

La directrice adjointe et directrice des affaires juridiques de l'International Institute for Child Rights and Development (IICRD), un organisme situé à Victoria (Colombie‑Britannique), croit qu'il faut apporter un changement à l'échelle nationale afin que les enfants aient, de façon plus régulière, la possibilité d'indiquer s'ils veulent avoir leur mot à dire dans le cadre du conflit opposant leurs parents, plutôt que ce soit les adultes autour d'eux qui en décident.

Pour aider les professionnels de la santé mentale et les avocats qui participent au projet Hear The Child Interviews[62], l'IICRD a récemment mis au point un projet de programme appelé Hear the Child Curriculum: What Every Professional Needs To Know (2007) afin que la participation des enfants soit plus significative. Le programme fait ressortir l'importance de comprendre les besoins affectifs et en matière de développement des enfants et explique les différentes façons de mener une entrevue avec un enfant selon son âge et son développement. La directrice adjointe et directrice des affaires juridiques de l'IICRD convient qu'une entrevue d'une heure avec un enfant peut ne pas être suffisante et qu'il faudrait assurer un meilleur suivi, mais elle souligne que la communauté a demandé que le projet se poursuive[63].

Il existe un autre modèle d'interventions rapides dans le comté de Hennepin, à Minneapolis, où quatre types de services sont offerts gratuitement aux familles :

Selon les deux praticiens qui s'occupent des ENR, le processus est volontaire et vise à fournir aux parents, et non au tribunal, une évaluation du conflit[64]. L'ENR est effectuée par une équipe de deux personnes (un homme et une femme afin d'assurer un équilibre entre les deux sexes) et est confidentielle. Si le conflit n'est pas réglé, l'équipe ne peut pas être appelée à témoigner ou à communiquer de l'information dans le cadre d'une évaluation en matière de garde et d'accès.

L'ENR initiale avec les parents dure de deux à trois heures environ. Chaque parent expose les questions en litige. Les deux membres de l'équipe chargée de l'ENR peuvent demander des précisions, après quoi ils se réunissent en privé pour discuter du cas. L'équipe peut ensuite présenter ses conclusions aux parents et à leurs avocats et étudier des options de règlement. Si elle a besoin de renseignements additionnels, elle peut convoquer une autre rencontre un mois plus tard. Dans l'intervalle, elle peut rencontrer les parents séparément, interroger les enfants et recueillir des rapports personnels ou professionnels accessoires. Lors de la dernière rencontre, un rapport renfermant de l'information sur le règlement complet ou partiel conclu par les parties ainsi que d'autres renseignements sur lesquels celles‑ci se sont entendues est rédigé. Une évaluation complète en matière de garde et d'accès ou un renvoi à un centre de traitement peuvent aussi être recommandés.

Pearson (2006) signale que les parties sont parvenues à un règlement complet dans 177 des 349 cas où une ENR a été effectuée (51 p. 100) et à un règlement partiel dans 43 cas (12 p. 100); en outre, une évaluation complète a été recommandée dans 82 cas (23 p. 100). La participation des enfants à une ENR est toutefois limitée.

Rapports sur le point de vue de l'enfant

En Colombie‑Britannique et en Saskatchewan, il y a le rapport sur le point de vue de l'enfant; au Manitoba, le Service de consultation rapide; à Terre‑Neuve‑et‑Labrador, le rapport axé sur l'enfant. Dans tous ces cas, les enfants plus âgés sont interrogés brièvement et un rapport exposant leur point de vue et leurs préoccupations est rédigé à l'intention du tribunal. Des entrevues ont également lieu avec les parents afin de placer le point de vue de l'enfant dans son contexte.

En Saskatchewan, un rapport sur le point de vue de l'enfant est généralement rédigé sur ordonnance du tribunal, lorsque le juge veut savoir ce que l'enfant dit et pense. Des entrevues ont lieu avec les parents afin de connaître le contexte et avec les enfants — âgés de 12 ans et plus. Des observations des interactions entre les parents et les enfants sont effectuées au besoin et des renseignements personnels et accessoires sont recueillis. Le travailleur social rédige un rapport à l'intention du tribunal à l'aide des renseignements recueillis, et il peut y ajouter des recommandations[65]. Des services de médiation sont également fournis à Regina[66]. Dans quelques cas choisis (situation très conflictuelle, enfant âgé de dix ans ou plus, accord des parents et de l'enfant), les médiateurs ont aussi rencontré l'enfant séparément pour connaître son opinion et ses désirs. Un travail d'examen et de préparation a lieu avec chaque parent et avec l'enfant au préalable. Cette approche, qui est plus récente, est évaluée au cas par cas.

Médiation incluant l'enfant

En Colombie‑Britannique, les conseillers de la justice familiale qui participent au projet de médiation incluant les enfants signalent de façon anecdotique que leur travail leur apporte une plus grande satisfaction parce qu'ils voient les changements faits par les parents et les enfants, l'accent étant mis sur les relations parent‑enfant et non sur la question de savoir qui est le meilleur parent. Le succès du projet est tributaire également du fait qu'une personne écoute les enfants et du fait que les parents semblent écouter ce que leurs enfants disent[67].

Ces thèmes ont été abordés un peu partout dans le monde par Goldson (2006), McIntosh (2000), et Kelly (2002), selon lesquels écouter ce que les enfants ont à dire peut aider grandement les parents à comprendre les besoins et les intérêts de leurs enfants et, ainsi, les aider à régler leur différend, car ils sont alors conscients de l'impact de celui‑ci sur leurs enfants.

Au Québec, comme dans toutes les autres provinces du Canada, des services d'information sont mis à la disposition des parents afin de les aider à comprendre le processus de séparation ou de divorce et à explorer les autres méthodes de RED. La directrice du Service indique qu'un grand nombre de médiateurs de son service ont rencontré des enfants dans le cadre du processus de médiation, mais seulement de manière ponctuelle et avec la permission et le consentement des parents et de l'enfant concerné[68].

À Toronto (Ontario), les enfants participent à la médiation depuis des décennies. Selon l'une des formules utilisées, un avocat ou un psychologue rencontre l'enfant (âgé d'au moins quatre ans) et ses professeurs et observe les interactions entre les parents et l'enfant dans le but de comprendre la situation familiale et de faciliter l'élaboration d'une entente parentale répondant aux besoins de l'enfant. Toutefois, l'enfant assiste rarement aux séances de médiation[69]. Cette façon de faire est semblable à l'approche décrite dans la note de pratique no 7 dont il a été question précédemment, qui est utilisée en Alberta par les praticiens privés.

Un autre participant a décrit différentes méthodes qu'il utilise lorsqu'il rencontre un enfant, en tant que spécialiste auprès des enfants, dans le cadre du droit de la famille collaboratif. Après avoir rencontré l'enfant, il fait part de la teneur de son entrevue aux parents et à leurs avocats. L'entrevue avec l'enfant vise à faciliter la conclusion d'une entente parentale. Dans d'autres affaires, il a plutôt rencontré l'enfant en privé et a agi comme avocat de l'enfant lors des séances réunissant celui‑ci et ses parents, dans le but de favoriser la conclusion d'une entente parentale. Peu importe la méthode utilisée, la sécurité de l'enfant doit être une priorité. Le même participant croit que la participation des enfants au processus décisionnel présente de nombreux avantages, à la condition que les parents soient psychologiquement capables d'utiliser l'information d'une manière qui ne menace pas leurs enfants ou ne leur cause pas de préjudice[70]. Bon nombre de participants tiennent compte de ce critère d'exclusion important lorsqu'ils doivent décider si la participation de l'enfant serait avantageuse pour lui.

Selon un autre participant, la médiation incluant l'enfant est une forme de counselling parental dans le cadre duquel le point de vue de l'enfant est primordial[71]. L'approche qu'il privilégie, qui consiste à informer les parents au sujet des besoins de leur enfant, est fondée sur le fait que les enfants ne se séparent habituellement pas de leurs parents, qu'ils veulent avoir des rapports avec leurs deux parents après la séparation ou le divorce et qu'ils ont besoin de ces rapports. Dans ce modèle particulier, appelé médiation privilégiée, aucune information n'est communiquée au tribunal concernant les discussions avec les enfants; l'objectif est de donner un avis aux parents ou à leurs avocats sur les modalités de vie des enfants. En outre, aucun rapport n'est rédigé à l'intention du tribunal. Le processus commence par une rencontre avec les avocats, puis chaque parent fait une description générale de la situation, et une rencontre a lieu avec les enfants âgés de six ans ou plus. Après plusieurs rencontres, et une fois que l'intervenant connaît mieux la famille, l'enfant peut participer à la séance de médiation de ses parents ou son point de vue, ses souhaits et ses sentiments y sont exprimés. La sécurité et le consentement de l'enfant sont toujours des considérations importantes. Selon ce participant, cette approche est supérieure aux méthodes d'enquête traditionnellement utilisées par les tribunaux (évaluations en matière de garde ou représentation de l'enfant par un avocat), parce que les enfants et les parents exercent un plus grand contrôle sur le processus et ont tous leur mot à dire. Il a ajouté cependant qu'il faut mieux former les professionnels afin de favoriser un véritable débat sur la façon dont le point de vue de l'enfant peut être pris en compte.

Une autre participante de Toronto, qui agit comme médiatrice et comme spécialiste auprès des enfants dans le cadre du droit de la famille collaboratif, rencontre d'abord les parents afin de comprendre les questions en litige. Elle rencontre ensuite les enfants âgés de six ans ou plus pour entendre leur point de vue et en faire part aux parents[72]. À l'instar d'autres participants, elle signale qu'il est plus facile d'en arriver à un règlement lorsque les enfants sont capables d'expliquer à leurs parents ce qu'ils ressentent au regard du litige. Elle croit que si les enfants participaient plus tôt à la médiation, les parents ne seraient pas aussi figés sur leurs positions et le point de vue des enfants aurait une plus grande incidence au bout du compte. Ces commentaires trouvent un écho partout dans le monde, tant dans les ouvrages en sciences sociales que chez les participants.

Cependant, selon une autre psychologue et chercheuse expérimentée les méthodes incluant les enfants ne peuvent être efficaces que si elles visent notamment le rétablissement ou le renforcement d'assises solides entre les enfants et les parents plutôt que seulement le règlement des questions en litige (garde ou accès)[73]. Cette spécialiste estime que la séparation ou le divorce ne sont pas seulement des problèmes juridiques, mais qu'ils consistent aussi en un mandat éthique d'aider les enfants et les parents à créer de meilleures relations. La participation de l'enfant a justement pour but de cibler les risques et les facteurs atténuants connus qui ont été bien définis dans les recherches sur le bien‑être de l'enfant avant et après la séparation. Elle ajoute, en ce qui concerne la sélection des dossiers, qu'il faut faire une différence entre les familles où les conflits sont plus solidement enracinés, celles qui sont touchées par des problèmes graves de santé mentale et celles où sévit la violence familiale. Ces critères d'exclusion ont aussi été mentionnés par d'autres participants.

Cette spécialiste croit également que la méthode de sélection la plus importante consiste à mettre l'accent sur la thérapie plutôt que sur l'exclusion d'enfants et de familles. En d'autres termes, la priorité doit consister à déterminer comment le point de vue des enfants peut être entendu et utilisé pour aider les parents à rétablir des relations saines et positives avec leurs enfants. Un suivi de quatre ans des familles et des enfants ayant participé aux interventions est en cours. Le taux de rétention se situe toujours à 100 p. 100 depuis le suivi d'un an effectué avec les participants à la recherche.

Un certain nombre de participants ont indiqué que, pour que les enfants aient réellement leur mot à dire, il faut prévoir une formation appropriée pour les intervenants et la supervision de la participation des enfants. De plus, les facteurs de risque concernant les enfants doivent être clairement définis à l'intention des parents, le niveau de conflit doit être établi et la capacité des parents de même que le nombre de questions en litige et leur gravité doivent être déterminés. Il est impératif que le processus soit harmonieux du début à la fin pour les enfants de façon à ne pas aggraver le stress suscité par le différend qui oppose leurs parents.

Une autre psychologue et chercheuse expérimentée a cependant indiqué que, même si l'on croit fermement qu'il est important de favoriser la participation des enfants au processus de séparation ou de divorce, ce ne sont pas tous les enfants qui veulent être rencontrés ou qui ont besoin de l'être[74]. Dans son travail, elle applique les critères de sélection suivants pour savoir s'il y a lieu de rencontrer un enfant, si celui‑ci ou ses parents le souhaitent :

Comme de nombreux autres médiateurs, elle rencontre les parents afin d'obtenir de l'information générale sur les questions en litige et sur leur vie, puis elle rencontre les enfants. Elle est d'avis que, du point de vue du développement de l'enfant, il convient de rencontrer les enfants âgés de 9 ans ou plus, mais elle rencontrera aussi un enfant de 8 ans qui a une capacité cognitive suffisante. Les entrevues qu'elle mène avec les enfants se déroulent de la façon suivante :

Elle utilise aussi deux modèles différents dans le cadre de son travail avec les enfants et les familles. Dans le cadre du premier modèle, elle rencontre les enfants à titre de médiatrice des parents. Ce modèle a des avantages et des inconvénients. L'un des avantages d'écouter les enfants et d'être en même temps la médiatrice des parents assure une continuité relativement au point de vue de l'enfant, lequel peut aussi être incorporé dans l'entente parentale. Cette continuité rejoint les commentaires de Goldson (2006). Par contre, le fait que les parents deviennent méfiants et soupçonneux si le point de vue de l'enfant ne correspond pas aux leurs peut être un inconvénient.

Dans le cadre du deuxième modèle, un professionnel externe de la santé mentale rencontre l'enfant et fait ensuite part du point de vue de celui‑ci à ses parents lors d'une séance de médiation. Le médiateur agit de façon objective à l'égard des parents, mais, contrairement à lui, le professionnel externe n'établit pas un rapport ou une relation avec les parents (Kelly, 2000).

Finalement, Kelly (2004) affirme qu'une approche à plusieurs volets doit être proposée dans le domaine de la participation des enfants pour qu'un service soit utile. Ainsi, les services doivent débuter par des programmes obligatoires d'éducation des parents, suivis d'interventions, par des professionnels très qualifiés et expérimentés qui tiennent compte du point de vue de l'enfant. En outre, des lignes directrices doivent prévoir des critères d'exclusion ou d'inclusion des enfants, assurer leur sécurité et encourager la recherche et l'évaluation concernant les avantages et les limites de chaque intervention. La nécessité de telles lignes directrices a aussi été mise en évidence par de nombreux participants lors des entrevues.

Une médiatrice indépendante de la Nouvelle‑Zélande, qui mène une recherche sur la participation des enfants à la médiation avec des familles et des enfants, est d'avis qu'il est important que les enfants et les parents aient le même médiateur[75]. Sa recherche a démontré que les enfants ne veulent pas parler de leur famille à des étrangers. À l'instar d'autres participants, elle croit que les enfants doivent participer à un processus démocratique qui favorise la prise en compte de leur point de vue dans le cadre du processus de séparation. Elle croit également que le point de vue de l'enfant est un outil puissant qui peut être utilisé pour inciter les parents à régler leur différend car ils apprennent directement de leur enfant comment il vit la situation. Les enfants ne participent pas à la médiation s'ils sont exposés à de la violence familiale, si les conflits familiaux sont très graves ou si des problèmes de santé mentale risquent de menacer leur stabilité émotionnelle.

Elle croit que, pour que les enfants soient entendus, il faut modifier les lois à l'échelle nationale, former les professionnels de manière appropriée et mener des recherches afin de mieux comprendre ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas dans le cas des enfants. Ces commentaires ont trouvé un écho chez tous les participants.

Une médiatrice de pratique privée de Californie connaissant très bien les besoins spéciaux des enfants en matière d'éducation, rencontre les enfants dans le seul but de connaître leur point de vue et de le transmettre à leurs parents dans le cadre d'une séance de médiation[76]. Elle ne rédige pas de rapports à l'intention du tribunal et communique seulement l'information que les enfants l'autorisent à divulguer. Elle a mené des entrevues même avec des enfants de cinq ans. Ses entrevues ne sont pas de nature thérapeutique. Elle se sert plutôt de l'information transmise par les enfants pour aider les parents à parvenir à une entente bénéfique pour leurs enfants. Sa priorité est de permettre aux enfants d'exprimer leur point de vue sans avoir l'impression d'être les décideurs. Comme les autres participants, elle croit que les enfants doivent avoir la possibilité de décider s'ils souhaitent participer ou non aux décisions postérieures à la séparation.

Un autre psychologue et médiateur expérimenté, qui fait participer les enfants à la médiation depuis plus de 20 ans et qui a publié de nombreux écrits sur le sujet, croit que la qualité de la participation des enfants est tributaire du savoir‑faire et des compétences de la personne qui effectue l'entrevue avec eux[77]. Cette personne doit, en plus de connaître et de comprendre le langage et le développement des enfants, être à l'aise avec eux. Avant d'envisager la participation des enfants, il faut déterminer à quel moment ils devraient intervenir dans le processus de médiation (avant, pendant ou après), car leur contribution dépend du moment de leur intervention. À l'instar des autres participants, il préfère rencontrer d'abord les parents afin d'obtenir de l'information générale au sujet du conflit, puis voir si les enfants doivent participer ou non à la médiation et à quel moment ils doivent le faire. Tout comme d'autres médiateurs, il se sert des critères suivants à cet égard :

Comme d'autres également, il considère que la sécurité est toujours primordiale et croit que les entrevues avec les enfants doivent avoir un but et être utilisées de façon stratégique. En outre, il rencontre toujours l'enfant seul avant de le rencontrer avec ses parents et informe l'enfant des limites de la confidentialité.

En ce qui concerne la sélection des dossiers, il refuse de faire participer les enfants lorsque les conflits familiaux sont très graves, car, dans ces cas, les parents ne peuvent pas utiliser l'information de manière constructive ou peuvent s'en servir contre l'enfant. Il écarte aussi les cas où les enfants ont des besoins spéciaux et les cas où parler de ses sentiments ne fait peut‑être pas partie de la culture de l'enfant. Il rencontre généralement des enfants plus âgés (12 ans et plus), car il estime que les enfants plus jeunes ne peuvent pas offrir la même perspective développementale.

En outre, il soutient que chaque famille ou chaque enfant est unique. Aussi, il peut être difficile et restrictif au bout du compte d'élaborer des politiques sur une approche plutôt que sur une autre. Il craint également que l'élaboration de politiques n'ait pour effet de créer un système trop structuré ne laissant pas suffisamment de place à l'« habileté » — la qualité essentielle de toute personne qui mène des entrevues avec des enfants.

Un participant de la Pennsylvanie a déclaré qu'il fait participer les enfants avant, pendant et après la médiation depuis de nombreuses années[78]. Il a souligné l'importance de bien comprendre le développement de l'enfant et d'être à l'aise pour interroger les enfants. Il tient surtout compte du développement de l'enfant et de son degré de maturité pour déterminer s'il doit participer ou non au processus. Comme ses collègues de Californie, il croit que seuls les enfants plus âgés (12 ans et plus) devraient participer au processus. Dans tous les cas, il précise les limites de la confidentialité aux enfants et détermine avec eux ce qui peut et ne peut pas être transmis à leurs parents. Il croit que l'efficacité de la participation des enfants dépend notamment de la formation des professionnels ainsi que de l'évaluation des méthodes qui sont efficaces et de celles qui ne le sont pas ainsi que des recherches menées sur le sujet.

Une autre travailleuse sociale et chercheuse expérimentée de l'Ontario croit que la participation des enfants au processus de séparation est essentielle, car ils ont un point de vue unique qui n'est pas nécessairement le même que celui de leurs parents[79]. Bon nombre des activités offertes par l'association de services à la famille pour laquelle elle travaille comportent un volet thérapeutique visant à rétablir des relations solides entre les parents et les enfants. Jusqu'à trois thérapeutes peuvent participer au processus de médiation. Les enfants participent au processus peu importe de leur âge. Par exemple, même des enfants de quatre ans peuvent être observés et interrogés par un thérapeute qualifié et fournir des renseignements importants à leurs parents au sujet de leur développement affectif et comportemental. Les enfants âgés de neuf ans et plus signent des formulaires de consentement concernant leur participation. L'objet de chaque entrevue avec un enfant et les limites de la confidentialité doivent être décrits clairement. Ces commentaires ont trouvé un écho chez bon nombre de participants.

À l'instar de nombreux autres participants, elle estime que les éléments suivants sont importants : faire en sorte que les professionnels soient formés; faire en sorte que les caractéristiques culturelles et la diversité soient prises en compte dans l'interprétation des questions en litige; s'intéresser aux difficultés des enfants en matière d'apprentissage; évaluer les différents moyens de faire participer les enfants; mener des recherches sur le sujet. Elle croit également qu'il est tout aussi important d'avoir accès aux avocats des enfants pour que ces derniers aient leur mot à dire.

Droit de la famille collaboratif

Deux avocates spécialistes du droit de la famille collaboratif de l'Ontario[80] et une autre du Québec[81], qui possèdent de nombreuses années d'expérience en matière de droit de la famille, sont pour l'utilisation d'un spécialiste auprès des enfants, au besoin, afin que le point de vue de l'enfant soit pris en compte dans le processus collaboratif. Elles indiquent que, contrairement à ce qui se passe en Ontario, la participation de cliniciens de la santé mentale au processus du droit de la famille collaboratif est récente au Québec.

Les trois avocates ont mentionné ce qui suit au sujet de la sélection des dossiers :

Elles croient aussi que le spécialiste auprès des enfants doit être formé et qualifié et que tous les dossiers doivent être évalués au cas par cas. Elles reconnaissent que la participation de l'enfant n'est pas nécessaire ou n'est pas indiquée dans tous les cas. D'autres participants, Kelly (2004) et Saposnek (2004) notamment, sont aussi de cet avis.

Universitaires

Nicholas Bala est professeur de droit à l'Université Queen's, à Kingston (Ontario). Il considère que la participation de l'enfant fait partie d'une gamme de services qui assurent que l'intervention correspond au niveau de service requis[82]. Bala soutient que le point de vue de l'enfant doit être pris en compte selon l'âge et le développement de celui‑ci et doit être exprimé, si besoin est. Selon lui, peu importe la méthode utilisée, elle doit être peu coûteuse, les ressources financières étant souvent limitées. En outre, la méthode choisie (médiation incluant l'enfant, coordination des responsabilités parentales, évaluations en matière de garde et d'accès, représentation de l'enfant par un avocat, etc.) doit aussi reposer sur une compréhension des différents niveaux de conflits existant dans les familles séparées ou divorcées — une question qui exige une évaluation et des recherches continues.

Liz Trinder est une chercheuse et une universitaire qui a publié de nombreux textes sur la situation des enfants dans les cas de divorce ou de séparation en Angleterre et sur les méthodes de règlement des différends utilisées par les tribunaux dans ce pays (Trinder, 1997; Trinder et Kellett, 2007)[83]. Elle indique que les parents sont dirigés vers la médiation avant qu'une procédure judiciaire ne soit entreprise. L'objectif est cependant de les amener à conclure un règlement et ne concerne pas les relations entre eux et leurs enfants. Trinder mentionne que la participation des enfants varie lorsque les agents des CAFCASS (Children and Family Court Advisory and Support Services) interviennent. Elle croit que les méthodes de RED sont toujours l'affaire des adultes en Angleterre et que le point de vue des enfants continue d'avoir peu d'importance au bout du compte. Elle croit également qu'il faut, comme en Australie, que les émotions des parties concernées soient prises en compte lors de la médiation. Selon elle, il faut mettre à la disposition des familles des services communautaires très étendus et recourir aux tribunaux en dernier ressort seulement.

4.1 Résumé des leçons apprises par les participants

Il ne fait aucun doute que le point de vue des enfants est un élément important du processus de séparation ou de divorce, comme le montrent les nombreux services et programmes offerts dans les différents pays et les commentaires des praticiens, des chercheurs, des avocats et des conseillers et experts en politiques. Qu'il soit obtenu dans le cadre de la médiation, par l'avocat indépendant qui les représente, lors d'entrevues avec un juge, par des spécialistes auprès des enfants ou des coordonnateurs des responsabilités parentales ou qu'il soit exposé dans des rapports, le point de vue des enfants est important et il doit être entendu et écouté par les parents, les professionnels de la santé mentale et du droit et, finalement, les juges. De nombreux participants ont toutefois rappelé que ce ne sont pas tous les enfants qui doivent ou veulent avoir leur mot à dire et que cela devrait aussi être pris en compte. Pendant que le débat se poursuit dans les ouvrages en sciences sociales au sujet de l'opportunité de faire participer les enfants au processus, un message ressort clairement des travaux de recherche : les enfants et leurs parents doivent entretenir de meilleures relations, et le conflit entre les parents est moins important lorsque les enfants ont un rôle à jouer dans le processus (Goldson, 2006; McIntosh, 2007).

En outre, la représentation d'un enfant par un avocat, peu importe le rôle joué par ce dernier, constitue un mécanisme indépendant qui permet à l'enfant d'être entendu et, plus important encore, qui satisfait à certaines des exigences de la Convention[84]. Cela étant dit, la Convention n'est que l'un des éléments d'un débat politique plus large qui doit avoir lieu au regard du point de vue des enfants et de la façon dont on peut réellement le prendre en compte. Par exemple, il faut examiner les politiques et les programmes qui garantissent à tous les enfants et adolescents la pleine jouissance et le plein exercice de ces droits en vertu de la Convention. En outre, les adultes doivent apprendre à collaborer avec les enfants afin de les aider à revendiquer leurs droits et à les exercer (Lansdown, 2001).

Bien qu'il existe différentes façons de déterminer quand un enfant devrait participer au processus de séparation ou de divorce de ses parents et comment il devrait le faire, les facteurs suivants doivent être pris en considération :