Réponse du gouvernement au quinzième rapport du Comité permanent de la justice et des droits de la personne

Responsabilité des personnes morales

Novembre 2002

Le droit pénal et les personnes morales

Les audiences du Comité permanent ont porté principalement sur le rôle du droit pénal en matière de protection des travailleurs et du public contre les lésions corporelles, mais le gouvernement est conscient du fait que toute modification apportée au droit pénal général en matière de responsabilité criminelle des personnes morales influera nécessairement sur les enquêtes et les poursuites relatives a toutes les infractions perpétrées par les personnes morales. Il est essentiel de veiller à ce que les modifications apportées au Code criminel en réponse à la tragédie de la mine Westray soient conformes aux principes fondamentaux du droit pénal canadien et n'aient pas de conséquences inattendues à l'égard de la responsabilité criminelle dans les situations autres que la sécurité au travail.

Common law

Au Canada, le droit pénal nous vient de la common law d'Angleterre. Au cours des siècles, les juges ont élaboré peu à peu la common law à partir des circonstances d'un accusé en particulier. Parce que la réputation d'une personne qui a été condamnée est gravement ternie, le droit pénal prévoit des mesures qui ont pour objet de protéger l'accusé. En matière pénale, pour qu'il y ait condamnation, c'est la norme de preuve la plus stricte qui soit, celle de la preuve hors de tout doute raisonnable, qui s'applique. La Charte des droits et libertés codifie plusieurs règles de la common law et établit les normes que l'État doit respecter dans toute poursuite.

Il a toujours été difficile d'appliquer des règles élaborées pour des particuliers à des personnes morales, ces dernières étant des fictions juridiques qui ne peuvent agir que par l'entremise de particuliers. Les tribunaux n'ont commencé à imposer des peines criminelles aux personnes morales qu'à la fin du XIXe siècle au moment où d'importantes sociétés, particulièrement les chemins de fer, ont commencé à jouer un rôle de plus en plus important sur le plan économique. Les tribunaux ont d'abord condamné certaines sociétés qui avaient commis des infractions contre les biens, notamment pour nuisance puis, peu à peu ils ont condamné certaines sociétés relativement à d'autres infractions. Ce faisant, les tribunaux ont élaboré, au cas par cas, les règles régissant la responsabilité des particuliers qui remplissaient diverses fonctions au sein d'une société, pour ensuite les appliquer à la société elle-même. Lorsqu'une personne morale est déclarée coupable d'un crime, le tribunal rend la personne morale responsable des actes des particuliers qui ont posé le geste.

Selon les propos du juge Estey dans l'arrêt de principe, Canadian Dredge and Dock c. La Reine : Voilà maintenant des siècles que tribunaux et législateurs se penchent sur la situation de la personne morale en droit criminel. Les questions qui se posent à ce sujet sont nombreuses et complexes. Il est fort douteux qu'on puisse y répondre de façon définitive et universellement applicable dans le cadre du présent pourvoi ou, d'ailleurs, que les tribunaux seuls puissent le faire. Un examen historique de ces questions nous aide à les cerner, mais n'offre pas de solution nette au problème. [6]

MENS REA et personne morale

Conformément au droit pénal, la personne qui a commis l'acte coupable (l'actus reus) doit également avoir le mens rea, l'intention criminelle, pour être déclarée coupable de l'infraction. Par exemple, le droit pénal ne permet pas qu'une personne physique soit condamnée si elle souffre de troubles mentaux qui la rendent incapable de comprendre la nature de l'acte.

De surcroît, le droit pénal répugne à tenir une personne responsable des actes d'une autre personne. En règle générale, les tribunaux canadiens ont rejeté le principe de la responsabilité de l'accusé à l'égard de l'acte criminel perpétré par une autre personne. Dans l'arrêt de principe rendu avant laCharte, R. c. City of Sault Ste. Marie[7], la Cour suprême a décidé que même dans le cas d'une infraction aux textes réglementaires (dans cette affaire, il s'agissait d'une infraction au règlement provincial sur la pollution), « le principe selon lequel une peine ne doit pas être infligée à ceux qui n'ont commis aucune faute est applicable. »

Contrairement à la situation aux États-Unis et en Australie, la Charte des droits et libertés prévoit une norme importante applicable à la faute en vertu de laquelle la responsabilité absolue est extrêmement rare et exclue en matière pénale. Pour que l'imposition d'une peine par l'État soit équitable, il doit y avoir eu une faute ou à tout le moins négligence. La Cour suprême a élevé le moyen de défense de diligence raisonnable au rang de norme constitutionnelle minimale en 1985 dans le Renvoi relatif à la Motor Vehicle Act. [8]

La complexité de la responsabilité criminelle des personnes morales tient, en grande partie, à la question de savoir qui, au sein de la société, doit avoir la mens rea afin qu'on puisse affirmer que la personne morale elle-même avait cette mens rea. La question n'est pas difficile à trancher quand il s'agit d'une petite entreprise dont le propriétaire est également le gestionnaire; bien entendu, l'intention du propriétaire et celle de la personne morale se confondent.

Toutefois, les sociétés modernes ont des structures qui ressemblent très peu aux modèles plus simples examinés par les tribunaux qui ont élaboré les principes de common law. Il n'est pas facile de décider qui est la personne morale à des fins de responsabilité criminelle lorsque le siège social de ladite personne morale se trouve dans une ville, qu'elle mène ses opérations partout au monde et qu'elle a diverses succursales qui ont chacune leurs propres succursales et opérations régionales. La situation est encore plus complexe lorsque le conseil d'administration se réunit peu souvent et ne propose que des lignes directrices très larges aux cadres supérieurs.