État des lieux sur la situation de l'accès à la justice dans les deux langues officielles
Chapitre 14 : Territoires du Nord-Ouest
Structure du système judiciaire
Organisation judiciaire
Les cours supérieures
Est établie, en vertu de la Loi sur l'organisation judiciaire[108] des Territoires du Nord-Ouest, une Cour supérieure d'archives nommée Cour d'appel des Territoires du Nord-Ouest. La Cour d'appel se compose de juges nommés par le gouverneur en conseil parmi les juges et les juges surnuméraires de la Cour d'appel de l'Alberta et de la Cour d'appel de la Saskatchewan et les juges d'office de la Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest. La Cour d'appel peut siéger dans les territoires ou dans la province de l'Alberta.
Est aussi établie en vertu de la Loi sur l'organisation judiciaire, une Cour supérieure d'archives nommée Cour suprême des Territoires du Nord-Ouest. Les juges de la Cour suprême sont d'office juges de la Cour territoriale et juges de paix.
Les cours territoriales
La Loi sur la Cour territoriale[109] des Territoires du Nord-Ouest établit une cour d'archives nommée Cour territoriale des Territoires du Nord-Ouest, à qui est dévolue essentiellement la compétence criminelle et quasi-criminelle du territoire.
La Cour territoriale est désignée comme tribunal pour adolescents aux fins de la Loi sur les jeunes contrevenants[110] et de la Loi sur les jeunes contrevenants (Canada). Le tribunal pour adolescents est aussi une cour d'archives.
La Cour territoriale a compétence en matière civile pour les demandes de montants n'excédant pas 5 000 $. Les appels de ces décisions sont interjetés devant la Cour suprême et, éventuellement, devant la Cour d'appel.
Obligations constitutionnelles
La première version de l'article 110 de l'Acte des Territoires du Nord-Ouest fut adoptée en 1877[111]. Selon celle-ci, toute personne pouvait faire usage de la langue française ou anglaise devant les cours. L'article 110 tel qu'il fut connu par la suite fut édicté en 1886[112]. Outre le fait qu'il reproduit le libre choix de la langue devant les cours de justice, il permet à l'assemblée territoriale de « réglementer ses délibérations et la manière d'en tenir procès-verbal et de les publier. »
Législation territoriale
La Loi sur les langues officielles des Territoires du Nord-Ouest prévoit à l'article 19 que chacun a le droit d'employer le français ou l'anglais dans toutes les affaires dont sont saisis les tribunaux établis par la Législature des Territoires et dans les actes de procédure qui en découlent.
Profil de la communauté francophone[113]
Démographie
La population des Territoires du Nord-Ouest est majoritairement anglophone. Sur les 40 030 habitantes et habitants du territoire, 75% sont de langue maternelle anglaise. Les francophones comptent pour 2,5% de la population totale (1 010 selon le recensement de 1996).
Les effectifs de langue maternelle française dans les Territoires du Nord-Ouest, frontières existant avant la création du Nunavut en 1999, ont presque triplé entre 1951 à 1961 à la faveur de l'expansion rapide de l'industrie minière autour de Yellowknife. L'exploitation du pétrole et de grands travaux d'infrastructure ont continué de drainer vers le territoire une importante population du sud parmi laquelle il y avait plusieurs francophones jusqu'au début des années 1990. La population francophone s'est stabilisée entre 1991 et 1996.
Géographie
Les francophones sont présents dans plusieurs villages et villes des Territoires du Nord-Ouest. La sous-division de recensement qui correspond à la zone urbaine de Yellowknife en accueille de loin la plus forte concentration : plus de 650 francophones, soit 67% des Franco-Ténoises et Franco-Ténois.
La francophonie ténoise ne constitue nulle part un pourcentage important de la population : 2,7% dans la région de Fort Smith et 1,4% dans celle d'Inuvik plus au nord. Elle ne constitue que 3,8% de la population de Yellowknife, soit à peine plus que sa proportion à l'échelle territoriale.
Économie
Les Franco-Ténois constituent une population en mouvement. En provenance surtout du Québec et de l'Acadie, ils transitent par les Territoires du Nord-Ouest durant généralement deux ou trois ans. Ils détiennent deux records : celui de la minorité la plus éduquée et celui de la moyenne salariale la plus élevée au Canada. Les principales sources de revenu des Franco-Ténois sont les mines (d'or et de diamant), les services gouvernementaux et l'entrepreneurship, notamment dans le domaine de la construction et de la technologie de pointe.
Éducation
L'éducation est la clé de la vitalité de la communauté franco-ténoise. En effet, celle-ci peut compter sur des proportions importantes de francophones ayant une scolarité postsecondaire : 260 d'entre eux ont une scolarité universitaire et à ceux-ci s'ajoutent quelque 330 Franco-Ténoises et Franco-Ténois qui ont fait des études collégiales ou autres. Leur contribution au développement de la francophonie territoriale est inestimable.
Sur le territoire, nous retrouvons un programme d'éducation en français langue maternelle à Yellowknife et un autre à Hay River. Il y a aussi un programme de francisation desservant Yellowknife, Hay River et Fort Smith ainsi qu'une école homogène, l'École Allain-St-Cyr, à Yellowknife. Cependant, il n'y a pas de programme d'études secondaires en français et pas de programme d'éducation ou d'apprentissage en français pour adultes.
Milieu associatif
La Fédération Franco-Ténoise (FFT) est l'organisme porte-parole de la communauté francophone des Territoires du Nord-Ouest. Outre la représentation politique, la gestion de programmes et le développement communautaire, la Fédération Franco-Ténoise vise à assurer à ses membres une gamme de plus en plus étendue de services. Il n'y a pas d'association de juristes d'expression française dans les Territoires du Nord-Ouest.
Profil des répondants
En l'absence d'une association de juristes d'expression française aux Territoires du Nord-Ouest, des efforts ont été déployés en vue d'identifier des juristes aptes à pratiquer en français. Ces efforts ont permis l'identification de trois personnes susceptibles de répondre au questionnaire, dont seulement un avocat de pratique privée, de langue maternelle anglaise. Également, d'autres intervenants du milieu judiciaire ont été interviewés dans le cadre de l'étude. Nonobstant le nombre très faible de répondants, il est néanmoins important de prendre en considération leurs points de vue. Au total, quatre personnes ont été interviewées dans le cadre de cette étude en ce qui concerne les services judiciaires et juridiques en français aux Territoires du Nord-Ouest.
Demande et offre de services en français
Proportion de la Clientèle de langue française et demande de services en français
Compte tenu du petit nombre de francophones aux Territoires du Nord-Ouest, la demande de services judiciaires et juridiques en français est peu élevée. Selon les réponses obtenues de nos divers intervenants, il n'y aurait à peu près pas de demande de procéder en français ou dans l'une et l'autre langue officielle. Si la situation se présente, elle est extrêmement rare. En fait, il n'y a eu aucune demande au cours des trois dernières années.
Cette quasi-absence de demande de services judiciaires et juridiques en français (surtout des procès) est peut-être due à un manque d'information au sujet des droits linguistiques des justiciables. Un autre facteur à considérer pour expliquer cet état de fait pourrait être le manque d'avocats francophones aptes à représenter un client en français.
Perception des incidences à procéder en français
Comme facteurs ayant une incidence sur le choix de procéder ou non en français, on identifie les coûts additionnels ainsi que des délais dans la prestation de services.
Connaissance et application de l'article 530 du Code criminel
En matière de droit criminel, selon les informations recueillies, il n'y aurait pas d'offre active de services en français dans ce territoire. De plus, il semble que les juges n'avisent pas toujours les accusés, qui se représentent eux-mêmes, de leur droit à faire un choix linguistique en vertu de l'article 530 du Code criminel.
Obstacles à la justice en français
Les justiciables francophones habitant les Territoires du Nord-Ouest sont désavantagés en raison de leur langue. Le fait qu'il faille importer les services judiciaires francophones d'Alberta, le fait qu'il y ait des retards dans la prestation des services judiciaires et juridiques en français, le fait que ces retards soient plus importants que ceux encourus par les justiciables des autres langues officielles et le fait qu'ils doivent se présenter en justice par l'entremise de traducteurs constituent des désavantages importants.
Comme il n'y a pas d'avocat francophone résidant dans le territoire, la pratique privée du droit en français est pratiquement inexistante, ce qui constitue un obstacle majeur à l'accès à la justice en français.
Il y a quelques policiers francophones et le nombre de francophones à Yellowknife est assez élevé pour former un jury francophone.
L'article 110 de l'Acte des Territoires du Nord-Ouest (1886) prévoit que les langues française et anglaise pourront être utilisées devant les cours de justice. L'article 43.1 de la Partie II.1 de la Loi sur les territoires du Nord-Ouest (1985) prévoit que les langues française et anglaise sont des langues officielles des Territoires du Nord-Ouest. Ainsi, il n'y aurait pas d'obstacle juridique à l'accès à la justice dans les deux langues officielles. Notons que les Territoires du Nord-Ouest reconnaissent huit langues officielles, en raison de la présence des langues autochtones.
Comme il n'y a pas d'obstacle constitutionnel ou législatif à l'usage du français, les problèmes d'accès à la justice dans les deux langues officielles relèvent de la mise en œuvre de ce droit. Les services judiciaires et juridiques en français sont importés au grand complet de la province d'Alberta et incluent un service de traduction. Il y a peu de demande de services judiciaires et juridiques en français.
Les juges ont accès à une certaine documentation en français à la bibliothèque du palais de justice. Il y a un certain nombre d'agents de la paix francophones.
L'aide juridique en français n'est pas offerte.
Les justiciables ont accès aux lois rédigées dans les deux langues officielles.
Les services judiciaires et juridiques en français sont importés de l'Alberta et ils sont suffisamment complets pour, en principe, répondre à la demande. Toutefois, la situation, telle qu'elle paraît se présenter, peut nous laisser perplexe. Nous comprenons difficilement qu'une minorité linguistique n'exerce pas ses droits à des services judiciaires et juridiques dans sa langue alors que ceux-ci sont reconnus sur le plan constitutionnel et législatif dans un contexte où l'administration territoriale a une entente avec le gouvernement de l'Alberta pour fournir des services judiciaires et juridiques en français. Serait-ce une absence de sensibilisation des justiciables francophones ou l'absence d'avocats de pratique privée francophones qui expliquerait cet état de chose?
Pistes de solutions
La faible densité de population et le petit nombre de francophones dans le territoire rendent difficiles la recherche de solutions permanentes sur place.
Toutefois, quelques idées peuvent être formulées. Notamment, il pourrait s'agir, pour le gouvernement fédéral de :
- Nommer un juge résident bilingue.
- Identifier les avocats francophones bilingues.
- Faire une meilleure utilisation des moyens électroniques et audiovisuels.
- Aider au recrutement de personnel bilingue pour les services judiciaires et juridiques et les procureurs
- Utiliser des juges d'autres provinces qui sont aptes à entendre des procès en français.
- [108] L.R.T.N.O. 1988, c. J-1 (voir aussi l'Acte des Territoires du Nord-Ouest, S.C. 1875 c. 49 tel que modifié par S.C. 1877, c. 7, art .11.)
- [109] L.R.T.N.-O. 1988, c. T-2
- [110] L.R.T.N.-O. 1988, c. Y-1
- [111] Acte des Territoires du Nord-Ouest, S.C. 1875 c. 49 tel que modifié par S.C. 1877, c. 7, art. 11.
- [112] S.R.C. 1886 c. 50
- [113] Profil de la communauté francophone du Territoire du Nord-Ouest, Fédération des communautés francophones et acadienne (FCFA) du Canada, février 2000
- Date de modification :