LES ENJEUX DE LA BIOTECHNOLOGIE ET LA POLITIQUE PUBLIQUE

6. Conclusion

[L]e peu de cas que l'on fait à l'heure actuelle des questions litigieuses fondamentales portant sur la qualité de vie et le manque de transparence à ce sujet constitue un affront aux citoyennes et aux citoyens du Canada…. La seule façon légitime de reconnaître et de dissiper la confusion des faits et des valeurs est de mettre en place des mécanismes d'information, comme des forums régionaux, des débats dans les médias, des sites web et des référendums publics, etc. qui soient à la fois participatifs et consultatifs.

Au Canada, à l'heure actuelle, ce débat brille plutôt par son absence, du moins pour ce qui est d'un débat public. Il n'est pas question d'usurper le rôle qui revient légitimement aux politiciens et aux décideurs gouvernementaux d'élaborer des politiques et d'orienter le processus décisionnel, mais force est de constater le peu de cas que l'on fait à l'heure actuelle des questions litigieuses fondamentales portant sur la qualité de vie et le manque de transparence à ce sujet, qui constituent un affront aux citoyennes et aux citoyens du Canada. Cette impuissance morale collective à étudier ces questions dans le cadre d'une analyse structurée et rationnelle est la preuve ultime de notre étroitesse d'esprit.

Et cette incapacité à informer et à consulter activement la population ne pourra être corrigée simplement par un surplus d'informations. Les scientifiques eux-mêmes, quoique responsables de la production des connaissances, ne peuvent être tenus seuls responsables des utilisations (bonnes ou mauvaises) des techniques mises au point à partir de leurs recherches. Bien qu'ils soient de plus en plus sensibles aux répercussions sociales de leurs travaux, ils doivent demeurer libres de poursuivre leurs recherches de façon active et créatrice. De surcroît, le facteur d'appréhension, c'est-à-dire cette absence perçue de tout contrôle et de toute surveillance soutenue des conséquences d'une telle liberté scientifique et de ces innovations, empêche la population de faire davantage confiance aux résultats et aux orientations de la recherche scientifique ainsi qu'au régime réglementaire. La perception du risque dans la population, même si elle ne repose sur aucun fondement objectif, ne doit pas être ignorée. La seule façon légitime de reconnaître et de dissiper la confusion des faits et des valeurs est de mettre en place des mécanismes d'information, comme des forums régionaux, des débats dans les médias, des sites web et des référendums publics, etc. qui soient à la fois participatifs et consultatifs. C'est à cause de son approche hautement prohibitive, axée sur le droit pénal, que le Projet de loi C-47 sur les techniques de reproduction et de génétique n'est pas passé.

Il en coûtera certes beaucoup, sur les plans personnel et politique, d'engager un dialogue ouvert permanent avec la nation. Cela demandera indéniablement beaucoup de courage et de patience, notamment au début, lorsque la population devra s'adapter à un processus plus démocratique et que les intervenants polariseront le débat. Mais en se déchargeant de cette responsabilité sur les scientifiques et en n'intervenant ou en ne légiférant qu'après coup, on ne fera que saper la confiance du public envers le processus politique, sans parler de la crédibilité de nos dirigeants et de nos gouvernements.

La biotechnologie et la bioéthique transcendent en effet les lignes de partis et les frontières provinciales ou nationales. Qui aura le courage de relever le défi ?

Il faut revenir au sens premier de la politique publique, soit une action axée sur le public et sur la politique. En partant du principe que la vaste majorité des citoyennes et des citoyens sont des êtres moralement responsables qui s'intéressent à leur société, au progrès de la science et à l'avenir de l'humanité, le spectre d'une « exposition » devant le public devrait perdre son aspect redoutable. Après une première vague de polémiques et de rejets, les faits devraient finir par s'éclaircir. On devrait alors pouvoir tenir un débat plus sensé et mieux équilibré sur la diversité et la différence, notamment dans une nation multiculturelle comme le Canada. Une fois qu'on aura exposé les faits et les enjeux de façon plus générale et plus transparente, et que l'information aura été diffusée par des sources gouvernementales neutres et analysées par les médias, deux choix resteront : le modèle suisse des référendums publics (à l'écart de la politique partisane), adopté lorsque l'opinion publique estime qu'un enjeu est suffisamment important, ou le modèle du sain débat parlementaire fondé sur un vote libre. La biotechnologie et la bioéthique transcendent en effet les lignes de partis et les frontières provinciales ou nationales. Qui aura le courage de relever le défi ?