Élargir nos horizons : Redéfinir l'accès à la justice au Canada
Annexe B (suite)
Rôle des citoyens et des collectivités
Carol McEown
British Columbia Legal Services Society
Mars 2000
J’aimerais vous raconter trois histoires qui, à mon avis, pourraient contribuer à orienter nos discussions d’aujourd’hui.
Au milieu des années 1970, les centres de droit communautaire étaient à la mode. Deux bandes indiennes installées au centre de la province, les Gitxsan et les We’etsu’eten, ont reçu des fonds pour créer la Upper Skeena Counselling and Legal Assistance Society. Un membre du personnel de la première heure, dans une lettre transmise à l’occasion d’un anniversaire, a rappelé qu’elle avait accepté avec réticence de faire partie de cette nouvelle organisation qui s’occupait de questions juridiques – les contacts qu’elle avait eues avec le milieu juridique n’avaient pas été positifs et peu de décisions judiciaires avaient été rendues à l’époque sur la question des droits autochtones.
La USCLAS offrait les services habituels d’un organisme communautaire, des ateliers d’éducation juridique, de l’information, de l’aide ainsi que des services de représentation à l’égard de questions non visées par le tarif à la population autochtone et non autochtone de Hazelton. Mais rapidement, l’organisme s’est aussi occupé de questions liées aux droits des Autochtones, d’abord des droits de chasse et de pêche. La conteuse croit que c’est une affaire de pêche qui a changé la perception et l’attitude de son peuple à l’égard du droit et des tribunaux :
« Cela s’est passé lorsque nos pêcheurs s’en sont pris au système et aux tribunaux pour protéger les droits de pêche des Gitxsan. Vingt-trois accusations avaient été portées contre 17 membres de notre peuple et les filets de certaines familles avaient été saisis. Les accusations se sont promenées dans les tribunaux pendant plus d’un an, jusqu’ à ce que nos chefs décident d’intervenir. Les filets saisis illégalement par les agents des Pêches ont été récupérés quand nos chefs ont investi leurs bureaux et ont repris leurs filets! Un juge qui était responsable en grande partie du retard à régler l’affaire a vu celle-ci lui être retirée quand nous avons contesté ses commentaires racistes; finalement, la Cour suprême de la C.-B. a confié l’affaire à un juge qui a entendu toutes les accusations en une seule journée. Les accusations ont été abandonnées! Quelle victoire mémorable! Il s’agissait d’un pas en avant vers la création de précédents aux fins de la recherche concernant les revendications territoriales. »
Voil à un exemple d’une collectivité capable d’utiliser le système de justice pour que celui-ci agisse de la manière dont il est censé le faire. En revendiquant leurs droits avec succès, ces personnes ont appris qu’elles pouvaient se servir de la loi pour promouvoir leurs intérêts.
La collectivité a ensuite eu gain de cause lors des négociations menées avec le gouvernement provincial dans le but de créer des comités responsables du bien-être des enfants qui seraient gérés par les bandes et de nouveaux protocoles visant à protéger les enfants autochtones et à les garder dans leur collectivité. Il s’agit d’un excellent exemple d’action civique et de participation de la collectivité à la réforme ou à la modification d’un système au bénéfice de la collectivité. Les actions de la collectivité ont eu un impact réel sur la collectivité au sens plus large, sur la façon dont nous considérons les peuples autochtones et leurs demandes de justice.
La deuxième histoire porte sur les efforts faits par des groupes communautaires pour aider les personnes qui comparaissent devant le tribunal de la famille sans être assistées d’un avocat. Au milieu des années 1980, en plein période de récession en C.-B., la province et les responsables de l’aide juridique de l’époque ont cessé de fournir les services d’un avocat aux personnes qui comparaissaient devant le tribunal de la famille. Le programme d’éducation juridique a rédigé quelques publications autodidactiques simples pour aider les gens qui voulaient soumettre leurs différends à un tribunal.
Des personnes, en majorité des femmes, se sont alors tournées vers des groupes de femmes, des travailleurs auprès des tribunaux et des groupes de défense des personnes pauvres pour obtenir de l’aide. Des groupes de lutte contre la pauvreté ont demandé au Public Interest Advocacy Centre de la C.-B. de former des avocats populaires afin que ceux-ci puissent aider les gens à présenter leurs demandes au tribunal de la famille. Un programme financé en partie par le ministère de la Justice a été mis sur pied pour offrir de la formation sur la défense des droits devant le tribunal de la famille afin que des personnes puissent aider les demandeurs et les défendeurs à remplir les formulaires nécessaires et à préparer leurs arguments. Les groupes communautaires qui parrainaient la formation devaient répondre à trois critères :
- démontrer qu’il existait un besoin réel pour le service;
- s’engager à fournir le service, par l’entremise notamment d’avocats bénévoles;
- accepter de former un comité consultatif avec des représentants du tribunal de la famille et du système de justice qui seraient disposés à offrir leur soutien.
Les programmes de formation ont été très populaires et, pour la plupart des ateliers, le nombre d’inscriptions a dépassé le nombre de places. Les sessions de formation ont fait l’objet d’évaluations très positives et les représentants du comité consultatif ont jugé que les ateliers étaient excellents. Des services de défense devant le tribunal de la famille ont été fournis par des groupes communautaires dans 18 centres. Une évaluation complémentaire effectuée deux ans plus tard a permis de constater que la moitié des projets mis en place pour aider les clients à se représenter eux-mêmes devant le tribunal s’occupaient dorénavant de donner de l’information, de mettre en rapport des personnes avec d’autres services et d’offrir un « soutien émotionnel ».
Deux éléments étaient absolument nécessaires pour que le projet fonctionne. Le groupe communautaire parrainant le programme devait disposer d’un financement stable, de ressources suffisantes pour gérer le programme et d’une certaine crédibilité dans la collectivité. En outre, il devait pouvoir compter sur un représentant du système de justice familiale. Sans la crédibilité du personnel et de la collectivité, il aurait été impossible de maintenir les services. Sans le soutien d’une personne venant du système, il était trop difficile de continuer à fournir le service. Des clients n’étaient pas mis en rapport avec d’autres intervenants, le travail était contesté et aucune mesure de soutien n’existait.
Nous avons maintenant effectué notre énième étude de la justice civile, en particulier des questions relevant du droit de la famille. Encore une fois, comme au début des années 1980, les gens ont demandé que la loi soit clarifiée, que des solutions de rechange, comme la médiation, soient proposées et que le processus juridique demeure simple. Nous nous retrouvons maintenant avec un système si complexe, si fragmenté qu’il n’a aucune unité. Les programmes obligatoires de formation au rôle de parent, la médiation, les lignes directrices relatives aux pensions alimentaires pour enfants, la gestion des cas, les conférences de cas, les règles complexes ont réduit l’accès des gens au système de justice.
De nouveau, comme au début des années 1980, nous avons réduit les services juridiques financés par les fonds publics dans le domaine du droit de la famille. Cette fois, l’explication ne porte pas seulement sur les coûts. Il n’est pas question d’options, mais de montrer aux gens comment faire ce qu’il faut, être de bons parents, ne pas se disputer au sujet de l’argent, être compréhensifs.
Et encore une fois, des personnes, des groupes communautaires et d’autres organismes nous ont demandé de publier des documents autodidactiques et d’offrir de la formation. La brochure de 12 pages en compte maintenant 60, et le formulaire relatif aux ressources financières est passé de 2 à 10 pages. Les règles étant beaucoup plus complexes, les gens sont obligés de frapper à plusieurs portes et de présenter leur cas à différents forums avant de pouvoir le soumettre à un juge. Comment pourrait-il en être autrement vu la complexité des lignes directrices relatives aux pensions alimentaires pour enfants?
Comment en sommes-nous arrivés l à? Est-ce à cause des avocats qui continuent de rendre le système de plus en plus complexe de façon à pouvoir toujours y jouer leur rôle? Des juges qui essaient d’éloigner du tribunal les personnes qui ne sont pas représentées par un avocat ou qui veillent à ce que leur temps soit utilisé judicieusement? Des bureaucrates qui essaient de mettre en œuvre des politiques qui traduisent la pensée d’universitaires? Des hommes et des femmes politiques qui répondent aux propositions de groupes d’intérêt (aussi connus sous le nom de collectivité)?
Ce qui semble manquer, c’est une forme de coopération qui reconna ît que les individus essaient d’obtenir de l’aide pour résoudre un problème qu’ils ont, avec le gouvernement, clairement défini comme ayant une solution juridique.
Les nouvelles initiatives concernant la réforme de la justice pour les jeunes représentent une autre occasion de travailler avec la collectivité et de créer de nouveaux partenariats. J’ai assisté à une réunion sur les nouvelles initiatives en matière de justice pour les jeunes le mois dernier, où nous avons appris que la Colombie-Britannique était très en avance sur les autres provinces en ce qui concerne la mise en place de programmes de justice réparatrice pour les jeunes. Les programmes de justice réparatrice sont des programmes communautaires axés sur la recherche de solutions, qui ont pour but de tenir les jeunes éloignés du système de justice et de les aider à se sentir responsables et à répondre de leurs actes.
Lorsque nous avons demandé d’où proviendraient les sommes nécessaires au financement de ces programmes, on nous a répondu que ceux-ci pourraient entra îner des économies. Tout ce que la collectivité devait faire, c’était convaincre les responsables des services correctionnels et le gouvernement provincial de réduire le financement des lieux de détention et d’utiliser les sommes ainsi dégagées pour financer les programmes de rechange. Lorsque j’ai parlé à la province, on m’a répondu que, si les programmes étaient financés, il ne s’agirait plus de véritables initiatives communautaires.
Lors d’une réunion que j’ai eue par la suite avec des professeurs et des intervenants auprès des jeunes, j’ai entendu des histoires d’enfants qui n’auraient jamais été accusés, qui ont consenti à des « peines » très lourdes. Ils ignoraient qu’ils avaient leur mot à dire et que leur collectivité était représentée au sein du tribunal. J’ai entendu des travailleurs communautaires qui voulaient savoir d’où viendraient les ressources permettant d’offrir les services nécessaires pour empêcher que les jeunes à risque aient des ennuis et pour les aider à devenir des membres responsables de la société. Les questions auxquelles il faut répondre sont celles que j’ai soulevées précédemment :
- Il existe de nombreuses collectivités. Quel est le meilleur endroit où discuter des différents points de vue sur la justice et apprendre d’autres façons de la rendre?
- Les programmes élaborés par une collectivité peuvent ne pas convenir à une autre. Le règlement extrajudiciaire des conflits et les programmes de justice réparatrice sont considérés comme les nouveaux sauveurs du système de justice.
- Comment en arriver à ce que le système de justice partage son pouvoir et ses ressources?
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