Les systèmes de commissions d'examen au Canada : Survol des résultats de l'étude de la collecte de données sur les accusés atteints de troubles mentaux
1. Introduction
- 1.1 Non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux
- 1.2 Inaptitude à subir son procès
- 1.3 Étude actuelle
1. Introduction
Les troubles mentaux, dans le système de justice pénale du Canada, sont définis dans le Code criminel comme « toute maladie mentale »[1]. Cependant, une personne accusée d'infraction criminelle qui souffre, selon un professionnel de la santé, de troubles mentaux, n'est pas nécessairement exempte de responsabilité criminelle. Une telle constatation se fait selon un examen judiciaire strict administré par un juge. Bon nombre des accusés qui souffrent de troubles mentaux sont donc jugés et reconnus coupables selon le système de justice pénale. De plus, un accusé ou un avocat peuvent décider que d'invoquer des troubles mentaux au cours de procédures judiciaires pourrait même ne pas être dans leur intérêt. En effet, bien que cela puisse leur éviter une déclaration de culpabilité, il pourrait s’ensuivre un engagement d'une durée indéterminée dans le système responsable de la gestion d'accusés atteints de troubles mentaux. Ainsi, seulement un petit nombre d'accusés invoquent les troubles mentaux et/ou rencontrent la norme juridique au Canada. Ces accusés peuvent être déclarés non responsables criminellement pour cause de troubles mentaux (NRCTM) ou encore inaptes à subir leur procès.
1.1 Non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux
…la personne qui commet un acte criminel alors qu'elle est atteinte de troubles mentaux ne doit pas être tenue criminellement responsable de ses actes ou de ses omissions de la même manière qu'une personne saine d'esprit. La personne qui était aliénée d'un point de vue légal au moment de l'infraction ne doit pas être déclarée coupable […]. La responsabilité criminelle n'est appropriée que lorsque l'acteur est une personne douée de discernement moral, capable de choisir entre le bien et le mal.[2]
Dans le système de justice pénale du Canada, il existe un principe fondamental qui établit qu'un accusé doit être en mesure de comprendre que son comportement était fautif pour être reconnu coupable d'une infraction. Selon les dispositions de l'article 16 du Code criminel :
La responsabilité criminelle d'une personne n'est pas engagée à l'égard d'un acte ou d'une omission de sa part survenue alors qu'elle était atteinte de troubles mentaux qui la rendaient incapable de juger de la nature et de la qualité de l'acte ou de l'omission, ou de savoir que l'acte ou l'omission était mauvais.[3]
Bien qu'un accusé pour qui un verdict de non-responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux est rendu par un tribunal ne soit pas coupable au sens habituel, ce verdict n'est pas un acquittement; il constitue une troisième option unique. En vertu de l'article 672.38 du Code criminel, un accusé tenu NRCTM doit se présenter devant une commission d'examen provinciale ou territoriale. Les commissions d'examen sont des tribunaux spéciaux présidés par un juge, ou une personne qui remplit les conditions de nomination à un tel poste, et sont formés d'au moins quatre autres membres dont l'un doit être autorisé par les lois de la province à exercer la profession de psychiatre.
La justification de cette organisation distincte est la suivante : même si l'accusé n'est pas tenu criminellement responsable de son comportement, le public peut encore avoir besoin d'être protégé d'un futur comportement dangereux. Par conséquent, l'objectif de la commission d'examen est de faire l'évaluation individuelle de l'accusé et, par la suite, de rendre une décision qui, d'une part, protégera le public et, d'autre part, offrira la possibilité de traiter le trouble mental sous-jacent.
Bien que la majorité des cas de non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux soient référés à une commission d'examen, le tribunal qui rend le verdict a l'autorité de rendre une décision s'il se croit en mesure de le faire et qu'une décision doit être rendue sans délai. Selon les dispositions de l'article 672.54 du Code criminel, un tribunal ou une commission d'examen peut rendre trois décisions :
- libération inconditionnelle;
- libération sous réserve; ou
- détention de l'accusé dans un hôpital.
Cependant, si le tribunal ordonne une libération sous réserve ou une détention, la commission d'examen provinciale ou territoriale demeure dans l'obligation de tenir une audience et de rendre une nouvelle décision à l'intérieur d'une période de 90 jours. Par conséquent, à l'exception des cas de libération inconditionnelle, les commissions d'examen sont habituellement responsables de rendre la décision appropriée pour un accusé NRCTM.
Selon les dispositions de l'article 672.54, le tribunal ou la commission d'examen doit rendre la décision la moins sévère et la moins privative de liberté pour l'accusé. Pour ce faire, le tribunal ou la commission d'examen doit prendre en considération la nécessité de protéger le public et de juger l'accusé de manière juste et humaine, en respectant ses droits. Dans l'article 672.54, on indique que le tribunal ou la commission d'examen doit tenir compte « de la nécessité de protéger le public face aux personnes dangereuses, de l'état mental de l'accusé et de ses besoins, notamment de la nécessité de sa réinsertion sociale ».
En 1999, la Cour suprême du Canada, dans l'affaire R. c. Winko,a dégagé certains principes en ce qui a trait à l'article 672.54 et a déterminé que si l'accusé ne constitue pas une menace importante à la sécurité du public, le tribunal ou la commission d'examen doit ordonner sa libération inconditionnelle. Cette décision respecte le principe de base selon lequel la seule justification de l'utilisation du pouvoir de l'État en matière de droit pénal pour imposer des restrictions à une personne déclarée non responsable criminellement à l'égard des ses actions est la sécurité du public[4].
De plus, dans l’affaire R. c. Winko, la Cour suprême du Canada spécifie que l’article 672.54 ne crée pas de présomption de dangerosité. En d’autres termes, bien que la protection de la société soit primordiale, il doit exister une preuve évidente d'un risque important pour le public avant qu'un tribunal ou une commission d'examen décide de la libération sous réserve ou de la détention d'un accusé.
Si un tribunal ou une commission d’enquête ordonne une libération inconditionnelle, l’accusé NRCTM n’a plus affaire au système pour l’infraction précise qui a mené à un verdict de non responsabilité criminelle pour cause de troubles mentaux.
Si le tribunal ou la commission d’examen ordonne la libération sous réserve, l’accusé fera l’objet d'une supervision au sein de la collectivité grâce à l’imposition de restrictions relatives à sa liberté. Les conditions spécifiques ordonnées par un tribunal ou une commission d'examen pendant une libération sous réserve établissent que l'accusé NRCTM doit :
- résider à un endroit particulier (par ex. un foyer de groupe);
- s'abstenir de consommer des drogues illicites et/ou de l'alcool;
- se soumettre à des prises et analyses d'échantillons d'urine pour la détection de substances interdites;
- se soumettre à un plan de traitement déterminé;
- rendre compte à une personne désignée (par ex. un psychiatre) selon un horaire planifié; et
- s'abstenir de posséder une arme.
Bien que ces conditions soient les plus communes, l'alinéa 672.54b) indique qu'il peut y avoir une décision portant sur la libération de l'accusé sous réserve des modalités que le tribunal ou la commission juge indiquées.
Advenant le cas que le tribunal ou la commission d'examen ordonne une détention, l'accusé sera placé sous garde dans un hôpital. Cependant, il se peut aussi qu'il soit géré dans la collectivité sous réserves. Le tribunal ou la commission d'examen peut déléguer le pouvoir de gérer l'accusé à l'hôpital où est détenu ce dernier. Ainsi, le directeur général de l'hôpital a le pouvoir de renforcer ou d'alléger les restrictions auxquelles est soumis l'accusé NRCTM. Il est donc possible pour un accusé de quitter l'hôpital avec l'accord du directeur général.
L'accusé NRCTM demeure sous l'autorité de la commission d'examen jusqu'à ce qu'on lui accorde la libération inconditionnelle. La Cour suprême du Canada a établi qu'en général, la nature indéterminée de ce régime ne contrevient pas aux droits et libertés de l'accusé NRCTM en vertu de la Charte canadienne des droits et libertés. Cependant, cette mesure n'est pas pour autant considérée comme punitive. Comme on l'indique dans l'affaire R. c. Winko :
…il a été établi que l'accusé non responsable criminellement n'est pas moralement responsable de l'acte criminel qu'il a commis. Le châtiment est moralement inapproprié et inefficace dans un tel cas, car cet accusé était incapable de faire le choix rationnel sur lequel le modèle punitif est fondé. Or, comme la liberté de l'accusé non responsable criminellement n'est pas restreinte en vue de le punir, il n'existe pas de raison correspondante de limitation dans le temps. Les objectifs de toute privation de liberté dans son cas visent à protéger la société et à lui permettre de se faire traiter. Cela exige une démarche souple qui tient compte de la durée de la privation de liberté en fonction de ces deux objectifs et rend inutile toute comparaison mécaniste quant à la durée d'une détention.[5]
Par conséquent, le principe de la proportionnalité, important dans la détermination de la peine des contrevenants au sein du système de justice pénale, ne constitue pas un facteur dans le processus de détermination d'une décision appropriée pour un accusé NRCTM. Par contre, cela ne veut pas dire que la gravité de l'infraction commise par un tel accusé n'a pas d'incidence dans l'évaluation de sa dangerosité et, donc, dans la décision. En fait, aucune loi n'exige que la décision soit proportionnelle au tort causé par l'infraction particulière. Est-ce donc dire qu'il n'existe pas de lien entre la durée de la décision et la gravité de l'acte criminel? Bien qu'il n'y ait peu de recherches canadiennes pour répondre à cette question, une étude de la Colombie-Britannique a fait la preuve qu'il semble y avoir une corrélation entre le nombre de jours d'hospitalisation et la gravité de l'infraction commise par l'accusé NRCTM[6]. À titre d'exemple, l'étude a permis de découvrir que l'accusé qui a commis un meurtre demeure hospitalisé en moyenne 1 165 jours avant de recouvrer sa liberté, comparé à 48 jours pour l'accusé qui a commis un vol.
Selon les dispositions de l'article 672.81, la commission d'examen doit tenir une audience chaque année afin de réviser la décision. Au cours de ces révisions annuelles, la commission d'enquête peut rendre l'une des trois décisions (c.-à.-d. la libération inconditionnelle, la libération sous réserve et la détention) et modifier toute condition qui a été imposée à l'accusé. En plus de ces révisions annuelles, des révisions obligatoires additionnelles sont réalisées pendant l'année si, par exemple, des restrictions à la liberté d'un accusé ont été renforcées de manière importante pour une période de plus de sept jours ou si le directeur général d'un hôpital le demande. Enfin, des révisions discrétionnaires peuvent être effectuées à la demande de l'accusé ou de toute autre partie.
1.2 Inaptitude à subir son procès
Même si un accusé reconnu NRCTM a commis l'action qui a donné lieu à son accusation, il demeure possible que cet accusé ne soit pas apte à participer à sa défense pleine et entière en raison de troubles mentaux. Dans de tels cas, on considère que la détermination, par un tribunal, à savoir si l'accusé a bel et bien commis cette infraction est incompatible avec les principes de la justice fondamentale. L’article 2 du Code criminel indique qu'un accusé est inapte à subir son procès dans le cas suivant :
Incapacité de l'accusé en raison de troubles mentaux d'assumer sa défense, ou de donner des instructions à un avocat à cet effet, à toute étape des procédures, avant que le verdict ne soit rendu, et plus particulièrement incapacité de :
- comprendre la nature ou l'objet des poursuites;
- comprendre les conséquences éventuelles des poursuites;
- communiquer avec son avocat.[7]
Tout comme une personne déclarée NRCTM, un accusé jugé inapte à subir son procès est aussi référé à une commission d'examen. Cependant, ni les tribunaux ni les commissions d'examen n'ont actuellement l'autorité d'ordonner la libération inconditionnelle d'un accusé déclaré inapte à subir son procès - ils peuvent seulement ordonner la libération sous réserve ou la détention. Par conséquent, jusqu'à ce que l'accusé jugé inapte à subir son procès soit reconnu apte ou que les accusations retenues contre lui soient suspendues ou retirées, son cas restera du ressort de la commission d'examen, à une exception près. Les tribunaux doivent réviser le cas d'un accusé jugé inapte à subir son procès tous les deux ans dans le but de déterminer s'il existe encore des preuves suffisantes pour lui faire subir un procès. Si, à la suite d'une révision, le tribunal croit qu'une preuve prima facie n'existe plus, l'accusé est admissible à un acquittement. Pour les adolescents jugés inaptes à subir leur procès, le tribunal doit réviser le cas une fois l'an au lieu de deux, au sens du paragraphe 141(10) de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents.
Cependant, dans l'affaire R. c. Demers, la Cour suprême du Canada a statué que l'incapacité d'un tribunal ou d'une commission d'examen à ordonner la libération inconditionnelle d'un accusé jugé inapte de manière permanente à subir son procès et qui ne constitue pas une menace importante pour la société contrevient aux droits et libertés en vertu de l'article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette question est traitée dans une récente modification au Code criminel, introduite avec la proclamation du projet de loi C-10 le 30 juin 2005. À la suite de la mise en œuvre du projet de loi C–10, qui se fera le 1er janvier 2006, un tribunal sera autorisé à ordonner la suspension de l'instance à l'égard d'un accusé déclaré inapte à subir son procès si :
- il est improbable que l'accusé devienne apte;
- l'accusé ne constitue pas une menace importante à la sécurité du public; et
- la suspension de l'instance est dans l'intérêt de la bonne administration de la justice.[8]
Cependant, le projet de loi C-10 n'accorde toujours pas aux commissions d'examen le pouvoir d'ordonner la libération inconditionnelle d'un accusé jugé inapte à subir son procès; ce pouvoir sera accordé aux tribunaux seulement.
1.3 Étude actuelle
Cette étude vise à fournir des renseignements de base sur les systèmes de commissions d'enquête au Canada ainsi que sur les personnes qui les ont expérimentés. Il existe actuellement peu d'information sur la nature des cas d'accusés NRCTM et d'accusés jugés inaptes à subir leur procès qui sont traités par les systèmes de commissions d'examen, y compris le type d'infraction commise par les accusés, leurs diagnostics psychiatriques, la gamme des conditions qui peuvent leur être imposées ou la durée moyenne de leur supervision par les commissions d'examen. En réalité, il n'y a eu aucune collecte de données systématique ou à grande échelle sur les systèmes de commissions d'examen depuis 1992. En 2002, à la suite d'un examen parlementaire portant sur les dispositions relatives aux troubles mentaux du Code criminel, (Partie XX.1), le Comité permanent de la justice et des droits de la personne a fait la recommandation suivante :
Le ministère de la Justice et les autres ministères et organismes concernés, de concert avec leurs homologues provinciaux, recueillent, traitent et analysent les données requises pour faciliter le prochain examen parlementaire de la Partie XX.1 du Code criminel […] [9]
Dans le but de parer à cette lacune, le ministère de la Justice Canada a initié une stratégie de collecte de données, en collaboration avec les commissions d'examen de sept provinces et territoires. Le présent rapport fournit les résultats de cette stratégie de collecte de données et offre de l'information sur la nature des cas qui ont été traités par les systèmes de commissions d'examen du Canada entre 1992 et 2004.
- [1] Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 2.
- [2] Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, 1999 IIJCan 694 (C.S.C.), par. 31[ci-après appelé R c. Winko].
- [3] Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, par. 16(1).
- [4] VERDUN-JONES, S. N., Making the Mental Disorder Defence a More Attractive Option for Defendants in a Criminal Trial: Recent Legal Developments in Canada, dans EAVES, D., OGLOFF, R. P. et ROESCH, R., eds., Mental Disorders and the Criminal Code: Legal Background and Contemporary Perspectives, Burnaby, C.-B., Mental Health, Law and Policy Institute, 2000, p. 39-75.
- [5] R. c. Winko, par. 93.
- [6] LIVINGSTONE, J. D., WILSON, D., TIEN, G. et BOND, L., « A Follow-up Study of Persons Found Not Criminally Responsible on Account of Mental Disorder in British Columbia », Canadian Journal of Psychiatry, no 48, 2003, p. 408.
- [7] Code criminel, L.R.C. 1985, ch. C-46, art. 2.
- [8] Projet de loi C-10, Loi modifiant le Code criminel (troubles mentaux) et modifiant d'autres lois en conséquence, 1ère session, 38ème législature (sanctionné le 19 mai 2005), Lois du Canada 2005, ch. 22.
- [9] Comité permanent de la justice et des droits de la personne, Examen des dispositions du Code criminel relatives aux troubles mentaux, Ottawa, Chambre des communes, 2002, p. 19.
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