Article 12 – Traitements ou peines cruels et inusités

Disposition

12. Chacun a droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités.

Dispositions similaires

L’alinéa 2b) de la Déclaration canadienne des droits est une disposition semblable. L’article 7 de la Charte comprend un principe apparenté qui interdit des restrictions exagérément disproportionnées du droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne (Canada (Procureur général) c. Bedford, [2013] R.C.S. 1101, aux paragraphes 120 à 122). Il est à souligner qu’en ce qui a trait aux condamnations pénales, la norme du caractère totalement disproportionné prévue à l’article 7 est la même que dans le cas de l’article 12. Autrement dit, le principe prévu à l’article 7 contre le caractère totalement disproportionné ne donne pas lieu à un recours constitutionnel contre une sanction pénale si cette sanction est en accord avec l’article 12 (R. c. Malmo-Levine, R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, au paragraphe 160; R. c. Safarzadeh-Markhali, [2016] 1 R.C.S. 180, aux paragraphes 71 et 72; R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23 , aux paragraphes 52 et 53).

On trouve des droits similaires ou apparentés dans les instruments internationaux suivants, qui sont contraignants pour le Canada : les articles 7, 8 et 10 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; les articles 1, 2 et 16 de la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants; l’article 37 de la Convention internationale des droits de l’enfant; l’article 15 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées; et l’article XXVI de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme. Voir aussi les articles 7 et 8 du Statut de Rome de la Cour pénale internationale.

Voir aussi les instruments de droit internationaux, régionaux et comparatifs suivants, qui ne sont pas contraignants pour le Canada, mais qui comprennent des dispositions similaires : les articles 5, 6 et 7 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme; la Convention interaméricaine pour la prévention et la répression de la torture; les articles 3 et 4 de la Convention européenne des droits de l’homme; la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants; et le 8e amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique.

Objet

L’article 12 a pour objet « d’interdire à l’État d’infliger des douleurs et des souffrances physiques ou psychologiques par des traitements ou peines dégradants et déshumanisants. Cette disposition vise à protéger la dignité humaine et à assurer le respect de la valeur inhérente de chaque personne » (Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, au paragraphe 51, cité dans R. c. Bissonnette, précité, au paragraphe 59; R. c. Hills, 2023 CSC 2, au paragraphe 32).

Analyse

Pour que l’article 12 puisse entrer en ligne de compte, la mesure contestée doit être un « traitement ou une peine » infligés par un acteur étatique canadien. Il y a violation de l’article 12 si le traitement ou la peine est cruel et inusité (Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3  R.C.S.  519, aux pages 608 et 609; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76 , au paragraphe 47 ; R. c. Boudreault, [2018] 3 R.C.S. 599, au paragraphe 45; Bissonnette, précité, au paragraphe 56).

Le droit prévu à l’article 12 protège les personnes. La Cour suprême a confirmé que l’article 12 ne protège pas les personnes morales car « l’expression "cruels et inusités" dénote une protection que « seul un être humain peut avoir » (Québec (Procureure générale), précité, citant Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, à la page 1004).

1. Traitement ou peine infligés par un acteur étatique canadien

La définition de « peine  » aux fins de l’article 12 est la même que celle qui s’applique dans le contexte des alinéas 11h) et 11i) de la Charte ( Boudreault, précité, au paragraphe 38). Une mesure sera considérée comme étant une peine si « 1) elle est une conséquence d’une déclaration de culpabilité qui fait partie des sanctions dont est passible un accusé pour une infraction donnée et 2) soit elle est conforme à l’objectif et aux principes de la détermination de la peine, 3) soit elle a une grande incidence sur le droit du contrevenant à la liberté ou à la sécurité » (R. c. K.R.J., [2016] 1 R.C.S. 906, au paragraphe 41, cité dans Boudreault, précité, au paragraphe 39; Bissonnette, précité, au paragraphe 57; Hills, précité, au paragraphe 31). Pour une discussion plus approfondie de ce critère, voir l’entrée de Chartepédia relative à l’alinéa 11i).

Bien que la Cour suprême n’ait pas formulé de définition générale du mot « traitement  », il est évident que le terme étend l’application de l’article 12 au-delà des mesures qui représentent une « peine » (R. c. Rodgers, [2006] 1 R.C.S. 554, au paragraphe 63). La Cour suprême a signalé la définition générale de « traitement » que l’on trouve dans les dictionnaires, soit un « [c]omportement à l’égard de [quelqu’un]; actes traduisant ce comportement... » (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1  R.C.S.  711, au paragraphe 29). La Cour suprême a laissé ouverte la possibilité que le mot « traitement » puisse inclure des mesures imposées par l’État en dehors du contexte pénal ou quasi pénal. Toutefois, la simple interdiction dans la loi de certains comportements ne constitue pas un traitement au sens de l’article 12. Selon la Cour suprême, « [p]our qu’elle constitue un “traitement” au sens de l’article 12, l’action de l’État, qu’il s’agisse d’une action positive, d’une inaction ou d’une interdiction, doit faire intervenir la mise en œuvre d’un processus étatique plus actif, comportant l’exercice d’un contrôle de l’État sur l’individu » (Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), précité, à la page 610).

Les mesures suivantes ont été considérées comme des « traitements ou des peines » aux fins de l’article 12 .

Le renvoi ou la déportation d’une personne étrangère du Canada n’est pas une peine, mais la Cour suprême a laissé ouverte la possibilité que le renvoi puisse constituer un « traitement » qui fait entrer en ligne de compte l’article 12 (Chiarelli, précité, à la page 735).

De façon analogue, l’extradition du Canada n’est pas une peine. Le traitement ou la peine prévisible imposés à la personne concernée par un État étranger, après l’extradition, sont trop éloignés sur le plan causal, par rapport aux actions de fonctionnaires canadiens, pour être pris en considération en vertu de l’article 12. Ils devraient plutôt être pris en considération aux termes de l’article 7 (États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S 283, aux paragraphes 50 à 57; Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779; Renvoi relatif à l’extradition de Ng (Can.), [1991] 2 R.C.S. 858).

La force à des fins de correction contre des enfants « que les parents emploient pour infliger une correction dans le cadre familial » ne fait pas entrer en jeu l’article 12 car : elle « n’est pas un traitement infligé par l’État. » (Canadian Foundation, précité, au paragraphe 48). La Cour suprême a laissé ouverte la question de savoir si l’article 12 entre en jeu lorsque des instituteurs employés par l’État utilisent la force à des fins de correction contre des enfants. Même si une telle utilisation de la force à des fins de correction représente un « traitement » infligé par l’État, la force « raisonnable » que les instituteurs sont autorisés à employer à des fins de correction en vertu de l’article 43 du Code criminel ne serait pas considérée comme étant « cruelle et inusitée » (Canadian Foundation, précité, aux paragraphes 48 et 49).

La Cour suprême a laissé ouverte la question de savoir si la suspension administrative d’un permis est une peine (Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, au paragraphe 34). Une cour d’appel a répondu à cette question par la négative (R. c. Miller (1998), 65 O.R. (2d) 746 (C.A. Ont.)).

La Cour fédérale a adopté une approche exceptionnellement ouverte à l’égard du terme « traitement » dans la décision Médecins Canadiens pour les soins aux réfugiés c. Canada (Procureur général), 2014 CF 651. La Cour a considéré que le retrait ou la limitation du financement pour les soins de santé dans le cas de certaines personnes qui demandent l’asile faisait entrer en jeu l’article 12 parce que ces personnes « relèvent de l’immigration et sont donc bel et bien assujetties au contrôle administratif de l’État ». Par exemple, par la mise en détention liée à l’immigration, les conditions de mise en liberté et les restrictions relatives à leur capacité de travailler ou de recevoir des prestations d’aide sociale (ibid. au paragraphe 585). La Cour a limité sa considération aux « circonstances extraordinaires de la présente affaire » (ibid., au paragraphe 610).

2. Cruelle et inusitée : deux volets de protection

Si une mesure fait entrer en jeu l’article 12, la question suivante consiste à savoir si elle est cruelle et inusitée.

L’analyse n’accorde pas un sens distinct aux termes « cruelle et inusitée ». L ’expression « cruelle et inusitée » est plutôt la « formulation concise d’une norme » qui se veut souple, propre à un contexte et liée à des normes communautaires raisonnables ou objectives. On peut s’attendre à ce que la protection garantie à l’article 12 évolue avec le temps (Smith, précité; Bissonnette, précité, au paragraphe 65; Hills, précité, au paragraphe 100).

La protection conférée par l’article 12 comprend deux volets. Le premier volet s’intéresse à la sévérité et à la durée d’une peine particulière compte tenu des circonstances (Hills, précité, au paragraphe 35). Il interdit les traitements ou peines « dont l’effet est exagérément disproportionné par rapport à ce qui aurait été approprié » dans la situation particulière d’une personne, même si cette même mesure pourrait s’imposer dans la situation d’une autre personne (Bissonnette, précité, aux paragraphes 6 et 61 à 63, citant R. c. Smith, [1987] 1 R.C.S. 1045, à la page 1072). La disproportion exagérée est un critère exigeant. Une mesure doit être plus que « simplement excessive » ou disproportionnée : elle doit être « incompatible avec la dignité humaine », au point que les Canadiens et Canadiennes la considéreraient comme « odieuse ou intolérable » (Smith, précité, à la page 1072; R. c. Morrisey, [2000] 2 R.C.S. 90, au paragraphe 26; R. c. Lloyd, [2016] 1 R.C.S. 130, au paragraphe 24; Boudreault, précité, au paragraphe 45; Bissonnette, précité, aux paragraphes 61 et 70; Hills, précité, aux paragraphes 109 et 110).

Le deuxième volet met l’accent sur la méthode ou le caractère inhérent de la peine (Hills, précité, au paragraphe 36). Il interdit une « catégorie restreinte » de traitements ou peines qui sont « intrinsèquement » cruels et inusités parce qu’ils sont « dégradants ou déshumanisants » et « intrinsèquement incompatibles avec la dignité humaine » (Bissonnette, précité, aux paragraphes 6, 60, 64 et 68). De telles mesures seront « toujours exagérément disproportionnées » et, par conséquent, toute disposition législative permettant leur imposition serait contraire à l’article 12, même si la disposition prévoyait des exemptions modérées ou un pouvoir discrétionnaire (Bissonnette, précité, aux paragraphes 68 et 111).

Lorsque les deux volets de la protection de l’article 12 sont potentiellement en cause, le traitement ou la peine doit être évalué au départ sous le deuxième volet. La raison en est que si la mesure « susceptible d’être infligée est cruelle et inusitée par nature, et donc intrinsèquement incompatible avec la dignité humaine, il serait inutile […] de s’interroger sur son caractère exagérément disproportionné dans un cas donné » (Bissonnette, précité, au paragraphe 69). Pour cette raison, la discussion ci-dessous abordera d’abord le deuxième volet de la protection.

3. Deuxième volet : intrinsèquement cruelle et inusitée

La Cour suprême a déterminé que certains traitements ou peines sont intrinsèquement cruels et inusités et, par conséquent, toujours contraires à l’article 12 :

La Cour suprême n’a jamais eu à décider si une peine capitale directement prononcée par le gouvernement du Canada était contraire à l’article 12. Cependant, la Cour a indiqué que parce que la peine de mort était « irréversible » et que « sa mise en œuvre entraînait nécessairement des souffrances psychologiques et physiques », elle « fait intervenir les valeurs qui sont à la base de l’interdiction des peines cruelles et inusitées » (Burns, précité, au paragraphe 78). Voir aussi Bissonnette, précité, au paragraphe 87.

La Cour suprême a conclu que les traitements ou les peines qui suivent ne sont pas intrinsèquement cruels et inusités et qu’ils doivent plutôt être évalués selon le premier volet .

4. Premier volet : cruelle et inusitée dans certaines circonstances

Il existe plusieurs types de traitements ou peines qui, sans être intrinsèquement cruels et inusités, peuvent être exagérément disproportionnés dans des circonstances particulières et donc contraires au premier volet de la protection conférée par l’article 12.  

(i) Peines d’incarcération criminelles — durée

Il n’est pas facile de démontrer que la durée d’une peine d’emprisonnement limite de façon injustifiée l’application de l’article 12 : « La norme constitutionnelle est stricte pour respecter le pouvoir général du Parlement de choisir des moyens pénaux qui n’équivalent pas à des peines cruelles et inusitées » (Hills, précité, aux paragraphes 40, 113 et 118; R. c. Goltz, [1991] 3 R.C.S 485, à la page 501; R. c. Latimer, [2001] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 75 à 77). Le critère est « à bon droit strict et exigeant » (Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385, à la page 1417, cité dans Boudreault, précité, au paragraphe 45).

Lorsque l’on évalue si une peine criminelle est « une peine cruelle et inusitée », la question fondamentale est de savoir si la peine est « exagérément disproportionnée comparativement à celle qui aurait été appropriée, compte tenu de la nature de l’infraction et de la situation du contrevenant » (Nur, précité, au paragraphe 39, citant Smith, précité, à la page 1073; Lloyd, précité, aux paragraphes 22 et 23).

Une disposition relative à la détermination de la peine qui établit une peine maximale élevée sans fixer de peine minimale obligatoire ne limitera pas, en soi, l’article 12. S’il est possible qu’une peine individuelle prononcée par un ou une juge en vertu d’une disposition relative à la détermination de la peine prévoyant une peine maximale élevée soit exagérément disproportionnée, il s’agit d’une erreur qui peut être corrigée lors de la révision de la peine individuelle. Le bien-fondé de la disposition sous-jacente relative à la détermination de la peine ne serait pas remis en question (Smith, précité, au paragraphe 67; R. c. Malmo-Levine; R. c. Caine, précité, aux paragraphes 158, 167 et 168; Bissonnette, précité, au paragraphe  63).

En revanche, les dispositions fixant une peine minimale obligatoire peuvent soulever la question de la disproportion exagérée puisqu’elles sont susceptibles de déroger au principe général de la proportionnalité en matière de détermination de la peine. Comme la Cour suprême l’a fait remarquer : « Plus la variété des comportements et des circonstances qui font encourir la peine minimale obligatoire est grande, plus cette peine est susceptible d’être infligée à des délinquants pour lesquels elle est exagérément disproportionnée » (Lloyd, précité, aux paragraphes 3, 24 et 35; R. c. Morrison, [2019] 2 R.C.S. 3 , aux paragraphes 146 à 148; Hills, précité, aux paragraphes 38 et 125; R. c. Hilbach, 2023 CSC 3, au paragraphe 36).

En cas de contestation d’une disposition prévoyant une peine minimale obligatoire, l’analyse de l’article 12 impliquera deux étapes :

  1. « Se demander ce qui constituerait une peine juste et proportionnée eu égard aux objectifs et aux principes de détermination de la peine établis par le Code criminel » (Hills, précité, au paragraphe 40, citant Bissonnette, précité, au paragraphe 63; Boudreault, précité, au paragraphe 46; Nur, précité, au paragraphe 46);
  2. « Se demander si la disposition attaquée exige l’infliction d’une peine exagérément disproportionnée, et non simplement excessive, par rapport à la peine juste et proportionnée ».

Les deux étapes dans cette analyse peuvent être réalisées en lien avec la personne qui comparaît devant le tribunal ou d’autres personnes dans des circonstances raisonnablement prévisibles ou des scénarios hypothétiques (Hills, précité, au paragraphe 41, citant Bissonnette, précité, au paragraphe 63; Nur, précité, au paragraphe 77; Hilbach, précité, au paragraphe 34).

Circonstances raisonnablement prévisibles

Lors de l’identification des circonstances raisonnablement prévisibles dans lesquelles une peine minimale obligatoire pourrait être prononcée, la principale question à se poser est de savoir s’il s’agit d’une « situation dont on peut raisonnablement prévoir qu’elle se présentera » en fonction de la jurisprudence existante et du bon sens en ce qui concerne les conditions minimales de perpétration de l’infraction (Nur, précité, au paragraphe 56). La Cour suprême a formuleé les recommandations suivantes :

  1. L’hypothèse doit être raisonnablement prévisible;
  2. Les cas répertoriés peuvent être pris en considération dans l’analyse;
  3. La situation hypothétique doit être raisonnable eu égard à l’étendue des actes visés par l’infraction en question;
  4. Les caractéristiques personnelles peuvent être prises en compte pourvu qu’elles ne soient pas adaptées pour créer des exemples invraisemblables ou n’ayant qu’un faible rapport avec l’espèce;
  5. Le processus accusatoire est la meilleure façon de mettre à l’épreuve les hypothèses raisonnables. (Hills, précité, au paragraphe 70, examinées plus en détail aux paragraphes 77 à 95).

La Cour suprême a également indiqué que les tribunaux doivent « prendre appui sur l’expérience judiciaire et le bon sens » et peuvent souhaiter commencer l’analyse par un examen des circonstances décrites dans la jurisprudence (Nur, précité, au paragraphe 62). Toutefois, l’examen « ne s’applique pas uniquement aux situations qui se présenteront vraisemblablement dans le cadre de l’application générale et habituelle de la loi ». Il devrait comprendre « les cas dont il est prévisible qu’ils tombent sous le coup des conditions minimales de perpétration de l’infraction », excluant seulement les situations « invraisemblables » et n’ayant qu’« un faible rapport avec l’espèce » (Nur, précité, au paragraphe 68; Goltz, précité, à la page 506; Hills, précité, aux paragraphes 78 à 80).

En ce qui concerne les caractéristiques personnelles qui peuvent être examinées, elles « doivent être raisonnables, en ce sens qu’elles sont raisonnablement prévisibles et réalistes » (Hills, précité, aux paragraphes 51 et 84 à 92). Dans l’arrêt Boudreault, l’analyse de la Cour suprême a porté dans une grande mesure sur les caractéristiques personnelles d’un « délinquant représentatif » présentant les caractéristiques générales des individus qui « comparaissent avec une régularité effarante devant nos tribunaux provinciaux » (précité, aux paragraphes 54 et 55).

Disproportion exagérée

Une fois que la peine juste et proportionnée a été définie, la Cour doit préciser la disparité entre la peine juste et la peine minimale obligatoire, puis se demander si cette dernière est exagérément disproportionnée dans les circonstances, éclairée par les normes constitutionnelles et la jurisprudence en matière de détermination de la peine (Hills, précité, aux paragraphes 106, 107 et 110).

Il a été question du sens général de la disproportion exagérée précédemment, à la section 2. Dans le contexte des dispositions fixant une peine minimale obligatoire, trois éléments cruciaux doivent être analysés dans l’application de cette norme (Hills, précité, aux paragraphes 122 à 146; Hilbach, précité, aux paragraphes 36 à 38).

  1. La portée et l’étendue de l’infraction – « une peine minimale obligatoire est plus susceptible d’être contestée lorsqu’elle vise des comportements disparates dont la gravité et pour lesquels le degré de culpabilité de la personne délinquante varient considérablement » (Hills, précité, au paragraphe 125);
  2. Les effets de la sanction sur la personne délinquante – « Pour mesurer l’impact global de la peine sur la personne délinquante concernée ou sur une personne délinquante raisonnablement prévisible, les tribunaux doivent s’efforcer de définir le préjudice précis causé par le châtiment […] tant de façon générale qu’en fonction des caractéristiques et qualités qui leur sont propres » (Hills, précité, au paragraphe 133);
  3. La sanction, y compris l’équilibre atteint par ses objectifs – « afin de déterminer si la peine minimale va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs du Parlement en matière de détermination de la peine pertinents au regard l’infraction particulière en tenant compte “des objectifs pénaux légitimes et du caractère adéquat des solutions de rechange possibles”, et si oui, dans quelle mesure » (Hills, précité, au paragraphe 138, citant Smith, précité, aux pages 1099 et 1100).

S’exprimant sur le dernier point à considérer, la Cour suprême a souligné l’importance de la réinsertion sociale. Afin d’être conformes à l’article 12 et son objectif de protéger la dignité humaine, les peines criminelles ou les autres peines doivent englober la réinsertion sociale. Par conséquent, « une peine qui fait totalement abstraction de la réinsertion sociale ne respecterait pas la dignité humaine et serait incompatible avec cette dernière, et [elle] constituerait de ce fait une peine cruelle et inusitée au sens de l’art. 12 » (Hills, précité, aux paragraphes 141 et 142; Bissonnette, précité, au paragraphe 85; Hilbach, précité, au paragraphe 38).

La capacité de la Couronne à procéder par voie sommaire dans le cas d’une infraction mixte n’« évite » pas ce qui est, par ailleurs, une peine minimale obligatoire exagérément disproportionnée prononcée pour un acte criminel. Si la Couronne est autorisée sur le plan de la procédure à décider qu’une infraction doit faire l’objet d’une poursuite par mise en accusation et, par conséquent, doit être soumise à une peine minimale obligatoire problématique, alors cela est suffisant pour l’analyse au titre de l’article 12. En raison des critères élevés en matière de révision judiciaire du pouvoir discrétionnaire de poursuivre (« abus de procédure » plutôt que caractère raisonnable), il serait inapproprié que la constitutionnalité d’une disposition législative repose sur l’attente que la Couronne agisse toujours convenablement (Nur, précité, aux paragraphes 85 à 97; Morrison, précité, aux paragraphes 149 à 154). On ne devrait pas prendre en compte la possibilité d’une libération conditionnelle lorsque l’on évalue l’incidence d’une peine minimale obligatoire sur les personnes délinquantes. La libération conditionnelle est un privilège d’origine législative, et non un droit; la fonction de la commission des libérations conditionnelles est d’assurer la mise en liberté sécuritaire de la personne délinquante dans la collectivité, non de veiller à ce que la personne délinquante purge une peine proportionnée (Nur, précité, au paragraphe 98; Hills, précité, aux paragraphes 103 à 105).

La Cour suprême a conclu que les peines minimales obligatoires qui suivent étaient contraires à l’article 12 en raison de leur application dans des circonstances raisonnablement prévisibles :

La Cour suprême a conclu que les peines minimales obligatoires qui suivent ne sont pas contraires à l’article 12 .

(ii) Détention : détention pour une durée indéterminée et conditions de détention

La détention prolongée ou d’une durée indéterminée (c.-à-d. qui n’a pas de date de fin définie) n’est pas nécessairement cruelle et inusitée, mais elle peut l’être si l’on prive l’individu d’une occasion réelle de contester la détention prolongée. Dans le contexte de la détention liée à l’immigration, l’article 12 exige qu’une détention prolongée soit assortie « d’un processus valable de contrôle continu qui tienne compte du contexte et des circonstances propres à chaque cas » offrant à l’individu « la possibilité réelle de contester son maintien en détention » (Charkaoui, précité, aux paragraphes 107 et 110 ; voir p. ex., Brown c. Canada (Public Safety), 2018 ONCA 14, aux paragraphes 40 à 48, autorisation d’interjeter appel devant la CSC refusée, 2018 CanLII 102731; Brown c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2020 CAF 130, autorisation d’appel à la CSC rejetée, 2021 CanLII 18039).

De même, dans le contexte du droit pénal, le régime sur les « délinquants dangereux » prévu dans le Code criminel ne limite pas de façon injustifiée l’application de l’article 12 de la Charte, car le ou la juge de la peine conserve le pouvoir discrétionnaire, selon les dispositions législatives, d’appliquer les principes et objectifs pertinents de la détermination de la peine, afin d’infliger une peine juste compte tenu de la situation particulière de la personne délinquante (Boutilier, précité, aux paragraphes 48 à 71). Lorsque le ou la juge de la peine décide d’infliger une peine indéterminée à un délinquant dangereux, le régime permet l’examen périodique de la situation des personnes par la Commission nationale des libérations conditionnelles (Lyons, précité, à la page 341). Cependant, lorsque l’examen n’est pas mené correctement, la peine peut devenir « cruelle et inusitée » (Steele c. Établissement Mountain, [1990] 2 R.C.S. 1385).

Une cour d’appel a conclu que les placements en isolement préventif pour une période continue de plus de 15 jours civils portent atteinte à l’article 12 de la Charte (Canadian Civil Liberties Association c. Canada, précité, aux paragraphes 68 à 119 ; Brazeau c. Canada (Attorney General), 2020 ONCA 184; Francis c. Ontario, 2021 ONCA 197). Dans le cadre de recours collectifs, la même cour a confirmé la conclusion selon laquelle, pour les personnes détenues atteintes de maladies mentales graves, le placement en isolement préventif, quelle qu’en soit la durée, est contraire à l’article 12 (Francis, précité, aux paragraphes 30 à 49). Dans d’autres décisions, des tribunaux ont conclu que l’isolement d’une personne détenue ne va pas nécessairement à l’encontre de l’article 12, mais que dans certaines circonstances, toutefois, l’isolement peut devenir une peine ou un traitement cruel et inusité s’il est excessif au point d’être incompatible avec la dignité humaine (Olson, précité, conf. sans référence à ce point, C.S.C.; Marriott, précité, aux paragraphes 34 à 46; British Columbia Civil Liberties Association  c. Canada (Attorney General), 2018 BCSC 62, aux paragraphes 525 à 534, décision infirmée en partie, mais pas sur ce point, dans British Columbia Civil Liberties Association c. Canada (Attorney General), 2019 BCCA 228, appel à la CSC abandonné). Un tribunal peut conclure qu’une période prolongée d’isolement préventif en détention provisoire viole l’article 12, compte tenu des conditions particulières et des répercussions sur la personne prévenue (R. c. Capay, 2019 ONSC 535, aux paragraphes 399 à 415; R. c. Husbands, 2019 ONSC 6824, aux paragraphes 172 à 177).

Il n’est pas nécessairement cruel ni inusité d’incarcérer un individu accusé d’une infraction dans l’attente de son procès et de le soumettre à des conditions comparables à celles d’une personne détenue qui a été reconnue coupable et qui purge une peine d’emprisonnement. Dans la mesure où les conditions ne sont pas « incompatibles avec la dignité humaine », ce type de traitement ne constitue pas, à la lumière de l’ensemble des circonstances, une violation de l’article 12 (Sanchez c. Superintendent of the Metropolitan Toronto West Detention Centre (1996), 34 C.R.R. (2d) 368 (C.A. Ont.); appliqué dans R. c. Charley, 2019 ONSC 6490, aux paragraphes 23 à 30).

(iii) Amendes pénales, confiscations et ordonnances d’interdiction

Dans l’arrêt Boudreault, la Cour suprême s’est penchée sur l’imposition obligatoire de la suramende compensatoire, une sanction pécuniaire d’un montant prescrit par la loi, qui était imposée à toutes les personnes délinquantes sur une base cumulative pour chaque condamnation ou absolution. Après un examen détaillé des répercussions concrètes de la suramende compensatoire sur les personnes délinquantes les plus marginalisées, la Cour a conclu à une violation de l’article 12 : « l’infliction, le fonctionnement et les effets de la suramende obligatoire, lorsque combinés, créent une peine exagérément disproportionnée » pour certaines personnes délinquantes (précité, au paragraphe 61). L’analyse de la Cour a surtout porté sur les répercussions de la suramende sur les personnes délinquantes qui « vivent dans une grande pauvreté […] sont dans une situation précaire en matière de logement [et] sont aux prises avec des problèmes de dépendance » (précité, aux paragraphes 54 et 86).

Il n’y a pas d’autres exemples de sanction de nature propriétale, comme une amende ou une confiscation, jugée en violation de l’article 12. Eu égard aux normes élevées pour conclure à une violation de l’article 12, les décisions en appel avant et après l’arrêt Boudreault laissent croire que ces circonstances sont exceptionnelles (voir, p. ex., R. c. Abdelrazzaq, 2023 ONCA 112, demande d’autorisation d’appel rejetée, 2023 CanLII 79341; Pham, précité; Turner c. Manitoba, 2001 MBCA 207, au paragraphe 40; R. c. Lambe, 2000 NFCA 23, aux paragraphes 60 à 72; Desjardins, précité; R. c. Zachary, [1996] A.Q. No. 2970 (C.A. Qué.); R. c. MacFarlane, [1997] P.E.I.J. No. 116 (C.A. Î.-P.-É.)).

Par exemple, les cours d’appel ont systématiquement rejeté les contestations fondées sur l’article 12 visant les amendes obligatoires relativement élevées qui peuvent être imposées en vertu de la Loi sur l’accise (voir, p. ex., Pham, précité; Desjardins, précité; Zachary, précité; MacFarlane, précité). Dans l’arrêt Boudreault, la Cour suprême a établi une distinction entre les amendes prévues dans la Loi sur l’accise et la suramende compensatoire, en expliquant que les amendes obligatoires relativement élevées imposées dans Pham montraient une certaine proportionnalité parce que « le montant de l’amende était étroitement lié » aux répercussions économiques de l’infraction (précité, au paragraphe 93).

Veuillez noter que certaines dispositions du Code criminel peuvent atténuer l’impact des amendes minimales. L’article 734.3 du Code criminel permet ainsi à une personne délinquante de demander une prolongation du délai imposé par le ou la juge qui préside pour le paiement d’une amende. De plus, l’article 734.7 du Code prévoit certaines mesures de protection lorsqu’il doit y avoir incarcération en cas de défaut de paiement (p. ex., émission d’un mandat d’incarcération seulement si la personne délinquante a refusé, sans excuse raisonnable, de payer l’amende). Ces dispositions sont entrées en jeu dans les décisions antérieures de cours d’appel provinciales qui ont confirmé les amendes minimales (voir, p. ex., Pham, précité, au paragraphe 17). Dans le contexte précis de la suramende compensatoire, la Cour suprême n’a pas estimé que ces dispositions constituent une mesure atténuante suffisante, compte tenu de la situation que vivent les personnes délinquantes les plus marginalisées touchées par cette peine (Boudreault, précité, aux paragraphes 69 à 79).

Bien que la confiscation obligatoire des armes à feu ayant servi à perpétrer une infraction constitue un traitement ou une peine, cela ne va pas à l’encontre de l’article 12. Cette mesure n’a pas de conséquences particulièrement onéreuses pour la personne délinquante et elle s’applique aux infractions d’une certaine gravité. Elle appuie les principes de détermination de la peine aux fins de dissuasion générale et spécifique dans le but légitime de s’attaquer aux crimes commis avec des armes à feu détenues illégalement (Montague, précité, aux paragraphes 39 à 62).

Les cours d’appel provinciales ont conclu que d’autres dispositions prévoyant la confiscation obligatoire sont conformes à l’article 12 pour des raisons similaires, dans le contexte des lois provinciales sur la faune (Turner, précité) et de la réglementation provinciale sur les véhicules (Lambe, précité).

L’interdiction obligatoire d’avoir en sa possession des armes à feu, en application de l’alinéa 109(1)c) du Code criminel, ne limite pas la portée de l’article 12. Cette disposition s’inscrit dans l’objectif de la détermination de la peine qui est de protéger le public et elle est compatible avec l’intérêt légitime de l’État de réduire l’utilisation abusive des armes à feu. De plus, elle n’a pas un effet exagérément disproportionné eu égard à quelque hypothèse raisonnable que ce soit, compte tenu de l’effet bonifiant de l’article 113 du Code criminel qui permet au tribunal de lever l’interdiction pour des motifs liés à la subsistance ou à l’emploi (Wiles, précité, aux paragraphes 3, 9 et 10). En ce qui a trait aux interdictions obligatoires d’avoir en sa possession des armes en vertu de l’alinéa 109(1)b), voir les courts motifs soutenant cette disposition dans l’affaire Dufour c. R., 2017 QCCA 536, aux paragraphes 5 et 6.

(iv) Renvois (expulsion) et extradition de personnes immigrantes

Comme nous l’avons mentionné précédemment, le renvoi ou l’expulsion d’une personne étrangère du Canada ne constitue pas une peine, bien que la Cour suprême du Canada ait laissé entrevoir la possibilité que le renvoi puisse constituer un « traitement » au sens de l’article 12 (Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration) c. Chiarelli, [1992] 1 R.C.S. 711, à la page 735).

Mais, même si l’article 12 s’applique, le renvoi ou l’expulsion ne constitue pas en soi un traitement cruel et inusité contraire à l’article 12 (Chiarelli, précité, aux pages 735 et 736; Solis c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) (2000), 186 D.L.R. (4th) 512 (C.A.F.), au paragraphe 11, requête en autorisation d’appel rejetée, [2000] C.S.C.R. no 249; Canepa c. Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), (1992), 93 DLR (4th) 589 (C.A.F.); Revell c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CAF 262, requête en autorisation d’appel à la CSC rejetée, 2020 CanLII 25169).

À titre d’exemple, la Cour suprême a conclu qu’il n’est ni cruel ni inusité de déporter « un résident permanent qui, en commettant une infraction criminelle punissable d’au moins cinq ans de prison, a délibérément violé une condition essentielle pour qu’il lui soit permis de demeurer au Canada » (Chiarelli, précité, à la page 736).

Lorsqu’une personne conteste son renvoi ou son extradition du Canada en invoquant les risques auxquels elle fait face dans un État étranger, l’article 12 n’est généralement pas la disposition la plus pertinente à invoquer en vertu de la Charte. Il est plus indiqué d’envisager les répercussions du point de vue de la Charte au regard de l’article 7 de la Charte, qui est plus souple et qui dépend du contexte. Les valeurs qui sont à la base de l’article 12 jouent un rôle important dans la définition des principes de justice fondamentale qui sont prévus à l’article 7 et qui s’appliquent aux renvois et aux extraditions (voir, p. ex., Burns, précité, au paragraphe 57, « Les valeurs qui sont à la base de divers articles de la Charte, notamment l’article 12, font partie du processus de pondération fondé sur l’article 7 »; Suresh, précité, aux paragraphes 51 à 58; United States c. Hillis, 2021 ONCA 447, aux paragraphes 72 à 74).

Le contenu est à jour jusqu’au 2023-07-31.