Article 13 – Protection contre les témoignages incriminants
Disposition
13. Chacun a droit à ce qu’aucun témoignage incriminant qu’il donne ne soit utilisé pour l’incriminer dans d’autres procédures, sauf lors de poursuites pour parjure ou pour témoignages contradictoires.
Dispositions similaires
Cette disposition doit être lue en parallèle avec l’alinéa 11c), qui protège le droit d’une personne accusée d’une infraction de manière à ne pas être contrainte à témoigner contre elle-même, et avec l’article 7, qui assure une protection plus large contre l’auto-incrimination pendant la période de l’enquête et celle qui précède le procès. Il est bien établi que les principes de justice fondamentale comprennent la protection contre l’auto-incrimination. Par conséquent, lorsque l’article 13 ne s’applique pas et que les droits à la vie, à la liberté ou à la sécurité d’une personne sont en jeu, l’article 7 offre une protection résiduelle contre l’auto-incrimination (R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, à la page 512; R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417, au paragraphe 40; R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757; au paragraphe 67, Demande fondée sur l’art. 83.28 du Code criminel (Re), [2004] 2 R.C.S. 248, aux paragraphes 77 à 79).
La Déclaration canadienne des droits (alinéa 2d)) et la Loi sur la preuve au Canada (paragraphe 5(2)) comportent des dispositions semblables. Le Pacte international relatif aux droits civils et politiques, qui lie le Canada, contient une garantie portant qu’une personne accusée « ne [sera pas] forcée de témoigner contre elle-même ou de s’avouer coupable » (alinéa 14(3)g)). La Convention américaine relative aux droits de l’homme (alinéa 8(2)g), qui ne lie pas le Canada, contient aussi une garantie contre l’auto-incrimination. La Constitution des États-Unis d’Amérique (le Cinquième amendement) prévoit une protection contre l’obligation de donner un témoignage incriminant. Cette protection est différente de l’article 13, qui protège une personne contre l’auto-incrimination grâce à une règle contre l’utilisation subséquente d’un témoignage incriminant.
Objet
Le droit de ne pas s’incriminer est l’une des pierres angulaires du droit criminel canadien (R. c. Henry, [2005] 3 R.C.S. 609, au paragraphe 2). L’objet de l’article 13 est de protéger les individus contre l’obligation indirecte de s’incriminer (Henry, précité, au paragraphe 22; Dubois c. La Reine, [1985] 2 R.C.S. 350, à la page 358).
Plus particulièrement, ce droit a pour objet de favoriser les objectifs de recherche de la vérité de notre système de justice, et ce, en garantissant l’immunité relativement à tout témoignage incriminant qu’une personne peut être contraint de donner. En garantissant qu’un témoignage incriminant ne sera pas utilisé pour incriminer une personne témoin dans d’autres procédures, le droit prévu à l’article 13 fait en sorte que personne ne craindra que son témoignage l’expose à des poursuites criminelles. La Couronne offrira donc une contrepartie à la personne contrainte de témoigner dans le cadre d’une instance: en échange d’un témoignage complet et sincère, elle s’engage à ne pas utiliser un témoignage incriminant contre cette personne dans une instance subséquente (Henry, précité au paragraphe 22; R. c. Nedelcu, 2012 CSC 59 au paragraphe 7).
Analyse
La protection qu’offre l’article 13 comprend toujours deux procédures distinctes : l’une, lorsque le témoignage forcé est donné, l’autre, ultérieurement, lorsque l’État cherche à utiliser le témoignage rendu antérieurement.
En règle générale, toute personne, sauf la personne accusée dans une instance criminelle, qui possède des éléments de preuve pertinents, peut être contrainte à témoigner dans tous les types de procédure, tant civile que pénale (voir p. ex., l’article 5 de la Loi sur la preuve au Canada). Lorsqu’une personne est contrainte ainsi, elle est protégée contre l’auto-incrimination en vertu de l’article 13 (immunité contre l’utilisation ultérieure du témoignage), et contre l’utilisation d’une preuve dérivée de ce témoignage en vertu de l’article 7 (immunité contre l’utilisation d’une preuve dérivée) dans toute instance criminelle subséquente susceptible d’être engagée contre elle (S. (R.J.), précité; Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97).
Les cours ont adopté une méthode téléologique pour décider si la partie défenderesse dans une instance criminelle devrait bénéficier de la protection de l’article 13 à l’égard des témoignages rendus dans une instance antérieure. Les tribunaux se demanderont si le fait d’exclure le témoignage du procès criminel permet de réaliser l’objet de l’article 13 (qui est de protéger contre l’auto-incrimination forcée) (Henry, précité, aux paragraphes 41 et 60). Si on applique la méthode téléologique, l’article 13 ne protège que contre l’utilisation des témoignages antérieurs forcés et non contre l’utilisation de témoignages antérieurs rendus volontairement. Il y a absence de contrepartie lorsque la loi ne contraint pas à témoigner, ni ne peut contraindre à le faire.
Le terme témoignage « forcé » englobe le terme « contraignable » aux fins de l’article 13 (Henry, précité, au paragraphe 34; Nedelcu, précité, au paragraphe 1), de façon que, généralement, le témoignage n’est « volontaire » que lorsqu’il est fourni par la personne accusée dans le cadre de la procédure criminelle où il a été donné. Une personne peut ne pas s’être sentie forcée ou ne pas avoir été citée à comparaître, mais quand même être considérée comme « forcée » et donc bénéficier de la protection de l’article 13 si elle pouvait être contrainte en vertu de la loi (Nedelcu, précité aux paragraphes 1 et 109).
Par conséquent, bien que l’article 13 puisse être invoqué par une personne accusée qui a antérieurement témoigné au cours du procès d’une autre personne (R. c. Noël, [2002] 3 R.C.S. 433), il ne protège pas une personne accusée qui choisit de témoigner à son propre procès pour le même chef d’accusation d’être contre-interrogée sur son témoignage antérieur (Henry, précité, aux paragraphes 43 et 47). Si une contradiction (dans le témoignage volontaire donné dans ses deux procès) appuie raisonnablement une conclusion de culpabilité, l’article 13 n’empêche pas le ou la juge des faits de tirer cette conclusion fondée sur le bon sens (Henry, précité, au paragraphe 48).
Il n’y a pas violation de l’article 13 lorsque la preuve testimoniale antérieure constitue l’actus reus même de l’infraction subséquente (Staranchuk c. La Reine, [1985] 1 R.C.S. 439; R. c. Schertzer, 2015 ONCA 259, aux paragraphes 34 à 42, autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, 2015 CanLII 69420 (CSC)). La Cour a interprété que cette exception comprenait plus que les infractions au Code Criminel que sont la parjure et le témoignage contradictoire. Dans l’arrêt Staranchuk, l’appelant avait été accusé d’avoir livré un faux témoignage aux termes de la Loi sur la faillite. Dans l’arrêt Schertzer, les policiers en cause ont été accusés d’obstruction de justice pour avoir livré un faux témoignage lors d’une audience préliminaire. Dans les deux cas, l’article 13 ne s’appliquait pas en raison de la nature des infractions.
Lorsque, au cours d’un procès, la personne qui témoigne se dit responsable d’un crime afin de disculper une personne accusée, l’avocat ou l’avocate du ministère public ne devrait que rarement être autorisé à le contre-interroger sur sa connaissance de l’article 13. La valeur probante de la connaissance qu’a la personne qui témoigne de l’article 13 sera généralement surpassée par son effet préjudiciable (R. c. Jabarianha, [2001] 3 R.C.S. 430).
1. « Autres procédures »
La Cour suprême a déclaré que l’expression « autres procédures » signifie que l’article 13 ne se limite pas seulement à l’utilisation de preuves dans des procédures pénales (Dubois, précité, à la page 377). Cependant, l’expression « autres procédures », qui renvoie à la deuxième procédure où la Couronne cherche à produire le témoignage antérieur, vise des procédures analogues à celles qui sont envisagées aux alinéas 11c) et d). Les termes « incriminant » et « incriminer » à l’article 13 font référence à des répercussions pénales, ce qui laisse entendre que la procédure est circonscrite aux procédures pénales ou quasi pénales et aux autres procédures dans lesquelles la personne s’expose à de véritables répercussions pénales (Knutson c. Saskatchewan Registered Nurses Association (1990), 75 D.L.R. (4th) 723 (C.A. Sask.)).
Dans des procédures pénales ultérieures, la protection de la personne accusée s’applique même contre l’utilisation d’un témoignage fait sous la contrainte au cours de procédures civiles ou administratives antérieures (Donald c. Law Society of British Columbia, 1983), 2 D.L.R. (4th) 385 (C.A. C.-B.), autorisation de pourvoi devant la CSC refusée, [1984] C.S.C.R. no 284). Le témoignage donné lors d’un voir-dire envisagé par l’article 276.2 du Code criminel est aussi protégé par l’article 13 (R. c. Darrach, [2000] 2 R.C.S. 443, au paragraphe 66), de même qu’un témoignage donné devant une commission d’enquête (Consortium Developments (Clearwater) Ltd. c. Sarnia (Ville), [1998] 3 R.C.S. 3, au paragraphe 37; Canada (Procureur général) c. Canada (Commission d’enquête sur le système d’approvisionnement en sang au Canada, [1997] 3 R.C.S. 440); Starr c. Houlden, [1990] 1 R.C.S. 1366), et un témoignage donné par la défense au cours d’un interrogatoire préalable dans une action civile (Nedelcu, précité, au paragraphe 1). La CSC n’a pas établi si l’article 13 protège les témoignages donnés au cours d’un voir-dire fondé sur la Charte, mais voir les commentaires formulés dans l’arrêt R. c. Jones 2017 CSC 60 (paragraphe 28 et note en bas de page 2; voir aussi, pour une opinion contraire, R. c. Cochrane 2018 ABCA 80).
2. « Témoignage incriminant »
L’article 13 ne protège pas contre l’utilisation de tous les témoignages forcés. Il protège seulement contre l’utilisation d’un témoignage forcé visant à incriminer (Nedelcu, précité, au paragraphe 9). Le témoignage est « incriminant » s’il est utilisé, lors de l’instance subséquente, « pour démontrer la culpabilité du témoin, c’est-à-dire pour prouver ou pour l’aider à prouver l’un ou plusieurs des éléments constitutifs de l’infraction
» (Nedelcu, précité au paragraphe 9).
On établira qu’un témoignage rendu lors d’une instance antérieure est un « témoignage incriminant » au moment où la Couronne cherchera à utiliser ce témoignage dans une instance subséquente (Nedelcu, précité au paragraphe 16). Il n’est pas nécessaire que la preuve ou le témoignage ait été incriminant lors de la première instance.
L’arrêt Henry, précité, supprime l’importance traditionnelle accordée à l’utilisation prévue du témoignage antérieur (p. ex. ce témoignage pourrait être présenté dans une procédure ultérieure pour attaquer la crédibilité du ou de la témoin, mais pas pour l’incriminer). En ce sens, les principes établis dans l’arrêt Henry l’emportent sur ceux dans l’arrêt R. c. Mannion, [1986] 2 R.C.S. 272; R. c. Kuldip, [1990] 3 R.C.S. 618; Noël, précité, et R. c. Allen, [2003] 1 R.C.S. 223. Un témoignage incriminant ne peut pas être utilisé pour attaquer la crédibilité de la personne accusée en raison du risque que ce témoignage soit utilisé pour l’incriminer malgré les directives données par le ou la juge du procès.
Toutefois, l’arrêt Nedelcu apporte un éclaircissement important en ce qui a trait à la portée de l’arrêt Henry sur cette question : un témoignage antérieur qui n’est pas incriminant peut être utilisé par la Couronne. Le ou la juge du procès devra décider si le témoignage antérieur que la Couronne veut utiliser est incriminant ou non, et seulement un témoignage qui n’est pas incriminant pourra être utilisé (Nedelcu, précité au paragraphe 37). Cette conclusion tirée dans l’arrêt Nedelcu explicite la décision de la Cour dans l’arrêt Henry où celle-ci a semblé énoncer que tout usage de témoignage antérieur forcé par la Couronne est interdit en vertu de l’article 13, vraisemblablement parce que l’utilisation qu’elle en fait vise, en fin de compte, à démontrer la culpabilité de la personne accusée (Henry, précité, au paragraphe 50).
Une preuve testimoniale donnée par la personne accusée dans une procédure antérieure qui est soumise par la poursuite dans le cadre de sa preuve à charge (par opposition au contre-interrogatoire) est, pour les fins de l’article 13, un témoignage incriminant (Dubois, précité, à la page 364). Même si la partie défenderesse a choisi de témoigner lors de son premier procès (ce qui est nécessairement un témoignage volontaire, car la personne accusée n’est pas contraignable), il demeure interdit à la Couronne de déposer ce témoignage en preuve lors d’un procès ultérieur impliquant cette même personne accusée de la même infraction si elle décide de ne pas témoigner à nouveau. Cette exception est justifiée par le fait qu’en permettant au ministère public de déposer ce témoignage en preuve, on lui permettrait de contraindre indirectement la personne accusée à témoigner à son nouveau procès ce qui est directement interdit par l’alinéa 11c) de la Charte (Dubois, précité, aux pages 365 et 366; Henry, précité, au paragraphe 39).
La notion de « témoignage incriminant » ne vise pas la preuve documentaire produite au cours de procédures antérieures, même si une telle preuve peut être incriminante (Thomson Newspapers Ltd c. Canada (Directeur des enquêtes et recherches, Commission sur les pratiques restrictives du commerce), [1990] 1 R.C.S. 425, au paragraphe 270).
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