Article 14 – Droit à un interprète

Disposition

14. La partie ou le témoin qui ne peuvent suivre les procédures, soit parce qu’ils ne comprennent pas ou ne parlent pas la langue employée, soit parce qu’ils sont atteints de surdité, ont droit à l’assistance d’un interprète.

Dispositions similaires

Des dispositions semblables se trouvent dans les lois canadiennes et dans les instruments internationaux suivants ayant force obligatoire pour le Canada, à savoir : l’alinéa 2g) de la Déclaration canadienne des droits; le paragraphe 15(1) de la Loi sur les langues officielles; et l’alinéa 14(3)f) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Il convient aussi de consulter les instruments internationaux, régionaux et de droit comparé énumérés ci-après, qui ne lient pas le Canada, mais qui comprennent des dispositions semblables : l’alinéa 6(3)e) de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’homme et des libertés fondamentales et l’alinéa 8(2)a) de la Convention américaine des droits de l’homme.

Dans le contexte criminel, l’article 14 est étroitement lié à l’article 7 (justice fondamentale) et à l’alinéa 11d) (procès équitable) de la Charte (voir la discussion à ce sujet ci-après). Dans un contexte plus global, les articles 15 (droit à l’égalité), 25 (droits des autochtones) et 27 (maintien du patrimoine culturel) de la Charte reflètent également l’importance du droit à l’assistance d’un interprète. L’article 27, selon lequel toute interprétation de la Charte doit concorder avec l’objectif de promouvoir le maintien et la valorisation du patrimoine multiculturel des Canadiens, est particulièrement pertinent. Dans la mesure où le patrimoine multiculturel est nécessairement multilingue, il s’ensuit qu’une société multiculturelle ne peut être préservée et favorisée que si ceux qui s’expriment dans d’autres langues que le français et l’anglais ont un accès véritable et concret au système de justice criminelle (R. c. Tran, [1994] 2 R.C.S. 951).

Objet

La Cour suprême du Canada a dit que dans le contexte criminel l’article 14 sert trois principaux objectifs : i) il permet de s’assurer que les personnes accusées d’avoir commis une infraction puissent connaître la preuve contre eux et avoir la possibilité d’y répondre; ii) il confère un droit étroitement lié à nos notions fondamentales de justice, dont l’apparence d’équité, et iii) il confère un droit intimement lié à notre prétention d’être une société multiculturelle, exprimée en partie à l’article 27 de la Charte. La Cour a aussi renvoyé aux intérêts sous-jacents qui sont protégés par l’article 14, comme la compréhension linguistique et l’idée d’accorder à tous des chances égales (Tran, précité, aux pages 977 et 978). Toutefois, comme il est expliqué ci-dessous, le droit s’applique aussi à l’extérieur de la sphère criminelle. Bien que certains des objectifs de l’article 14 mentionnés ci-dessus soient propres aux procédures criminelles, les autres objectifs susmentionnés seront vraisemblablement pertinents à l’extérieur de ce contexte.

Analyse

1. Considérations générales

Le droit à l’assistance d’un interprète est un droit fondamental fondé sur les règles de justice naturelle (Tran, précité, à la page 963; MacDonald c. Ville de Montréal, [1986] 1 R.C.S. 460, à la page 499 ; Société des Acadiens c. Association of Parents, [1986] 1 R.C.S. 549, à la page 621, motifs concordants de la juge Wilson).

Il ne s’agit pas d’un droit distinct, ni d’un droit linguistique, mais plutôt, dans le contexte du droit criminel, d’un moyen de faire en sorte que les procédures criminelles respectent la garantie constitutionnelle d’un procès public et équitable énoncée à l’alinéa 11d) de la Charte (Tran, précité, à la page 976). Par conséquent, l’article 14 devrait être interprété en partie par renvoi aux articles 7 et 11 de la Charte, lesquels protègent le droit d’une personne de présenter une défense pleine et entière, le droit à la divulgation complète de la preuve à laquelle il faut répondre avant de présenter sa défense et le droit à un procès équitable. En réalité, le lien étroit qui existe entre l’article 14 et ces autres garanties de la Charte tend à indiquer que le droit à l’assistance d’un interprète en matière pénale devrait être considéré comme un « principe de justice fondamentale » au sens de l’article 7 de la Charte (Tran, précité, à la page 976).

Cependant, contrairement à de nombreux autres articles de la Charte qui s’appliquent dans le contexte spécifique du droit criminel, cet article est d’application plus large : il s’applique à toutes « les procédures ». Dans Tran, la Cour suprême du Canada a conclu que « le droit garanti à l’article 14 de la Charte appartient non seulement aux accusés, mais aussi aux parties à des actions civiles et à des procédures administratives, de même qu’aux témoins » (page 995). Cependant, l’arrêt Tran précisait aussi que l’analyse qui y est exposée s’applique aux procédures criminelles et elle laisse ouverte la possibilité que d’autres règles puissent s’appliquer à d’autres procédures (Tran, précité, à la page 961).

Le principe de la compréhension linguistique qui sous-tend le droit à l’assistance d’un interprète ne devrait toutefois pas être élevé au point où ceux qui parlent ou comprennent difficilement la langue des procédures, peu importe que ce soit le français ou l’anglais, reçoivent ou paraissent recevoir des avantages injustes par rapport à ceux qui parlent couramment la langue du prétoire (Tran, précité, à la page 978). L’article 14 porte sur la compréhension linguistique, mais n’a pas pour objet de compenser les déficiences cognitives ou « éducationnelles » qui peuvent rendre plus difficile pour un accusé de comprendre et de suivre son propre procès; le droit à l’assistance d’un avocat a été prévu dans le but de régler cette question (Trottier c. R., 2018 QCCA 1693, aux paragraphes 57­59 et 140).

2. « La partie ou le témoin »

L’article 14 s’applique aux parties à l’instance ainsi qu’aux témoins (Tran, précité, à la page 995). Cependant, d’après des décisions des tribunaux inférieurs, l’article 14 ne s’applique pas aux avocats (Cormier c. Fournier (1986), 29 D.L.R. (4th) 675 (C.B.R. N-B), confirmé sur la question de fond sans tenir compte de l’article 14, 78 N.B.R. (2d) 406 (N.B.C.A.); Taire c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2003 CF 877), ni aux sociétés commerciales (Reno-Design Hongyi Inc. c. Directeur des poursuites criminelles et pénales, 2016 QCCS 3491).

3. « Les procédures »

Certaines cours ont conclu que l’article 14 s’applique seulement aux « procédures » et qu’il ne vise pas l’enquête ou l’arrestation de l’accusé (voir, p. ex., R. c. Dennie (1997), 43 C.R.R. (2nd) 144 (Div. gén. de l’Ont.); R. c. Odones, 2012 QCCS 7080 et R.T. c. R., 2022 QCCA 414). Toutefois, d’autres droits garantis par la Charte à l’accusé peuvent être limités de façon injustifiée, que ce soit lors de l’enquête, avant le procès ou pendant le procès, si le recours à des services d’interprétation n’est pas permis (voir, p. ex., Dennie, précité, où le tribunal a jugé qu’il y avait eu violation de l’alinéa 10b) de la Charte lorsque la police a omis de recourir à un interprète pour informer l’accusé, qui était sourd, de son droit à l’assistance d’un avocat; voir aussi R. c. Ansary, 2001 BCSC 1333, aux paragraphes 75 à 83, décision confirmée sans examen de la question relative à l’article 14 dans la décision 2004 BCCA 109, où la police avait interrogé l’accusé sans l’assistance d’un interprète, violant son droit de garder le silence, garanti par l’article 7 de la Charte, et son droit à un procès équitable).

Comme il a été mentionné ci-dessus, la Cour suprême du Canada a conclu, dans l’arrêt Tran, que le droit à l’aide d’un interprète peut être invoqué non seulement dans le contexte des affaires criminelles, mais aussi dans celui des procédures civiles et administratives. Le droit a été appliqué dans divers types d’affaires (voir par exemple Roy c. Hackett (1987), 45 D.L.R. (4th) 415 (C.A. Ont.) en ce qui a trait aux instances d’arbitrage; Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2001 CAF 191, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2001] C.S.C.R. no 435 (QL), en ce qui a trait aux instances en matière de protection des réfugiés, et Anand c. Anand, 2016 ABCA 23, en ce qui a trait aux instances d’obligation alimentaire au conjoint). Toutefois, il existe des précédents émanant des tribunaux d’instances inférieures selon lesquels l’article 14 de la Charte ne s’applique pas dans les litiges civils entre parties privées, compte tenu de la non-application de la Charte aux termes de l’article 32 (Farimex marketing international inc. c. Owen, (2000 CarswellQue 541) [2000] R.J.Q. no 1179 (C.S. Qué.); Roy-Sinclair (Syndic de), [2007] R.J.Q. no 1074 (C.S. Qué.), au paragraphe 15). Cette restriction, dans le contexte de l’article 14, ne semble pas encore avoir été appliquée de manière uniforme ni examinée de façon péremptoire dans la jurisprudence.

4. Cadre pour établir la preuve d’une violation de l’article 14

Pour établir une violation de l’article 14, le plaignant doit prouver selon la prépondérance des probabilités :

Il convient de rappeler, relativement à ces exigences élaborées dans l’arrêt Tran, que la Cour suprême a mentionné que l’analyse concernant les principes de l’article 14 exposée dans le jugement ne s’applique pas nécessairement à l’extérieur du contexte criminel. Cependant, voir la décision Mohammadian, précitée, dans laquelle il est mentionné que les principes de l’arrêt Tran s’appliquent généralement à tout le moins aux instances en matière de protection des réfugiés.

(i) Besoin d’un interprète

L’article 14 entre en jeu lorsque l’accusé ne peut pas suivre l’instance, parce qu’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée. Il peut s’appliquer lorsque l’accusé parle et comprend la langue, mais qu’il a certaines difficultés à se faire comprendre par le tribunal en raison d’un accent, de problèmes de syntaxe, d’une capacité de communication limitée ou pour toute autre raison semblable (R. c. Mitroi, 2018 BCCA 236).

La partie adverse peut recourir au contre-interrogatoire lors d’un voir dire pour mettre en doute la validité d’une demande d’interprète (Roy c. Hackett, précité).

Le fardeau dont il faut s’acquitter pour établir le besoin de recourir à l’assistance d’un interprète n’est pas exigeant. Le droit à l’assistance d’un interprète ne devrait être refusé que si une preuve solide et convaincante établit que la demande de l’accusé n’est pas faite de bonne foi (Tran, précité, à la page 984). Bien que le droit ne soit ni automatique ni absolu, les tribunaux devraient être généreux et avoir l’esprit ouvert lorsqu’ils évaluent le besoin d’un accusé de recourir à l’assistance d’un interprète (Tran, précité, à la page 980).

Dans le cas des personnes sourdes, plus particulièrement, l’article 14 doit être interprété à la lumière du principe d’égalité consacré par l’article 15 de la Charte. Les personnes sourdes ont droit aux services d’un interprète, qui leur assure un degré de compréhension linguistique élevé, services qui doivent être adaptés en fonction des compétences et des besoins linguistiques de la personne. Une interprétation en langage des signes suffit habituellement, mais dans certains cas, les services d’un « interprète sourd » peuvent également s’avérer nécessaires (Trottier, précité, aux paragraphes 49-56).

En général, les tribunaux devraient désigner un interprète dans l’un ou l’autre des cas suivants :

  1. il devient évident pour le juge que l’accusé a, pour des raisons linguistiques, de la difficulté à s’exprimer ou à comprendre les procédures et qu’un interprète serait utile;
  2. l’accusé (ou son avocat) requiert les services d’un interprète et le juge est d’avis que cette requête est justifiée (Tran, précité, aux pages 980 et 981).

Bien que les tribunaux ne soient pas contraints d’informer tous les accusés qui comparaissent devant eux de l’existence du droit à l’assistance d’un interprète ou d’examiner la capacité de tout accusé de comprendre la langue des procédures, ils ont néanmoins la responsabilité indépendante d’assurer l’équité de leurs procédures et leur conformité avec les principes de justice naturelle et, par conséquent, de protéger le droit de l’accusé à l’assistance d’un interprète, peu importe qu’il ait été revendiqué formellement (Tran, précité, à la page 981). Par exemple, si un juge ne parvient pas à comprendre le témoignage livré par un témoin ou un accusé, il se doit d’intervenir afin de régler ce problème (Mitroi, précité, aux paragraphes 43 et 45). Pour obtenir des conseils sur les types d’examens que le juge de première instance doit mener lorsqu’il constate le besoin d’un interprète, voir la décision R. c. Gebru, 2019 MBCA 73, aux paragraphes 62 à 64.

Cela dit, bien que les tribunaux doivent se montrer sensibles aux signes qui indiquent qu’une personne accusée éprouve des difficultés linguistiques, on n’attend pas d’eux qu’ils lisent dans les pensées. Lorsqu’aucun indice extérieur ne laisse entrevoir une incompréhension et que ni la personne accusée ni son avocat ou avocate n’ont invoqué le droit en question, cela peut jouer contre elle si, après avoir gardé le silence pendant tout le procès, elle soulève la question de l’interprétation pour la première fois en appel (Tran, précité, à la page 982; R. c. Chica, 2016 ONCA 252, aux paragraphes 33 à 35).

À titre d’officiers de justice, le substitut du ou de la procureure général et l’avocat ou l’avocate de la défense sont tous les deux tenus d’attirer l’attention du tribunal sur le besoin de recourir à des services d’interprétation lorsqu’ils s’aperçoivent qu’un tel besoin existe (Tran, précité, aux pages 981 à 992).

(ii) Norme d’interprétation

L’article 14 de la Charte exige que l’interprétation des procédures soit continue, fidèle, impartiale, compétente et concomitante. Si la norme d’interprétation à respecter n’est pas celle de la perfection, elle est toutefois élevée (Tran, précité, à la page 985; R. c. Rybak 2008 ONCA 354, autorisation de pourvoi refusée, [2008] C.S.C.R. no 311). Des décisions rendues en appel donnent à penser que l’interprétation fournie par l’interprète est présumée fidèle, à moins que la partie qui s’estime lésée ne démontre le contraire (R. c. Titchener, 2013 BCCA 64; R. c. Match, 2015 BCCA 271; voir aussi Nguyen c. R., 2013 QCCA 1127).

(a) Continuité

Les pauses et les interruptions ne doivent être ni encouragées ni permises (Tran, précité, à la page 986).

(b) Fidélité

L’interprétation doit, autant que possible, reprendre chaque mot et chaque idée; l’interprète ne doit pas « nettoyer » le témoignage pour lui donner une forme, une grammaire ou une syntaxe qu’il ne possède pas; l’interprète ne devrait faire aucun commentaire sur le témoignage et il ne devrait s’exprimer qu’à la première personne, en disant, par exemple, « je suis allé à l’école » plutôt que « il dit qu’il est allé à l’école » (Tran, précité, aux pages 986 et 987). Cependant, les tribunaux ont reconnu que l’interprète doit parfois faire preuve de jugement; les mots, expressions et concepts ne sont pas tous traduisibles en une autre langue. Comme il a été mentionné précédemment, l’interprétation n’est pas soumise à la norme de la perfection (Match, précité, aux paragraphes 8, 9 et 37).

(c) Impartialité

L’interprétation, en particulier dans un contexte criminel, devrait être objective et impartiale. Certaines personnes ne peuvent servir d’interprète parce qu’on craint qu’elles ne soient partiales. De toute évidence, une partie au litige ne pourra servir d’interprète, ni d’ailleurs un parent ou un ou une amie d’une partie, le ou la juge ou une personne étroitement liée aux événements à l’origine de l’accusation criminelle. Ces règles peuvent être assouplies dans le cas de procédures non accusatoires (Tran, précité, à la page 988). La pratique qui consiste à se servir d’une même personneà la fois comme témoin et interprète devrait être évitée, sauf dans des circonstances exceptionnelles (Tran, précité, à la page 1002).

(d) Compétence

La partie accusée a droit à des services d’interprétation de la part d’une personne compétente et il incombe au juge de faire en sorte que la personne choisie possède les qualités nécessaires de compétence et d’impartialité (Tran, précité, aux pages 988 et 989). Cependant, l’accréditation officielle à titre d’interprète et la compétence sont des choses différentes : la compétence ne dépend pas de l’accréditation (Rybak, précité, au paragraphe 84). Il a cependant été conclu que l’accréditation donne un motif de présumer de la compétence d’une personne interprète, en l’absence d’une preuve à l’effet contraire (Titchener, précité, au paragraphe 23).

(e) Concomitance

S’il est généralement préférable que l’interprétation soit « consécutive » (après que les mots ont été prononcés) plutôt que « simultanée » (au moment même où les mots sont prononcés), il importe d’abord et avant tout qu’elle soit concomitante (Tran, précité, aux pages 989 et 990). Même si l’interprétation consécutive est généralement préférable, en l’absence de tout indice portant que l’interprétation était inadéquate, il ne peut y avoir de violation de l’article 14 du fait du caractère simultané de l’interprétation (Nguyen, précité, au paragraphe 5; voir aussi R. c. Santhanarasa, 2013 ONCA 779).

(iii) Au cours des procédures

La personne qui invoque le droit doit établir que la lacune dans l’interprétation est survenue au cours des procédures, au moment où un intérêt vital de la partie accusée était en cause — c.-à-d. pendant le déroulement de l’affaire — et non pas à une phase ou étape extrinsèque ou accessoire au déroulement de l’affaire, comme une question administrative ou relative au calendrier (Tran, précité, aux pages 991 à 994).

5. Renonciation au droit à l’interprète

Compte tenu de l’importance et du statut du droit à l’interprète visé à l’article 14, il sera plus difficile que ce ne l’était antérieurement, sous le régime de la common law et de textes législatifs comme le Code criminel et la Déclaration canadienne des droits, de renoncer à ce droit. En fait, en matière criminelle, il y aura des cas où, dans l’intérêt public général, il sera tout simplement impossible de renoncer à ce droit (Tran, précité, aux pages 996 à 998).

Néanmoins, lorsqu’une personne reçoit des services d’interprétation lors d’une audience, mais qu’elle n’en soulève pas la question de la qualité à ce moment-là, elle pourrait être privée de la possibilité de faire valoir par la suite que ses droits garantis par l’article 14 ont été violés (voir, par exemple, Mohammadian, précité, au paragraphe 19; Match, précité, aux paragraphes 14, 15 et 41 à 43). Cependant, la partie requérante r qui ne connaît pas l’étendue des erreurs, parce que celles-ci ne pouvaient pas être facilement déterminées lors de l’audience, ne saurait renoncer à son droit à l’interprète du simple fait qu’elle ne soulève pas les erreurs à ce moment-là. C’est à la partie qui allègue la renonciation à ce droit de démontrer que les erreurs étaient connues (Mah c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2013 CF 853, au paragraphe 18).

6. Recours — préjudice et réparation

Il est primordial qu’au moment de déterminer si les droits garantis à la partie accusée par l’article 14 ont effectivement été limités de façon injustifiée, les tribunaux ne se lancent pas dans des conjectures quant à savoir si l’absence d’interprétation, ou une lacune dans celle-ci au cours d’une instance donnée, a influé sur l’issue de l’affaire ou si la partie accusée a réellement subi un préjudice (Tran, précité, aux pages 994 et 995). Le préjudice tient au fait de se voir refuser le droit en premier lieu. La question du préjudice réel doit être tranchée en tenant compte de la réparation au titre du paragraphe 24(1) de la Charte (Tran, précité, à la page 995; Mohammadian, précité, au paragraphe 4).

Bien que dans certaines décisions antérieures, les tribunaux inférieurs aient adopté une norme d’interprétation au titre de laquelle les erreurs devaient être « importantes » plutôt que « triviales », il faut faire attention de ne pas importer une exigence de préjudice. Dans ce contexte, « importantes » devrait être interprété comme étant une extension du principe, qui a d’ailleurs été reconnu dans l’arrêt Tran, portant que la norme d’interprétation visée à l’article 14 n’est pas celle de la perfection : il ne s’agit pas d’une exigence supplémentaire que de démontrer que le préjudice découle d’erreurs qui ne sont pas triviales (voir l’analyse à cet égard dans des précédents, comme Mah, précité, aux paragraphes 21 à 26, et Bidgoli c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), 2015 CF 235, aux paragraphes 10 à 16).

En général, la réparation qu’il convient d’accorder sous le régime du paragraphe 24(1) de la Charte à l’égard d’une violation de l’article 14 sera identique à ce qu’elle serait en common law et sous le régime des garanties d’origine législative comme celles de l’article 650 du Code criminel ou de l’alinéa 2g) de la Déclaration canadienne des droits, soit une nouvelle audition de la question ou de la procédure dans le cadre de laquelle la violation a été commise (Tran, précité, à la page 1010). Cependant, dans des cas appropriés, d’autres réparations, adaptées aux circonstances, peuvent être accordées. Par exemple, une cour d’appel a jugé que le préjudice qui aurait découlé de l’absence d’interprète lors d’une instance aurait pu être réglé en suspendant la procédure jusqu’à ce qu’un ou une interprète soit disponible (R. c. Pan, 2012 ONCA 581 (C.A. Ont.); voir aussi le commentaire formulé dans l’arrêt Tran, aux pages 1010 et 1011, en ce qui concerne la réparation à l’égard d’une violation au cours des procédures). Lorsque la partie accusée est en mesure de démontrer qu’elle a subi ou subira un préjudice en sus de celui qui découle directement de la violation elle-même, comme le fait d’avoir à assumer les coûts financiers d’un nouveau procès, le tribunal peut juger approprié d’accorder une autre réparation en vertu du paragraphe 24(1), tels des dommages-intérêts (Tran, précité, à la page 1010).

7. Coûts de l’interprétation

Dans les affaires criminelles, les frais d’interprète sont généralement à la charge de l’État (voir les commentaires dans la décision McCullock Finney c. Canada (Procureur général), 2009 QCCS 4646, au paragraphe 23). Toutefois, des décisions rendues par des tribunaux inférieurs donnent à penser que le droit à l’interprète dans une instance civile ne signifie pas en général que les coûts de l’interprétation seront assumés par quelqu’un d’autre que la partie qui réclame l’interprétation (voir, par exemple, Wyllie c. Wyllie (1987), 37 D.L.R. (4th) 376 (C.S. C-B); Royal Bank of Canada c. Welton, [2009] O.J. no 4205 (C. sup. Ont.); McCullock Finney, précité). Néanmoins, certaines décisions donnent à penser que, même si les frais de l’interprète sont normalement assumés au départ par la partie qui demande l’accès aux services d’interprétation, ces frais peuvent être réclamés à la partie ayant perdu sa cause à titre de dépens, puisque les dépens suivront l’issue de la cause (Paul’s Restaurant Ltd c. Dunn, [1996] B.C.J. no 114 (C.S. C.-B.); Park c. Koepke, 2013 BCSC 1806). Pour les procédures de nature administrative, la jurisprudence est mixte; une décision laisse entendre que les coûts de l’interprétation devraient être assumés par la personne qui a besoin des services, à moins que celle-ci ne soit dans l’indigence; toutefois, un autre précédent est plus favorable aux paiements des services par l’État (comparer Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c. Phan, [2003] A.C.F. no 1512 (CF) et Caron c. Alberta (Chief Commissioner of the Alberta Human Rights and Citizenship Commission) 2007 ABQB 525). La question générale du paiement des coûts d’interprétation comme complément au droit garanti par l’article 14 n’a pas encore été examinée de manière exhaustive et définitive par les tribunaux.

Le contenu est à jour jusqu’au 2023-07-31.