Article 15 – Droit à l’égalité

Disposition

15. (1) La loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques.

(2) Le paragraphe (1) n’a pas pour effet d’interdire les lois, programmes ou activités destinés à améliorer la situation d’individus ou de groupes défavorisés, notamment du fait de leur race, de leur origine nationale ou ethnique, de leur couleur, de leur religion, de leur sexe, de leur âge ou de leurs déficiences mentales ou physiques.

Dispositions similaires

On trouve des dispositions sur le droit à l’égalité à l’alinéa 1b) de la Déclaration canadienne des droits, ainsi que dans la Loi canadienne sur les droits de la personne et dans des lois provinciales et territoriales similaires. Le cadre d’analyse de l’article 15 de la Charte qui est décrit ci-après n’est pas directement applicable à ces dispositions, bien qu’il y ait souvent concordance entre la Charte et la jurisprudence en matière de droits de la personne [voir en général : Colombie-Britannique (Public Service Employee Relations Commission) c. BCGSEU, [1999] 3 R.C.S. 3].

Les instruments internationaux suivants qui lient le Canada comportent des dispositions similaires : les articles 2 et 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques; le paragraphe 2(2) du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels; l’article 2 de la Convention relative aux droits de l’enfant; l’article II de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme; la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale; la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes; et l’article 5 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées.

Voir aussi les instruments internationaux, régionaux et de droit comparé suivants qui ne lient pas juridiquement le Canada, mais qui prévoient des dispositions similaires : les articles 1, 2 et 7 de la Déclaration universelle des droits de l’homme; l’article 24 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme; l’article 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales; et le Cinquième et le Quatorzième amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique.

Objet

Comme la Cour suprême l’a exprimé dans sa première affaire relative à l’article 15 et l’a confirmé par la suite : « [f]avoriser l’égalité emporte favoriser l’existence d’une société où tous ont la certitude que la loi les reconnaît comme des êtres humains qui méritent le même respect, la même déférence et la même considération » (R. c. Kapp, [2008] 2 R.C.S. 483, au paragraphe 15, citant l’arrêt Andrews c. Law Society of British Columbia, [1989] 1 R.C.S. 143, à la page 171, le juge McIntyre). Voir aussi plus récemment Québec (P.G.) c. A., [2013] 1 R.C.S. 61, au paragraphe 417, dans lequel la juge en chef McLachlin, se ralliant à la majorité au sujet de l’article 15, a souligné que la discrimination perpétue ou favorise « l’opinion que l’individu touché est moins capable ou est moins digne d’être reconnu ou valorisé en tant qu’être humain ou que membre de la société canadienne, qui mérite le même intérêt, le même respect et la même considération. »

Analyse

1. Application

L’article 15 s’applique à toute mesure gouvernementale qu’elle prenne la forme d’une loi, d’un règlement, de directives, de politiques, de programmes et d’activités et aux actions des mandataires du gouvernement investis de pouvoirs légitimes. Il a été conclu qu’il s’applique dans les cas suivants :

Dans l’arrêt McKinney c. Université de Guelph, [1990] 3 R.C.S. 229, la majorité des juges de la Cour a conclu que les universités ne font pas partie du gouvernement.

L’article 15 n’impose pas aux gouvernements des obligations concrètes de remédier aux inégalités qui existent dans la société canadienne (Auton (Tutrice à l’instance de) c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2004] 3 R.C.S. 657; R. c. Sharma, 2022 CSC 39). Cependant, si le gouvernement intervient, il ne doit pas le faire d’une façon discriminatoire (Eldridge, précité; Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493). Le paragraphe 15(2) vise à permettre les activités du gouvernement destinées à combattre la discrimination de manière proactive grâce à l’adoption de mesures de promotion sociale (Kapp, précité, aux paragraphes 25, 33 et 37; voir aussi Alberta (Affaires autochtones et développement du Nord) c. Cunningham, [2011] 2 R.C.S. 670, aux paragraphes 40 et 41, ci-après Cunningham).

La garantie de l’article 15 s’applique à « chaque individu », et la Cour suprême a interprété qu’elle ne peut s’appliquer à une succession (Canada (Procureur général) c. Hislop, [2007] 1 R.C.S. 429, aux paragraphes 72 et 73 — toutefois voir paragraphes 74 à 77 qui tiennent compte de la date du décès par rapport au dépôt de la demande). Bien que la Cour ne se soit pas prononcée en majorité sur l’application de l’article 15 aux sociétés, le raisonnement de l’arrêt Hislop, ainsi que les décisions des tribunaux inférieurs, suggèrent que les sociétés n’ont pas de droits en vertu de l’article 15 (Hislop, précité, au paragraphe 73).

2. Rétroactivité

L’article 15 de la Charte ne s’applique pas à des événements précis et isolés survenus avant l’entrée en vigueur de cet article le 17 avril 1985 (Mack c. Canada (Procureur général) (2002), 60 O.R. (3d) 737 (C.A.)). Cependant, il peut s’appliquer à une mesure gouvernementale postérieure à 1985 qui se traduit par un traitement différent fondé sur un statut créé avant cette date (Benner c. Canada (Secrétariat d’État), [1997] 1 R.C.S. 358).

3. Démarche générale

De son premier arrêt jusqu’à ses décisions plus récentes au sujet de l’article 15, la Cour suprême a toujours accordé une grande importance à la garantie « réelle » de l’égalité. En effet, la Cour a mis en évidence que « l’égalité ne signifie pas nécessairement traitement identique et que le modèle formel du "traitement analogue" peut en fait engendrer des inégalités » (Kapp, précité, au paragraphe 15, citant Andrews, précité, à la page 165; voir aussi Withler c. Canada [2011] 1 R.C.S. 396, au paragraphe 39; Première Nation de Kahkewistahaw c. Taypotat [2015] 2 R.C.S. 548, au paragraphe 17; Québec (Procureure Générale) c. Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux, [2018] 1 R.C.S. 464, au paragraphe 25; Fraser c. Canada (Procureur général), 2020 CSC 28, aux paragraphes 41-42, et Ontario (Procureur général) c. G., 2020 CSC 38, aux paragraphes 43 et 47). Cette démarche diffère de l’application hors contexte de l’égalité formelle prévue par la Déclaration canadienne des droits (voir par exemple Bliss c. Le Procureur général du Canada, [1979] 1 R.C.S. 183 où la Cour suprême a approuvé l’énoncé selon lequel « [s]i l’article 46 ne traite pas les femmes enceintes en chômage comme d’autres chômeurs, hommes ou femmes, c’est, à mon sens, parce qu’elles sont enceintes et non parce qu’elles sont des femmes » — cet énoncé a par la suite été désavoué expressément dans Brooks c. Canada Safeway Ltd., [1989] 1 R.C.S. 1219).

Dans l’arrêt Law c. Canada [1999] 1 R.C.S. 497 (ci-après Law), la Cour a résumé sa démarche dans un cadre comportant trois volets, reformulé en deux volets dans les arrêts Kapp, précité, Withler, précité, Québec c. A., précité;Taypotat, précité, Fraser, précité et Sharma, précité. Le critère peut être rédigé ainsi :

  1. La loi établit-elle, à première vue ou de par son effet, une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?
  2. La distinction est-elle discriminatoire? (Kapp, précité, au paragraphe 17; voir aussi Withler, précité, au paragraphe 30; Québec c. A., précité, aux paragraphes 324 et 418; Taypotat, précité, aux paragraphes 19 et 20; Alliance, précité, au paragraph 25; Centrale des syndicats, précité, au paragraphe 22; Fraser, précité, au paragraphe 27; Ontario c. G., précité, au paragraphe 40; R. c. C.P., 2021 CSC 19, au paragraphe 56; et Sharma, précité, au paragraphe 28).

Une fois que la partie demanderesse satisfait à la première étape de l’analyse du paragraphe 15(1), le défendeur (gouvernement) peut établir que la distinction contestée est visée par le paragraphe 15(2) étant donné qu’il s’agit d’une mesure d’action positive, ayant pour but d’améliorer la situation d’un groupe historiquement défavorisé. Si les exigences du paragraphe 15(2) (décrites en détail ci-après) sont respectées par le gouvernement, l’analyse prend fin puisqu’il n’y a pas de discrimination au sens du paragraphe 15(1).

Dans l’arrêt Kapp, précité, au paragraphe 37, la Cour a résumé le double objectif de l’article 15 de la manière suivante :

Le paragraphe 15(1) a pour objet d’empêcher les gouvernements d’établir des distinctions fondées sur des motifs énumérés ou analogues ayant pour effet de perpétuer un désavantage ou un préjugé, ou d’imposer un désavantage fondé sur l’application de stéréotypes. Le paragraphe 15(2) vise à permettre aux gouvernements de combattre de manière proactive la discrimination.

En plus d’être fondée sur l’objet visé et axée sur l’égalité réelle, l’analyse de l’article 15 se fonde sur les faits et est éminemment contextuelle et comparative.

Le rôle de la comparaison dans l’analyse de l’article 15 a évolué. Avant l’arrêt Kapp, précité, un certain nombre d’arrêts de la Cour suprême porte une grande attention aux détails entourant la définition du groupe de comparaison approprié. Toutefois, dans l’arrêt Kapp, la Cour exprime des préoccupations à l’égard d’une approche formelle et « artificielle » en matière de comparaisons (au paragraphe 22), et dans Withler, précité, la Cour rejette l’approche fondée sur la comparaison avec un groupe aux « caractéristiques identiques » utilisée dans certaines décisions antérieures (Auton, précité, aux paragraphes 48 à 55; voir aussi Hodge c. Canada, [2004] 3 R.C.S. 357). Cette approche exigeait des demandeurs qu’ils précisent des comparateurs qui sont « …semblables en tous points aux demandeurs, hormis les caractéristiques correspondant au motif de discrimination allégué » (Auton, précité, au paragraphe 55). Dans l’arrêt Withler, la Cour suprême a explicitement éliminé cette exigence. Parallèlement, elle a confirmé que l’article 15 est intrinsèquement comparatif par le fait que les parties demanderesses doivent démontrer un traitement distinct (ce qui présuppose une comparaison avec d’autres) fondé sur un motif illicite (paragraphe 62; voir aussi Sharma, précité, aux paragraphes 31 et 41).

4. Fardeau de la preuve

Il incombe à la partie demanderesse de prouver qu’il a été porté atteinte aux droits que lui garantit l’article 15 (Law, précité, aux paragraphes 76 à 83). La quantité et la nature de la preuve requise peuvent varier grandement selon la nature de la demande. La preuve de l’intention législative n’est pas nécessaire; l’exigence faite à la partie demanderesse est d’établir que soit l’objet, soit l’effet de la disposition législative ou de la mesure est discriminatoire (Law, précité, au paragraphe 80). Dans de tels cas, le gouvernement devra démontrer que son programme relève du paragraphe15(2) et que, par conséquent, il n’est pas discriminatoire (Kapp, précité, aux paragraphes 39 à 41).

Même si, en règle générale, les tribunaux exigent des preuves étayant une allégation de discrimination, en pratique la partie demanderesse n’a pas à produire une preuve établissant chacun des éléments de l’analyse (Law, précité, au paragraphe 82). Elle n’est pas tenue non plus, pour établir une restriction des droits garantis par le paragraphe 15(1), de produire des données ou d’autres éléments de preuve du domaine des sciences sociales qui ne sont pas généralement accessibles; dans les cas opportuns, un tribunal peut s’appuyer uniquement sur sa connaissance d’office et sur un raisonnement logique (Law, précité, au paragraphe 77).

Toutefois, il incombe à la partie demanderesse de faire en sorte que le tribunal soit bien informé des contextes historique, social, politique et juridique dans lesquels l’allégation est formulée (Law, précité, au paragraphe 83). Une demande fondée sur le droit à l’égalité est susceptible d’être rejetée si le tribunal conclut que le dossier de preuve est insuffisant, particulièrement si la demande dépend de l’acceptation par la Cour de modèles sociaux non étayés par des statistiques ou des expertises en matière de sciences sociales (Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429).

Dans les contestations axées sur la discrimination « par suite d’un effet préjudiciable » – c’est-à-dire fondées sur la prétention qu’une loi en apparence neutre a une incidence disproportionnée sur des membres de groupes bénéficiant d’une protection contre la discrimination fondée sur un motif prohibé – les parties demanderesses peuvent essayer de démontrer que la loi ou la mesure en cause a eu des effets qualitativement différents sur certaines personnes, ou que les membres d’un groupe particulier en ont subi les effets dans une proportion plus élevée que d’autres groupes. Pour évaluer l’existence et la nature des effets, il faut tenir compte de tous les éléments contextuels qui s’appliquent au groupe dont font partie les parties demanderesses, et de l’effet de la loi ou de la mesure en cause, en s’appuyant sur tout élément de preuve pertinent, y compris les données statistiques si elles sont utiles et disponibles. Pour démontrer un effet disproportionné, on peut s’appuyer aussi bien sur une preuve de disparité statistique que sur une preuve de désavantage sur le groupe dans son ensemble, mais aucune n’est obligatoire et leur importance varie selon le cas. Les parties demanderesses n’ont pas à prouver que le motif était la cause de l’effet préjudiciable, ni que cet effet préjudiciable était uniquement attribuable à la loi ou à la mesure en cause, ni que tous les membres du groupe ont subi les mêmes effets (Fraser, précité, aux paragraphes 51 à 75). En même temps, bien qu’aucune forme particulière de preuve ne soit requise, les parties demanderesses doivent présenter suffisamment d’éléments de preuve pour démontrer que, de par son effet, la loi ou la mesure en cause crée un effet disproportionné sur le groupe demandeur par rapport aux autres ou contribue à cet effet. La preuve du désavantage historique et systémique général du groupe demandeur ne suffit pas, à elle seule, à satisfaire au fardeau de la preuve relatif à la causalité au premier volet (Sharma, précité, aux paragraphes 42-48 et 71).

5. Cadre d’analyse du paragraphe 15(1) en deux étapes

Le cadre d’analyse du paragraphe 15(1) comporte deux étapes :

(i) La loi crée-t-elle une distinction fondée sur un motif énuméré ou analogue?

Une distinction peut résulter expressément d’une disposition législative ou d’une mesure gouvernementale (p. ex., un avantage fourni uniquement aux personnes de 65 ans et plus) ou peut résulter d’un effet défavorable d’une disposition législative ou d’une mesure gouvernementale sur une partie demanderesse en raison de ses caractéristiques personnelles propres (p. ex., une règle qui exige que tous les employés travaillent le samedi, mais pas le dimanche, qui a une incidence différente sur les individus en fonction de leur religion). Une autre façon de déterminer s’il y a eu distinction défavorable consiste à se demander si le gouvernement a omis de prendre en compte la position déjà désavantageuse d’un groupe dans la société canadienne, qui se traduit par une différence de traitement réelle en raison des caractéristiques personnelles (p. ex., le défaut par le gouvernement de fournir des documents dans d’autres formats accessibles aux personnes ayant une déficience visuelle). La question de savoir si le gouvernement avait l’intention de créer une distinction désavantageuse n’est pas pertinente à l’analyse. Cette partie de l’analyse porte sur l’effet comparatif de la mesure gouvernementale sur les parties demanderesses et sur d’autres groupes.

La première analyse (qui consiste à déterminer si la disposition législative crée une distinction fondée sur un motif) peut être considérée comme imposant une nécessité fondamentale entraînant le rejet de la demande si la partie demanderesse ne peut démontrer que la disposition législative ou la mesure gouvernementale refuse l’accès à un avantage accordé à d’autres ou impose un fardeau qui n’est pas imposé à d’autres sur le fondement d’une différence en raison de motifs énumérés ou analogues (Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698; Auton, précité).

Afin d’établir si la distinction est fondée sur un motif illicite, la liste des motifs « énumérés » au paragraphe 15(1) (la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, le sexe, l’âge ou les déficiences mentales ou physiques) n’est pas exhaustive et les tribunaux peuvent déterminer d’autres motifs illicites analogues à ceux énumérés. Les motifs analogues sont semblables aux motifs énumérés en ce sens qu’ils sont souvent à la base de décisions stéréotypées ou encore qu’ils définissent un groupe qui a historiquement fait l’objet de discrimination. Les motifs analogues décrivent des caractéristiques personnelles qui sont soit immuables (caractéristiques qu’il est impossible de changer) ou considérées comme immuables (caractéristiques modifiables uniquement à un prix inacceptable du point de vue de l’identité personnelle). Une fois qu’un motif a été reconnu analogue, il sera toujours considéré comme tel dans toute affaire ultérieure (Corbière, précité, aux paragraphes 13 à 15 et 58 à 62).

Jusqu’à présent, la Cour suprême a statué que les motifs suivants sont des motifs analogues à ceux qui sont énumérés au paragraphe 15(1) :

Dans l’arrêt Cunningham c. Alberta (Affaires autochtones et Développement du Nord), 2009 ABCA 239, la Cour d’appel de l’Alberta a conclu que l’inscription à titre d’Indien est un motif analogue, mais la Cour suprême a refusé de trancher la question, statuant qu’il n’y avait pas de discrimination de toute façon. Dans l’arrêt Taypotat, précité, sans qu’il y ait eu d’argument ou de preuve de la part des parties, la Cour suprême n’était pas prête à accepter que « l’autochtonité-lieu de résidence » englobe la résidence dans une réserve sur le seul fondement d’« une simple inférence identique » du fait que la résidence à l’extérieur de la réserve est protégée (paragraphe 26). Cependant, cela n’empêche pas à l’avenir une partie demanderesse d’établir que la résidence dans une réserve constitue un motif analogue.

Il est également important d’examiner les décisions des tribunaux inférieurs ainsi que les motifs énoncés dans les mesures législatives sur les droits de la personne pour déterminer s’il existe d’autres motifs analogues possibles, comme la situation familiale ou l’expression ou l’identité de genre.

La Cour suprême a conclu que les motifs suivants ne sont pas des motifs analogues :

Bien qu’il n’y ait toujours pas de directive de la Cour suprême sur ce point, les tribunaux inférieurs ont généralement conclu que la pauvreté en soi ne constitue pas un motif analogue (voir : Alcorn c. Canada (Commissaire du service correctionnel) [1999], 163 F.T.R. 1, confirmé par 2002 CAF 154, parce que la situation économique n’est pas comparable aux « caractéristiques immuables » énumérées au paragraphe 15(1)). Voir, cependant l’affaire Falkiner c. Ontario (Director, Income Maintenance Branch, Ministry of Community and Social Services) (2002), 212 D.L.R. (4th) 633 (C.A. Ont.), dans laquelle le tribunal a conclu que « le fait de recevoir de l’aide sociale » recoupé avec les motifs liés au sexe et à la situation familiale, constituait un motif analogue. De plus, les tribunaux inférieurs ont déterminé que le statut de prisonnier ne constitue pas un motif analogue (voir : Alcorn, précité; Sauvé c. Canada, [2000] 2 C.F. 117, confirmé sur ce point par une minorité de juges de la CSC [2002] 3 R.C.S. 519).

La Cour suprême a reconnu que certains motifs de discrimination sont « inclus » dans d’autres et que la discrimination peut se fonder sur de multiples motifs énumérés et analogues qui se recoupent (Law, précité; Gosselin, précité). Par exemple, bien qu’elle n’ait pas encore reconnu le statut de famille ou le statut de parent comme un motif analogue, la Cour a souligné qu’il est « possible d’effectuer une solide analyse intersectionnelle du sexe et du rôle parental en fonction du motif énuméré que constitue le sexe, en reconnaissant que le partage inégal des responsabilités en matière d’éducation des enfants est un des “désavantages systémiques persistants [qui] ont eu pour effet de restreindre les possibilités offertes” aux femmes au sein de la société canadienne » (Fraser, précité, au paragraphe 116, citant Taypotat, précité, au paragraphe 17; Withler, précité, au paragraphe 43; Québec c. A., précité, aux paragraphes 327 à 332; Alliance, précité, au paragraphe 28; Centrale, précité, au paragraphe 35). Il peut aussi exister de la discrimination entre les membres d’un même groupe (p. ex., parmi des personnes présentant différents types de handicaps — voir : Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin; Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Laseur, [2003] 2 R.C.S. 504 (ci-après « Martin; Laseur ») aux paragraphes 76 à 81).

La grossesse, qui est un état distinct, mais fondamentalement lié au sexe, est un exemple d’une caractéristique personnelle qui ne s’applique pas à tous les membres du groupe visé (les femmes) en tout temps, qui a été considérée comme servant de base à la discrimination aux termes des lois sur les droits de la personne (voir : Brooks, précité). Il peut se révéler nécessaire de reconnaître des motifs analogues « inclus » afin de pouvoir examiner utilement la discrimination à l’intérieur d’un même groupe (Corbière, précité, au paragraphe 15).

Il est à noter que lorsque le gouvernement adopte une loi qui a pour but de remédier à une inégalité ou à un désavantage existant, il se peut que cette loi limite de manière injustifiable les droits garantis à l’article 15, si elle ne permet pas de remédier complètement à l’inégalité ou si elle introduit une autre inégalité. Le fait qu’une loi ait pour but de remédier à une inégalité ne la soustrait pas à un examen fondé sur la Charte (Hislop, précité, au paragraphe 39).

Aussi, il est intéressant de noter que lorsque le gouvernement a créé une mesure positive ou un programme ciblé visant à améliorer la situation d’un groupe particulier historiquement désavantagé (p. ex., des programmes destinés aux Premières nations, aux Inuits et aux Métis ou à un sous-groupe de ceux-ci), il peut faire valoir que le programme en question est visé par le paragraphe 15(2). La défense fondée sur le paragraphe 15(2) est soulevée à cette étape-ci de l’analyse sans qu’il soit nécessaire de passer à l’étape « 2 » de l’analyse relative au paragraphe 15(1). (Voir la discussion détaillée sur le paragraphe 15(2) ci-après).

(ii) La distinction est-elle discriminatoire?

Cette deuxième étape vise généralement à déterminer si la distinction en question équivaut à une discrimination réelle. L’objet de cette analyse a évolué avec les années. La Cour suprême, dans l’arrêt Law, précité, a abordé cette question en évaluant les effets de la loi sur la « dignité humaine essentielle » de la demanderesse, et a reconnu, dans l’arrêt Kapp, précité, que « plusieurs difficultés ont découlé de la tentative [...] de faire de la dignité humaine un critère juridique » (paragraphe 21). Par conséquent, cette étape de l’analyse a été concentrée sur les facteurs énoncés dans l’arrêt Andrews, précité, fondés sur « la perpétuation d’un désavantage et l’application de stéréotypes comme étant les principaux indices de discrimination » (Kapp, précité, au paragraphe 23; Withler, précité, au paragraphe 30; Québec c. A., précité, aux paragraphes 324 et 418). Dans l’arrêt Taypotat, précité, la Cour suprême a proposé un changement d’orientation à cette étape de l’analyse afin de déterminer si une distinction a pour « effet de perpétuer le désavantage arbitraire sur le demandeur » (Taypotat, précité, au paragraphe 16; Québec c. A, précité, au paragraphe 331). Dans l’arrêt Fraser, précité, la Cour suprême a évoqué un changement voulant que l’accent soit maintenant mis sur la question de savoir si la distinction établie « impose un fardeau ou nie un avantage d’une manière qui a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer le désavantage » (Fraser, précité, aux paragraphes 27 et 81). Il n’est pas nécessaire de démontrer une discrimination de longue date pour qu’un tribunal conclue à une violation du paragraphe 15(1) (Ontario c. G, précité, au paragraphe 39).

La Cour suprême a souligné à maintes reprises l’importance d’étudier un contexte plus large dans l’analyse portant sur l’égalité réelle (Turpin, précité, à la page 1331; Bande et nation indiennes d’Ermineskin c. Canada, [2009] 1 R.C.S. 222, au paragraphe 193; Withler, précité, au paragraphe 43). Certaines des exigences formelles des critères précédemment appliqués au regard de l’article 15 ont été affinées dans l’arrêt Fraser, mais la Cour suprême y a confirmé que l’analyse de l’égalité continue de dépendre du contexte (Fraser, précité, aux paragraphes 86 à 113).

Dans l’arrêt Law, la Cour suprême avait élaboré quatre facteurs contextuels visant à orienter l’analyse à cette étape-ci : (1) désavantage préexistant, le cas échéant, du groupe demandeur; (2) degré de correspondance entre la différence de traitement et la réalité du groupe demandeur; (3) la question de savoir si la loi ou le programme a un objet ou un effet d’amélioration, avec prise en compte de la multiplicité des intérêts que la loi ou le programme en cause tente de concilier, comme l’explique l’arrêt Withler, précité, au paragraphe 38 (question prise en compte en grande partie, mais non entièrement, depuis l’arrêt Kapp, précité, dans l’analyse fondée sur le paragraphe 15(2)); et (4) la nature du droit touché. Dans de récents arrêts, la Cour suprême a précisé qu’il n’est ni nécessaire ni souhaitable d’examiner point par point ces facteurs, qu’elle a décrits « comme un moyen de mettre l’accent sur le principal enjeu de l’art. 15, […] — la lutte contre la discrimination » (Kapp, précité, au paragraphe 24; Québec c. A., précité, au paragraphe 331; Alliance, précité, au paragraphe 28).

Dans l’arrêt Fraser, précité, la Cour suprême a affirmé que pour déterminer si la loi a pour effet de renforcer, de perpétuer ou d’accentuer un désavantage, il n’existe pas de « modèle rigide » de facteurs pertinents à prendre en considération (Fraser, précité, au paragraphe 76). L’objectif est d’examiner l’effet du préjudice causé au groupe touché, en tenant compte des désavantages systémiques ou historiques subis par ce groupe. Le préjudice peut inclure une exclusion ou un désavantage économique, une exclusion sociale, des préjudices psychologiques, des préjudices physiques ou une exclusion politique (Fraser, précité, au paragraphe 76). Pour établir si ces préjudices résultent ou non d’une discrimination, il faut avant tout déterminer s’ils sont liés aux désavantages systémiques ou historiques subis par ce groupe (Fraser, précité, aux paragraphes 76 et 77). À la base, l’article 15 résulte d’une prise de conscience par rapport au fait que certains groupes ont depuis longtemps été victimes de discrimination, et qu’il faut mettre fin à la perpétuation de cette discrimination (Fraser, précité, au paragraphe 78, citant Québec c. A, précité, au paragraphe 332; Taypotat, précité, au paragraphe 20). En particulier, « la présence de préjugés et l’application de stéréotypes sociaux ne sont pas nécessairement des facteurs à prendre en compte dans l’analyse relative au par. 15(1). Ceux-ci peuvent aider à démontrer qu’une loi a des effets négatifs sur un groupe particulier, mais ils ne sont “ni des éléments particuliers du critère établi dans l’arrêt Andrews, ni des catégories auxquelles doit se rattacher la plainte de discrimination” » (Fraser, précité, au paragraphe 78, citant Québec c. A, précité, au paragraphe 329). De même, une partie demanderesse n’est plus tenue de prouver que la distinction est arbitraire pour démontrer une violation à première vue du par. 15(1) (Fraser, précité, au paragraphe 80), mais il peut être utile pour les tribunaux de déterminer si les facteurs sont présents (Sharma, précité, au paragraphe 53).

Une fois qu’un groupe a été considéré comme ayant été de tout temps défavorisé, il est bien établi qu’il sera considéré comme tel dans les affaires subséquentes, et ce, peu importe la nature de la loi contestée (Lavoie, précité, au paragraphe 45).

Dans l’arrêt Fraser, les juges majoritaires ont conclu que l’effet du programme de partage de poste de la GRC, qui ne permettait pas le rachat de service à temps plein ouvrant droit à pension, revenait à faire subir aux femmes une différence de traitement et venait perpétuer leur désavantage par rapport à un certain nombre de facteurs contextuels : les contraintes liées à la situation économique ou au sexe de la personne, qui influencent son « choix » de travailler à temps partiel; la persistance de la division des responsabilités selon le sexe, en ce qui concerne les tâches ménagères et le soin des enfants; les désavantages dont les femmes font l’objet dans la conciliation entre leur vie professionnelle et les travaux ménagers; les préjugés historiques fondés sur le sexe qui sont ancrés dans les régimes de pension, lesquels favorisent les situations d’emploi typiques des hommes; et les conséquences financières négatives que tous ces facteurs ont sur les femmes à leur retraite (Fraser, précité, aux paragraphes 86 à 113).

L’opportunité de tenir compte de l’objectif législatif dans l’analyse relative à l’article 15 a fait l’objet d’une controverse récemment. Dans l’arrêt Fraser, précité, les juges majoritaires ont affirmé que la deuxième étape doit d’abord viser à déterminer si la loi ou la mesure gouvernementale en cause a un effet discriminatoire sur des groupes défavorisés, et non si la distinction est justifiée par sa pertinence à l’égard d’un objectif légitime de l’État – dans ce dernier cas, l’examen doit plutôt être effectué au regard de l’article premier de la Charte (Fraser, précité, au paragraphe 79; voir aussi Ontario c. G. précité, au paragraphe 69). De même, pour prouver qu’il y a violation à première vue du paragraphe 15(1), les parties demanderesses n’ont plus à démontrer que la distinction est arbitraire (Fraser, précité, au paragraphe 80). Cependant, plus récemment, dans l’arrêt Sharma, précité, les juges majoritaires ont retenu le « contexte législatif » comme élément approprié de l’analyse relative à l’article 15 et ont mentionné parmi les facteurs pertinents « les objectifs du régime » et « les objectifs d’intérêt public particuliers visés par le législateur » (au paragraphe 59).

(iii) Cadre d’analyse pour le paragraphe 15(2)

L’objet fondamental du paragraphe 15(2) est de protéger les programmes d’amélioration contre les accusations de « discrimination à rebours ». En d’autres termes, le paragraphe 15(2) permet aux gouvernements de lutter contre la discrimination au moyen de programmes visant à aider des groupes défavorisés sans peur de contestations en vertu du paragraphe 15(1) par des groupes qui ne sont pas victimes de ce désavantage (Kapp, précité, au paragraphe 16). En outre, le paragraphe 15(2) permet aux gouvernements d’aider un groupe désavantagé, ou un sous-groupe de celui-ci, sans être paralysés par la nécessité d’aider tous les groupes, y compris ceux qui peuvent être victimes d’un désavantage semblable ou équivalent (Cunningham, précité, au paragraphe 41).

La Cour suprême a déclaré que « les paragraphes 15(1) et 15(2) ont pour effet combiné de promouvoir l’idée d’égalité réelle qui sous-tend l’ensemble de l’article 15 » (Kapp, précité, au paragraphe 16). Des programmes destinés à aider des groupes défavorisés représentent une expression d’égalité, non une exception à celle-ci (Kapp, précité, au paragraphe 37, citant P. W. Hogg, Constitutional Law of Canada (5e éd., suppl. 2007), volume 2, pages 55-53; voir aussi Andrews, précité, à la page 169).

Dans l’arrêt Kapp, la Cour suprême a attribué une portée autonome au paragraphe 15(2), alors qu’avant il était considéré comme un « instrument d’interprétation » du paragraphe 15(1) (Law, précité; Lovelace, précité). Ces conclusions ont probablement été établies dans le but de simplifier l’analyse de ces types de mesures et de renforcer le message selon lequel non seulement ces mesures ne constituent pas une « discrimination à rebours » à l’encontre de personnes plus favorisées, mais elles sont compatibles avec la garantie d’égalité de l’article 15. En vertu de la nouvelle approche, une fois que la partie demanderesse a établi une distinction fondée sur un motif illicite (« étape 1 » ci-dessus), le gouvernement peut démontrer que la disposition législative, l’initiative ou l’activité contestée est améliorative au sens du paragraphe 15(2) et, par conséquent, constitutionnelle, rendant ainsi inutile l’analyse de l’« étape 2 » à savoir si la distinction équivaut à une discrimination réelle. Pour satisfaire les exigences du paragraphe 15(2), le gouvernement doit établir :

  1. que le programme a un objet véritablement améliorateur ou réparateur; et
  2. que le programme vise un groupe défavorisé caractérisé par un motif énuméré ou analogue (Kapp, précité, au paragraphe 41).

Si le gouvernement ne satisfait pas à ces exigences, il peut toujours prétendre que la mesure contestée n’a pas un effet réellement discriminatoire au sens du paragraphe 15(1) (Kapp, précité, au paragraphe 40).

(a) Objet améliorateur ou réparateur

Aux termes du critère (1) ci-dessus, le gouvernement doit établir que l’objectif visé en créant le programme ou l’avantage en question était « d’améliorer la situation d’un groupe défavorisé » (Kapp, précité, au paragraphe 48). Pour maintenir une « analyse fondée sur l’intention », les tribunaux doivent éviter d’adhérer aveuglément à la déclaration d’intention du gouvernement et doivent se demander s’il était « raisonnable que l’État conclue que les moyens choisis pour réaliser son objectif améliorateur permettraient d’atteindre cet objectif ». Pour que ce soit « raisonnable », « il doit y avoir une corrélation entre le programme et le désavantage dont est victime le groupe » (Cunningham, précité, au paragraphe 44; Kapp, précité, au paragraphe 49). Un tel critère permet une « grande déférence ». Il permet aussi de procéder à un contrôle judiciaire des initiatives déguisées; le programme contesté est théoriquement destiné à aider une population défavorisée et ne devrait pas être soustrait à l’analyse fondée sur le paragraphe 15(1) (Kapp, précité, au paragraphe 49).

L’objet améliorateur du programme contesté ne doit pas nécessairement être le seul objectif de ce programme. Toutefois, si un programme améliorateur fait partie d’un programme législatif général ou interagit avec celui-ci, le paragraphe 15(2) ne protège que les distinctions « qui tendent et sont nécessaires à la réalisation de l’objet améliorateur » (Kapp, précité, au paragraphe 52). Les dispositions législatives ou les programmes destinés à limiter ou à punir le comportement d’un groupe ciblé ne devraient pas bénéficier de la protection du paragraphe 15(2) (Kapp, précité, au paragraphe 54).

Le paragraphe 15(2) ne constitue pas à lui seul un moyen de défense suffisant contre n’importe quelle allégation fondée sur le paragraphe 15(1) : il ne peut pas empêcher les groupes qu’il est censé protéger de présenter des demandes en vertu du paragraphe 15(1). Eu égard à l’objectif du paragraphe 15(2), le gouvernement ne peut l’invoquer que si un individu ou un groupe exclu du programme allègue que l’exclusion est discriminatoire (Fraser, précité, au paragraphe 69; Centrale des syndicats, précité, au paragraphe 39; Alliance, précité, au paragraphe 32).

(b) Groupe défavorisé caractérisé par un motif énuméré ou analogue

Les types de programmes protégés en vertu du paragraphe 15(2) sont ceux qui sont « axés sur la situation d’un groupe défavorisé précis et identifiable, par opposition aux mesures législatives sociales générales, tels les programmes d’aide sociale » (Kapp, précité, au paragraphe 55). « Le "désavantage" aux fins d’application de l’article 15 dénote la vulnérabilité, un préjugé et une image négative dans la société » L’interprétation du mot « défavorisés » est celle qui a été donnée dans les arrêts clés relatifs à l’article 15 comme Andrews, précité, Miron c. Trudel, précité, et Law, précité. Pour qu’un programme se qualifie, il n’est pas nécessaire que les membres du groupe soient tous défavorisés, il suffit que l’ensemble du groupe soit victime de discrimination (Kapp, précité, au paragraphe 55).

(iv) Programmes améliorateurs d’application restreinte

Jusqu’à l’arrêt Cunningham de la Cour suprême, précité, il était difficile de déterminer de quelle façon le paragraphe 15(2) fonctionnerait dans les cas où le groupe demandeur a en commun avec le groupe bénéficiaire ciblé une histoire de désavantages équivalents et peut-être semblables. L’affaire Cunningham mettait en jeu une plainte en matière de discrimination entre les peuples autochtones présentée par des Indiens inscrits, laquelle contestait une loi provinciale qui autorisait les établissements métis à empêcher les Indiens inscrits d’en devenir membres. La Cour s’est fondée sur son approche dans Lovelace, précité, dans laquelle elle a conclu qu’un programme servant uniquement les intérêts des bandes visées par la Loi sur les Indiens ne faisait pas preuve de discrimination contre les parties demanderesses, les bandes non visées par la Loi sur les Indiens et les Métis. De la même manière, dans l’arrêt Cunningham, l’exclusion des Indiens inscrits demandeurs, un groupe tout autant défavorisé que les Métis, a été autorisée en vertu du paragraphe 15(2). La Cour a confirmé que la norme de retenue relativement au paragraphe 15(2) établie dans Kapp prévaut même lorsque les parties demanderesses ont une histoire semblable de désavantages et de marginalisation avec le groupe bénéficiaire ciblé (au paragraphe 53).

L’affaire Cunningham portait sur « un type particulier de programme améliorateur » dans la mesure où la loi contestée découlait de négociations d’autonomie gouvernementale avec les Métis et visait à « enrichir et à préserver l’identité, la culture et l’autonomie gouvernementale » (paragraphe 54). Il ne s’agissait pas d’un programme améliorateur typique qui confère des avantages à un groupe. Par conséquent, l’exclusion des Indiens inscrits a été jugée nécessaire à l’objectif du programme. Dans ce contexte factuel unique, la Cour a déclaré que l’exclusion du groupe demandeur doit « tendre à la réalisation de l’objet améliorateur ou y contribuer » (paragraphe 46).

À première vue, la norme de « tendre à la réalisation ou y contribuer » semble anormalement stricte étant donné la norme générale de retenue adoptée par la Cour dans l’arrêt Cunningham. Outre les affaires comme Cunningham qui ont trait à la préservation de l’identité culturelle, il est difficile de voir de quelle manière l’exclusion d’un autre groupe désavantagé permettrait de tendre à la réalisation d’un objet d’amélioration ou y contribuer. Par conséquent, il est raisonnable de s’attendre à ce qu’à l’exception du contexte unique des programmes conçus pour préserver des identités culturelles particulières, les programmes améliorateurs soient confirmés dans la mesure où l’exclusion du groupe demandeur n’est pas un moyen irrationnel de poursuivre l’objectif améliorateur énoncé.

Le rapport entre l’article 15 et l’article premier

Le rapport entre l’article 15 et l’article premier a été difficile à établir de façon entièrement satisfaisante au fil des années. C’est en raison des liens étroits qui existent entre certains éléments de l’analyse fondée sur l’article premier – qui évalue le caractère rationnel de la distinction contestée relativement au but invoqué de la mesure législative ou de la politique du gouvernement – et certains aspects de l’analyse fondée sur l’article 15, adoptés par la Cour suprême à différents moments (le facteur de correspondance établi dans l’arrêt Law, précité; la perpétuation d’un désavantage arbitraire, dans les arrêts Québec c. A et Taypotat, précités; et l’objet ou effet d’amélioration, avec prise en compte de la multiplicité des intérêts que la mesure tente de concilier, dans l’arrêt Withler, précité).

Dans l’arrêt Québec c. A., précité, les juges majoritaires de la Cour suprême ont souligné l’importance de maintenir la distinction analytique entre l’article 15 et l’article premier. Plus précisément, l’approche de la Cour dans l’arrêt Walsh, précité, a été rejetée au motif qu’elle traitait les vastes objectifs stratégiques que sont le respect de l’autonomie individuelle et de la liberté de choix dans le contexte de l’analyse fondée sur l’article 15, plutôt que relativement à la justification en vertu de l’article premier, à l’égard de laquelle le gouvernement a le fardeau de la preuve (voir paragraphes 340, 343, 384 et 422).

Dans l’arrêt Fraser, précité, la Cour suprême a rappelé l’importance de maintenir la distinction entre les deux étapes de l’analyse, qui sont fondées sur des dispositions différentes. La Cour a souligné que tout argument du gouvernement à propos du caractère nécessaire ou raisonnable de la loi ou de la mesure contestée doit être invoqué au titre de l’article premier. Pour que la discrimination puisse se justifier, il faut un objectif réel et urgent, et une preuve que les moyens employés pour l’atteindre sont bien proportionnés (Fraser, précité, aux paragraphes 79 et 80; voir aussi R. c. C.P., précité, au paragraphe 57). Toutefois, dans l'arrêt Sharma, précité, les juges majoritaires ont remis en question cette distinction analytique, en déclarant que "les objects du régime" et "les objectifs d’intérêt public particuliers visés" par une loi ou une mesure gouvernementale particulière sont des facteurs pertinents conformément à l'article 15 (au paragraphe 59).

À quelques reprises, la Cour suprême a conclu qu’une loi ou un programme autrement considéré comme discriminatoire était justifié au regard de l’article premier de la Charte (voir McKinney, précité; Weatherall c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 872; Egan, précité; Lavoie, précité; Terre-Neuve (Conseil du Trésor) c. N.A.P.E., [2004] 3 R.C.S. 381; et Québec c. A., précité).

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