Article 16 et 16.1 – Langues officielles du Canada

Disposition

Langues officielles du Canada

16.(1) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Canada; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada.

Langues officielles du Nouveau-Brunswick

(2) Le français et l'anglais sont les langues officielles du Nouveau-Brunswick; ils ont un statut et des droits et privilèges égaux quant à leur usage dans les institutions de la Législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick.

Progression vers l’égalité

(3) La présente charte ne limite pas le pouvoir du Parlement et des législatures de favoriser la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français et de l'anglais.

Communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick

16.1(1) La communauté linguistique française et la communauté linguistique anglaise du Nouveau-Brunswick ont un statut et des droits et privilèges égaux, notamment le droit à des institutions d'enseignement distinctes et aux institutions culturelles distinctes nécessaires à leur protection et à leur promotion.

Rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick

(2) Le rôle de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick de protéger et de promouvoir le statut, les droits et les privilèges visés au paragraphe (1) est confirmé.

Dispositions semblables

Le paragraphe 16(1) de la Charte est repris presque intégralement dans l’article 2 la Loi sur les langues officielles fédérale. Ce dernier article énonce l’objet de la Loi qui est :

Le paragraphe 16.1(1) de la Charte est repris à l’article 2 de la Loi reconnaissant l'égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick.

Objet

Le paragraphe 16(1) de la Charte constitutionnalise la déclaration de l'égalité de statut des langues officielles qui était énoncée à l'article 2 de la Loi sur les langues officielles de 1969 et que l’on retrouve au même article de la Loi sur les langues officielles de 1988, qui est venue abroger et remplacer la loi de 1969.

Le paragraphe 16(1) sert de fondement constitutionnel au droit des fonctionnaires fédéraux de pouvoir travailler dans la langue officielle de leur choix (Association des gens de l’air, Schreiber au par. 125, Tailleur au par. 138).

Le paragraphes 16.1(1) et (2) de la Charte sont entrés en vigueur le 12 mars 1993 et ils fixent certains principes exprimés dans la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick, promulguée en 1981.

Bien que l'importance précise de l'article 16 soit débattue dans la doctrine, il constitue à tout le moins un indice très révélateur de l'objet des garanties linguistiques contenues dans la Charte. En adoptant ces garanties constitutionnelles spéciales, le gouvernement fédéral et le gouvernement du Nouveau-Brunswick ont démontré leur engagement à réaliser le bilinguisme officiel dans leurs ressorts respectifs. Peu importe qu’il soit visionnaire, qu’il soit déclaratoire ou qu’il participe d’une disposition de fond, l’article 16 est un outil important dans l’interprétation des autres dispositions linguistiques de la Charte. (Mercure au par. 46, Société des Acadiens au par. 21)

Analyse

A) Les dispositions de portée nationale

1. La portée des mots « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada » utilisés au paragraphe 16(1) de la Charte

Le paragraphe 16(1) de la Charte parle des « institutions du Parlement et du gouvernement du Canada ». Une formulation identique est employée au par. 20(1) de la Charte.

Le champ d’application exact de ces mots ne fait pas l’objet d’un consensus et n’a pas encore été précisé par la jurisprudence. Certains auteurs (Voir Constitutional Law et Droits linguistiques au Canada) estiment que le champ d’application du paragraphe 16(1) est plus restreint que celui du paragraphe 32(1) de la Charte, en raison de la présence du terme « institution » ; alors que d’autres soutiennent que les articles 16 et 32 ont un champ d’application équivalent (Voir Société des Acadiens 2005au par. 37, Moncton aux pars. 97 et suivants et Droit constitutionnel à la page 844 dans le contexte du paragraphe 16(2) et de l’alinéa 32(1)b)).

À noter qu’à l’article 3 de la Loi sur les langues officielles, le législateur a précisé le champ d’application de la Loi en définissant le terme « institution fédérale ». On entend par institutions fédérales : « les institutions du Parlement et du gouvernement du Canada, dont le Sénat, la Chambre des communes, la bibliothèque du Parlement, le bureau du conseiller sénatorial en éthique et le bureau du commissaire aux conflits d’intérêts et à l’éthique, le Service de protection parlementaire, le bureau du directeur parlementaire du budget, les tribunaux fédéraux, tout organisme — bureau, commission, conseil, office ou autre — chargé de fonctions administratives sous le régime d’une loi fédérale ou en vertu des attributions du gouverneur en conseil, les ministères fédéraux, les sociétés d’État créées sous le régime d’une loi fédérale et tout autre organisme désigné par la loi à titre de mandataire de Sa Majesté du chef du Canada ou placé sous la tutelle du gouverneur en conseil ou d’un ministre fédéral. Ne sont pas visés les institutions de l’Assemblée législative du Yukon, de l’Assemblée législative des Territoires du Nord-Ouest ou de l’Assemblée législative du Nunavut ou celles de l’administration de chacun de ces territoires, ni les organismes — bande indienne, conseil de bande ou autres — chargés de l’administration d’une bande indienne ou d’autres groupes de peuples autochtones. »

2. Le principe de l'égalité contenu au paragraphe 16(1)

Le principe de progression contenu dans le paragraphe 16(3) de la Charte n’épuise pas le paragraphe 16(1) qui reconnaît officiellement le principe de l’égalité des deux langues officielles du Canada. Il ne limite pas la portée de l’article 2 de la Loi sur les langues officielles. L’égalité n’a pas un sens plus restreint en matière linguistique. En ce qui concerne les droits existants, l’égalité doit recevoir son sens véritable. La Cour suprême du Canada a reconnu que l’égalité réelle est la norme applicable en droit canadien. (Beaulac au par. 22)

L’idée que le paragraphe 16(3) limite la portée du paragraphe 16(1) doit également être rejetée. Ce paragraphe confirme l’égalité réelle des droits linguistiques constitutionnels qui existent à un moment donné. L’article 2 de la Loi sur les langues officielles a le même effet quant aux droits reconnus en vertu de cette loi. Ce principe d’égalité réelle a une signification : les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent en conséquence des obligations pour l’État. Ce principe signifie également que l’exercice des droits linguistiques ne doit pas être considéré comme exceptionnel, ni comme une sorte de réponse à une demande d’accommodement. (Beaulac au par. 24)

Dans la décision Thibodeau, la Cour fédérale a conclu qu’Air Canada avait manqué à ses obligations linguistiques en n’accordant pas l’égalité de statut au français et à l’anglais, prévu au par. 16(1) de la Charte. Selon la Cour, en affichant par exemple ‘EXIT’ en caractère plus gros que le mot ‘SORTIE’, Air Canada donnait prépondérance à une des langues officielles au lieu de leur donner un statut égal. Quant à l’idée avancée par Air Canada voulant que l’égalité réelle était atteinte sans qu’il y ait d’égalité formelle, la Cour a conclu qu’ « un traitement différent entre les deux langues peut être accepté s’il est nécessaire pour atteindre l’égalité réelle ou répondre à des besoins particuliers, ce qui n’est pas le cas en l’instance. » (Thibodeau au par. 47)

3. Le principe de la progression par voie législative énoncé au paragraphe 16(3)

Le paragraphe 16(3) de la Charte établit clairement que les dispositions constitutionnelles ne limitent pas le pouvoir du Parlement (ou d'une législature) de favoriser la progression vers l'égalité de statut et d'usage du français et de l'anglais.

Le principe d'avancement ou de progression consacre la règle énoncée dans l'arrêt Jones selon lequel la Constitution garantit un « plancher » et non un « plafond ». (Société des Acadiens au par. 68, Mercure au par. 46, Beaulac au par. 22, Hôpital Montfort au par. 92). Ce principe traduit l’aspiration d’une recherche d’égalité concrète. Cette aspiration revêt de l’importance pour interpréter la loi. (Hôpital Montfort au par. 92)

Dans la décision Hôpital Montfort, la Cour d’appel de l’Ontario rejette cependant l’argument selon lequel le paragraphe 16(3) de la Charte comprendrait un principe d’« encliquetage » qui confèrerait une protection constitutionnelle aux mesures prises pour faire progresser l’égalité linguistique. La Cour estime en effet que le paragraphe 16(3) protège, mais ne constitutionnalise pas les mesures prises pour faire avancer l’égalité linguistique. Selon la Cour, cette disposition n’est pas attributive de droit mais est plutôt destinée à prévenir toute contestation d’une action gouvernementale qui sinon contreviendrait à l’article 15 ou outrepasserait les pouvoirs législatifs d’un palier de gouvernement. (Hôpital Montfort au par. 72, Forum des maires au par. 42, MacKenzie au par. 56, Moncton au par. 63, Toronto au para. 67).

La Cour supérieure du Québec a quant à elle conclu que le paragraphe 16(3) ne peut être utilisé pour interpréter l’article 133 de la Loi constitutionnelle de 1867 « de manière à forcer l’État à adopter des mesures qui surpassent la protection requise par la constitution pour faire avancer l’égalité linguistique » (Lavigne au par. 34) Ainsi, le paragraphe 16(3) ne peut pas servir à élargir un droit constitutionnel.

La Loi sur les langues officielles constitue une illustration de la mise en œuvre du principe de progression des droits linguistiques par des moyens législatifs en application du paragraphe 16(3) de la Charte. (Beaulac au par. 22)

Un règlement municipal, qui exige que toutes les enseignes situées à l'extérieur d'un commerce soient affichées en anglais et en français, constitue également un exemple d'une utilisation du paragraphe 16(3) de la Charte pour renforcer les droits linguistiques dans la Constitution afin de favoriser un objectif immédiat et important, notamment celui de la progression vers l'égalité de statut ou d'usage du français. (Galganov au par. 178)

Le paragraphe 16(3) met à l’abri d’éventuelles contestations des mesures gouvernementales qui pourraient autrement être jugées contraires au par.15(1). Les articles 16 et 20, comme les autres dispositions affirmant l’existence de droits linguistiques, ne sont pas sujet à l’application de la clause de dérogation inscrite à l’article 33. Cela veut dire que ni le Parlement ni la législature du Nouveau-Brunswick ne peuvent se soustraire à ces dispositions. (Gaudet 2010 au par. 31)

B) Les dispositions applicables au Nouveau-Brunswick

1. Le paragraphe 16(2) de la Charte

Le paragraphe 16(2) de la Charte constitutionnalise le principe de l’égalité de statut, de droits et de privilèges du français et de l’anglais quant à leur usage dans les institutions de la législature et du gouvernement du Nouveau-Brunswick. (Moncton au par. 63).

Il ressort de l’analyse faite dans l’arrêt Beaulac que le principe de l’égalité inscrit au paragraphe 16(2) de la Charte doit recevoir son sens véritable, c’est-à-dire que l’égalité s’entend de l’égalité réelle qui constitue la norme applicable. Par égalité réelle, on entend que les droits linguistiques de nature institutionnelle exigent des mesures gouvernementales pour leur mise en œuvre et créent, en conséquence, des obligations pour le gouvernement. La Cour suprême du Canada a rejeté l’idée selon laquelle le paragraphe 16(3) limiterait la portée de l’égalité inscrite au paragraphe 16(2). (Moncton au par. 77)

La Cour d’appel du Nouveau-Brunswick a estimé que les critères visant à identifier les structures ou les fonctions des entités gouvernementales au sens de l’alinéa 32(1)b) de la Charte peuvent servir à interpréter l’expression « institutions de la législature et du gouvernement » utilisée au paragraphe 16(2) de la Charte. Appliquant ces critères, elle conclut que, d'après une interprétation large et libérale fondée sur l'objet de cette disposition, les municipalités du Nouveau-Brunswick sont des institutions du gouvernement au sens de ce paragraphe. (Moncton au par. 107) Dans la décision de la Cour suprême Ville de Saint John, la juge Charron, pour la majorité, estime au paragraphe 15 que cette conclusion est une opinion incidente. Elle ajoute que cette question n’a pas été tranchée par la Cour suprême et qu’elle ne se prononce pas sur la justesse de l’interprétation de la Cour d’appel dans Moncton.

2. Le paragraphe 16(3) de la Charte

Le paragraphe 16(3) de la Charte prévoit que non seulement le Parlement, mais aussi que les législatures provinciales peuvent favoriser la progression vers l'égalité de statut du français et de l'anglais. La Loi sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick découle du pouvoir conféré par l'article 16(3) à la législature du Nouveau-Brunswick. (Losier au pa. 24)

3. L’article 16.1 de la Charte

L’article 16.1 de la Charte constitutionnalise les principes de la Loi reconnaissant l’égalité des deux communautés linguistiques officielles au Nouveau-Brunswick. Cette égalité prévue à l’article 16.1 repose, non plus sur l’égalité des langues comme le prévoit le paragraphe 16(2), mais sur l’égalité des communautés linguistiques française et anglaise du Nouveau-Brunswick. À la différence du paragraphe 16(2), l’article 16.1 comporte des droits collectifs dont les titulaires sont les communautés linguistiques elles-mêmes. Également, l’article 16.1 reconnaît expressément le rôle de la législature et du gouvernement dans la protection et dans la promotion de l’égalité des communautés linguistiques officielles. En cela, il constitue un ensemble unique de dispositions constitutionnelles tout à fait particulier au Nouveau-Brunswick et lui réserve une place distincte au sein des provinces canadiennes (Moncton aux par. 63 et 79).

L’article 16.1 de la Charte témoigne de l’engagement du constituant envers l’égalité des communautés linguistiques française et anglaise au Nouveau-Brunswick. Il est un précieux indice de l’objet même des garanties linguistiques ainsi qu’une aide à l’interprétation des autres dispositions de la Charte. (Gaudet 2010 au par. 30). ) Il va sans dire que cette aide interprétative ne s’applique qu’aux dispositions de la Charte applicables aux institutions du Nouveau-Brunswick.

L’interprétation de l’article 16.1 est liée à celle du paragraphe 16(2) de la Charte. Les conclusions énoncées par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Beaulac quant à la nature et à la portée du principe de l’égalité sont applicables à l’article 16.1. Cette dernière disposition vise à maintenir les deux langues officielles, ainsi que les cultures qu’elles représentent, et à favoriser l’épanouissement et le développement des deux communautés linguistiques officielles. L'obligation imposée au gouvernement découle à la fois de la nature réparatrice du paragraphe 16.1(1), compte tenu des inégalités passées qui n'ont pas été redressées, et de l'engagement constitutionnel du gouvernement de protéger et de promouvoir l'égalité des communautés linguistiques officielles. Le principe de l'égalité des deux communautés linguistiques est une notion dynamique. Elle implique une intervention du gouvernement provincial qui exige comme mesure minimale l'égalité de traitement des deux communautés mais, dans certaines circonstances où cela s'avérait nécessaire pour atteindre l'égalité, un traitement différent en faveur d'une minorité linguistique afin de réaliser la dimension collective autant qu'individuelle d'une réelle égalité de statut. (Moncton au par. 80)

C) La Loi sur les langues officielles, exemple d’utilisation par le Parlement du principe de progression.

La Loi sur les langues officielles de 1988 constitue une illustration de la mise en œuvre du principe de progression des droits linguistiques par des moyens législatifs en application du paragraphe 16(3) de la Charte. (Beaulac au par. 22)

Un certain nombre des dispositions de la Loi vont au-delà des dispositions linguistiques de la Charte et constituent de ce fait une progression par rapport aux droits inscrits dans les textes constitutionnels. On peut citer notamment les dispositions suivantes :

Liste de la jurisprudence :

Liste de la doctrine citée :