Article 23 – Droits à l’instruction dans la langue de la minorité
Disposition
Langue d’instruction
23. (1) Les citoyens canadiens :
a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,
b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province,
ont, dans l'un ou l'autre cas, le droit d'y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.
Continuité d’emploi dans la langue d’instruction
(2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.
Justification par le nombre
(3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les articles (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d'une province :
a) s'exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l'instruction dans la langue de la minorité;
b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d'enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.
Dispositions similaires
Les provinces et territoires mettent en œuvre l’article 23 dans leur droit interne au moyen de dispositions législatives et règlementaires.
Objet
1. Objet général
L’objet général de l’article 23 de la Charte est clair : il vise à maintenir les deux langues officielles du Canada ainsi que les cultures qu’elles représentent et à favoriser l’épanouissement de chacune de ces langues, dans la mesure du possible, dans les provinces où elle n’est pas parlée par la majorité (Mahe (Mahe c. Alberta, [1990] 1 R.C.S. 342), au paragraphe 31).
À cet égard, l’article 23 signifiait plus que des enseignants qui dispensent de l'instruction en français à des élèves qui la reçoivent dans cette langue, et que les établissements d'enseignement devaient être « objectivement identifiables » à la minorité linguistique (Re Education Act of Ontario (Re Education Act of Ontario and Minority Language Education Rights, 10 D.L.R. (4th) 491, (C. A. On.), au paragraphe 107).
L’article 23 cherche à atteindre le maintien et l’épanouissement de la minorité en accordant aux parents appartenant à la minorité linguistique des droits à un enseignement dispensé dans leur langue partout au Canada La garantie est indissociable d'une préoccupation à l'égard de la culture véhiculée par la langue en question. Une langue est plus qu'un simple moyen de communication; elle fait partie intégrante de l'identité et de la culture du peuple qui la parle (Mahe aux paragraphes 31-32).
Le droit à l’instruction dans la langue de la minorité vise à rehausser le bilinguisme et le biculturalisme canadiens et à maintenir le partenariat unique entre les groupes linguistiques qui démarque le Canada d’autres pays (CSF de la C-B (Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique v. British Columbia, 2016 BCSC 1764), au paragraphe 123).
De plus, l’article 23(1)b) et l’article 23(2) de la Charte partagent le même objet et doivent être interprétés de la même façon. L’article 23(2) a aussi pour objet précis de garantir le droit à la continuité de l’instruction dans la langue de la minorité, de préserver l’unité familiale et de favoriser la liberté de circulation et d’établissement (Solski (Solski (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 201), au paragraphe 2).
2. Caractère réparateur
L’article 23 de la Charte a également un caractère réparateur. L’histoire révèle que l’article 23 est destiné à remédier, à l’échelle nationale, à l’érosion progressive des minorités parlant l’une ou l’autre langue officielle, à appliquer la notion de « partenaires égaux » des deux groupes linguistiques officiels dans le domaine de l’éducation et en favorisant activement leur épanouissement (Mahe au paragraphe 35; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) (Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.), [1993] 1 R.C.S. 839) à la page 79; Arsenault-Cameron (Arsenault-Cameron c. Île-du-Prince-Édouard, [2000] 1 R.C.S. 3) aux paragraphes 26-27; Doucet-Boudreau (Doucet-Boudreau c. Nouvelle-Écosse (Ministre de l’Éducation), [2003] 3 R.C.S. 3) au paragraphe 28; CSF de la C-B au paragraphe 127).
L’article 23 garantit le droit à l’instruction dans la langue de la minorité en tant qu’outil pour combattre l’assimilation. Les écoles ont le devoir d’essayer de combattre l’assimilation, même si elles ne servent que leurs étudiants jusqu’à ce que ceux-ci s’assimilent (CSF de la C-B au paragraphe 343). L’article 23 exige que le gouvernement agisse promptement afin d’empêcher l’assimilation (CSF de la C-B au paragraphe 6455). De plus, il faut agir promptement pour empêcher l’assimilation et éviter que des générations de titulaires de droits perdent leurs droits (CSF de la C-B aux paragraphes 419 et 6841).
3. Assise d’un Canada bilingue et biculturel
La protection constitutionnelle des droits linguistiques des minorités est nécessaire pour assurer la solidité et la vitalité des communautés linguistiques minoritaires, composantes essentielles à l’épanouissement du Canada comme pays bilingue (Solski au paragraphe 2).
La présence même de l’article 23 de la Charte témoigne de la reconnaissance, par la Constitution canadienne, du caractère essentiel des deux langues officielles dans la formation du Canada et dans sa vie contemporaine (Solski au paragraphe 6; Lavigne (Lavigne c. Canada (Commissariat aux langues officielles), [2002] 2 R.C.S. 773) au paragraphe 22).
L’article 23 de la Charte constitue la clef de voûte de l’engagement du Canada envers le bilinguisme et le biculturalisme (Mahe au paragraphe 2; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) à la page 79; Arsenault-Cameron au paragraphe 26; Gosselin (Gosselin (Tuteur de) c. Québec (Procureur général), [2005] 1 R.C.S. 238) au paragraphe 28; (Rose-des-vents (Association des parents de l’école Rose-des-vents c. Colombie-Britannique (Éducation), 2015 CSC 21) au paragraphe 25).
L’article 23 a pour but de protéger la force et l’unité canadiennes en préservant les langues officielles et leurs cultures (CSF de la C-B au paragraphe 118).
4. Liens entre la langue et la culture
Toute garantie générale de droits linguistiques, surtout dans le domaine de l’éducation, est indissociable d’une préoccupation à l’égard de la culture véhiculée par la langue en question. Les écoles de la minorité servent elles-mêmes de centres communautaires qui peuvent favoriser l’épanouissement de la culture de la minorité linguistique et assurer sa préservation. Ce sont des lieux de rencontre dont les membres de la minorité ont besoin et des locaux où ils peuvent donner expression à leur culture (Mahe au paragraphe 33; Solski au paragraphe 3).
L’école est l’institution la plus importante pour la survie de la minorité linguistique officielle, qui est elle-même un véritable bénéficiaire en vertu de l’article 23 de la Charte (Arsenault-Cameron au paragraphe 29; CSF de la C-B au paragraphe 367). Des écoles de langue minoritaire sont des bases auxquelles d’autres institutions et initiatives communautaires peuvent se greffer pour contrebalancer l’influence de la langue majoritaire (CSF de la C-B au paragraphe 368). Les écoles de langue minoritaire servent également à socialiser les enfants en langue et culture françaises et elles jouent un rôle essentiel à favoriser le bilinguisme additif et non soustractif (CSF de la C-B au paragraphe 368).
5. Droit individuel et collectif
Contrairement à d’autres dispositions de la Charte, l’article 23 ressemble plus à un droit qu’à une liberté (CSF de la C-B aux paragraphes 411 et 419). L’article 23 garantit à la fois un droit social et collectif et un droit civil et individuel (Solski au paragraphe 33). Les droits prévus par l'article 23 sont conférés individuellement aux parents appartenant à un groupe linguistique minoritaire. La jouissance de ces droits n'est pas liée à la volonté du groupe minoritaire auquel ils appartiennent (Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) au paragraphe 46).
6. Interprétation de l’article 23
Le fait que les droits linguistiques constitutionnels découlent d’un compromis politique n’est pas une caractéristique attachée uniquement à ces droits et ce fait n’a aucune incidence sur leur portée (Beaulac, (R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768) au paragraphe 24).
Comme d’autres dispositions de la Charte, l’article 23 a un caractère réparateur. Il est donc important de comprendre le contexte historique et social de la situation à corriger, notamment les raisons pour lesquelles le système d’éducation ne répondait pas aux besoins réels de la minorité linguistique officielle en 1982 et pourquoi il n’y répond peut-être toujours pas aujourd’hui. Il faut clairement tenir compte de l’importance de la langue et de la culture dans le domaine de l’enseignement ainsi que de l’importance des écoles de la minorité linguistique officielle pour le développement de la communauté de langue officielle lorsqu’on examine les mesures prises par le gouvernement pour répondre à la demande de services. Comme la Cour suprême du Canada l’a expliqué dans l’arrêt R. c. Beaulac, [1999] 1 R.C.S. 768 « […] les droits linguistiques doivent dans tous les cas être interprétés en fonction de leur objet, de façon compatible avec le maintien et l’épanouissement des collectivités de langue officielle au Canada
». Une interprétation fondée sur l’objet des droits prévus à l’article 23 repose sur le véritable objectif de cet article qui est de remédier à des injustices passées et d’assurer à la minorité linguistique officielle un accès égal à un enseignement de grande qualité dans sa propre langue, dans des circonstances qui favoriseront le développement de la communauté (Arsenault-Cameron au paragraphe 27; Doucet-Boudreau au paragraphe 23).
Il faut interpréter l’article 23 de façon téléologique, réparatrice et contextuelle (CSF de la C-B au paragraphe 134). Les cours doivent prôner une interprétation de l’article 23 qui est réceptive au contexte historique et sociale de la situation à remédier (CSF de la C-B au paragraphe 132). Étant donné que l’interprétation de l’article 23 est réparatrice et contextuelle, elle impliquera une pondération des intérêts et nécessite une sensibilité au contexte unique du groupe linguistique minoritaire dans chaque province (CSF de la C-B au paragraphe 133).
En raison du caractère national de l’article 23 de la Charte, la Cour suprême du Canada a interprété les droits qu’il confère de façon uniforme pour toutes les provinces (Quebec Protestant School Boards (P.G. (Qué) c. Quebec Protestant School Boards, [1984] 2 R.C.S. 66) à la page 79; Mahe au paragraphe 35; Renvoi de 1985 sur le Manitoba au paragraphe 40; Arsenault-Cameron au paragraphe 26; Solski au paragraphe 21).
Cependant, le contexte historique et social propre à chaque province n’est pas pour autant dépourvu de pertinence; il faut en tenir compte dans l’examen des approches adoptées par les provinces pour appliquer ces droits. Ainsi, l’application de l’article 23 de la Charte doit tenir compte des disparités très réelles qui existent entre la situation de la communauté linguistique minoritaire du Québec et les communautés linguistiques minoritaires des autres provinces (Solski aux paragraphes 21 et 34). Il faut aussi tenir compte du contexte historique et social propre à chaque province dans les cas où une justification au sens de l’article premier de la Charte est nécessaire (Solski au paragraphe 21).
Analyse
Teneur et restrictions
1. Les conditions générales
(i) Citoyenneté
L’article 23 de la Charte réserve ce droit aux seuls citoyens canadiens (CSF de la C-B au paragraphe 579). Une approche téléologique ne peut modifier le libellé de l’article 23 qui est clair quant à l’exigence de la citoyenneté, au contraire de l’article 7 qui, lui, est applicable à « chacun » (CSF de la C-B aux paragraphes 577-578). Les enfants d’immigrants n’ayant pas la citoyenneté canadienne ne peuvent donc figurer dans le calcul des enfants qui pourraient éventuellement se prévaloir du service (CSF de la C-B au paragraphe 579).
(ii) Autorité parentale
Les droits prévus à l’article 23 sont accordés aux parents.
La question de savoir qui est un parent, et quelle part il peut prendre aux décisions concernant l’instruction des enfants, doit être tranchée selon la loi du lieu de résidence du parent puisque l’instruction relève des compétences provinciales.
En cas de litige au niveau de la garde des enfants, il conviendra de tenir compte, dans l’intérêt de l’enfant, d’un certain nombre de facteurs culturels et linguistiques (Bastarache (Mark C. Power, « Les droits linguistiques en matière d’éducation » dans Michel Bastarache et Michel Doucet, dir., Les droits linguistiques au Canada, Cowansville, 3e éd., Les éditions Yvon Blais, 2013) à la page 681). Lors de la détermination des conditions de garde, la langue d’instruction des enfants doit être prise en compte dans l’appréciation de l’intérêt véritable des enfants. Un tribunal doit être particulièrement sensible à la langue d’instruction dans le cas où il n’y a qu’un parent de la minorité linguistique et le parent de la majorité linguistique se voit accorder la garde. Dans de telles circonstances, il y aura nécessairement moins de contact avec le parent de la minorité et le milieu linguistique et culturel des enfants sera probablement celui de la majorité linguistique. En milieu linguistique minoritaire, les écoles homogènes dans la langue de la minorité sont généralement préférables aux programmes d'immersion pour assurer le maintien et la transmission des deux langues et pour permettre aux enfants de bénéficier de l'avantage d'un bilinguisme de plus haut niveau (Perron (Perron v. Perron, 2012 ONCA 811) aux paragraphes 40, 42-44).
L’article 23 n’accorde pas le pouvoir aux conseils scolaires d’admettre des enfants dont un des grands-parents était un ayant-droit, (Yukon, (Commission scolaire francophone du Yukon, district scolaire #23 c. Yukon (Procureure générale), 2015 CSC 25) au paragraphe 74)
(iii) Résidence
Pour bénéficier de l’article 23, un parent doit « résider » dans une province ou un territoire. L’article 23 a ainsi une portée qui ne tient en rien aux limites territoriales des compétences d’un conseil scolaire, ces limites ne devant pas faire obstacle à l’exercice des droits qui y sont énoncés (Bastarache à la page 684; Mahe à la page 386).
Pour certains, faute de définition légale, ou afin de compléter une définition, la notion de résidence devrait être définie en vertu de la common law, ou, au Québec, en vertu des règles du droit civil (Bastarache à la page 684).
Une province n’assume aucun devoir en matière d’instruction dans la langue de la minorité relativement aux parents des élèves qui résident en une autre province (Conseil Scolaire Fransaskois (R. c. Conseil Scolaire Fransaskois, 2013 SKCA 35) au paragraphe 51).
Par ailleurs, l’article 23 ne prévoit pas de période minimale de résidence dans une province ou un territoire pour pouvoir bénéficier de ce droit.
(iv) Instruction aux niveaux primaire et secondaire
L’article 23 n’accorde aux parents admissibles que le droit de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle de la minorité aux niveaux primaire et secondaire. Il ne vise pas expressément l’enseignement préscolaire ou postsecondaire. Rien ne permet d’interpréter cet article de manière à inclure l’enseignement préscolaire ou les garderies; les rédacteurs de la Charte ont manifestement exclu ces droits (CA Yellowknife, (Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c Association des parents ayants droit de Yellowknife, 2015 CATN-O 2) au paragraphe 81).
Cependant, la portée de l’expression « enseignement primaire » est susceptible d’évoluer avec le temps. Si le gouvernement englobe les prématernelles dans ses lois dans le cadre de l’enseignement primaire pour les établissements scolaires de la majorité linguistique, il est probable que l’enseignement de niveau similaire soit protégé en vertu de l’article 23 dans le cas des écoles de la minorité linguistique. Les tribunaux supérieurs seraient l’arbitre ultime en cas de conflit, mais dès lors que les décisions sont été prises de bonne foi et qu’elles répondent à une définition acceptable du point de vue constitutionnel de l’expression « enseignement primaire », l’intervention judiciaire ne serait pas justifiée (CA Yellowknife, au paragraphe 80).
Dans l’affaire CSF de la C-B, la Cour conclut que l’éducation de la petite enfance en Colombie-Britannique n’est pas visée par l’article 23 de la Charte (« instruction au niveau primaire ») (CSF de la C-B au paragraphe 1866). La province de la Colombie-Britannique a mis en place un système d’éducation qui commence par la maternelle et qui termine en douzième année; la province pourrait étendre la signification de « l’instruction au niveau primaire et secondaire » à l’éducation de la petite enfance, mais elle ne l’a pas fait et elle n’a pas l’obligation de le faire (CSF de la C-B au paragraphe 1869). Cette détermination comporte deux exceptions : le programme « Strong Start » et les espaces « NLC » pour des fournisseurs de services à la communauté (CSF de la C-B aux paragraphes 1872-1873).
(v) Délimitation géographique et entités responsables de l’application de l’article 23
L’article 23 s’applique aux provinces, en vertu de leur compétence constitutionnelle en éducation (article 93, L.C. 1867). Pour ce qui est des territoires, l’article 23 s’applique aux Territoires du Nord-Ouest et au Yukon par le truchement de l’article 30 de la Charte. Il n’est pas précisé si l’article 23 s’applique au Nunavut, mais certains auteurs le croient également assujetti.
En effet, les articles 23(1)a) et b), ainsi que l’article 23(3)a) parlent de la minorité linguistique anglophone ou francophone « de la province », le second employant aussi l’expression « qui résident dans la province ». L’article 23(3)b) évoque également le nombre d’enfants « dans la province ». L’article 23(2) parle, par contre, d’enfants recevant leur instruction aux niveaux primaire ou secondaire, en français ou en anglais « au Canada », ce qui englobe manifestement les trois territoires (Nunavut, Yukon, Territoires du Nord-Ouest). Selon l’article 30 de la Charte, les dispositions qui visent les provinces visent également le Yukon et les Territoires du Nord-Ouest. Selon Bastarache, ce ne serait pas du tout extrapoler l’objet de l’article 23 que de dire que l’article 23(1) et l’article 23(3)a) s’appliquent également aux minorités de langue officielle du Nunavut. Le fait que l’article 30 vise les deux territoires existant lors de l’entrée en vigueur de l’article 23, que l’article 23(2) s’applique au Canada tout entier et que l’article 23(3)b) ne fait pas explicitement mention de « province », porte à penser que l’article 23 s’applique également au Nunavut (Bastarache aux pages 689-690).
La Charte lie non seulement la province, mais également les conseils scolaires (CSF de la C-B au paragraphe 6346). Les provinces ont à leur disposition des mécanismes qui leur permettent de voir à la bonne gouvernance des conseils scolaires (Rose-des-vents, 2015 CSC 21 au paragraphe 62).
Un consortium de transport scolaire est également soumis à l’article 23 de la Charte. Le consortium est à toutes fins utiles une filiale du ou une entité apparentée au conseil scolaire. En effectuant la gestion et le contrôle du transport scolaire, il exerce une fonction gouvernementale déléguée par le Conseil scolaire (Clermont, (Clermont c. Consortium de transport scolaire d’Ottawa, 2014 ONCS 948) au paragraphe 13).
(vi) Minorité linguistique
L’article 23 précise qu’il s’agit de la minorité linguistique d’une province. Ainsi, il n’importe pas qu’une communauté de langue officielle minoritaire soit majoritaire dans une localité ou région donnée, en autant qu’elle soit minoritaire au sein de la province.
(vii) Les écoles privées
L’article 23 prévoit le financement, sur fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité. Il y a aussi au Canada des écoles privées offrant un enseignement primaire et secondaire payant, mais l’article 23 n’accorde pas aux parents admissibles un droit constitutionnel de faire instruire leurs enfants dans de tels établissements.
Est-ce que l’inscription dans une école privée ouvre l’accès aux écoles relevant de l’article 23?
Dans une certaine mesure, les arrêts Solski et Nguyen nous indiquent qu’il est possible, lorsque certaines conditions sont remplies, que la fréquentation d’une école privée de langue minoritaire ouvre l’accès aux écoles relevant de l’article 23. Toutefois, lorsque des écoles au Québec sont établies principalement dans le but d’aménager le transfert d’élèves non admissibles au réseau anglophone financé par les fonds publics et que leur enseignement sert, en effet, à réaliser ce transfert, on ne saurait affirmer que l’on se retrouve devant un parcours scolaire authentique. Il faut examiner la situation de chaque institution, notamment la nature et l’histoire de l’institution et le type d’enseignement qu’on y donne, ainsi que la nature et le comportement de sa clientèle (Nguyen (Nguyen c. Québec (Éducation, Loisir et Sport), [2009] 3 R.C.S. 208) aux paragraphes 36 et 44). La Cour suprême met également en garde contre les parcours scolaires artificiels destinés à contourner les objectifs de l’article 23 et à créer des catégories nouvelles d’ayants droit dont l’existence dépend de la seule discrétion des parents (Nguyen au paragraphe 29). Voir ci-dessous : « L’instruction des enfants »
(viii) Les titulaires des droits
Les titulaires des droits de l’article 23 de la Charte ne sont pas les enfants, même si la norme d’application est celle de la langue d’instruction de l’enfant; mais les parents, citoyens canadiens, répondant à l’une des trois conditions énumérées à l’article 23 (Van Vlymen (Van Vlymen v. Canada (Solicitor General) (2004), 189 C.C.C. (3d) 538) au paragraphe 16; Solski aux paragraphes 29 et 32).
Cette classification spécifique se trouve au cœur même de la disposition car elle est le moyen choisi par le constituant pour identifier les titulaires des droits qu’il entend garantir. Une législature ne peut, par une simple loi, validement écarter le moyen ainsi choisi par le constituant et toucher à cette classification. Encore moins peut-elle la refaire et en remodeler les catégories (Quebec Protestant School Boards à la page 80). Un gouvernement provincial qui offrirait à tous les citoyens un accès égal aux écoles destinées aux minorités linguistiques manquerait à son obligation de « faire ce qui est pratiquement faisable pour maintenir et promouvoir l’instruction dans la langue de la minorité » (Arsenault-Cameron au paragraphe 26; Gosselin au paragraphe 32).
Il existe trois catégories d’ayants-droit : ceux qui sont titulaires de droits en vertu de leur langue maternelle, de leur instruction ou de l’instruction de leurs enfants (SCF de la C-B au paragraphe 479).
Les différentes catégories sont détaillées ci-dessous :
2. Catégories spécifiques de titulaires
(i) La première langue apprise et encore comprise
Selon l’article 23(1)a), les parents dont la première langue apprise et encore comprise (ou langue maternelle) n’importe où dans le monde est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où le parent réside ont le droit de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.
Cependant, en raison de l’article 59 de la Loi constitutionnelle de 1982, l’article 23(1)a) de la Charte ne s’applique pas au Québec.
(ii) La langue d’instruction des parents
Selon l’article 23(1)b), les parents qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français et en anglais, au Canada, et que cette langue d’instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où le parent réside, ont le droit de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.
Les termes « ont reçu » énoncés à l’article 23(1)b) évoquent le « dossier scolaire », le « cheminement scolaire » ou encore le « parcours scolaire ». L’article 23(1)b) et l’article 23(2) partagent le même objet et doivent être interprétés de la même façon (Solski au paragraphe 32).
(iii) L’instruction des enfants
Selon l’article 23(2), les parents dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada et que cette langue d’instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident, ont le droit de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.
L’article 23(2) vise la langue d’instruction de l’enfant, plutôt que celle des parents, bien que ces derniers demeurent en définitive les titulaires des droits garantis (Nguyen au paragraphe 24).
Par ailleurs, les droits accordés par l’article 23(2) s’appliquent indépendamment du fait que les parents ou les enfants admissibles fassent partie de l’une des deux communautés linguistiques minoritaires francophone et anglophone, ou parlent l’une de ces langues à la maison, ou même aient une connaissance pratique de la langue de la minorité protégée (Nguyen au paragraphe 27). Le changement de résidence entre deux provinces ne représente pas non plus l’une des conditions d’exercice des droits garantis (Nguyen au paragraphe 27).
Les termes « a reçu », utilisés dans l’expression « a reçu ou reçoit» à l’article 23(2), évoquent le « dossier scolaire », le « cheminement scolaire » ou encore le « parcours scolaire » (Solski au paragraphe 32). Les gouvernements provinciaux ou territoriaux ont le droit de s’assurer que l’inscription au programme en question, la participation globale à ce programme et le cheminement scolaire antérieur et actuel de l’enfant, concordent avec l’appartenance à la catégorie de bénéficiaires définie à l’article 23(2) de la Charte (Solski au paragraphe 48).
L’évaluation globale du cheminement de l’enfant, effectuée d’un point de vue qualitatif, repose sur un ensemble de facteurs, d’importance variable selon les faits propres à chaque cas. Ces facteurs incluent notamment les éléments suivants : a) le temps passé dans divers programmes d’études, b) l’étape des études à laquelle le choix de la langue d’instruction a été fait, c) les programmes offerts et d) l’existence de problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés (Nguyen au paragraphe 29; Solski au paragraphe 33).
(a) Le temps passé dans chaque programme
L’article 23(2) de la Charte ne précise pas de période minimale que l’enfant devrait passer dans un programme d’enseignement de la minorité pour bénéficier des droits reconnus par la Constitution. Toutefois, un court passage dans une école de la minorité ne témoigne pas d’un engagement réel et ne peut suffire, à lui seul, à obtenir le statut d’ayant droit visé à l’article 23 de la Charte. À cet égard, la Cour suprême met en garde contre les parcours scolaires artificiels destinés à contourner les objectifs de l’article 23 et à créer des catégories nouvelles d’ayants droit dont l’existence dépend de la seule discrétion des parents (Nguyen au paragraphe 29).
Bien qu’il ne s’agisse pas d’un facteur déterminant, il est néanmoins important de prendre en considération la période totale, les études primaires et secondaires combinées, que l’enfant a passée dans le programme d’enseignement dans la langue de la minorité pour déterminer si l’ensemble de son cheminement scolaire satisfait aux exigences de l’article 23(2) de la Charte (Solski au paragraphe 39).
Le temps passé dans le système d’enseignement dans la langue de la majorité ne doit pas être considéré comme indiquant un choix de cette langue comme langue d’instruction de l’enfant dans le cas où aucune école de la minorité linguistique n’était disponible. À ce titre, le contexte géographique a toujours de l’importance (Solski au paragraphe 43).
(b) L’étape des études où le choix de la langue a été fait
Quelle a été la première langue d’enseignement ? Cela peut être un indice de l’intention d’adopter de façon permanente une langue de préférence à l’autre. Aussi, le choix de la langue de la minorité pour les études secondaires peut témoigner d’un engagement plus ferme et éclairé envers cette langue (Solski au paragraphe 42).
(c) Quels programmes sont offerts ou l’étaient ?
Selon une interprétation téléologique de l’article 23(2) de la Charte, le temps passé dans le système d’enseignement dans la langue de la majorité ne doit pas être considéré comme indiquant un choix de cette langue comme langue d’instruction de l’enfant dans le cas où aucune école de la minorité linguistique n’était disponible. L’article 23(2) vise notamment à favoriser la liberté de circulation et d’établissement. Cet objet serait contrecarré et les parents et leurs enfants, de même que l’ensemble de la communauté linguistique minoritaire, seraient injustement pénalisés si, au moment où ils déménagent dans une région où l’enseignement dans la langue de la minorité est disponible, des enfants étaient empêchés de poursuivre leurs études dans cette langue simplement parce qu’ils ont vécu temporairement dans une région où l’enseignement en question n’était pas offert. Là encore, il est évident que la situation des élèves qui déménagent au Québec est unique, du fait que la possibilité de recevoir un enseignement en anglais dans les territoires et les autres provinces n’est pas contestée. Comme nous l’avons vu, le contexte géographique a toujours de l’importance (Solski au paragraphe 43).
Il importe également d’adopter un point de vue socioculturel et de tenir compte de la situation de chaque enfant pour déterminer si des programmes d’enseignement dans la langue de la minorité sont offerts ou l’étaient. En examinant la situation qui existe dans une province autre que le Québec, il faut se rappeler qu’il se pourrait que des parents assimilés aient envoyé leur enfant à l’école de la majorité linguistique et que, dans la dernière portion du cheminement scolaire de l’enfant, ils se soient ravisés et l’aient inscrit à l’école de la minorité linguistique pour l’aider à réintégrer la communauté linguistique minoritaire et à en adopter la culture. Il se peut que l’enfant ait disposé d’un programme d’enseignement dans la langue de la minorité pendant tout son cheminement scolaire, mais que le choix de l’y inscrire ne soit devenu viable que lorsque les parents assimilés ont décidé de l’aider à rétablir des liens avec la communauté linguistique minoritaire et sa culture. Dans ce contexte, l’objet réparateur de l’article 23(2) entre en jeu et, comme nous l’avons vu, le droit qu’il garantit doit être interprété de manière à faciliter la réintégration, dans la communauté culturelle que l’école de la minorité est censée protéger et contribuer à épanouir, des enfants qui ont été isolés de cette communauté (Solski au paragraphe 44).
Cependant le constituant n’a pas voulu, en adoptant l’article 23, rétablir le principe du libre choix de la langue d’enseignement dans les provinces. Il faut rejeter tout système de qualification artificielle de l’enfant dans le but de le rendre admissible à l’école de la minorité (Nguyen aux paragraphes 35-36; K.K. (K.K. c. Québec (Ministre de l’Éducation, du Loisir et du Sport), 2010 QCCA 500) au paragraphe 7).
Lorsque des écoles au Québec sont établies principalement dans le but d’aménager le transfert d’élèves non admissibles au réseau anglophone financé par les fonds publics et que leur enseignement sert, en effet, à réaliser ce transfert, on ne saurait affirmer que l’on se retrouve devant un parcours scolaire authentique. Il faut examiner la situation de chaque institution, notamment la nature et l’histoire de l’institution et le type d’enseignement qu’on y donne, ainsi que la nature et le comportement de sa clientèle (Nguyen aux paragraphes 36 et 44).
(d) Existe-t-il des problèmes d’apprentissage ou d’autres difficultés ?
Un enfant qui éprouve des problèmes d’apprentissage dans la langue de la majorité sera pénalisé de manière inacceptable s’il est forcé de poursuivre ses études dans la langue de la majorité (Solski au paragraphe 45).
(iv) Les enfants de parents ne pouvant pas prétendre au droit énoncé à l’article 23
L’article 23 est un code complet qui protège des catégories particulières et bien définies de titulaires de droits. Cet article reflète un compromis politique soigneusement formulé, qui protège les enfants dont la première langue apprise et encore comprise est une langue minoritaire (CA Hay River (Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c Commission Scolaire Francophone, Territoires du Nord-Ouest, 2015 CATN-O 1) aux paragraphes 25, 26; Gosselin aux paragraphes 2, 21). Cet article confère des droits individuels et sa mise en œuvre dépend du nombre des élèves qualifiés. L’objet de l’article 23 n’est pas d’autoriser les enfants de personnes qui ne sont pas des ayants droit à apprendre une deuxième langue. Une telle interprétation aurait pour effet de déformer l’objet et la raison d’être de l’article 23 et d’estomper la délimitation très nette qui sépare les différentes catégories de titulaires de droits protégées par la Constitution. Par ailleurs, ces droits ne bénéficient pas aux petits-enfants ou à « tous les descendants », mais uniquement aux « enfants » (CA Hay River aux paragraphes 25-26).
Il est possible pour les gouvernements provinciaux ou territoriaux d’accorder aux commissions ou conseils scolaires de larges pouvoirs de contrôle, notamment concernant l’admission de non-ayants droit. Cependant, si la province ne délègue pas ce pouvoir à la Commission, celle-ci n’a pas le pouvoir d’admettre unilatéralement des enfants de non-ayants droit. (Yukon au paragraphe 74; CA Hay River aux paragraphes 21-23; CSF de la C-B au paragraphe 765). L’article 23 n’oblige pas les provinces d’adopter des lois permettant aux conseils scolaires d’admettre des non-ayants droit (CSF de la C-B au paragraphe 751).
Les droits accordés par l’article 23(2) s’appliquent indépendamment du fait que les parents ou les enfants admissibles fassent partie de l’une des deux communautés linguistiques minoritaires francophone et anglophone, ou parlent l’une de ces langues à la maison, ou même aient une connaissance pratique de la langue de la minorité protégée (Nguyen au paragraphe 27).
Si un non ayant-droit est admis à une école de langue officielle minoritaire, alors ses frères et sœurs ont effectivement ce droit en vertu de l’article 23(2) de la Charte. Même si le principal objet de l’article 23 est la protection de la langue et de la culture de la minorité linguistique par la voie de l’instruction, il n’est pas interdit d’interpréter l’article 23(2) selon son sens ordinaire, même si cela équivaut à accorder des droits à des personnes qui ne sont pas membres de la minorité linguistique. Plus il y aura de personnes qui pourront parler couramment les deux langues officielles du Canada, plus ce sera facile pour les minorités linguistiques de s’épanouir au sein de la collectivité (Abbey (Abbey c. Conseil de l’éducation du comté d’Essex (199), 42 R.J.O. (3d) 481) aux pages 498-500).
(a) Modalité d’application : le critère de l’échelle variable
L’article 23 établit une « exigence variable » de droits à l’instruction dans la langue de la minorité. L’approche fondée sur un critère variable permet de déterminer l’étendue des droits reconnus dans un cas donné, le niveau supérieur étant prévu à l’article 23(3)b) (le droit à des établissements d’enseignement) et le niveau inférieur, correspondant au mot «instruction », étant prévu à l’article 23(3)a). L’idée de critère variable signifie simplement que l’article 23 garantit le type et le niveau de droits et de services qui sont appropriés pour assurer l’instruction dans la langue de la minorité au nombre d’élèves en question (Mahe au paragraphe 39; CSF de la C-B au paragraphe 782). Ainsi, l’exigence variable est fonction du nombre d’enfants de parents admissibles.
Ainsi, bien que l’article 23 de la Charte garantisse un droit individuel d’être instruit dans la langue officielle minoritaire, ce droit ne peut être exercé que si le « nombre des enfants » le justifie. Il faut donc que les ayants-droit agissent collectivement pour bénéficier de l’exercice de leurs droits (Buckland Buckland v. Prince Edward Island, 2004 PESCTD 66) au paragraphe 51).
La justification par le nombre requiert l’examen de deux facteurs pour déterminer les exigences de l’article 23 de la Charte. Tout d’abord, il faut déterminer les services appropriés, sur le plan pédagogique, pour le nombre d’élèves en cause. Il faut ensuite examiner les coûts du service envisagé. Le caractère réparateur de l’article 23 laisse entendre que les considérations pédagogiques pèseront plus lourdement que les exigences financières quand il s’agira de déterminer si le nombre d’élèves justifie la prestation des services concernés (Mahe au paragraphe 79; Arsenault-Cameron au paragraphe 30; CSF de la C-B au paragraphe 787).
Les demandeurs doivent établir leurs droits en vertu de l’article 23 de la Charte, y compris la justification par le nombre. La province a l’obligation de promouvoir activement des services éducatifs dans la langue de la minorité et d’aider à déterminer la demande éventuelle. Dans l’affaire CSF de la C-B, la Cour a également déterminé que la CSF avait droit aux projections d’inscription de qualité équivalente à celles fournies à la majorité; le système actuel, qui fournit des projections inexactes et non pertinentes pour les fins de la minorité linguistique, est contraire à l’article 23 de la Charte (CSF de la C-B au paragraphe 6650). La demande éventuelle de services peut être déterminée en postulant que la demande établie augmenterait une fois les services offerts (Arsenault-Cameron aux paragraphes 34 et 59).
Une entente interprovinciale permettant de regrouper des élèves de différentes provinces afin d’atteindre un nombre suffisant répond aux exigences de l’article 23(1)b) de la Charte. De tels arrangements constituent des solutions novatrices qui permettent d’atteindre les objectifs visés par l’article 23 (Chubbs (Chubbs v. Newfounland & Labrador, 2004 PESCTD 66) au paragraphe 68).
La méthode du « critère variable » appliquée à l’article 23 de la Charte signifie que la norme numérique devra être précisée par l’examen des faits propres à chaque situation qui est soumise aux tribunaux. Le nombre pertinent est le nombre de personnes qui se prévaudront éventuellement du service, c’est-à-dire un nombre se situant approximativement entre la demande connue et le nombre total de personnes qui pourraient éventuellement se prévaloir du service (Mahe aux paragraphes 78 et 81; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) au paragraphe 34; Arsenault-Cameron au paragraphe 32; CSF de la C-B au paragraphe 479).
La détermination du nombre spécifique d’élèves qui entraîne l’application de l’article 23 de la Charte est contextuelle. Dans certaines circonstances, le nombre d’élèves suffisant devra être supérieur à d’autres cas où un nombre inférieur s’est avéré suffisant. Les circonstances et les solutions varieront selon la région du Canada. Afin de déterminer si le nombre d’élèves est suffisant, il est nécessaire, dans chaque cas, de revoir le nombre sur une base individuelle et selon les contextes géographique, social et culturel de la région en cause (Chubbs au paragraphe 18; CSF de la C-B au paragraphe 480).
3. Les droits reconnus
Le droit qui est prévu à l’article 23, soit d’être instruit dans la langue de la minorité, peut être décomposé en quatre éléments, dont l’étendue varie en fonction du critère variable exposé ci-dessus: le droit à l’instruction, le droit à des établissements, le droit à un certain degré de gestion et de contrôle, et le droit à un enseignement d’une qualité comparable à celui de la majorité.
Ainsi, au minimum, l’article 23 prévoira un droit à l’instruction aux niveaux primaire et secondaire dans la langue de la minorité, et ce droit ira en augmentant en fonction du nombre, suivant le critère de l’échelle variable. À la limite supérieure de l’échelle variable, le nombre justifie la fourniture du plus haut niveau de services à la communauté linguistique minoritaire. Dans un tel cas, les titulaires de droits doivent bénéficier d’établissements d’enseignement complets, distincts de ceux offerts à la majorité linguistique, mais de qualité équivalente. Le niveau supérieur de l’échelle variable prévoit également la création de conseils scolaires séparés pour la minorité linguistique (Rose-des-vents, au paragraphe 29). Dans l’affaire CSF de la C-B, la Cour semble introduire un droit se situant entre le droit à l’instruction et le droit aux établissements équivalents : le droit aux services proportionnés (CSF de la C-B au paragraphe 2126). L’analyse sur les services proportionnés devrait miroiter l’analyse sur la qualité équivalente en employant une comparaison locale de l’expérience éducative globale de la perspective d’un titulaire de droits raisonnable (CSF de la C-B au paragraphe 2124). Lors d’un examen sur les services proportionnés, la question à laquelle il faut répondre est la suivante : un titulaire de droits raisonnable trouverait-il une école de la minorité suffisamment disproportionnée aux établissements fournis à la majorité et ce, sur la base d’une comparaison locale de l’expérience éducative globale? (CSF de la C-B au paragraphe 853). Il n’est pas suffisant d’examiner un seul aspect de l’instruction pour voir si cet aspect rencontre le standard approprié; il faut plutôt examiner l’expérience éducative globale (CSF de la C-B au paragraphe 4962).
L’article 23 comporte des limites pratiques; le gouvernement doit prendre des mesures là où praticable pour préserver et promouvoir l’instruction dans la langue de la minorité, mais cette obligation ne s’étend pas au-delà de ce qu’exige l’article 23 (CSF de la C-B aux paragraphes 420-421 et 6504).
Les autres composantes du droit prévu à l’article 23 sont détaillées ci-dessous.
(i) Le droit à l’instruction
L’article 23 prévoit au minimum le droit à l’instruction aux niveaux primaire et secondaire dans la langue de la minorité (article 23(3)a)).
En ce qui a trait plus spécifiquement aux exigences pédagogiques, il est important de considérer la valeur de l’enseignement dans la langue de la minorité comme un élément de la détermination des services appropriés pour le nombre d’élèves. On ne peut se servir des exigences pédagogiques établies pour répondre aux besoins des élèves de la majorité linguistique pour mettre en échec les considérations culturelles et linguistiques applicables aux élèves de la minorité linguistique (Arsenault-Cameron au paragraphe 38).
Les programmes d’immersion où une bonne partie de l’enseignement, et à certaines périodes tout l’enseignement, est dispensé dans la langue de la minorité, n’assurent pas, aux fins de l’article 23, une instruction dans la langue de la minorité (Re Minority Language Educational Rights (Re Minority Language Educational Rights (1988), 49 D.L.R. (4th) 499 (C.A. Î.P.É.)) aux pages 526-527). Aux fins de l’application de l’article 23, un programme d’enseignement dans la langue de la minorité s’entend d’un programme où toutes les matières sont enseignées dans la langue de la minorité, sauf l’apprentissage des autres langues. Ce droit va également plus loin que la langue d’instruction. L’article 23 garantit la possibilité de créer un programme adapté aux besoins de la minorité et traduisant ses valeurs et sa culture, ce qui inclut les activités parascolaires et de récréation (Bastarache aux pages 715-716; Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) aux pages 854-55).
L’intégrité des écoles de langue minoritaire est essentielle à leurs opérations; l’instruction doit se faire dans la langue de la minorité et elle n’a pas pour but d’enseigner la langue de la minorité à ceux qui n’en font pas partie (CSF de la C-B au paragraphe 699).
(ii) Le droit à des établissements de la minorité financés par les fonds publics
Les provinces ont une obligation positive de s’assurer que les établissements d’enseignement de la minorité linguistique sont financés par les fonds publics là ou le nombre d’enfants le justifie (CSF de la C-B au paragraphe 373). Conformément au critère variable, il ne sera pas toujours nécessaire que l’instruction soit dispensée dans un immeuble séparé réservé à l’enseignement. Le partage d’institutions scolaires peut s’imposer lorsque les nombres sont faibles. Cependant, les locaux fréquemment utilisés par la minorité doivent généralement être distincts par rapport à ceux de la majorité afin de ne pas causer une érosion importante de l’homogénéité linguistique de l’éducation minoritaire (Bastarache à la page 719, CA Yellowknife (Territoires du Nord-Ouest (Procureur général) c Association des parents ayants droit de Yellowknife, 2015 CATN-O 2) aux paragraphes 121 et 720).
Il semble raisonnable de conclure qu’il faut un certain degré de démarcation dans les lieux physiques pour que ces écoles s’acquittent bien de ce rôle (Mahe au paragraphe 50; Renvoi relatif à la loi sur les écoles publiques (Man.) au paragraphe 25).
Les répercussions financières de la création d’établissements spécifiques varieront d’une région à l’autre. Il faut donc que l’examen de ce qui constitue des établissements appropriés ne soit entrepris qu’à l’égard de secteurs géographiques précis dans la province (Renvoi relatif à la Loi sur les écoles publiques (Man.) au paragraphe 29).
Une analyse textuelle et fondée sur l’objet de l’article 23(3) de la Charte indique que l’enseignement devrait être dispensé dans un établissement situé dans la communauté où résident ces enfants. La région où seront assurées la prestation de l’enseignement et la création d’établissements dans la langue de la minorité doivent être déterminée dans chaque cas. La norme prévue à l’article 23 favorise le développement de la communauté. La définition de la région est assujettie aux pouvoirs exclusifs de gestion et de contrôle de la minorité sur l’enseignement et les établissements de la minorité linguistique, sous réserve des normes et des directives provinciales objectives compatibles avec l’article 23 (Arsenault-Cameron aux paragraphes 56-58).
À la limite supérieure de l’échelle variable, les titulaires de droits doivent bénéficier d’établissements d’enseignement complets, distincts de ceux offerts à la majorité linguistique, mais de qualité équivalente (Rose-des-vents, au paragraphe 29) (voir également le point 4, « qualité de l’enseignement », ci-dessous).
L’article 23 ne protège pas la construction d’espaces pour des fins communautaires; il protège uniquement les lieux voués à l’enseignement dans la langue de la minorité. Il se peut que l’immeuble d’une école serve d’importantes fins communautaires (lieux de rassemblement communautaire, garderie, etc.), mais il ne s’agit pas de fins protégées par l’article 23 et ces fins ne peuvent donner ouverture à une réparation fondée sur l’article 23. Il est cependant à noter que la Cour suprême de la Colombie-Britannique a déterminé que le conseil scolaire de la minorité (la CSF) avait le droit de construire des espaces « NLC » (des espaces pour des activités communautaires) lors de la construction de nouvelles écoles (CSF de la C-B au paragraphe 1873). Les Conseils scolaires ne peuvent détourner les ressources prévues pour l’enseignement dans la langue de la minorité à des fins communautaires pour ensuite affirmer que les établissements d’enseignement sont inadéquats ou manquent d’espace (CA Yellowknife au paragraphe 87).
(iii) Le droit à la gestion et au contrôle
L’article 23 garantit à la communauté linguistique minoritaire un degré de gestion et contrôle sur les établissements d’enseignement de la minorité linguistique afin que ceux-ci puissent faire épanouir la communauté linguistique minoritaire (CSF de la C-B au paragraphe 373). Lorsque le nombre le justifie, l’article 23 de la Charte confère aux parents appartenant à la minorité linguistique un droit de gestion et de contrôle sur les établissements d’enseignement qui leur sont destinés. Cette gestion et ce contrôle sont vitaux pour assurer l’épanouissement de leur langue et de leur culture (Mahe au paragraphe 51).
L’habilitation est essentielle pour redresser les injustices du passé et pour garantir que les besoins spécifiques de la communauté linguistique minoritaire constituent la première considération dans toute décision touchant des questions d’ordre linguistique ou culturel. Les représentants de la communauté de langue officielle ont droit à un certain degré de direction de cet établissement, indépendamment de l’existence d’une commission scolaire de la langue de la minorité (Arsenault-Cameron aux paragraphes 42 et 45).
Le droit à la gestion et au contrôle s’exerce sur les aspects des établissements d’instruction qui sont au cœur du mandat du conseil scolaire : la langue et la culture minoritaires (CSF de la C-B au paragraphe 373). Afin de remédier aux injustices passées, la communauté minoritaire a droit à un contrôle exclusif sur les aspects de l’instruction dans la langue minoritaire qui sont pertinents pour ou ont un impact sur la langue et la culture (CSF de la C-B au paragraphe 392). La détermination quant à la pertinence d’un aspect pour la langue et culture minoritaires est contextuelle (CSF de la C-B aux paragraphes 393-395) et doit considérer si l’aspect en question est relatif à la poursuite des objectifs réparateurs de l’article 23 (CSF de la C-B au paragraphe 446). Lorsqu’un aspect de l’instruction relève du droit exclusif de la minorité à la gestion et au contrôle, le conseil scolaire minoritaire a droit à une certaine déférence (CSF de la C-B au paragraphe 405) et la province ne doit pas s’ingérer (CSF de la C-B au paragraphe 446).
Par exemple, le droit de déterminer une durée de transport scolaire appropriée appartient dans la plupart des cas à la minorité linguistique (CSF de la C-B au paragraphe 1539). De plus, la minorité linguistique peut déterminer quels fonds de son budget devraient être affectés au transport scolaire (CSF de la C-B aux paragraphes 1761 et 1791). Le fait qu’un conseil scolaire minoritaire soit situé dans des locaux loués ne le prive pas de son droit à la gestion et au contrôle (CSF de la C-B au paragraphe 5592), d’autant plus que le conseil scolaire minoritaire en question (la CSF) n’avait pas respecté les normes provinciales en la matière et s’était procuré des locaux jugés extravagants (CSF de la C-B au paragraphe 5603). Le fait d’opérer des écoles dans des espaces loués n’entraine pas nécessairement une détermination que le conseil scolaire minoritaire est privé de son droit à la gestion et au contrôle (CSF de la C-B au paragraphe 5687). La décision de créer un système où la CSF loue des établissements appartient à la province en vertu de sa compétence sur l’éducation (CSF de la C-B au paragraphe 5777). Alors que la province est constitutionnellement obligée de financer les baux des écoles de la minorité, le conseil scolaire minoritaire ne saurait exiger que le financement provienne d’une catégorie spécifique du budget gouvernemental (CSF de la C-B au paragraphe 5802).
La politique de la province de la Colombie-Britannique d’indemniser les conseils scolaires de langue majoritaire pour le transfert d’écoles de surplus vers la CSF est constitutionnellement valide et n’empiète pas sur le droit de la CSF à la gestion et au contrôle (CSF de la C-B au paragraphe 6230). La déréglementation des aliénations d’écoles en 2002 a été jugée compatible avec l’article 23 et n’a pas privé le conseil scolaire de langue minoritaire (la CSF) de son droit à la gestion et au contrôle (CSF de la C-B au paragraphe 6263). Par contre, une politique de gel de financement a été jugé contraire à l’article 23 puisqu’elle empiétait sur le droit du conseil scolaire minoritaire de déterminer quand et où des nouveaux établissements étaient nécessaires (CSF de la C-B aux paragraphes 5920, 5924, 5928 et 5949).
Le droit à la gestion et au contrôle doit être distingué du droit au financement. Le financement gouvernemental est un élément nécessaire pour que les conseils scolaires puissent offrir des programmes et services; le droit de gestion, en ce qui concerne le financement, permet aux conseils scolaires de décider comment et où dépenser ces fonds. Les gouvernements provinciaux et territoriaux ne sont pas obligés de financer tous les services et programmes que les conseils scolaires aimeraient offrir, même si ces derniers les considéraient comme étant nécessaires. Il revient aux conseils scolaires d’exercer leur droit à la gestion et au contrôle en se limitant aux contraintes budgétaires imposées par le niveau de financement du gouvernement, tant que ce niveau de financement est en conformité avec les obligations de financement dudit gouvernement (Conseil scolaire fransaskois 2014 (Conseil scolaire fransaskois v. Government of Saskatchewan, 2014 SKQB 285) au paragraphe 103).
Le fait d’exiger qu’un conseil scolaire de langue minoritaire priorise les projets pour lesquels il cherche du financement n’est pas contraire à l’article 23 de la Charte mais favorise plutôt son droit à la gestion et au contrôle (CSF de la C-B au paragraphe 6500). De façon similaire, le fait d’exiger la préparation d’un « PIR » (un document justifiant un projet proposé par le conseil scolaire) relève de la compétence de la province et n’empiète pas sur le droit de la minorité à la gestion et au contrôle (CSF de la C-B aux paragraphes 6555-6556).
Le degré de gestion et de contrôle exigé peut, dans certaines circonstances et selon le nombre d’élèves en question, justifier l’existence d’un conseil scolaire indépendant. Toutefois, lorsque les chiffres ne justifient pas ce niveau maximum de gestion et de contrôle, ils peuvent néanmoins être assez élevés pour exiger la représentation de la minorité linguistique au sein d’un conseil scolaire existant. Dans ce dernier cas : (1) la représentation de la minorité linguistique au sein des conseils locaux ou des autres pouvoirs publics qui administrent l’instruction dans la langue de la minorité ou les établissements où elle est dispensée, devrait être garantie; (2) le nombre de représentants de la minorité linguistique au sein du conseil devrait être au moins proportionnel au nombre d’élèves de la minorité linguistique dans le district scolaire, c’est-à-dire au nombre d’élèves de la minorité linguistique qui relèvent du conseil scolaire; (3) les représentants de la minorité linguistique devraient avoir le pouvoir exclusif de prendre des décisions concernant l’instruction dans leur langue et les établissements où elle est dispensée, notamment : a) les dépenses de fonds prévus pour cette instruction et ces établissements; b) la nomination et la direction des personnes chargées de l’administration de cette instruction et de ces établissements; c) l’établissement de programmes scolaires; d) le recrutement et l’affectation du personnel, notamment des professeurs; et e) la conclusion d’accords pour l’enseignement et les services dispensés aux élèves de la minorité linguistique (Mahe au paragraphe 61).
Lorsqu’une commission scolaire de la minorité linguistique a été établie en vue de satisfaire à l’article 23 de la Charte, il revient à la commission, parce qu’elle représente la communauté de la minorité linguistique officielle, de décider ce qui est le plus approprié d’un point de vue culturel et linguistique. La commission scolaire de langue minoritaire est exclusivement habilitée à décider comment elle assurera les services à la minorité, dans le respect des contraintes légitimes imposées par la province, ses décisions étant assujetties également aux droits individuels de personnes visées par l’article 23. Dans une situation donnée, le titulaire des droits garantis par l’article 23 pourrait contester la décision d’une commission scolaire de la minorité linguistique (Arsenault-Cameron aux paragraphes 43 et 62).
Les gouvernements provinciaux et territoriaux sont autorisés à accorder à des groupes minoritaires un degré de gestion et de contrôle plus élevé que celui prévu à l’article 23. Ainsi, une province ou un territoire peut déléguer à une commission scolaire la fonction de fixer les critères d’admission des élèves au-delà des catégories d’ayants droit prévues à l’article 23. Par cette délégation, on peut conférer à une commission scolaire de la minorité linguistique un large pouvoir discrétionnaire pour admettre les enfants de non-ayants droit. Plusieurs provinces ont ainsi étendu les droits prévus à l’article 23. À défaut d’une telle délégation, la Commission scolaire n’a pas le pouvoir de fixer unilatéralement des critères d’admission différents de ceux établis par la province ou le territoire. L’article 23 n’oblige pas les provinces d’adopter des lois permettant aux conseils scolaires d’admettre des non-ayants droit (CSF de la C-B au paragraphe 751). La Commission scolaire peut cependant soutenir devant les tribunaux que la province n’assure pas le respect de l’article 23 à travers sa législation et ses règlements. (Yukon aux paragraphes 70 et 74)
(iv) La qualité de l’enseignement
Selon la Cour suprême, il est généralement peu utile, dans le contexte de l’article 23, de se référer à l’article 15, car l’article 23 établit un code complet des droits à l’instruction dans la langue de la minorité, code qui confère un statut spécial aux communautés linguistiques minoritaires francophones ou anglophones (Mahe au paragraphe 45; Solski au paragraphe 20; Nguyen au paragraphe 25). Des raisons pratiques ainsi que des principes juridiques étayent la conclusion selon laquelle les droits à l’instruction dans la langue de la minorité que garantit l’article 23 ne peuvent être subordonnés aux droits à l’égalité prévus par l’article 15 (1) de la Charte (Gosselin au paragraphe 34). Cela dit, c’est bien le principe de l’égalité qui sous-tend l’article 23.
En effet, une fois qu’il est établi que le nombre d’enfants commande le plus haut niveau de services, l’article 23 exige que la qualité des services soit essentiellement équivalente à celle des services offerts aux élèves de la majorité linguistique (Rose-des-vents au paragraphe 30; CSF de la C-B au paragraphe 830). L’article 23 repose sur la prémisse que l’égalité réelle exige que les minorités de langue officielle soient traitées différemment, si nécessaire, suivant leur situation et leurs besoins particuliers, afin de leur assurer un niveau d’éducation équivalent à celui de la majorité de langue officielle (Arsenault-Cameron au paragraphe 31 et 48; Rose-des-vents au paragraphe 33; CSF de la C-B au paragraphe 6646). Cet article n’a pas pour objet de renforcer le statu quo par l’adoption d’une conception formelle de l’égalité qui viserait principalement à traiter de la même façon les groupes majoritaires et minoritaires de langue officielle. L’utilisation de normes objectives pour évaluer les besoins des enfants de la minorité linguistique, principalement par référence aux besoins pédagogiques des enfants de la majorité linguistique, ne tient pas compte des exigences particulières des titulaires des droits garantis par l’article 23 (Arsenault-Cameron au paragraphe 31; Gosselin au paragraphe 32).
Pour donner effet aux droits garantis par l’article 23, l’accent devrait donc être mis sur l’équivalence réelle plutôt que sur les coûts par personne et les autres indicateurs d’équivalence formelle (Rose-des-vents au paragraphe 33). Les fonds affectés aux écoles de la minorité doivent être au moins équivalents, en proportion du nombre d’élèves, aux fonds affectés aux écoles de la majorité (Mahe, au paragraphe 63). Cependant, aucune somme précise par personne ne pourra satisfaire aux exigences de l’article 23 dans un cas donné. Ce qui est primordial, c’est que l’expérience éducative des enfants de titulaires des droits garantis par l’article 23 à la limite supérieure de l’échelle variable soit de qualité réellement semblable à l’expérience éducative des élèves de la majorité linguistique (Rose-des-vents au paragraphe 33).
Le droit à des établissements équivalents à ceux fournis à la majorité comprend le droit aux locaux du conseil scolaire minoritaire équivalents à ceux de la majorité (CSF de la C-B au paragraphe 5436). Ceci dit, dans CSF de la C-B, la Cour a déterminé que les locaux du conseil scolaire minoritaire ne revêtaient pas de rôle symbolique au sein de la communauté minoritaire (CSF de la C-B au paragraphe 5439).
(a) Mesure de l’équivalence entre l’éducation offerte à la minorité et celle offerte à la majorité
Dans l’évaluation de l’équivalence entre les écoles de la minorité et celles de la majorité, le tribunal doit tenir compte des choix offerts en matière d’éducation du point de vue des titulaires des droits garantis à l’article 23. Des parents raisonnables qui détiennent ces droits seraient-ils dissuadés d’envoyer leurs enfants dans une école de la minorité linguistique parce que l’école est véritablement inférieure à une école de la majorité linguistique où ils peuvent les inscrire? Dans l’affirmative, l’objet de cette disposition réparatrice est menacé. Si l’expérience éducative, prise globalement, est suffisamment supérieure dans les écoles de la majorité linguistique, ce fait pourrait affaiblir la volonté des parents de faire instruire leurs enfants dans la langue de la minorité, ce qui, du coup, risque d’entraîner l’assimilation (Rose-des-vents au paragraphe 35).
Le groupe de comparaison qui conviendra généralement à l’évaluation de l’équivalence réelle d’une école de la minorité linguistique sera constitué des écoles avoisinantes de la majorité linguistique qui représentent une solution de rechange réaliste pour les titulaires de droits. L’étendue géographique précise du groupe de comparaison et l’utilité relative de ce genre de comparaison peut varier selon les circonstances (Rose-des-vents au paragraphe 37). Les facteurs de comparaison à prendre en compte pour effectuer l’analyse d’équivalence sont les installations matérielles, la qualité de l’instruction, les résultats scolaires, les activités parascolaires, le temps de déplacement et d’autres facteurs pouvant influencer le choix des parents. Ces facteurs ne doivent pas être considérés isolément; on les examine ensemble pour décider si, globalement, l’expérience éducative est inférieure au point de pouvoir dissuader les titulaires de droits d’inscrire leurs enfants dans une école de la minorité linguistique (Rose-des-vents aux paragraphes 39-40). Dans l’affaire CSF de la C-B, la Cour a examiné, entre autres, les ratios élève-enseignant, la technologie et les taux de graduation (CSF de la C-B au paragraphe 2077).
L’absence d’accessibilité raisonnable, y compris les difficultés liées au transport vers une école de la minorité, peut entraîner la conclusion que le droit garanti par l’article 23 a été nié. Il faut cependant que la différence dans l’accessibilité à une école de la minorité par rapport à celle de la majorité soit suffisamment importante pour affecter le droit à l’instruction (Clermont, aux paragraphes 10, 15-16).
Il n’est pas opportun pour les gouvernements provinciaux ou territoriaux de soulever des questions liées aux considérations pratiques ou aux coûts dans le cadre de l’analyse de l’équivalence factuelle entre les écoles de la minorité linguistique et celles de la majorité linguistique. Les coûts et considérations pratiques sont pertinents pour établir le niveau de service dont doit bénéficier un groupe de titulaires de droits selon l’échelle variable (voir section « Modalité d’application : le critère de l’échelle variable » ci-dessus), mais une fois que ce niveau est établi, les considérations pratiques et financières ne peuvent être considérées à nouveau dans le cadre de l’analyse de l’équivalence (Rose-des-vents au paragraphe 46; CSF de la C-B au paragraphe 864).
Pour pouvoir offrir du financement substantiellement équivalent au cours d’une année scolaire, il serait nécessaire de maintenir une différence comparative entre les conseils scolaires minoritaires de langue française et ceux de la majorité anglophone. Pour ce faire, le gouvernement doit tenir compte de l’inflation dans ses considérations financières. (Conseil scolaire fransaskois 2014) aux paragraphes 158-159).
4. Autres éléments pertinents
(i) Le rôle de la province et des territoires et les enjeux liés au partage des compétences
Le fédéralisme joue un rôle important dans l’application de l’article 23 de la Charte. Chaque province ou territoire a un intérêt légitime dans la prestation et dans la réglementation des services d’enseignement dans la langue de la minorité puisque l’éducation est un chef de compétence provinciale (Solski au paragraphe 10; Arsenault-Cameron au paragraphe 53). Si elle reconnaît l’importance des droits linguistiques, la Charte reconnaît aussi l’importance du respect des pouvoirs constitutionnels des provinces. Selon l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867, les législatures provinciales ont le pouvoir de décréter des lois relatives à l’éducation. (Colombie-Britannique preuve (Conseil scolaire francophone de la Colombie-Britannique c. Colombie-Britannique, 2013 CSC 42) au paragraphe 56; Rose-des-vents au paragraphe 68.)
Cependant, sauf en ce qui concerne le Québec et l’article 23(1)a) de la Charte, tous les régimes provinciaux ou territoriaux d’enseignement dans la langue de la minorité doivent respecter les exigences de l’article 23 (Solski au paragraphe 10). Ainsi, bien que le gouvernement devrait disposer du pouvoir discrétionnaire le plus vaste possible dans le choix des moyens institutionnels dont il usera pour remplir ses obligations en vertu de l’article 23 de la Charte, le pouvoir du ministre est restreint par le caractère réparateur de l’article 23, les besoins particuliers de la communauté linguistique minoritaire et le droit exclusif des représentants de la minorité de gérer l’enseignement et les établissements d’enseignement de la minorité (Mahe au paragraphe 96; Arsenault-Cameron au paragraphe 44). La province ou le territoire peut contrôler le contenu et les normes qualitatives des programmes d’enseignement pour les communautés de langues officielles dans la mesure où ceux-ci n’affectent pas de façon négative les préoccupations linguistiques et culturelles légitimes de la minorité (Arsenault-Cameron au paragraphe 53).
La compétence provinciale sur l’éducation en vertu de l’article 93 de la Loi constitutionnelle de 1867 est limitée par l’article 23 de la Charte et l’article 93(1) de la Loi constitutionnelle de 1867; il existe des parallèles entre les droits donnés à la minorité linguistique en vertu de l’article 23 et ceux garantis aux écoles confessionnelles en vertu de l’article 93 (CSF de la C-B au paragraphe 377). L’article 23 limite les pouvoirs pléniers des provinces de deux façons : 1) le droit à la gestion et au contrôle accordé à la minorité linguistique sur certains aspects du système d’éducation; et 2) l’obligation positive du gouvernement provincial de fournir des services d’instruction dans la langue minoritaire (CSF de la C-B aux paragraphes 380 et 444-446).
Il revient à la province de régir les aspects qui ne touchent pas à la langue et à la culture (par exemple, le droit d’imposer des taxes) et la province peut modifier les institutions d’instruction en vertu de sa compétence sur l’éducation. La minorité linguistique est tenue de se conformer aux normes provinciales tant que celles-ci n’ingèrent pas dans les affaires linguistiques et culturelles de la minorité (CSF de la C-B au paragraphe 5589).
Dans l’affaire CSF de la C-B, la Cour a déterminé que la province doit agir en tant que défenseur du conseil scolaire minoritaire afin de rencontrer son devoir de préserver et promouvoir l’instruction dans la langue minoritaire (CSF de la C-B au paragraphe 5765). Son approche de rester neutre et de ne pas venir en aide à la CSF lors de la négociation de baux est contraire à l’article 23 (CSF de la C-B aux paragraphes 5763, 5948, 6355-6356 et 6825).
Bien que l’article 23 n’oblige pas nécessairement la province à inventorier tous les biens-fonds de surplus à travers la province pour aider le conseil scolaire minoritaire à trouver de nouvelles écoles, la province doit toutefois faire preuve de flexibilité quant à la façon dont elle aide la CSF au stade de l’identification de sites potentiels (CSF de la C-B aux paragraphes 6232-6325). La province est tenue de faire tout ce qui est pratique pour aider la CSF à acquérir des espaces et ouvrir des programmes pour les titulaires de droits, mais l’article 23 n’exige pas l’adoption d’une politique spécifique quant à la façon dont cette aide doit être offerte (CSF de la C-B au paragraphe 6347). Ceci dit, une politique qui exige que la CSF identifie des sites pour ses écoles sans l’aide de la province est contraire à l’article 23 de la Charte et au devoir de la province de préserver et promouvoir l’instruction dans la langue de la minorité (CSF de la C-B aux paragraphes 6374 et 6425).
La province a la compétence nécessaire pour créer un système de financement qui exige que le conseil scolaire minoritaire l’informe de ses coûts de location et les justifie (CSF de la C-B au paragraphe 5891). La province peut également mettre sur pied un système de règlement de différends pour résoudre des conflits survenant entre les différents conseils scolaires (CSF de la C-B au paragraphe 6816).
Comme la Charte énonce les normes minimales auxquelles la loi doit se conformer, toute loi qui ne respecte pas ces normes contrevient à la Charte et est présumée inconstitutionnelle. Par ailleurs, comme la Charte énonce uniquement les normes minimales, elle n’empêche pas la loi provinciale ou territoriale d’aller au-delà des droits élémentaires reconnus dans la Charte et d’offrir d’autres protections. Une province ou un territoire a le pouvoir d’adopter une loi qui offre de plus grandes protections que celles garanties par la Charte, ce qui a été fait dans plusieurs provinces (Yukon au paragraphe 70).
Chaque province ou territoire exerce son pouvoir discrétionnaire en fonction de sa situation particulière, de son obligation de respecter les objectifs de l’article 23 de la Charte et de ses politiques d’enseignement (Solski au paragraphe 47).
(ii) L’application de l’article 23 de la Charte au Québec
En raison de l’article 59 de la Loi constitutionnelle de 1982, l’article 23(1)a) de la Charte ne s’applique pas au Québec. Il ne peut entrer en vigueur qu’avec l’autorisation de l’Assemblée nationale ou du gouvernement du Québec. Jusqu’à présent, cette autorisation n’a pas été accordée. Dans cette mesure, l’article 59 limite les catégories de titulaires de droits au Québec à celles décrites à l’article 23(1)b) et à l’article 23(2) de la Charte (Quebec Protestant School Boards aux pages 82, 86, 87).
Par cette définition de catégories de titulaires de droits, en principe uniformes dans l’ensemble du Canada, mais restreintes au Québec par l’effet de l’article 59 de la Loi constitutionnelle de 1982, le constituant a aussi écarté la solution du libre choix de la langue d’enseignement au Québec (Solski au paragraphe 8).
En rejetant le « libre-accès » comme principe directeur de l’article 23, les auteurs de la Charte étaient soucieux des conséquences que pourrait entraîner le fait que les membres de la majorité linguistique soient admis à envoyer leurs enfants dans des écoles de la minorité linguistique. Au Québec, une autre dimension s’ajoute au problème en ce que la présence d’écoles destinées à la communauté linguistique minoritaire ne doit pas servir à contrecarrer la volonté de la majorité de protéger et de favoriser le français comme langue de la majorité au Québec, sachant que le français restera la langue de la minorité dans le contexte plus large de l’ensemble du Canada (Gosselin au paragraphe 31).
(a) Article 73 de la Charte de la langue française du Québec et l’article 23(2) de la Charte
La tentative du législateur québécois de définir les catégories de titulaires de droits établies à l’article 23 de la Charte au moyen du critère de la « majeure partie » énoncé à l’article 73 de la Charte de la langue française du Québec ne constitue pas une restriction inconstitutionnelle des droits en question. L’article 23(2) doit recevoir une interprétation téléologique; cette interprétation doit refléter sa nature réparatrice et être compatible avec l’intention d’adopter un ensemble uniforme de droits minimums qui, dans les faits, limitent la compétence provinciale en matière d’éducation. L’article 73(2) de la Charte de la langue française du Québec peut effectivement être interprété d’une manière conforme à l’article 23(2) de la Charte. Pour ce faire, l’adjectif « majeure » doit recevoir un sens « qualitatif » plutôt que « quantitatif ». En effet, la Cour suprême du Canada est d’avis qu’une interprétation mathématique restrictive ne peut être compatible avec l’article 23(2) de la Charte qui a pour objet d’identifier une seule catégorie de bénéficiaires. Cette disposition doit alors être interprétée de manière large et compatible avec l’objectif constitutionnel de protection des communautés linguistiques minoritaires (Solski aux paragraphes 1 et 27).
Ainsi, le critère de la « majeure partie », s’il est défini qualitativement, c’est-à-dire au sens de « partie importante » apporte une précision valable à l’expression « parcours ou cheminement scolaire ». Le critère de la « majeure partie » doit se prêter aux nuances et à la subjectivité requise pour déterminer si l’admission d’un enfant, compte tenu de la situation personnelle de celui-ci, cadre avec l’objet de l’article 23(2) de la Charte et avec la nécessité particulière de protéger et de renforcer la communauté linguistique minoritaire (Solski au paragraphe 46).
(iii) La justification à une violation sous l’article premier de la Charte
Conformément à l’article premier de la Charte, les droits prévus à l’article 23 ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Les coûts et les considérations pratiques pourraient être pertinents si une partie responsable cherche à justifier une violation de l’article 23 en vertu de l’article premier de la Charte (Rose-des-vents au paragraphe 49; CSF de la C-B au paragraphe 864). Les raisons sous-tendant la difficulté de justifier une violation de l’article 7 de la Charte en vertu de l’article premier ne s’applique pas à l’article 23 (CSF de la C-B aux paragraphes 988-989).
Dans l’affaire CSF de la C-B, la juge Russell conclut que plusieurs violations de l’article 23 sont justifiées sous l’article premier de la Charte dont les suivantes :
- la province de la Colombie-Britannique a violé l’article 23 de la Charte en n’appliquant pas le « AFG Rural Factor » (une allocation de fonds) à la CSF en 2008/09, 2009/10 et 2010/11, traitant ainsi la CSF différemment de la majorité (CSF de la C-B au paragraphe 1518). Cette violation est toutefois justifiée parce que les effets bénéfiques (éviter certaines conséquences politiques négatives et protéger les conseils scolaires de langue majoritaire de pertes financières ultérieures) l’emportent sur les effets négatifs (CSF de la C-B aux paragraphes 1525-1527).
- la qualité inférieure de l’expérience éducative globale à l’École Élémentaire de la Vallée de Pemberton viole l’article 23 de la Charte, mais la Cour conclut que cette violation est sauvegardée par l’article premier pour les raisons suivantes : il est justifié que l’école en question loue son espace étant donné le peu d’élèves à Pemberton, le coût important de remédier au problème en construisant une nouvelle école, le fait que la CSF n’a pas demandé l’aide du ministère de l’Éducation et la nécessité plus pressante d’améliorer l’accès à l’éducation ailleurs en Colombie-Britannique (CSF de la C-B au paragraphe 2444).
- des temps de transport excessifs pour se rendre à l’École Victor-Brodeur à Victoria (causés par un surpeuplement de l’école ayant entrainé une location d’établissements ailleurs étant donné le manque de financement pour agrandir l’école) sont justifiés pour des raisons principalement d’ordre financier (CSF de la C-B aux paragraphes 4253, 4259 et 4264-4265).
- un gymnase de qualité inférieure rendant l’expérience éducative globale de l’École Élémentaire Deux-Rives incompatible avec l’article 23 de la Charte a été justifié : la décision de ne pas agrandir le gymnase a permis à la province d’adresser des besoins plus urgents ailleurs en Colombie-Britannique (CSF de la C-B aux paragraphes 4991 et 5003).
Des justifications sous l’article premier ont également été examinées à quelques reprises dans des litiges portant sur l’article 23 de la Charte en relation avec la Charte de la langue française au Québec (voir Quebec Protestant School Boards et Nguyen). Notamment, dans Nguyen, la Cour ne remettait pas en cause l’objectif important et légitime du gouvernement québécois de protéger la langue française au Québec, notamment l’éducation dans cette langue, ni le lien rationnel de causalité entre les objectifs de la Charte de la langue française et les mesures prises. Cependant, les mesures adoptées et contestées par le gouvernement québécois étaient excessives par rapport aux objectifs visés.
(iv) Le pouvoir de réparation des tribunaux
Les tribunaux compétents pour entendre une demande de réparation fondée sur l’article 24(1) de la Charte sont ipso facto les cours supérieures établies en vertu de l’article 96 de la Loi constitutionnelle de 1867. L’article 24(1) prévoit en outre que les tribunaux compétents peuvent accorder la réparation qu’ils estiment convenable et juste eu égard aux circonstances. Le juge de première instance n’est pas tenu de trouver la meilleure réparation, même dans le cas où il serait possible de le faire (Doucet-Boudreau aux paragraphes 45 et 86).
Le gouvernement devrait disposer du pouvoir discrétionnaire le plus vaste possible dans le choix des moyens institutionnels dont il usera pour remplir ses obligations en vertu de l’article 23 de la Charte. Les tribunaux devraient se garder d’intervenir et d’imposer des normes, sauf dans les cas où le pouvoir discrétionnaire n’est pas exercé du tout, ou l’est de façon à nier un droit constitutionnel (Mahe au paragraphe 96; Doucet-Boudreau au paragraphe 66).
En raison de l’exigence du « nombre justificatif », les droits garantis par l’article 23 de la Charte sont particulièrement vulnérables à l’inaction ou aux atermoiements des gouvernements. Le risque d’assimilation et, par conséquent, le risque que le nombre cesse de « justifier » la prestation des services augmentent avec les années scolaires qui s’écoulent sans que les gouvernements exécutent les obligations que leur impose l’article 23. Ainsi, l’érosion culturelle que l’article 23 visait justement à enrayer peut provoquer la suspension des services fournis en application de cette disposition tant que le nombre cessera de justifier la prestation de ces services. La promesse concrète contenue à l’article 23 et la nécessité cruciale qu’elle soit tenue à temps obligent parfois les tribunaux à ordonner des mesures réparatrices concrètes destinées à garantir aux droits linguistiques une protection réelle et donc nécessairement diligente (Doucet-Boudreau au paragraphe 29; Rose-des-vents au paragraphe 28).
Les tribunaux doivent s’appuyer sur des facteurs historiques et contextuels pour concevoir une réparation qui protégerait utilement et, en fait, mettrait en application les droits des citoyens francophones de faire instruire leurs enfants dans la langue officielle parlée par la minorité, tout en respectant comme il se doit les rôles respectifs de l’exécutif et du législatif (Doucet-Boudreau au paragraphe 37).
La réparation accordée doit être liée à une violation de la Charte commise contre des ayants droit. Ainsi, un tribunal ne pourrait ordonner la construction d’espaces de garderie comme réparation à une violation de l’article 23, puisque la garderie n’est pas protégée par l’article 23 et l’absence d’espace en garderie ne saurait constituer une violation de la Charte (CA Yellowknife aux paragraphes 171-172).
Il est possible que les coûts et considérations pratiques soient pertinents lorsque le tribunal cherche à concevoir une réparation « convenable et juste » eu égard aux circonstances en vertu de à l’article 24(1) de la Charte (CSF de la C-B au paragraphe 864). Donc, la conclusion qu’il y a violation de l’article 23 ne donnera pas automatiquement lieu à l’ouverture d’une nouvelle école pour les titulaires de droits. Il existe un tiraillement constant dans la conciliation de priorités concurrentes, entre la disponibilité de moyens financiers et les pressions exercées sur le trésor public. Pour concevoir une réparation, le tribunal tient compte des coûts et des considérations pratiques qui font partie de la prestation de tous les services d’enseignement ― tant pour les écoles de la majorité linguistique que pour celles de la minorité (Rose-des-vents au paragraphe 49).
Dans l’affaire Doucet-Boudreau, le juge de première instance a ordonné au gouvernement provincial et au conseil scolaire de « faire de leur mieux » pour fournir des établissements et des programmes d’enseignement homogènes de langue française dans des délais déterminés (ordonnance dite « institutionnelle »). Le juge a aussi conservé compétence pour recevoir des comptes rendus sur les efforts déployés par les autorités. La Cour suprême du Canada a statué que cette ordonnance assurait efficacement la défense des droits des parents francophones; respectait le cadre de notre démocratie; faisait appel à la fonction et aux pouvoirs des tribunaux; et faisait appel à des moyens équitables pour assurer la défense des droits en cause. La Cour a cependant noté qu’à l’avenir, les ordonnances de cette nature devraient être plus détaillées en ce qui concerne la déclaration de compétence et la procédure applicable aux auditions de comptes rendus (Doucet-Boudreau au paragraphe 84).
Dans l’affaire Nguyen, la Cour a notamment confirmé la déclaration d’invalidité des articles 2 et 3 de l’article 73 de la Charte de la langue française prononcée par la Cour d’appel du Québec et elle a suspendu ses effets pour une période d’un an afin de permettre à l’Assemblée nationale du Québec de réexaminer la loi (Nguyen au paragraphe 51). Le 20 octobre 2010, les députés de l’Assemblée nationale du Québec ont adopté le projet de loi 115 afin de se conformer au jugement Nguyen.
Dans l’affaire CSF de la C-B, la Cour a accordé des dommages-intérêts de 6$ millions pour indemniser le sous-financement chronique du transport scolaire (CSF de la C-B au paragraphe 1793). Elle a également ordonné à la province de la Colombie-Britannique de réserver des fonds (un « Capital Envelope ») pour les besoins en capitaux de la CSF (CSF de la C-B aux paragraphes 6759 et 6763) et d’adopter une politique ou une loi pour résoudre ou assurer la participation active du ministère de l’Éducation de la Colombie-Britannique lors de règlements de différends entre la CSF et des conseils scolaires de langue majoritaire (CSF de la C-B au paragraphe 6833).
(v) L’octroi des dépens
L’octroi des dépens relève du pouvoir discrétionnaire de la Cour qui entend un litige. Les dépens sur la base procureur-client sont exceptionnels. C’est la mauvaise conduite au cours du litige, et non la conduite qui l’a rendu nécessaire, qui justifie l’octroi de tels dépens. Ceux-ci ne sont généralement accordés que s’il y a eu conduite répréhensible, scandaleuse ou outrageante d’une des parties : Young c. Young, [1993] 4 R.C.S. 3 (East Central Francophone Education Region No 3 Francophone Education Region No 3 v. Alberta (Minister of Infrastructure), 2004 ABQB 428) au paragraphe 39).
Le fait de soulever des questions relatives à la Charte ne mène pas nécessairement à l’octroi des dépens sur la base procureur-client. Néanmoins, la négation persistante des droits garantis par l’article 23 de la Charte peut justifier l’octroi de tels dépens (Arsenault-Cameron, au paragraphe 63; East Central Francophone Education Region No 3 au paragraphe 40).
Des dépens spéciaux peuvent être accordés lorsque des membres de la communauté minoritaire aux ressources limitées cherchent à faire respecter leurs droits constitutionnels, lorsque les questions soulevées sont nouvelles et lorsqu’elles revêtent une grande importance pour le public. Est également pris en considération le fait que les membres de la communauté de langue officielle minoritaire ont tenté de régler certaines questions à l’extérieur de la salle d’audience en négociant avec les autres parties (Rose-des-vents, aux paragraphes 85-89).
Signaler un problème sur cette page
- Date de modification :