Article 3 – Droits démocratiques
Disposition
3. Tout citoyen canadien a le droit de vote et est éligible aux élections législatives fédérales ou provinciales.
Dispositions similaires
Il n’existe aucune disposition semblable dans la Déclaration canadienne des droits, mais on en trouve dans certains instruments internationaux qui lient le Canada, soit : l’article 25 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, l’article 7 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, l’article 29 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées ainsi que les articles 20, 32 et 34 de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme.
On peut aussi consulter les instruments législatifs internationaux, régionaux et comparatifs suivants, qui ne lient pas juridiquement le Canada, mais qui comprennent des dispositions semblables à l’article 3 de la Charte : l’article 23 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme et l’article 3 du premier Protocole additionnel à la Convention européenne des Droits de l’Homme. La Constitution américaine ne contient pas de garantie précise du droit de vote, mais certaines dispositions et amendements (article premier, paragraphe 2 et les 15e, 19e, 24e et 26e amendements) prévoient diverses garanties qui s’y rapportent.
Objet
L’article 3 a pour but de protéger le droit de jouer un rôle significatif dans le processus électoral (Frank c. Canada, [2019] 1 R.C.S. 3, aux paragraphes 26 et 27; Opitz c. Wrzesnewskyj, [2012] 3 R.C.S. 55, au paragraphe 28; Figueroa c. Canada (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 912, aux paragraphes 25, 26 et 30; Harper c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 827, aux paragraphes 69 et 70). La participation au processus électoral possède une valeur intrinsèque indépendamment du résultat des élections (Figueroa, précité, au paragraphe 29; Daoust c. Québec (Directeur général des élections), 2011 QCCA 1634, au paragraphe 46, autorisation de pourvoi à la CSC refusée [2012] C.S.C.R. no 490). Priver certaines personnes citoyennes du droit de vote se fait au détriment de leur dignité et de leur valeur intrinsèque (Frank, précité, au paragraphe 82; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [2002] 3 R.C.S. 519, au paragraphe 35 [« Sauvé no 2 »]).
La jurisprudence de la Cour suprême montre également que l’article 3 protège le droit à une « représentation effective » (Renvoi : Circonscriptions électorales provinciales (Sask.), [1991] 2 R.C.S. 158 (« Renvoi de la Saskatchewan », à la p. 183; Harper, précité, au paragraphe 68). Ce droit suppose la possibilité pour l’électorat d’avoir voix aux délibérations du gouvernement aussi bien que leur droit d’attirer l’attention de leur député sur leurs griefs et leurs préoccupations (Renvoi de la Saskatchewan, précité, au paragraphe 183).
On doit interpréter l’article 3 à la lumière des principes philosophiques qui ont animé l’évolution historique du droit de vote dans notre tradition constitutionnelle (Renvoi de la Saskatchewan, précité). Il faut aussi l’interpréter d’une façon qui favorise le respect des valeurs et des principes propres à un État libre et démocratique, notamment le respect de la diversité des croyances et des opinions (Figueroa, précité, au paragraphe 27; Renvoi de la Saskatchewan, précité, aux paragraphes 188 et 189).
La large portée de l’article 3 ne devrait pas être limitée par des intérêts collectifs opposés, comme l’équité envers les personnes qui résident au Canada ou l’intérêt public d’agréger les préférences politiques, dont il est préférable de tenir compte dans le cadre d’une analyse relative à l’article premier (Frank, précité, aux paragraphes 28 à 32 et 61; Figueroa, précité, aux paragraphes 31 à 37; Sauvé no 2, précité, au paragraphe 11); Harvey c. Nouveau-Brunswick (Procureur général), [1996] 2 R.C.S. 876, aux paragraphes 29 à 31).
La Cour suprême a souligné que l’article 3 ne garantit pas à toutes les personnes citoyennes le droit de jouer un rôle illimité dans le processus électoral. Le seul fait qu’une disposition législative rompe avec la parité absolue dans l’électorat ou limite la participation d’une personne citoyenne au processus électoral ne permet pas à lui seul de conclure que cette disposition porte atteinte au droit de tous de jouer un rôle significatif dans le processus électoral. Toutefois, une disposition qui entrave concrètement la capacité de toutes les personnes citoyennes de jouer un tel rôle est incompatible avec l’article 3 (Figueroa, précité, au paragraphe 36).
L’importance de l’article 3 et la nécessité de lui donner une interprétation large et libérale sont soulignées par le fait que l’article 3 ne peut être annulé constitutionnellement en vertu de l’article 33 de la Charte (Frank, précité, aux paragraphes 25 et 32; Sauvé no2, précité, au paragraphe 11; Opitz, précité, au paragraphe 29).
Analyse
1. Application
L’article 3 est un des quelques droits que la Charte ne garantit qu’aux personnes ayant la citoyenneté canadienne.
Il s’applique aux élections qui touchent tant la Chambre des communes que les corps législatifs provinciaux et territoriaux (à ce sujet, voir l’article 30 de la Charte). Il n’est pas applicable en cas de référendum (Haig c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 995), d’élections municipales (Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), 2021 CSC 34, au paragraphe 45; Haig, précité; Rheaume c. Ontario (Attorney General) (1992), 7 O.R. (3d) 22 (C.A.), autorisation de pourvoi rejetée par la CSC [1992] C.S.C.R. no 146; Nunziata c. Toronto (City) Clerk (2000), 50 O.R. (3d) 295 (C.A. Ont.)) ou d’élections d’une bande indienne (Corbiere c. Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1999] 2 R.C.S. 203).
Les tribunaux reconnaissent le lien entre l’article 3 et les autres droits garantis par la Charte, notamment les droits à la liberté d’expression et à l’égalité (Figueroa, précité). Même dans les cas où l’article 3 ne s’applique pas, les valeurs relatives à la participation démocratique qui y sont énoncées peuvent toujours servir dans le cadre d’une demande fondée sur le droit à la liberté d’expression (alinéa 2b)) et à la liberté d’association (alinéa 2d)) (voir, p. ex., Haig, précité; Siemens c. Manitoba (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 6 et Libman c. Québec (Procureur général), [1997] 3 R.C.S. 569 (référendum); Baier c. Alberta, [2007] 2 R.C.S. 673 (élections des conseils scolaires)); B.C. Freedom of Information and Privacy Association c. Colombie-Britannique (Procureur général), [2017] 1 R.C.S. 93 (commanditaire de publicité électorale)) ou sur le droit à l’égalité garanti par l’article 15 de la Charte (p. ex., Corbiere, précité; Baier, précité). Bien que les droits puissent se chevaucher, l’alinéa 2b) et l’article 3 prévoient des droits distincts qu’il convient d’interpréter de façon indépendante (Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), précité, au paragraphe 45 ; Harper, précité, au paragraphe 67; Thomson Newspapers Co. c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 877, aux paragraphes 79 et 80). Le droit à une représentation effective, qui est au cœur même de l’article 3, n’est pas un principe consacré à l’alinéa 2b), et le concept ne peut pas non plus y être transposé intégralement (Toronto (Cité) c. Ontario (Procureur général), précité, au paragraphe 45).
2. Atteinte directe au droit de vote ou d’éligibilité
(i) Le vote
Constitue une restriction aux droits prévus à l’article 3 le fait de priver expressément certaines personnes citoyennes du droit de vote, notamment :
- Les personnes détenues (Sauvé c. Canada (Procureur général), [1993] 2 R.C.S. 438; 7 O.R. (3d) 481 (C.A.) (« Sauvé no 1 »); Sauvé no 2, précité);
- les juges (Muldoon c. Canada, [1988] 3 C.F. 628 (1re inst.));
- les personnes atteintes d’une « maladie mentale » (Conseil canadien des droits des personnes handicapées c. Canada, [1988] 3 C.F. 622 (1re inst.);
- les personnes âgées de moins de 18 ans (Fitzgerald (Next Friend of) c. Alberta, 2004 ABCA 184, autorisation de pourvoi rejetée par la CSC, [2004] C.S.C.R. no 349 – même si la restriction d’âge a été jugée justifiée au sens de l’article premier);
- les personnes citoyennes du Canada résidant à l’étranger (Frank, précité — où les dispositions législatives autorisant les personnes citoyennes non résidentes à voter lors d’une élection fédérale seulement si elles résident à l’étranger depuis moins de cinq ans et ont l’intention de revenir résider au Canada n’ont pas été jugées justifiées au sens de l’article premier);
- les personnes nouvellement arrivées dans une province ou un territoire (Reference Re Yukon Election Residency Requirements (1986), 27 D.L.R. (4th) 146 (C.A.Y.); Storey c. Zazelenchuk (1984), 36 Sask.R. 103 (C.A.) — mais il a été jugé que le fait qu’on exige que les membres de l’électorat y résident depuis 6 à 12 mois est justifié au sens de l’article premier).
Il convient de souligner que les exigences en matière de résidence en ce qui a trait aux élections provinciales et territoriales furent distinguées dans l’arrêt Frank, précité, qui concernait une élection fédérale. De façon générale, il est peut-être plus facile de justifier des exigences provinciales en matière de résidence comme limites raisonnables au droit de vote (Frank, précité, aux paragraphes 61 et 91).
L’imposition d’exigences administratives aux membres de l’électorat pour qu’elles aient le droit de voter, comme l’exigence de présenter une preuve d’identité et de résidence au bureau de vote avant de déposer son bulletin de vote, peut également constituer à première vue une restriction du droit de vote (Henry c. Canada (Attorney General), 2010 BCSC 610, affirmé 2014 BCCA 30, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2014] C.S.C.R. n° 134 — mais il a été jugé que cette exigence particulière était justifiée au sens de l’article premier).
Le défaut de la part des gouvernements de prendre des initiatives positives en vue de mettre en place des mécanismes adéquats qui permettent aux personnes citoyennes d’exercer leur droit de vote (par exemple des bulletins de vote pour les électeurs absents) peut également constituer une restriction des droits prévus à l’article 3 (Re Hoogbruin and Attorney General of British Columbia (1985), 24 D.L.R. (4th) 718 (C.A.C.-B.); Henry c. Canada (Attorney General), précité).
La personne directrice générale des élections doit tenir compte des droits prévus à l’article 3 lorsqu’elle décide de recommander ou non une modification à la date d'élections fédérales à date fixe parce qu’elle coïncide à un jour férié juif (Aryeh-Bain c. Canada (Procureur général), [2019] C.F. 964).
(ii) Éligibilité aux élections
Les mots « to be qualified for membership » qu’on trouve dans la version anglaise de l’article 3 doivent faire l’objet d’une interprétation large selon laquelle chaque personne citoyenne peut porter sa candidature et siéger à la Chambre des communes ou à une assemblée législative (Harvey, précité, aux paragraphes 27 à 29).
Une restriction législative au droit d’éligibilité constitue habituellement une limite à ce droit garanti par l’article 3 (Harvey, précité). Cela inclut :
- l’interdiction, pour certaines catégories de personnes, de porter sa candidature (par exemple, en raison d’une condamnation pour un acte criminel ou pour fraude électorale), de même que la privation du droit de siéger à la législature (Harvey, précité — cependant, on a maintenu une exclusion d’une durée de cinq ans au sens de l’article premier.
- une exigence de résidence minimale (Anawak c. Nunavut (Chief Electoral Officer), 2008 NUCJ 26 — mais il a été jugé qu’une exigence de résidence de 12 mois dans le territoire était justifiée au sens de l’article premier).
- l’exigence selon laquelle les personnes candidates doivent verser un dépôt a été jugée injustifiée au sens de l’article premier (Szuchewycz v. Canada (Attorney General), [2017] A.J. No. 1112 (C.B.R. Alb.); De Jong v. Ontario (Attorney General) (2007), 287 D.L.R. (4th) 90 (C.S. Ont.); Figueroa c. Canada (Procureur général) (1999), 43 OR (3d) 728, modifié 137 OAC 252 (C.A. Ont.), infirmé [2003] 1 R.C.S. 912.
Cependant, il a été établi que certaines restrictions ne contrevenaient pas à l’article 3, p. ex. :
- l’obligation d’obtenir un certain nombre de signatures pour pouvoir présenter sa candidature (Szuchewycz v. Canada (Attorney General), précité et De Jong v. Ontario (Attorney General), précité).
3. Atteinte relative aux conditions dans lesquelles les droits garantis par l’article 3 sont exercés
En l’absence d’une privation directe du droit de vote ou d’éligibilité aux élections, il peut néanmoins y avoir une restriction aux droits de l’article 3 lorsque la mesure législative ou gouvernementale contestée entrave les conditions dans lesquelles ces droits sont exercés. Dans de tels cas, notamment ceux qui ont trait aux limites des circonscriptions électorales, il peut être nécessaire de tenir compte du contexte social ou politique en général pour décider si la mesure contestée viole le droit à jouer un rôle significatif dans le processus électoral ou le droit à une représentation effective (Figueroa, précité, au paragraphe 33).
(i) Répartition des circonscriptions électorales
Le droit à une représentation effective peut être violé dans le cas où la carte électorale a pour effet de donner un poids considérablement plus important à un vote qu’à un autre (Renvoi de la Saskatchewan, précité; Reference re Electoral Divisions Statutes Amendment Act, 1993, [1994] A.J. No. 768 (C.A. Alb.) (QL); Reference re Electoral Boundaries Commission Act (Alberta) (1991), 86 D.L.R. (4th) 447 (C.A. Alb.); Charlottetown (City) c. Prince Edward Island (1998), 168 D.L.R. (4th) 79 (D.A. C.S. Î.-P.-É.), autorisation de pourvoi rejetée par la CSC [1999] C.S.C.R no 64).
L’article 3 ne garantit pas l’égalité absolue du pouvoir électoral des personnes citoyennes. Toutefois, l’égalité relative de leur pouvoir est d’une importance primordiale au titre de l’article 3 et une condition principale de la représentation effective (Renvoi de la Saskatchewan, précité, au paragraphe 183; Reference re Electoral Divisions Statutes Amendment Act, 1993 (C.A. Alb.), précité, aux paragraphes 43 à 45 et 56; Charlottetown (D.A. C.S. Î.-P.-É.), précité, aux paragraphes 18 à 20). Il faut aussi tenir compte d’autres facteurs lorsque l’on définit les circonscriptions électorales afin de garantir que les assemblées législatives représentent réellement la diversité de la société canadienne, notamment la géographie, l’histoire et les intérêts de la collectivité et la représentation des groupes minoritaires (Renvoi de la Saskatchewan, précité, aux paragraphes 184 et 185; Reference re House of Assembly Act (N.S.), 2017 NSCA 10, aux paragraphes 66 à 68).
Par exemple, dans le Renvoi de la Saskatchewan, précité, la Cour suprême a jugé que, dans les circonstances de l’affaire, les différences entre le nombre de personnes votantes dans les circonscriptions urbaines et rurales étaient justifiées en raison, notamment, des difficultés particulières qu’il y a à représenter des circonscriptions rurales à faible densité de population, les frontières géographiques (p. ex., les rivières), les territoires des municipalités, qui constituent des lignes naturelles de démarcation entre les communautés, et les prévisions démographiques.
Au Canada, la plupart des provinces et territoires établissent des commissions indépendantes qui prennent part à l’examen et à la détermination de la manière dont les circonscriptions électorales doivent être réparties. L’article 3 n’exige pas l’intervention de commissions de délimitation indépendantes (Renvoi de la Saskatchewan, précité; Reference re Electoral Divisions Statutes Amendment Act, 1993, précité, au paragraphe 79; Charlottetown (DA CS IPÉ), précité, au paragraphe 32). Mais le processus de délimitation devrait être équitable (Renvoi de la Saskatchewan, précité, au paragraphe 76). De plus, l’organisme, quel qu’il soit, à qui l’on confie la tâche de définir les circonscriptions doit être autorisé à mettre en équilibre la parité électorale et les autres facteurs applicables afin de s’assurer que les limites reflètent une représentation efficace (Reference re House of Assembly Act (N.S.), précité, aux paragraphes 90, 108 et 134).
(ii) Différence de traitement des concurrents électoraux
L’article 3 n’exige pas que les gouvernements traitent toutes les personnes citoyennes et toutes les personnes candidates aux élections exactement de la même manière (Figueroa, précité, aux paragraphes 51 et 91). Il leur impose toutefois l’obligation de s’abstenir de renforcer la capacité d’une personne citoyenne de participer au processus électoral d’une manière qui compromette le droit d’autrui de faire de même (Figueroa, précité, au paragraphe 50). La différence de traitement des personnes concurrentes aux élections pourrait limiter les droits garantis par l’article 3 s’il était jugé qu’elle creuse l’écart qui existe du point de vue de leur capacité de communiquer leurs idées et leurs opinions aux public votant (Figueroa, précité, au paragraphe 54; voir aussi Longley c. Canada (Attorney General), 2007 ONCA 852, autorisation de pourvoi à la CSC refusée [2008] C.S.C.R. n° 41, en ce qui a trait aux partis politiques).
Par exemple, la Cour a jugé que l’exigence législative selon laquelle les partis politiques doivent appuyer au moins 50 candidatures lors d’une élection pour bénéficier d’avantages financiers et autres (droit de délivrer des reçus fiscaux, de remettre au parti les fonds non dépensés pendant la campagne électorale et d’inscrire son appartenance politique sur les bulletins de vote) portait atteinte aux droits prévus à l’article 3 puisqu’elle creusait l’écart qui existe du point de vue de la capacité des partis qui sont petits, nouveaux ou marginaux à faire concurrence à des partis établis, de taille supérieure (Figueroa, précité).
La décision par la personne qui dirige le parti formant le gouvernement de déclencher des élections avant la date fixe prescrite par la loi n’a pas pour effet de limiter les droits prévus à l’article 3, puisqu’aucun élément de preuve n’attestait que cela avait entraîné la tenue d’élections injustes ou eu un effet préjudiciable sur les autres partis politiques (Conacher c. Canada (Premier Ministre), 2009 C.F. 920, au paragraphe 76, 2010 C.A.F. 131, au paragraphe 11, demande d’autorisation de pourvoi à la CSC rejetée [2010] C.S.C.R. 315).
(iii) Système électoral
La Constitution n’exige pas un type de système électoral particulier (Daoust, précité, au paragraphe 36; voir également Figueroa, précité, aux paragraphes 81 et 161). Dans l’arrêt Daoust, on a fait valoir que le système uninominal majoritaire à un tour, utilisé actuellement dans l’ensemble du Canada, portait atteinte à l’article 3 parce qu’il donne des résultats qui faussent le vote et favorisent l’élection de gouvernements majoritaires plutôt que de petits partis. La Cour d’appel du Québec a reconnu que tous les systèmes électoraux, y compris les systèmes fondés sur la représentation proportionnelle, présentent des lacunes et entraînent des écarts ou des distorsions dans les résultats qu’ils produisent. On a jugé que le système uninominal majoritaire à un tour respectait le principe de la parité relative du nombre de personnes votantes et ne limitait pas le principe de la représentation effective prévu à l’article 3.
(iv) Renseignements électoraux
L’article 3 emporte pour chaque personne citoyenne le droit de voter de manière éclairée (Harper, précité, au paragraphe 71). Une mesure qui prive l’électorat des renseignements suffisants pour leur permettre de voter d’une manière éclairée peut porter atteinte au droit de vote garanti par l’article 3 (Thomson Newspapers, précité, aux paragraphes 82 à 84; Reform Party of Canada c. Canada (Attorney General) (1995), 123 D.L.R. (4th) 366 (C.A. Alb.), aux pages 424 à 426).
Cependant, l’article 3 ne prévoit pas un droit illimité d’information. Autrement, les groupes ayant plus de ressources pourraient monopoliser le discours politique, et cette diffusion inégale des points de vue pendant une campagne électorale pourrait empêcher une personne votante d’être correctement informée de toutes les idées. La Cour en est venue à la conclusion qu’un plafond soigneusement adapté à l’égard des dépenses de publicité électorale favorise l’égalité dans le discours politique et ne porte pas atteinte à l’article 3 (Harper, précité, aux paragraphes 72 à 74 — cependant, un tel plafond serait susceptible de restreindre le droit à la liberté d’expression garanti par l’alinéa 2b) de la Charte).
4. Conflit avec l’exercice d’un privilège parlementaire
Dans la mesure où l’atteinte au droit de vote ou d’éligibilité aux élections résulte de l’exercice du privilège parlementaire, cette atteinte pourrait échapper au contrôle des tribunaux (Harvey, précité).
5. Interprétation des lois relatives aux élections
Les lois régissant les élections, comme la Loi électorale du Canada, devraient être interprétées dans la mesure du possible de manière à favoriser la participation au scrutin (Opitz, précité, au paragraphe 37; Haig, précité, aux pages 1049 et 1050).
La Loi électorale du Canada a pour objet principal de favoriser la participation au scrutin et de préserver l’intégrité du processus démocratique (Frank, précité, au paragraphe 11; Opitz, précité, au paragraphe 38; voir également le paragraphe 145, à l’égard duquel les juges dissidents affirment que l’objet prépondérant de la Loi est « d’assurer la légitimité démocratique des élections fédérales au Canada »).
Si la résidence est un important mécanisme organisationnel aux fins de l’exercice du droit de vote, elle ne représente pas une exigence essentielle ou implicite du droit de vote garanti par l’article 3 de la Charte (Frank, précité, aux paragraphes 28 à 32 et 61).
Les valeurs interreliées et parfois contradictoires que le système électoral canadien doit mettre en balance comprennent « la certitude, l’exactitude, l’équité, l’accessibilité, l’anonymat de l’électeur, la célérité, le caractère définitif des résultats, la légitimité, l’efficacité et le coût », la valeur prépondérante étant le droit de vote garanti par la Charte (Opitz, précité, au paragraphe 44).
6. Injonctions interlocutoires et sursis
Il existe un nombre croissant de décisions judiciaires où les tribunaux ont eu à se pencher sur la question de savoir s’il y avait lieu de prononcer une injonction interlocutoire dans des cas de contestation de la législation électorale fondée sur la Charte. Certains ont invoqué l’article 3 de la Charte, mais d’autres ont également mis en cause l’article 2. Il est question ici de requêtes pour suspendre l’application d’une loi électorale en attendant que la Cour se prononce sur l’affaire, dans des circonstances où le bien-fondé d’une contestation ne peut être déterminé suffisamment de temps avant une élection prochaine. Les tribunaux ont généralement tranché en faveur de de la partie requérante en ce qui concerne les deux premiers volets du critère applicable aux injonctions (c.-à-d. qu’il existe une question sérieuse à juger; et que des préjudices irréparables aux droits démocratiques seront causés si l’injonction n’est pas accordée). Toutefois, ces requêtes ont en grande partie échoué à la troisième étape du critère (soit la prépondérance des inconvénients). En effet, à cette étape, les gouvernements bénéficient d’une présomption selon laquelle une mesure législative adoptée validement sera à l’avantage du public. En outre, les tribunaux ont adopté une règle interdisant d’accorder l’équivalent de la réparation ultime visée par les contestations interlocutoires de lois électorales (voir Harper c. Canada (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 764).
Un courant jurisprudentiel connexe concerne les requêtes déposées par des gouvernements afin d’obtenir un sursis à l’exécution d’un jugement invalidant la législation sur les élections au motif qu’elle est contraire à la Charte, en attendant l’issue d’un appel. Les résultats dans de telles affaires ont été variables, la requête de sursis du gouvernement ayant parfois été accueillie (Longley c. Canada (Attorney General), 2007 ONCA 149) et parfois rejetée (Frank c. Canada (Attorney General), 2014 ONCA 485; Sauvé c. Canada (Directeur général des élections), [1997] 3 C.F. 628 (1re inst.), [1997] 3 C.F. 643 (C.A.), demande d’autorisation de pourvoi à la CSC rejetée [1997] C.S.C.R. no 264).
Considérations particulières relatives à l’article premier
La plupart du temps, en cas d’atteinte directe au droit de vote ou d’éligibilité, l’analyse de la Charte porte principalement sur l’article premier. Lorsque la plainte fait état d’une entrave aux conditions dans lesquelles les droits garantis à l’article 3 sont exercés, l’analyse fondée sur cet article est plus substantielle, surtout dans les cas où il est question des circonscriptions électorales, et peut exiger qu’on tienne compte du contexte social en général (Renvoi de la Saskatchewan, précité; Figueroa, précité).
L’importance du droit de vote, illustrée, par exemple, par le fait qu’il est interdit d’y déroger en invoquant l’article 33, exige une application rigoureuse de l’article premier plutôt qu’une déférence judiciaire (Frank, précité, aux paragraphes 1, 25, 43 et 44; Figueroa, précité, au paragraphe 60; Sauvé no 2, précité, aux paragraphes 9, 11 et 14; Sauvé no 1 (C.A. Ont.), précité; Henry (C.A. de la C-B.), précité, aux paragraphes 84 et 85; voir également Opitz, précité, au paragraphe 35). La déférence ne convient pas lorsqu’il s’agit d’examiner une interdiction absolue à l’exercice d’un droit démocratique fondamental (Frank, précité, au paragraphe 43).
En revanche, la déférence peut être de mise à l’égard d’une mesure réglementaire complexe ou d’une décision portant sur des principes opposés en matière politique et sociale (Frank, précité, aux paragraphes 43 et 44). Par exemple, on s’est fondé sur l’article premier pour accorder au législateur une certaine latitude quant au choix et à la conception du modèle électoral canadien — p. ex., dans les affaires où il était question de l’alinéa 2b) (liberté d’expression) plutôt que de l’article 3, comme Harper, précité, R. c. Bryan, [2007] 1 R.C.S. 527 et B.C. Freedom of Information and Privacy Association, précité.
Il est possible que des éléments de preuve de nature scientifique ne soient pas toujours requis pour justifier des restrictions aux droits garantis par l’article 3. Dans certains cas, on peut largement s’en remettre à la logique et au bon sens à l’étape de la justification, sans qu’il soit nécessaire de présenter des éléments de preuve rigoureux relevant des sciences sociales (Frank, précité, aux paragraphes 59 et 64; Harper, précité; Bryan, précité; B.C. Freedom of Information and Privacy Association, précité). Cela étant dit, il doit y avoir une certaine preuve du préjudice que les restrictions à l’article 3 visent à réparer. Les effets bénéfiques de priver les personnes citoyennes non résidentes à long terme du droit de vote à une élection fédérale n’étaient pas fondés sur des éléments de preuve concrets ou des arguments logiques (Frank, précité, aux paragraphes 63 et 64, 78 et 82).
Des motifs généraux, symboliques et abstraits pour restreindre les droits garantis par l’article 3 seront difficiles à justifier au sens de l’article premier (Frank, précité, aux paragraphes 49 à 54; Sauvé no 2, précité, aux paragraphes 22 à 24). Par exemple, « la préservation du contrat social » entre le public votant et les personnes élues pour justifier des exigences de résidence dans une élection fédérale ne constitue pas un objectif urgent et réel pouvant porter atteinte à l’article 3 de la Charte (Frank, précité, aux paragraphes 49 à 53). D’un autre côté, la Cour a jugé que l’objectif de maintenir et de renforcer l’intégrité du processus électoral répond à une préoccupation urgente et réelle et justifie la restriction des droits garantis par l’article 3 (Harvey, précité, au paragraphe 38; Figueroa, précité, au paragraphe 72). Il en va de même pour l’objectif visant à maintenir l’équité du système électoral pour les personnes citoyennes qui résident au Canada (Frank, précité, aux paragraphes 55 à 57).
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