Article 7 – Droit à la vie, à la liberté et la sécurité de la personne

Disposition

7. Chacun a droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.

Dispositions similaires

Les instruments internationaux et les lois canadiennes qui suivent, lesquels lient le Canada, comportent des dispositions similaires : l’alinéa 1a) de la Déclaration canadienne des droits, les articles 6 et 9 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, les articles 6 et 37 de la Convention relative aux droits de l’enfant, les articles 14 et 17 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées, ainsi que l’article premier de la Déclaration américaine des droits et devoirs de l’homme.

Voir aussi les instruments internationaux, régionaux et de droit comparé suivants qui ne lient pas juridiquement le Canada, mais qui comportent des dispositions similaires : l’article 3 de la Déclaration universelle des droits de l’homme, les articles 4, 5 et 7 de la Convention américaine relative aux droits de l’homme, les articles 2 et 5 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, ainsi que le Cinquième amendement de la Constitution des États-Unis d’Amérique (clause de l’application régulière de la loi).

Objet

L’article 7 de la Charte exige que les lois ou actes étatiques qui portent atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne respectent les principes de justice fondamentale — c’est-à-dire les principes fondamentaux qui sous-tendent notre conception de la justice et de l’équité procédurale (Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2007] 1 R.C.S. 350, au paragraphe 19).

Analyse

L’article 7 comporte une analyse en deux étapes :

  1. Existe-t-il une atteinte à l’un des trois intérêts protégés, à savoir la vie, la liberté ou la sécurité de la personne?
  2. Cette atteinte a-t-elle été portée en conformité avec les principes de justice fondamentale?

Ce second volet peut être scindé en deux étapes, dans lesquelles il est nécessaire : a) de déterminer le ou les principes de justice fondamentale applicables et ensuite : b) de déterminer si l’atteinte a eu lieu conformément à ces principes (R. c. Malmo-Levine [2003] 3 R.C.S. 571, au paragraphe 83; R. c. White [1999] 2 R.C.S. 417, au paragraphe 38; R. c. S.(R.J.) [1995] 1 R.C.S. 451, à la page 479).

Il n’existe aucun droit indépendant à la justice fondamentale. Il n’y a donc pas violation de l’article 7 s’il n’y a pas d’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne (R. c. Pontes, [1995] 3 R.C.S. 44, au paragraphe 47).

1. Chacun

Toute personne physiquement présente au Canada est protégée par l’article 7 (Singh c. Ministre de l’Emploi et de l’Immigration, [1985] 1 R.C.S. 177, à la page 202; Charkaoui (2007), précité, aux paragraphes 17 et 18). Si une personne est touchée par une action gouvernementale canadienne ou étrangère qui a eu lieu à l’extérieur du Canada, la mesure dans laquelle elle peut se fonder sur l’article 7 dépendra des circonstances, et peut exiger de la partie demanderesse qu’elle établisse que le gouvernement canadien « a participé à des activités d’un État étranger ou de ses représentants qui sont contraires aux obligations internationales du Canada ou aux normes relatives aux droits fondamentaux de la personne » (R. c. Hape, [2007] 2 R.C.S. 292; Canada (Justice) c. Khadr, [2008] 2 R.C.S. 125; Canada (Premier ministre) c. Khadr, [2010] 1 R.C.S. 44, au paragraphe 14; voir aussi R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562; R. c. Terry, [1996] 2 R.C.S. 207; Schreiber c. Canada (Procureur général), [1998] 1 R.C.S. 841). Dans les affaires d’extradition et d’expulsion, lorsque la participation du gouvernement est un préalable nécessaire à l’atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne par un autre État et que cette atteinte est une conséquence parfaitement prévisible de la participation canadienne, les expulsions et les extraditions doivent respecter les principes de justice fondamentale (États-Unis c. Burns, [2001] 1 R.C.S. 283, aux paragraphes 59, 60 et 124; Suresh c. Canada (M.C.I.), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 54; Demande fondée sur l’article 83.28 du Code criminel (Re), [2004] 2 R.C.S. 248, aux paragraphes 75 et 76). Pour ce qui est plus généralement de l’application extraterritoriale de la Charte, voir l’analyse de l’article 32.

Une personne morale ne bénéficie pas d’une protection de ses droits individuels en vertu de l’article 7 et ne peut donc pas se prévaloir de cet article de la même façon qu’un particulier (Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), [1989] 1 R.C.S. 927, aux pages 1002 et 1003; British Columbia Securities Commission c. Branch, [1995] 2 R.C.S. 3, aux pages 28 et 30). Toutefois, une personne morale qui est accusée d’une infraction criminelle, ou qui est défenderesse dans une instance civile engagée par l’État, peut invoquer la Charte dans sa défense, qu’elle jouisse ou non du droit ou de la liberté en question (R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, aux pages 313 et 314; R. c. Wholesale Travel Group Inc., [1991] 3 R.C.S. 154). Voir l’analyse de l’article 52 pour obtenir de plus amples détails sur les circonstances dans lesquelles une personne morale peut invoquer des droits garantis par la Charte comme motif pour rendre une loi invalide.

2. Vie, liberté et sécurité de la personne

Généralités

Les garanties que prévoit l’article 7 prennent habituellement naissance en rapport avec l’administration de la justice, laquelle, à son tour, a été définie comme suit : « le comportement de l’État en tant qu’il fait observer et appliquer la loi » (Gosselin c. Québec (Procureur général), [2002] 4 R.C.S. 429, au paragraphe 77; Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, au paragraphe 65; Renvoi sur la prostitution — Renvoi relatif à l’article 193 et à l’alinéa 195.1(1)c) du Code criminel (Man.), [1990] 1 R.C.S. 1123; B. (R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315; Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307). L’administration de la justice comprend les procédures criminelles (Gosselin, précité, aux paragraphes 77 et 78) de même que tout un éventail d’autres situations, y compris les instances en matière de protection de l’enfance et d’immigration dans le cadre desquelles les droits protégés par l’article 7 sont en jeu (Blencoe, précité; G.(J.), précité; B.(R.), précité; Office des services à l’enfant et à la famille de Winnipeg c. K.L.W., [2000] 2 R.C.S. 519; Charkaoui (2007), précité; Canada (Citoyenneté et Immigration) c. Harkat, [2014] 2 R.C.S. 33, au paragraphe 40). Par ailleurs, la Cour a reconnu que l’article 7 peut s’appliquer à des mesures législatives ou gouvernementales qui « ne découle[nt] pas d’un contexte juridictionnel ni d’une situation rattachée à l’administration de la justice », à la condition qu’elles aient une incidence sur le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne (p. ex., une interdiction législative à l’égard de l’obtention d’une assurance médicale privée qui a une incidence sur le droit à la vie et à la sécurité de la personne — voir Chaoulli c. Québec (P.G.), [2005] 1 R.C.S. 791, aux paragraphes 124 et 194 à 199). Jusqu’à maintenant, l’article 7 n’a pas été interprété comme imposant une obligation positive à l’État d’assurer la jouissance de la vie, de la liberté et de la sécurité de la personne, mais la Cour n’a pas écarté cette possibilité (Gosselin, précité, aux paragraphes 82 et 83).

Une partie demanderesse doit démontrer un « lien de causalité suffisant » entre la mesure législative ou gouvernementale contestée et l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne. Bien qu’il ne soit pas nécessaire que la mesure gouvernementale soit l’unique ou la principale cause de l’atteinte, il doit y avoir un lien réel, et non hypothétique. Il est satisfait à cette norme par déduction raisonnable, suivant la prépondérance des probabilités (Bedford c. Canada (P.G.), [2013] 3 R.C.S. 1101, au paragraphe 76). Lorsqu’il s’agit des mesures prises par des autorités étrangères, il faut établir que les autorités canadiennes savaient, ou auraient dû savoir, que des préjudices pouvaient découler des actes du Canada (Conseil canadien pour les réfugiés c. Canada (Citoyenneté et Immigration), 2023 CSC 17, au paragraphe 111).

Lorsqu’une contestation fondée sur la Charte vise une disposition d’un régime législatif aux composantes interreliées, la constitutionnalité de la disposition ne peut être évaluée qu’en tenant compte de l’ensemble du régime, notamment à la lumière de dispositions connexes pouvant prévenir toute lacune ou y remédier. Les mesures préventives restreignent une règle générale en empêchant son application dans des circonstances précises et peuvent moduler la disposition générale si soigneusement qu’elle ne menacera jamais les droits garantis à l’article 7. De telles mesures peuvent donc être pertinentes à l’étape de la mise en jeu de l’article 7 de l’analyse. En revanche, les mesures curatives peuvent être employées comme des soupapes de sécurité, remédiant à la violation que causerait l’application d’une règle générale en accordant une exemption sélective après le fait. De telles mesures sont rarement, voire jamais, pertinentes pour l’étape de l’analyse ayant trait à la mise en jeu de l’article 7 et on en tient dûment compte relativement aux principes de justice fondamentale (Conseil canadien pour les réfugiés, précité, aux paragraphes 60 à 71).

Les parties demanderesses ne doivent pas nécessairement viser des dispositions préventives et curatives lorsque la disposition d’application générale à laquelle elles se rapportent est une cause du préjudice allégué (Conseil canadien pour les réfugiés, précité, aux paragraphes 60 à 71).

(i) Droit à la vie

Le droit à la vie entre en jeu lorsqu’une loi ou une mesure prise par l’État a directement ou indirectement pour effet d’imposer la mort à une personne ou de l’exposer à un risque de mort accru (Carter c. Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 331, au paragraphe 62; Chaoulli, précité, aux paragraphes 112 à 124 et 200). Les préoccupations relatives à l’autonomie et à la qualité de vie sont considérées à juste titre comme des droits à la liberté et à la sécurité (Carter, précité, au paragraphe 62). Bien que le caractère sacré de la vie soit une valeur fondamentale de la société, le droit à la vie ne donne pas lieu à une obligation de vivre. Comme pour les autres droits, on peut renoncer au droit à la vie (Carter, précité, au paragraphe 63; Rodriguez c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1993] 3 R.C.S. 519).

(ii) Droit à la liberté

Le droit à la liberté que protège l’article 7 comporte au moins deux aspects. Le premier aspect a pour but de protéger les personnes dans un sens physique et il est mis en cause lorsqu’il y a une restriction à la liberté physique, comme l’emprisonnement ou la menace d’emprisonnement (R. c. Vaillancourt, [1987] 2 R.C.S. 636, à la page 652), l’arrestation (Fleming c. Ontario, [2019] 3 R.C.S. 519, au paragraphe 65),les peines privatives et non privatives de la liberté (R. c. Swain, [1991] 1 R.C.S. 933; Winko c. Colombie-Britannique (Forensic Psychiatric Institute), [1999] 2 R.C.S. 625, au paragraphe 64; R. c. Demers, [2004] 2 R.C.S. 489, au paragraphe 30), le transfèrement dans un établissement plus restrictif (May c. Établissement Ferndale, [2005] 3 R.C.S. 809, au paragraphe 76), l’extradition (Kindler c. Canada (Ministre de la Justice), [1991] 2 R.C.S. 779, à la page 831; Burns, précité, au paragraphe 59), les conditions de libération conditionnelle (Cunningham c. Canada, [1993] 2 R.C.S. 143, aux pages 148 à 151) ou les contraintes ou les interdictions de l’État qui influent sur la liberté physique d’une personne (R. c. Heywood, [1994] 3 R.C.S. 761, à la page 789). La restriction de la liberté peut être très minime pour mettre en jeu l’élément de liberté, comme obliger une personne à témoigner oralement (Thomson Newspapers Ltd. c. Canada, [1990] 1 R.C.S. 425, à la page 536; R. c. S.(R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, à la page 479; Branch, précité, à la page 26; Demande fondée sur l’article 83.28 du Code criminel (Re), [2004] 2 R.C.S. 248, au paragraphe 67) ou à donner ses empreintes digitales (R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387, à la page 402). Une expulsion en soi ne fera pas entrer en jeu le droit à la liberté (Charkaoui (2007), précité, à la page 17; Medovarski c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2005] 2 R.C.S. 539, au paragraphe 46), mais ce sera le cas de l’expulsion vers un pays où il existe un risque sérieux de torture (Suresh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2002] 1 R.C.S. 3, au paragraphe 44).

L’article 7 protège également une sphère d’autonomie personnelle où se prennent des « décisions intrinsèquement privées » qui sont de « l’essence même de ce que signifie la jouissance de la dignité et de l’indépendance individuelles » (Godbout c. Longueuil (Ville), [1997] 3 R.C.S. 844, au paragraphe 66; Association des juristes de justice c. Canada (Procureur général), [2017] 2 R.C.S. 456, au paragraphe 49). Lorsque des contraintes ou des interdictions de l’État influent sur ces choix, on peut se prévaloir de l’art. 7 (A.C. c. Manitoba (Directeur des services à l’enfant et à la famille), [2009] 2 R.C.S. 181, aux paragraphes 100 à 102; Blencoe, précité, aux paragraphes 49 à 54; Siemens c. Manitoba (Procureur général), [2003] 1 R.C.S. 6, au paragraphe 45). Cet aspect de la liberté comprend le droit de refuser un traitement médical (A.C., précité, aux paragraphes 100 à 102 et 136) et celui de faire des « choix médicaux raisonnables » sans menace de poursuites pénales : R. c. Smith, [2015] 2 R.C.S. 602, au paragraphe 18. Il peut comprendre la faculté de choisir le lieu de sa résidence (Godbout, précité; mais voir Alberta (Affaires autochtones et développement du Nord) c. Cunnigham, [2011] 2 R.C.S. 670, au paragraphe 93), ainsi qu’un champ protégé de prise de décisions pour les parents afin de veiller au bien-être de leurs enfants, par exemple, le droit de prendre des décisions sur l’éducation et la santé d’un enfant (B. (R.), précité, au paragraphe 80). Cependant, il n’englobe pas des choix de style de vie, comme le fait de fumer de la marijuana (Malmo-Levine, précité; R. c. Caine, [2003] 3 R.C.S. 571, aux paragraphes 86 et 87; R. c. Clay, [2003] 3 R.C.S. 735, au paragraphe 32). Lorsque les conditions d’emploi obligent les titulaires d’un poste à être de garde et donc, à être moins disponibles pour leurs familles, et ce, plusieurs semaines par année, on ne peut se prévaloir du droit à la liberté garanti par l’art. 7 (Association des juristes de justice, précité, au paragraphe 51).

Bien que certaines décisions des tribunaux inférieurs aient confirmé que la liberté dans ce contexte inclut le droit de travailler ou d’exploiter une entreprise (Wilson c. British Columbia (Medical Services Commission), [1988] B.C.J. No. 1566 (C.A.C.-B.) (QL)), ce point de vue n’a pas été confirmé par la Cour suprême, qui a statué que l’article 7 ne protège pas le droit illimité de faire des affaires toutes les fois qu’on le veut (R. c. Edwards Books and Art Ltd., [1986] 2 R.C.S. 713, à la page 786) ni le droit d’exercer la profession de son choix : Renvoi sur la prostitution, précité, à la page 1179 (voir aussi Walker c. Île-du-Prince-Édouard, [1995] 2 R.C.S. 407). La Cour suprême a également jugé que la capacité d’une personne de générer un revenu d’entreprise par le moyen de son choix ne peut être qualifiée de choix de vie fondamental et n’est pas un droit garanti par l’article 7 de la Charte (Siemens, précité, au paragraphe 46). De même, il semble que la liberté sous l’article 7 ne protège pas la liberté contractuelle ni la liberté de choisir une carrière en particulier (Chaoulli, précité, aux paragraphes 201 et 202).

C’est à l’article 8 de la Charte que se trouve la principale protection constitutionnelle du droit à la vie privée; toutefois, on accepte généralement que l’article 7 puisse offrir une protection résiduelle au même égard. La Cour suprême n’a pas encore exploré ou développé avec précision les contours d’une protection distincte du droit à la vie privée selon l’article 7, à part accepter que la vie privée puisse faire partie des intérêts que protègent les volets « liberté » et « sécurité de sa personne » de cette disposition. Or, s’il est possible que l’article 7 puisse garantir une protection distincte au droit à la vie privée, il n’en demeure pas moins que les tribunaux analysent habituellement cette question sous l’égide de l’article 8 (voir p. ex. R. c. Rodgers, [2006] 1 R.C.S. 554, au paragraphe 23; Ruby c. Canada, [2002] 4 R.C.S. 3, aux paragraphes 32 et 33; R. c. Mills, [1999] 3 R.C.S. 668, au paragraphe 88; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411, aux paragraphes 110 à 119; B.(R.) c. Children’s Aid Society of Metropolitan Toronto, [1995] 1 R.C.S. 315, à la page 369; R. c. Beare, [1988] 2 R.C.S. 387). Cependant, le droit à la vie privée garanti à l’article 7 a été directement appliqué par des tribunaux inférieurs (voir Cheskes c. Ontario (Procureur général) (2007), 87 O.R. (3d) 581 (C. Sup. Ont.)).

Les particuliers ne peuvent faire valoir des droits collectifs, comme celui de faire la grève, en invoquant la « liberté », puisque le droit à la liberté est un droit individuel (S.I.D.M. c. P.G. du Québec, [1994] 1 R.C.S. 150).

(iii) Droit à la sécurité de la personne

De façon générale, la sécurité de la personne est interprétée largement, et elle comporte à la fois un aspect physique et psychologique. Le droit comprend la protection contre la menace de châtiments corporels ou de souffrances (p. ex., expulsion vers un pays où il existe un risque sérieux de torture), ainsi que la protection contre de tels châtiments (Singh, précité, à la page 207; Suresh, précité, aux paragraphes 53 à 55). Le droit entre également en jeu lorsque la police emploie la force pour effectuer une arrestation (Fleming, précité, au paragraphe 65).

Le droit à la sécurité de la personne entrera en jeu à l’étape de la détermination de l’exclusion de la protection accordée aux personnes réfugiées dans des circonstances où l’inadmissibilité au statut entraînerait des risques réels et non spéculatifs pour l’intégrité physique et psychologique, comme le risque de refoulement, d’isolement médical ou de soins médicaux inadéquats dans le milieu de détention en matière d’immigration. La disponibilité d’autres recours avant l’exécution de la mesure de renvoi dans le cadre desquels les droits garantis par l’article 7 sont pris en compte est pertinente relativement à l’analyse liée aux principes de la justice fondamentale, mais ne revient pas à nier la mise en jeu des droits garantis par l’article 7 (Conseil canadien pour les réfugiés, précité, aux paragraphes 72, 73, 95 et 108, clarifiant les déclarations figurant dans Febles c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2014] 3 R.C.S. 431, au paragraphe 67; B010 c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2015] 3 R.C.S. 704, au paragraphe 75).

Le droit à la sécurité de la personne inclut celui d’une personne de maîtriser sa propre intégrité physique. Il est mis en cause lorsque l’État s’ingère dans l’autonomie personnelle et la capacité d’une personne de maîtriser sa propre intégrité physique ou psychologique, notamment en interdisant l’aide au suicide, en réglementant l’avortement ou en imposant un traitement médical non désiré (R. c. Morgentaler, [1988] 1 R.C.S. 30, à la page 56; Carter, précité; Rodriguez, précité; Blencoe, précité, au paragraphe 55; A.C., précité, aux paragraphes 100 à 102). Lorsqu’une interdiction pénale contraint une personne à choisir entre, d’une part, un traitement légal, mais inadéquat et, d’autre part, une solution illégale, mais plus efficace, la loi porte atteinte à la sécurité de la personne (Smith, précité, au paragraphe 18).

On peut se prévaloir du droit à la sécurité de la personne si les actes de l’État auront probablement pour effet de détériorer l’état de santé physique ou mentale d’une personne (R. c. Monney, [1999] 1 R.C.S. 652, au paragraphe 55; Chaoulli, précité, aux paragraphes 111 à 124 et 200; R. c. Parker, 49 O.R. (3d) 481 (C.A.)). Les actes de l’État qui empêchent des personnes se livrant à une activité risquée, mais légale, de prendre des mesures pour assurer leur propre protection contre les risques peuvent également faire intervenir la sécurité de la personne (Bedford, précité, aux paragraphes 59, 60, 64, 67 et 71).

En outre, on peut se prévaloir de ce droit quand les actes de l’État causent un préjudice psychologique grave à la personne (G.(J.), précité, au paragraphe 59; Blencoe, précité, au paragraphe 58; K.L.W., précité, aux paragraphes 85 à 87). Pour que la sécurité psychologique de la personne soit en cause, l’acte reproché à l’État doit avoir eu des répercussions graves et profondes sur l’intégrité psychologique de la personne et le préjudice doit résulter de l’acte de l’État (Blencoe, précité, aux paragraphes 60 et 61; G.(J.), précité; K.L.W., précité). Il n’est pas nécessaire que le préjudice psychologique entraîne un choc nerveux ou un trouble psychiatrique, mais ses répercussions doivent être plus importantes qu’une tension ou une angoisse ordinaire. On doit procéder à l’évaluation objective des répercussions de l’ingérence de l’État, en particulier de son incidence sur l’intégrité psychologique d’une personne ayant une sensibilité raisonnable (G.(J.), précité). Bien que ce ne soit pas toutes les interventions de l’État dans le lien parent-enfant qui mettent en cause la sécurité du parent, le retrait de la garde d’un enfant par l’État, par exemple, porte gravement atteinte à l’intégrité psychologique du parent en tant que parent et met en jeu la protection de l’article 7 (G.(J.), précité, aux paragraphes 63 et 64; K.L.W., précité, aux paragraphes 85 à 87). L’interdiction de la marijuana n’entraîne pas un niveau de stress qui met en jeu l’article 7 (Malmo-Levine, précité, au paragraphe 88). La Cour a signalé la possibilité que les victimes de torture et leurs proches aient un intérêt à clore ce chapitre qui peut, si on lui fait obstacle, être assez important pour causer un préjudice psychologique suffisamment grave pour que le droit à la sécurité de la personne entre en jeu (Kazemi (Succession) c. République islamique d’Iran, [2014] 3 R.C.S. 176, aux paragraphes 130, 133 et 134).

Il n’est pas clair si le droit à la sécurité de la personne englobe le droit à la vie privée, qui comprend un droit d’accès connexe aux renseignements personnels (Ruby, précité).

Les droits à la propriété et à la liberté économique ne sont généralement pas inclus dans la sécurité de la personne tant que la privation n’enlève pas de façon fondamentale la capacité de la personne de gagner sa vie. L’incapacité d’exercer une profession donnée ne fait pas entrer en jeu la sécurité de la personne (Renvoi sur la prostitution, précité, à la page 1179; Tanase c. College of Dental Hygienists of Ontario, 2021 ONCA 482). La Cour suprême a laissé entendre dans des remarques incidentes que l’article 7 peut offrir une protection contre les atteintes aux « droits économiques, fondamentaux à la […] survie [de la personne] » (Irwin Toy, précité, à la page 1003; Gosselin, précité, au paragraphe 80). Une distinction semble être faite entre la réglementation des activités économiques qui peuvent avoir pour effet de limiter les profits ou les revenus (l’article 7 n’est pas en jeu) et la privation complète et efficace d’un moyen de subsistance (l’article 7 peut être en jeu, comme il a été mentionné dans les remarques incidentes des arrêts Gosselin, précité; Irwin Toy, précité; Walker, précité; et Singh, précité, par le juge Wilson). Dans le même ordre d’idées, l’article 7 ne protège pas contre les effets financiers découlant de l’application d’un jugement rendu au Canada ou ailleurs (Beals c. Saldanha, [2003] 3 R.C.S. 416), et il n’est pas en jeu dans le cas de limites imposées par la loi en ce qui a trait aux dommages-intérêts qu’il est possible d’obtenir en cas de préjudices corporels (Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273).

3. Principes de justice fondamentale

Généralités

Les principes de justice fondamentale ne se limitent pas aux questions de procédure; ils comprennent aussi la notion de justice fondamentale matérielle (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), [1985] 2 R.C.S. 486, aux paragraphes 62 à 67). Les principes de justice fondamentale se trouvent dans les préceptes fondamentaux de notre système juridique, y compris dans les droits énoncés aux articles 8 à 14 de la Charte (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), précité, aux paragraphes 29 et 30) ainsi que dans les préceptes fondamentaux de la politique en matière pénale qui animent la pratique législative et judiciaire au Canada et dans d’autres ressorts de common law (R. c. Lyons, [1987] 2 R.C.S. 309, à la page 327; R. c. Pearson, [1992] 3 R.C.S. 665, à la page 683).

Bien que l’on puisse généralement assimiler les normes du jus cogens à des principes de justice fondamentale, la simple existence d’une obligation internationale que doit respecter le Canada ne suffit pas pour établir l’existence d’un principe de justice fondamentale (Kazemi, précité, aux paragraphes 150 et 151).

Savoir si un principe peut être considéré comme un principe de justice fondamentale dépendra de l’analyse de la nature, des sources, de la raison d’être et du rôle essentiel de ce principe dans le processus judiciaire et dans notre système juridique à mesure qu’il évolue (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), précité; Chiarelli, précité, à la page 732). Pour être considéré comme un principe de justice fondamentale, une règle ou un principe doit être (1) un principe juridique (2) à l’égard duquel il existe un consensus substantiel dans la société sur le fait qu’il est essentiel au bon fonctionnement du système de justice, et (3) ce principe doit être défini avec suffisamment de précision pour constituer une norme permettant d’évaluer l’atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité de la personne (Malmo-Levine, précité, au paragraphe 113; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law c. Canada (Procureur général), [2004] 1 R.C.S. 76, au paragraphe 8; R. c. D.B., [2008] 2 R.C.S. 3, au paragraphe 46). Les principes de justice fondamentale trouvent leur sens dans la jurisprudence et les traditions qui, depuis longtemps, exposent en détail les normes fondamentales applicables au traitement de la population par l’État (Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, précité).

Les principes de justice fondamentale doivent être examinés en tenant soigneusement compte du contexte, et ils varient en fonction du contexte dans lequel ils sont soulevés (Chiarelli, précité, aux pages 732 et 733; Cunningham, précité, à la page 152; États-Unis d’Amérique c. Cobb, [2001] 1 R.C.S. 587, au paragraphe 32; Suresh, précité, au paragraphe 45). Bien que l’atteinte d’un « juste équilibre » entre les droits de l’individu et les intérêts de la société ne constitue pas en soi un principe de justice fondamentale (Demers, précité, au paragraphe 45; Malmo-Levine, précité, aux paragraphes 96 et 97), il est nécessaire pour déterminer le contenu et la portée des principes de justice fondamentale qui s’appliquent dans un contexte donné en vue de fixer les limites des droits en question et d’en arriver à un juste équilibre entre les droits de l’individu et les intérêts de la société (Mills, précité, aux paragraphes 61 à 68; Malmo-Levine, précité, aux paragraphes 98 et 99; Demers, précité, au paragraphe 45; Demande fondée sur l’article 83.28 du Code criminel (Re), précité, au paragraphe 78), notamment les intérêts sociaux qui « font directement intervenir la responsabilité des juges “en tant que gardien[s] du système judiciaire” » (Burns, précité, au paragraphe 71). Dans le même ordre d’idées, lorsque les droits de différentes parties sont en question (par exemple, personne accusée/partie plaignante ou parent/enfant), les droits de ces dernières doivent être examinés en vue d’établir un équilibre qui est conforme aux principes de justice fondamentale (G.(J.), précité, au paragraphe 76; Mills, précité; K.L.W., précité, au paragraphe 94; R. c. Darrach, [2000] 2 R.C.S. 443).

Bien que la sécurité nationale soit un intérêt de l’État dont il faut tenir compte lorsqu’on détermine si une atteinte à la vie, à la liberté ou à la sécurité d’une personne viole les principes de justice fondamentale (Charkaoui (2007), précité, aux paragraphes 24, 25 et 27; Suresh, précité, au paragraphe 47; Ruby, précité, aux paragraphes 39 à 46; Chiarelli, précité, aux pages 745 et 746), les questions de sécurité nationale ne peuvent servir à légitimer, à l’étape de l’analyse fondée sur l’article 7, une procédure non conforme à la justice fondamentale (Charkaoui (2007), précité, aux paragraphes 23 et 27).

(i) Justice fondamentale substantielle

La mise en balance des droits individuels et des intérêts sociaux dans l’analyse fondée sur l’article 7 est pertinente pour préciser un principe de justice fondamentale en particulier. Cependant, les intérêts sociaux, tels que les coûts des soins de santé, qui n’ont pas de lien avec un principe de justice fondamentale, devraient être examinés au regard de l’article premier (Malmo-Levine, précité, au paragraphe 98; Bedford, précité, aux paragraphes 125 et 126).

Les principes de justice fondamentale englobent les notions de caractère arbitraire, de portée excessive et de disproportion exagérée. Il s’agit de principes de « logique fonctionnelle » en ce sens qu’ils supposent une évaluation des moyens choisis en fonction des objectifs de la loi (Conseil canadien pour les réfugiés, précité, au paragraphe 124).

Comme l’objet de la loi est le principal point de référence, il est crucial de bien l’identifier pour procéder à l’analyse fondée sur l’article 7 dans les affaires portant sur ces trois principes (R. c. Sharma, 2022 CSC 39, au paragraphe 87). L’objectif doit être considéré comme valide — il n’y a pas d’évaluation de son caractère approprié. La formulation de l’objectif devrait s’attacher aux fins visées par la loi plutôt qu’aux moyens choisis pour les réaliser, et elle devrait présenter un niveau approprié de généralité et énoncer l’idée maîtresse du texte de loi en termes précis et succincts : R. c. Moriarity, [2015] 3 R.C.S. 485, aux paragraphes 26 à 30. Pour déterminer l’objet d’une loi, on doit tenir compte des énoncés faits quant à son objet, de son libellé, ainsi que du contexte et du régime législatifs. On peut également tenir compte d’éléments de preuve extrinsèques, comme le Hansard, l’historique législatif, les publications du gouvernement, l’évolution des dispositions contestées et, dans les cas où la loi est adoptée à la suite d’engagements internationaux, du droit international : R. c. Appulonappa, [2015] 3 R.C.S. 754, au paragraphe 33; Sharma, précité, au paragraphe 88. L’expression adéquate de l’objet d’un régime comportant des éléments étrangers doit tenir compte du contexte international et permettre la prise en considération de la courtoisie internationale et de la souveraineté des États étrangers. Les tribunaux devraient hésiter à conclure que ce type de dispositions législatives repose sur les lois de l’État étranger correspondant en tous points à celles du Canada (Conseil canadien pour les réfugiés, précité, au paragraphe 124).

Une atteinte à un droit est arbitraire et restreint donc de façon injustifiée l’article 7 si elle est « sans lien avec » l’objet de la loi (Bedford, précité, au paragraphe 111; Rodriguez, précité, aux pages 594 et 595; Malmo-Levine, précité, au paragraphe 135; Chaoulli, précité, aux paragraphes 129, 130 et 232; A.C., précité, au paragraphe 103). Une loi arbitraire est une loi qui ne permet pas la réalisation de ses objectifs en ce qu’elle porte atteinte à des droits reconnus par la Constitution sans promouvoir le bien public que l’on dit être l’objet de la loi (Carter, précité, au paragraphe 83).

Il ne suffit pas qu’une pratique du gouvernement soit d’une quelconque façon inadéquate ou qu’elle ne favorise pas autant l’atteinte de l’objectif du gouvernement qu’une autre façon de faire pour qu’il soit considéré que la partie demanderesse s’est acquittée du fardeau de prouver l’absence de tout lien rationnel, selon la prépondérance des probabilités et il ne suffit donc pas d’établir l’arbitraire ou la portée excessive (Ewert c. Canada, [2018] 2 R.C.S. 165, au paragraphe 73). De même, le fait qu’un régime législatif puisse créer un « écart » ne témoigne en rien d’un caractère arbitraire, lequel exige l’absence de lien entre l’effet de la disposition et son objet (Sharma, précité, aux paragraphes 110 et 111).

Il y a portée excessive si des dispositions sont rationnelles en partie mais s’appliquent si largement qu’elles visent certains actes qui n’ont aucun lien avec l’objectif législatif visé (Bedford, précité, aux paragraphes 112 et 113; Heywood, précité, aux pages 792 et 793; R. c. Clay, précité, aux paragraphes 37 à 40; Demers, précité, aux paragraphes 39 à 43).

La disproportion exagérée vise les lois qui peuvent avoir un lien rationnel avec l’objectif visé mais qui ont des effets si disproportionnés qu’elles ne peuvent être appuyées. La disproportion exagérée ne s’applique que dans les cas extrêmes où « la gravité de l’atteinte est sans rapport aucun avec l’objectif de la mesure » (Bedford, précité, au paragraphe 120; Canada (Procureur général) c. PHS Community Services Society, [2011] 3 R.C.S. 134, au paragraphe 133; Malmo-Levine, précité, au paragraphe 169; Burns, précité, au paragraphe 78; Suresh, précité, au paragraphe 47; Malmo-Levine, précité, aux paragraphes 159 et 160).

L’analyse se rapportant aux notions de caractère arbitraire, de portée excessive et de disproportion exagérée est qualitative et non quantitative; des effets arbitraires, excessifs ou totalement disproportionnés sur une personne sont suffisants pour établir un manquement (Bedford, précité, au paragraphe 123; mais voir R. c. Safarzadeh-Markhali, [2016] 1 R.C.S. 180, au paragraphe 50 et R. c. J.J., 2022 CSC 28, au paragraphe 139, où la portée excessive est décrite comme une loi qui va au-delà de ce qui est « raisonnablement nécessaire » pour atteindre son objectif). De plus, l’effet allégué n’est évalué qu’en fonction de l’objet de la loi, sans tenir compte de son efficacité (Bedford, précité, au paragraphe 125).

La question de savoir si une sanction est de disproportion exagérée (si elle sera causée par une mesure du gouvernement) doit être examinée au regard de l’article 12 de la Charte (protection contre les peines qui sont de disproportion exagérée et qui sont, par conséquent, « cruelles et inusitées ») et non de l’article 7 (Malmo-Levine, précité, au paragraphe 160; R. c. Lloyd, [2016] 1 R.C.S. 130, au paragraphe 43; R. c. Safarzadeh-Markhali, précité, au paragraphe 73). Cependant, les dispositions qui ont une incidence sur la détermination ou l’imposition d’une peine peuvent être abordées sous l’angle de la portée excessive de l’article 7 (voir p. ex. Safarzadeh-Markhali, précité, une affaire dans laquelle il a été conclu que des dispositions limitant une plus grande réduction de peine, compte tenu de la période de détention avant le procès, étaient une atteinte à la liberté d’une portée excessive).

L’imprécision va à l’encontre des principes de justice fondamentale lorsqu’une loi, envisagée dans son contexte interprétatif global, manque de précision au point de ne pas constituer un guide suffisant pour un débat juridique en ce qui a trait à l’étendue de la conduite prohibée ou de la « sphère de risque » (R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606, aux pages 626, 627 et 643; Ontario c. Canadien Pacifique Ltée, [1995] 2 R.C.S. 1028, aux pages 1070 à 1072; R. c. Levkovic, [2013] 2 R.C.S. 204, aux paragraphes 47 et 48). La théorie de l’imprécision vise à s’assurer que les citoyennes et citoyens sont raisonnablement prévenus et que le pouvoir discrétionnaire des responsables en matière d’application de la loi est limité (Nova Scotia Pharmaceutical, précité; Canadian Foundation for Children, Youth and the Law, précité, aux paragraphes 15 à 18).

Il existe un principe de justice suivant lequel la responsabilité pénale exige la preuve d’une faute reflétant l’infraction et la peine dont est passible la personne accusée (R. c. Brown, 2022 CSC 18, au paragraphe 95; Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), précité, aux pages 513 à 515). Lorsqu’une infraction entraîne la possibilité d’une peine d’emprisonnement, la négligence est le degré minimum de faute requis afin que la personne accusée puisse au moins invoquer la diligence raisonnable, pour que l’infraction soit conforme aux principes de justice fondamentale (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), précité, à la page 492; Wholesale Travel Group Inc., précité). Comme les véritables infractions criminelles entraînent des stigmatismes plus graves que les infractions contre le bien public, une déclaration de culpabilité criminelle exige au minimum la preuve d’une négligence pénale, sous la forme d’un écart marqué par rapport à la norme d’une personne raisonnable (Brown, précité, au paragraphe 90; R. c. Beatty, [2008] 1 R.C.S. 49, aux paragraphes 33 à 36). Dans le cas de certains crimes, les principes de justice fondamentale nécessiteront un niveau plus élevé (subjectif) d’intention coupable en raison des stigmates particuliers rattachés à une condamnation ou aux peines possibles (Vaillancourt, précité, aux pages 653 et 654; R. c. Martineau, [1990] 2 R.C.S. 633, aux pages 646 et 647).

Selon un principe de justice fondamentale, une personne ne devrait pas subir les stigmates d’une responsabilité criminelle pour une conduite qui était physiquement ou moralement involontaire (Daviault, précité, aux pages 102 et 103; R. c. Ruzic, [2001] 1 R.C.S. 687, au paragraphe 47; Brown, précité, au paragraphe 96).

Selon un principe de justice fondamentale, les adolescentes et les adolescents ont droit, au moment de la détermination de la peine, à une présomption de culpabilité morale moins élevée (R. c. D.B., précité, aux paragraphes 45 à 69).

Il est un autre principe de justice fondamentale selon lequel le ministère public doit établir hors de tout doute raisonnable l’existence des facteurs aggravants qu’il invoque au moment de la détermination de la peine (D.B., précité, aux paragraphes 78 et 124).

L’un des préceptes fondamentaux de notre système juridique veut qu’une personne inculpée doit être jugée et punie en vertu du droit en vigueur au moment où l’infraction a été commise (R. c. Gamble, [1988] 2 R.C.S. 595, à la page 647; Renvoi sur la prostitution, précité, à la page 1152; R. c. Johnson, [2003] 2 R.C.S. 357, aux paragraphes 41 à 46).

L’indépendance et l’impartialité du pouvoir judiciaire est un principe de justice fondamentale (Demande fondée sur l’article 83.28 du Code criminel (Re), précité, au paragraphe 81; Charkaoui (2007), précité, au paragraphe 32). L’article 7 garantit également une présomption d’innocence dans les procédures autres que pénales, encore qu’une preuve hors de tout doute raisonnable ne soit pas nécessairement requise lorsque la procédure en question ne comporte pas de détermination de la culpabilité (Pearson, précité, à la page 685; Demers, précité, aux paragraphes 33 et 34).

« Le fait d’avoir interrogé un adolescent, pour lui soutirer des déclarations relatives aux accusations criminelles les plus sérieuses qui soient » alors qu’il était détenu dans des conditions qui comprenaient une privation planifiée de sommeil et l’impossibilité de consulter un avocat « même si l’on savait que les fruits des interrogatoires seraient communiqués aux procureurs américains, contrevient aux normes canadiennes les plus élémentaires quant aux traitements à accorder aux suspects adolescents détenus » et il y a donc eu inobservation des principes de justice fondamentale (Khadr 2010, précité, au paragraphe 25).

L’accomplissement du devoir de l’avocate et de l’avocat de se dévouer à la cause de la clientèle constitue un principe de justice fondamentale. Cela signifie que lorsque les droits garantis par l’article 7 entrent en jeu, l’État ne peut imposer aux avocates et aux avocats des obligations qui entravent leur respect de ce devoir, soit dans les faits, soit aux yeux d’une personne raisonnable (Canada (Procureur général) c. Fédération des ordres professionnels de juristes du Canada, [2015] 1 R.C.S 401, au paragraphe 103).

Le secret professionnel des avocates et des avocats et des notaires est un principe de justice fondamentale et doit demeurer aussi absolu que possible (Lavallee, Rackel & Heintz c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 209, aux paragraphes 36 et 37; Canada (Procureur général) c. Chambre des notaires du Québec, [2016] 1 R.C.S. 336, au paragraphe 28). Toutefois, il convient d’analyser selon l’article 8 de la Charte les questions constitutionnelles résultant d’une ingérence de l’État, qui compromet le secret professionnel de l’avocate et de l’avocat (Lavallee, précité, au paragraphe 34).

Dans le contexte d’une extradition ou d’une expulsion, tant les lois applicables que l’exercice du pouvoir discrétionnaire qu’elles confèrent doivent respecter les principes de justice fondamentale, bien que le pouvoir ainsi conféré doive être exercé avec la plus grande retenue (Suresh, précité, aux paragraphes 39 à 41; Burns, précité, au paragraphe 32; Lake c. Canada (Ministre de la Justice), [2008] 1 R.C.S. 761, au paragraphe 34).

Une extradition ou une expulsion peut être contraire aux principes de justice fondamentale en raison des risques auxquels l’individu serait exposé dans un État étranger après avoir été renvoyé. En règle générale, le critère consiste à se demander si les risques sont si graves que l’extradition ou l’expulsion « choquerait la conscience » de la population canadienne. Les mots « choc de la conscience » ne doivent pas être assimilés aux sondages d’opinion. Ils tendent plutôt à souligner la nature très exceptionnelle de circonstances qui, sur le plan constitutionnel, limiteraient la portée de la décision du ministre dans les affaires d’extradition (Burns, précité, au paragraphe 67; États-Unis d’Amérique c. Ferras, [2006] 2 R.C.S. 77, au paragraphe 85). Une extradition qui limite les principes de justice fondamentale choquera toujours la conscience (Burns, précité, au paragraphe 68).

L’évaluation comporte un processus de pondération qui est souple, propre à un contexte, évolutif et inspiré du droit international. Ce qui sera vu comme contraire aux principes de justice fondamentale varie considérablement selon les facteurs pris en compte et leur poids relatif (Kindler, précité, à la page 848; Burns, précité, au paragraphe 65; Suresh, précité, aux paragraphes 45 et 46; Lake, précité, aux paragraphes 31, 32, 38 et 39; Canada (Procureur général) c. Barnaby, [2015] 2 R.C.S. 563, au paragraphe 2).

Sauf dans des circonstances exceptionnelles qui ne sont pas toujours définies, l’extradition d’un individu vers un État qui peut imposer la peine de mort a pour effet de « choquer la conscience », à moins que le Canada n’obtienne d’abord des garanties suffisantes que la peine de mort ne sera ni réclamée ni appliquée (Burns, précité, au paragraphe 65). De même, l’extradition ou l’expulsion vers un risque sérieux de torture limite de façon injustifiée les principes de justice fondamentale, sauf dans des « circonstances exceptionnelles » dont la portée n’est pas encore définie (Suresh, précité, au paragraphe 78). Il convient toutefois de souligner que dans l’arrêt India c. Badesha, [2017] 2 R.C.S. 127, aux paragraphes 38 et 42, la Cour suprême a simplement déclaré que l’extradition d’une personne vers un risque sérieux de torture ou de mauvais traitement « viole les principes de justice fondamentale ».

Pour une analyse des facteurs qui définissent le contenu des principes de justice fondamentale dans le contexte de l’extradition, voir : Burns, précité, au paragraphe 72; Lake, précité, aux paragraphes 38 et 39. Voir aussi France c. Diab, 2014 ONCA 374, aux paragraphes 237 et 238, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2014] C.S.C.R. n° 317 (portant sur l’utilisation d’éléments de preuve obtenus sous la torture dans le cadre de la poursuite intentée par l’État requérant).

Il a été jugé que les éléments suivants ne constituent pas des principes de justice fondamentale :

(ii) Justice fondamentale procédurale

Les principes de justice fondamentale englobent au moins l’obligation d’équité procédurale reconnue par la common law (Singh, précité, aux pages 212 et 213; Lyons, précité, à la page 361; Suresh, précité, au paragraphe 113; Ruby, précité, au paragraphe 39). Ils comprennent également plusieurs des principes établis aux articles 8 à 14 de la Charte (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), précité, aux paragraphes 29 et 30) et sont « inextricablement liés » aux exigences de l’alinéa 11d) (R. c. Rose, [1998] 3 R.C.S. 262, au paragraphe 95; J.J., précité, au paragraphe 114). Le contexte est particulièrement important en ce qui a trait à la justice fondamentale procédurale — plus l’atteinte au droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de la personne est grave, plus les garanties de procédure sont rigoureuses (Suresh, au paragraphe 118; Charkaoui (2007), précité, au paragraphe 25; Charkaoui c. Canada (Citoyenneté et Immigration), [2008] 2 R.C.S. 326, aux paragraphes 53 à 58). Les protections sont, règle générale, sensiblement plus rigides dans le contexte du droit pénal que dans d’autres domaines du droit (Chiarelli, précité, à la page 743; Ruby, précité, au paragraphe 39). Toutefois, la question déterminante est toujours la gravité de l’incidence sur les droits garantis, plutôt qu’une distinction formelle entre les différents domaines du droit (Charkaoui (2008), précité, au paragraphe 53).

Pour décider des garanties procédurales qui doivent être accordées, il faut tenir compte, notamment, (1) de la nature de la décision recherchée et du processus suivi pour y parvenir, savoir « la mesure dans laquelle le processus administratif se rapproche du processus judiciaire », (2) du rôle que joue la décision particulière au sein du régime législatif, (3) de l’importance de la décision pour la personne visée, (4) des attentes légitimes de la personne qui conteste la décision lorsque des engagements ont été pris concernant la procédure à suivre et (5) des choix de procédure que l’organisme fait lui-même. Cette liste de facteurs n’est pas exhaustive pour ce qui est de déterminer les procédures qu’exigent les principes de justice fondamentale (Baker c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 R.C.S. 817, aux paragraphes 23 à 27; Suresh, précité, au paragraphe 115; Charkaoui (2008), précité, au paragraphe 57).

Dans le contexte criminel, le droit à un procès équitable est un principe de justice fondamentale (R. c. Harrer, [1995] 3 R.C.S. 562, au paragraphe 13). Comme les principes de justice fondamentale reflètent un spectre d’intérêts allant des droits de la personne accusée aux préoccupations plus larges de la société, une évaluation de l’équité du processus judiciaire doit être effectuée « du point de vue de la collectivité et du plaignant » et non pas uniquement du point de vue de la personne accusée (Seaboyer, [1990] 2 R.C.S. 577, à la page 603; Mills, précité, au paragraphe 72).

L’élimination d’éléments de preuve trompeurs ou à faible valeur probante, l’incitation au dépôt de plaintes et la protection de la sécurité et de la vie privée des témoins sont conformes à notre conception fondamentale de la justice (Seaboyer, précité, à la page 606) et ils orientent le contenu de l’équité procédurale. Ils ont également été qualifiés de principes de justice fondamentale (Darrach, précité, au paragraphe 25; J.J., précité, au paragraphe 120; mais voir les motifs dissidents du juge Brown et du juge Rowe dans J.J., aux paragraphes 216 et 370, respectivement).

Le droit à un procès équitable inclut le droit à une défense pleine et entière, qui exige de pouvoir présenter les éléments de preuve qui permettront d’établir sa défense ou de contester la preuve présentée par la poursuite (Seaboyer, précité, à la page 608). Toutefois, ce principe n’est pas inconditionnel. Une preuve pertinente peut être exclue si l’exclusion est justifiée par une question de droit ou une politique, comme lorsque la preuve est indûment préjudiciable ou est susceptible de fausser le processus de recherche des faits (Seaboyer, à la page 609; R. c. Mills, précité, aux paragraphes 74 et 75; R. c. St-Onge Lamoureux, [2012] 3 R.C.S. 187, aux paragraphes 71 et 74; J.J., précité, au paragraphe 133). Elle peut également être exclue pour protéger le privilège de l’indicateur, sous réserve seulement de l’exception relative à la démonstration de l’innocence de la personne accusée (R. c. Basi, [2009] 3 R.C.S. 389, au paragraphe 43; R. c. Barros, [2011] 3 R.C.S. 368).

Le droit de contre-interroger les témoins à charge sans se voir imposer d’entraves importantes et injustifiées est un élément clé du droit de la personne accusée à une défense pleine et entière (R. c. Lyttle, [2004] 1 R.C.S. 193, aux paragraphes 41 à 43; R. c. R.V., 2019 CSC 41; mais voir R. c. Khelawon, [2006] 2 R.C.S. 787, aux paragraphes 47 et 48) et comprend généralement le droit de voir le visage des témoins (R. c. N.S., [2012] 3 R.C.S. 726, au paragraphe 27). Par contre, le droit de contre‐interroger n’est pas sans limites. La personne accusée ne peut effectuer un contre‐interrogatoire injuste ou non pertinent seulement parce qu’elle considère qu’il s’agit de sa stratégie la plus efficace. Dans le contexte des procès pour agression sexuelle, « prendre la plaignante par surprise avec ses propres dossiers très privés au procès peut être injuste pour elle et aller à l’encontre de la recherche de la vérité » (J.J., précité, au paragraphe 183). Le droit au contre-interrogatoire ne s’applique pas à l’enquête préliminaire (R. c. Bjelland, [2009] 2 R.C.S. 651, au paragraphe 32).

Le droit d’obtenir communication des preuves est aussi un aspect du droit à une défense pleine et entière (R. c. Stinchcombe, [1991] 3 R.C.S. 326, à la page 336; R. c. O’Connor, [1995] 4 R.C.S. 411; R. c. Carosella, [1997] 1 R.C.S. 80, au paragraphe 37; R. c. Taillefer, [2003] 3 R.C.S. 307, au paragraphe 61). Ce droit impose au ministère public l’obligation de se renseigner suffisamment auprès des autres entités du gouvernement qui pourraient logiquement avoir en leur possession des renseignements pertinents (R. c. McNeil, [2009] 1 R.C.S. 66, aux paragraphes 49 et 50), y compris la communication des éléments de preuve recueillis par des responsables canadiens à l’étranger dans le contexte d’une instance criminelle étrangère si le Canada participait aux activités d’un État étranger ou de ses responsables qui vont à l’encontre des obligations internationales du Canada (Khadr (2008), précité, au paragraphe 18).

Le droit de la personne accusée de mener sa défense comme elle l’entend est également un principe de justice fondamentale (Swain, précité, aux pages 971 et 972). Ce droit englobe le contrôle des décisions clés quant au litige, dont celles de sa représentation ou non, du mode de procès qu’elle subira, du plaidoyer de culpabilité ou de non-culpabilité, de la présentation d’un moyen de défense, du choix de témoigner, et des témoins à faire comparaître. Dans les cas où l’aide d’un amicus curiae est requise pour garantir l’équité du procès, le droit de la personne accusée de contrôler sa propre défense limite les fonctions contradictoires dont peut s’acquitter l’amicus curiae. L’amicus curiae ne peut pas présenter d’observations ou chercher à obtenir des éléments de preuve qui contredisent les moyens de défense ou les théories présentés par la personne accusée (R. c. Kahsai, 2023 CSC 20, aux paragraphes 43 à 45).

Il est un principe de justice fondamentale que les fonctionnaires qui, dans le cadre de leur pouvoir discrétionnaire, exercent des fonctions de poursuivants ne peuvent agir à des fins illégitimes, comme des motifs purement partisans (R. c. Cawthorne, [2016] 1 R.C.S. 983; R. c. Regan, [2002] 1 R.C.S. 297). Cependant, ces personnes ont droit au bénéfice d’une forte présomption qu’elles exercent leur pouvoir discrétionnaire indépendamment de tels motifs. Cette présomption n’est pas écartée par le fait que ces personnes peuvent aussi exercer des fonctions partisanes (p. ex. en tant que membre du Cabinet). La barre à atteindre pour conclure que la conduite de poursuivants était motivée par un motif illégitime est « très haute », et les poursuivants sont en droit d’agir à des fins « politiques », en ce sens qu’ils sont motivés par la conception qu’a le gouvernement de l’intérêt public (Cawthorne, précité, aux paragraphes 26 à 28 et 34).

La doctrine de l’abus de procédure en matière pénale, reconnue en common law, a été incorporée à l’article 7 de la Charte de façon à ce que l’abus de procédure constitue une violation des principes de justice fondamentale (R. c. O’Connor, précité; R. c. Nixon, [2011] 2 R.C.S. 566, aux paragraphes 36 et 37). Bien que dans certains cas (p. ex. délai) il soit peut-être préférable d’examiner l’abus de procédure au regard d’autres protections garanties par la Charte, celui-ci comporte au moins deux catégories résiduelles en matière d’équité du procès : (1) les cas où la conduite de poursuivants porte atteinte à l’équité du procès et (2) les cas où la conduite de poursuivants « contre[vient] aux notions fondamentales de justice et [mine] ainsi l’intégrité du processus judiciaire » (O’Connor, précité, au paragraphe 73). Le critère à appliquer pour décider s’il y a abus de procédure est de savoir si « forcer le prévenu à subir son procès violerait les principes de justice fondamentaux qui sous-tendent le sens du franc-jeu et de la décence qu’a la société » ou s’il s’agit d’une procédure « oppressive ou vexatoire » (Nixon, précité, au paragraphe 40). Voir l’analyse sur le paragraphe 24(1) pour une analyse des réparations applicables à l’abus de procédure (p. ex. l’arrêt judiciaire des procédures).

Les principes de justice fondamentale suivants ont été appliqués dans des contextes non criminels : le droit à une audience devant un tribunal indépendant et impartial (Ruffo c. Conseil de la magistrature, [1995] 4 R.C.S. 267, au paragraphe 38; Pearlman c. Comité Judiciaire de la Société du Barreau du Manitoba, [1991] 2 R.C.S. 869, à la page 883; Charkaoui (2007), précité, aux paragraphes 29 et 32); le droit à une audience équitable, y inclus le droit à ce que l’État paie pour sa représentation par une avocate ou un avocat lorsque les circonstances l’exigent afin d’assurer la possibilité de présenter efficacement sa cause (G.(J.), précité, aux paragraphes 72 à 75 et 119; Ruby, précité, au paragraphe 40); la possibilité de connaître la substance des actes reprochés (Chiarelli, précité, aux pages 745 et 746; Suresh, précité, au paragraphe 122; May c. Établissement Ferndale, précité, au paragraphe 92; Charkaoui (2007), précité, au paragraphe 53), y compris la communication de la preuve lorsque les procédures peuvent avoir de graves conséquences (Charkaoui (2008), précité, aux paragraphes 56 et 58; Harkat, précité, aux paragraphes 43, 57 et 60); le droit de présenter des éléments de preuve par écrit pour contester la validité des éléments de preuve de l’État (Suresh, précité, au paragraphe 123; Harkat, précité, au paragraphe 67); le droit à une décision sur les faits et les règles de droit applicables (Charkaoui (2007), précité, aux paragraphes 29 et 48); le droit à des motifs écrits qui exposent clairement et étayent rationnellement une décision administrative (Suresh, précité, au paragraphe 126); et le droit à la protection contre l’abus de procédure (Cobb, précité, aux paragraphes 52 et 53). L’application de ces principes est de nature hautement contextuelle, mais on peut présumer que s’ils s’appliquent en dehors du contexte criminel, ils s’appliquent avec plus de vigueur dans ce dernier.

Les principes de justice fondamentale applicables aux audiences d’extradition exigent que la personne intéressée fasse l’objet d’une décision judiciaire valable quant à la question de savoir si la preuve nécessaire à son extradition a été établie. Pour cela, il faut une étape judiciaire indépendante, des juges indépendants et impartiaux et une décision judiciaire fondée sur une appréciation de la preuve et du droit (Ferras, précité, aux paragraphes 19 à 26 et 85 à 87).

L’équité procédurale en vertu de l’article 7 ne garantit pas les procédures les plus favorables que l’on puisse imaginer (Lyons, précité, à la page 361; Mills, précité, au paragraphe 72; Ruby, précité, au paragraphe 46) ou un processus « parfait » (Harkat, précité, aux paragraphes 43 et 69). Des audiences orales ne sont pas nécessaires dans chaque cas dans le contexte administratif (Singh, précité, aux pages 213 et 214; Suresh, précité, au paragraphe 121), puisque le degré approprié de protection variera selon différents facteurs, dont la gravité des intérêts de la personne en jeu, la complexité de l’instance et d’autres facteurs examinés précédemment (G.(J.), précité, aux paragraphes 72 à 81).

Les principes de justice fondamentale ne comprennent généralement pas le droit d’interjeter appel, que ce soit dans le contexte criminel (R. c. Meltzer, [1989] 1 R.C.S. 1764 aux pages 1774 et 1775; R. c. C.P., 2021 CSC 19, aux paragraphes 131 à 139) ou le contexte quasi criminel/administratif (Kourtessis c. M.R.N., [1993] 2 R.C.S. 53, aux pages 69 et 70; Huynh c. Canada, [1996] 2 C.F. 976 (C.A.), aux paragraphes 14 à 20 (autorisation d’interjeter appel auprès de la CSC refusée); Charkaoui (2007), précité, au paragraphe 136).

Le rejet d’une demande d’accès à des renseignements personnels en invoquant l’exception applicable aux documents confidentiels fournis par un État étranger ou aux documents relevant de la sécurité nationale que prévoit la Loi sur la protection des renseignements personnels, les limites imposées quant à l’étendue de la communication et la disposition prévoyant des procédures à huis clos et ex parte ne vont pas nécessairement à l’encontre des principes de justice fondamentale (Ruby, précité, au paragraphe 51; Charkaoui (2007), précité, aux paragraphes 58 à 60). Le préavis et la participation à l’audience ne constituent pas des normes constitutionnelles immuables, mais font partie d’une approche contextuelle concernant l’équité procédurale (Charkaoui (2007), précité, au paragraphe 57; Rodgers, précité, au paragraphe 47).

Les principes de justice fondamentale comprennent aussi une protection résiduelle contre l’auto-incrimination (R. c. P. (M.B.), [1994] 1 R.C.S. 555, à la page 577; R. c. S. (R.J.), [1995] 1 R.C.S. 451, à la page 512; R. c. Jarvis, [2002] 3 R.C.S. 757, au paragraphe 67). Cette protection exige que les personnes contraintes à donner une preuve incriminante bénéficient d’une immunité contre l’utilisation subséquente de cette preuve dans le cadre d’une poursuite pénale ou de toute procédure qui entraîne l’application de l’article 7 de la Charte (Demande fondée sur l’article 83.28 du Code criminel (Re), précité, aux paragraphes 77 à 79). Cette protection s’étend à l’utilisation subséquente d’éléments de preuve qui n’auraient pu être obtenus ou dont l’importance n’aurait pu être évaluée n’eût été des éléments de preuve fournis sous la contrainte à témoigner (S.(R.J.), précité, aux pages 454 et 455; Branch, précité, aux pages 31 et 32). La protection résiduelle englobe également une exemption constitutionnelle prévoyant un droit absolu de ne pas témoigner lorsque de telles procédures sont entreprises ou utilisées essentiellement pour obtenir des éléments de preuve en vue de poursuivre les témoins (Branch, précité; Phillips c. Nouvelle-Écosse (Commission d’enquête sur la tragédie de la mine Westray), [1995] 2 R.C.S. 97; Jarvis, précité; Demande fondée sur l’article 83.28 du Code criminel (Re), précité, aux paragraphes 70 et 71). La protection résiduelle s’applique également, dans le contexte du secret professionnel de l’avocate et de l’avocat, au « détenteur du privilège » qui a fait des déclarations incriminantes à son avocate ou à son avocat lorsqu’un tribunal ordonne par la suite la divulgation de ces déclarations, conformément à une requête de type McClure (R. c. Brown, [2002] 2 R.C.S. 185). Dans le contexte d’une investigation judiciaire (conformément à l’article 83.28 du Code criminel), la protection contre l’utilisation subséquente s’étend au-delà du contexte pénal et s’applique dans le cas de toute procédure qui entraîne l’application de l’article 7, y compris les audiences d’extradition et d’expulsion (Demande fondée sur l’article 83.28 du Code criminel (Re), précité, aux paragraphes 77 à 79).

La portée du principe interdisant l’auto-incrimination est déterminée par une analyse contextuelle. Les facteurs pertinents comprennent la présence ou l’absence des éléments suivants : (1) une contrainte réelle de la part de l’État pour obtenir les déclarations, (2) la relation de nature contradictoire entre la personne accusée et l’État au moment de l’obtention des déclarations, (3) le risque supplémentaire que la contrainte légale entraîne une diminution de la fiabilité des confessions et (4) le risque supplémentaire que la contrainte légale entraîne des abus de pouvoir de la part de l’État (R. c. Fitzpatrick, [1995] 4 R.C.S. 154, aux paragraphes 21 à 25; R. c. White, [1999] 2 R.C.S. 417, au paragraphe 51).

Le principe interdisant l’auto-incrimination n’est pas enfreint par l’utilisation contre une personne, dans une instance pénale de nature réglementaire, d’informations que cette personne est appelée à fournir dans le cadre d’une réglementation à laquelle elle a choisi de se soumettre en décidant d’exercer une activité (Fitzpatrick, précité, au paragraphe 54) ou à des fins fiscales (R. c. Wilder, 2000 BCCA 29, autorisation d’interjeter appel auprès de la CSC refusée, [2000] S.C.C.A. No 279). Il serait toutefois compromis par l’admission en preuve, dans un procès criminel, de déclarations que la personne accusée a faites à la police sous l’effet de l’obligation imposée par une loi provinciale sur la sécurité routière (White, précité, aux paragraphes 53 à 66).

Le principe de la protection contre l’auto-incrimination n’entre pas en jeu lorsque le témoignage requis est celui d’une tierce personne, peu importe sa relation avec la personne accusée. Comme telle, l’action de l’État contraignant une personne à donner un témoignage incriminant contre une autre personne n’est pas contraire aux principes de justice fondamentale (Del Zotto c. Canada, [1999] 1 R.C.S. 3).

Le principe de la protection contre l’auto-incrimination éclaire également la règle de preuve de common law régissant les opérations du type « Monsieur Big » selon laquelle les aveux obtenus sont présumés inadmissibles; il incombera au ministère public d’établir que la valeur probante de l’aveu l’emporte sur son effet préjudiciable (R. c. Hart, [2014] 2 R.C.S. 544, aux paragraphes 84 à 87 et 123).

L’article 7 comprend également une protection résiduelle pour le droit au silence au cours de la période qui précède le procès, protection qui est étroitement liée au principe interdisant l’auto-incrimination. Le droit de « garder le silence devant les accusations de l’État » est étroitement lié à notre système contradictoire de justice criminelle et à la présomption d’innocence. Les deux principes « protègent le "précepte fondamental de justice" selon lequel le ministère public doit avoir présenté une preuve complète avant qu’on puisse s’attendre à une réaction de la part de l’accusé » (J.J., précité, au paragraphe 144; R. c. Henry, [2005] 3 R.C.S. 609, au paragraphe 2; P. (M.B.), précité, à la page 579). Ils se reflètent dans l’absence d’une obligation générale de communication pour la défense (P. (M.B.), précité, à la page 578; J.J., précité, au paragraphe 145). Il n’y a toutefois aucune règle absolue interdisant d’exiger que la défense communique sa preuve au ministère public avant que la poursuite termine la présentation de sa preuve (J.J., précité, au paragraphe 154).

Une personne détenue doit être en mesure de choisir librement de parler aux autorités ou de garder le silence (R. c. Hebert, [1990] 2 R.C.S. 151, à la page 178; R. c. Liew, [1999] 3 R.C.S. 227, aux paragraphes 36 et 37; R. c. Singh, [2007] 3 R.C.S. 405, aux paragraphes 43 à 46). Le droit au silence protège contre l’obtention de renseignements par des agentes ou agents banalisés mais il permet l’observation de la personne accusée par ceux-ci (Hebert, précité, à la page 307).

Le silence d’une personne accusée au procès ne peut être utilisé comme preuve de sa culpabilité et aucune conclusion défavorable ne peut être tirée du défaut de témoigner (R. c. Noble, [1997] 1 R.C.S. 874, au paragraphe 72; R. c. Prokofiew au paragraphe 64).

Considérations particulières relatives à l’article premier

La Cour suprême a déclaré à maintes reprises qu’il n’est « pas facile de sauver une atteinte à l’article 7 par l’application de l’article premier » et elle a laissé entendre dans certaines affaires que la justification au regard de l’article premier n’était peut-être possible que « dans les circonstances qui résultent de conditions exceptionnelles comme les désastres naturels, le déclenchement d’hostilités, les épidémies et ainsi de suite » (Renvoi sur la Motor Vehicle Act (C.-B.), précité, au paragraphe 85; Nouveau-Brunswick (Ministre de la Santé et des Services communautaires) c. G. (J.), [1999] 3 R.C.S. 46, au paragraphe 99; Heywood, précité; Burns, précité; Suresh, précité, au paragraphe 128; Ruzic, précité, au paragraphe 92; Charkaoui (2007), précité, au paragraphe 66). Cependant, dans d’autres affaires, la Cour a souligné les différences qu’il y a entre l’article 7 et l’article premier, laissant entendre que ce dernier pourrait se justifier si la loi sert les valeurs sociales plus vastes qui sous-tendent une société libre et démocratique, comme la promotion du respect de la dignité inhérente de la personne humaine, l’engagement à l’égard de la justice sociale et de l’égalité, l’acceptation d’une grande diversité de croyances, le respect de l’identité culturelle et collective, ainsi que la foi en les institutions sociales et politiques qui favorisent la participation des particuliers et des groupes dans la société (Bedford, précité, aux paragraphes 113 et 124 à 129; Mills, précité, aux paragraphes 66 et 67; Malmo-Levine, précité, au paragraphe 98; Charkaoui (2007), précité, au paragraphe 66). Il serait peut-être possible aussi de défendre une violation en vertu de l’article premier lorsqu’il s’agit d’une limite à une protection résiduelle qui recoupe une protection offerte par d’autres sections de la Charte, dont la limite peut être justifiée au regard de l’article premier (voir généralement D.B., précité, aux paragraphes 85 à 91).

En ce qui concerne les notions particulières de caractère arbitraire, de portée excessive et de disproportion exagérée au regard de l’article 7, bien qu’il puisse y avoir des points communs avec les volets du critère de la justification en vertu de l’article premier, les deux articles demeurent distincts. Comme il a déjà été mentionné, l’analyse fondée sur l’article 7 est qualitative — en ce sens que des effets arbitraires, excessifs ou totalement disproportionnés sur une personne sont suffisants pour établir un manquement — et elle évalue l’effet de la règle de droit contestée en fonction de l’objet de la loi, sans tenir compte de son efficacité. En revanche, l’analyse fondée sur l’article premier est tant qualitative que quantitative et elle permet à l’État de présenter une preuve relevant des sciences humaines ainsi que le témoignage de spécialistes qui justifient les répercussions d’une disposition sur l’ensemble de la société (Bedford, précité, aux paragraphes 126 et 127). L’utilité pratique sur le plan de l’application n’est pas pertinente en ce qui a trait à la portée excessive au regard de l’article 7 mais on pourrait s’en servir pour justifier la portée excessive d’une disposition suivant l’article premier (Bedford, précité, au paragraphe 113). Les soupapes de sécurité, comme les mécanismes d’exemption discrétionnaire, peuvent être utiles pour la justification au titre de l’article premier d’une limite aux droits garantis par l’article 7. Dans les cas où les soupapes de sécurité sont imparfaites, en ce sens qu’elles n’empêchent pas toutes les limites aux droits prévus à l’article 7, le gouvernement peut faire valoir que les soupapes de sécurité d’un régime, dans leur ensemble, suffisent néanmoins pour respecter le critère de l’atteinte minimale et la mise en balance finale des exigences du critère relatif à l’article premier (Conseil canadien pour les réfugiés, précité, aux paragraphes 170 et 171).

Les différences entre les cadres qu’établissent l’article 7 et l’article premier ont été invoquées pour confirmer qu’une violation de l’article 7 constituait une limite raisonnable au sens de l’article premier dans R. c. Michaud, 2015 ONCA 585, autorisation d’interjeter appel auprès de la CSC refusée, [2015] C.S.C.R. n° 450.

Le contenu est à jour jusqu’au 2023-07-31.