Projet de loi C-20 : Loi établissant la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et modifiant certaines lois et textes réglementaires

Déposé à la Chambre des communes le 21 juin 2022
Note explicative
L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer l’incompatibilité avec la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.
Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des renseignements juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-20, Loi établissant la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public et modifiant certaines lois et textes réglementaires, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.
Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-20 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Elle n’inclut pas de description exhaustive du projet de loi, mais est plutôt axée sur les éléments qui sont pertinents pour l’énoncé concernant la Charte.
Aperçu
Le projet de loi C-20 propose de créer la Commission d’examen et de traitement des plaintes du public (« la Commission »), un organisme d’examen et de traitement des plaintes indépendant amélioré pour la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et l’Agence des services frontaliers du Canada (ASFC). Cette commission améliorée remplacerait l’organisme d’examen existant de la GRC, la Commission civile d'examen et de traitement des plaintes relatives à la GRC (CCETP).
Le projet de loi donnerait à la Commission le pouvoir d’examiner des activités précises de l’ASFC qui ne sont pas liées à la sécurité nationale ainsi que celui d’enquêter sur les plaintes concernant le niveau de service ou la conduite du personnel de l’ASFC, notamment en ce qui touche le traitement des personnes détenues et leurs conditions de détention. Il modifierait en outre la Loi sur l’Agence des services frontaliers du Canada pour exiger que l’ASFC mène des enquêtes sur les incidents graves mettant en cause les dirigeants ou les employés de l’Agence.
Accès aux renseignements et utilisation
Le projet de loi donnerait à la Commission, sous réserve de certaines exceptions, un droit d’accès aux renseignements qui relèvent de la GRC ou de l’ASFC ou dont celles-ci disposent et qui, selon la Commission, sont pertinents à l’égard de l’exercice de ses pouvoirs et fonctions. Par exemple, la Commission n’aurait pas un droit d’accès aux renseignements confidentiels du Cabinet ou aux renseignements commerciaux dont le Canada s’est engagé à assurer la confidentialité dans le cadre d’une entente internationale.
Le projet de loi contient des dispositions spécifiques ayant trait aux « renseignements protégés ». Ceux-ci constituent une catégorie de renseignements définie dans le projet de loi qui comprend ceux protégés par le secret professionnel, par le privilège relatif au litige ou par le privilège de l’informateur, ainsi que d’autres types d’information sensible comme les renseignements médicaux ayant trait au personnel de la GRC ou aux dirigeants ou employés de l’ASFC. La Commission aurait un droit d’accès aux renseignements protégés de la GRC et de l’ASFC jugés pertinents ou nécessaires au regard des affaires portées devant elle, mais le projet de loi impose par ailleurs certaines restrictions et réserves au droit d’accès et à l’utilisation de ces renseignements par la Commission.
Fouilles, perquisitions ou saisies (article 8)
L’article 8 de la Charte garantit la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies « abusives ». L’objectif de cet article est de protéger les personnes contre les intrusions abusives lorsqu’il existe une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. Toute fouille, perquisition ou saisie peut néanmoins être raisonnable si elle est autorisée par une loi, si la loi elle‑même est raisonnable (en ce sens qu’elle établit un équilibre entre le respect de la vie privée et les intérêts que poursuit l’État) et si la fouille, perquisition ou saisie en tant que telle est menée de manière raisonnable. Étant donné que les pouvoirs de la Commission concernant l’accès aux renseignements et leur utilisation sont susceptibles de nuire à des intérêts en matière de vie privée, ils pourraient faire intervenir les droits garantis par l’article 8 de la Charte.
Les considérations qui suivent appuient cependant la conformité des dispositions en cause au regard de l’article 8 de la Charte. Le but de ces dispositions est de permettre à la Commission d’obtenir des renseignements pour qu’elle puisse remplir sa mission, laquelle consiste à fournir un mécanisme de responsabilisation publique à la GRC et à l’ASFC. Leur libellé est formulé de manière à ce que toute atteinte éventuelle aux intérêts en matière de vie privée soit limitée aux renseignements pertinents à l’égard de l’exercice des fonctions d’examen et de traitement des plaintes de la Commission. Les renseignements recueillis par la Commission pourraient être utilisés uniquement aux fins d’examen ou de traitement des plaintes; ils ne pourraient servir à mener des enquêtes en matière pénale.
Le projet de loi interdirait la communication de renseignements par les membres et le personnel de la Commission à des fins autres que l’exercice des attributions conférées à l’organisme, à moins que la communication ne soit autorisée ou exigée par la loi. En outre, la communication de renseignements aux tierces parties (comme les fournisseurs de services embauchés sous contrat par la Commission) serait assujettie à des réserves. Enfin, le projet de loi crée plusieurs infractions découlant de la violation des règles régissant l’utilisation et la communication de renseignements.
Audiences publiques
Le projet de loi donnerait à la Commission le pouvoir de convoquer des audiences publiques pour enquêter sur les plaintes et celui d’établir un cadre pour faciliter la protection des renseignements sensibles au cours des audiences.
Lorsque la Commission estime que certains types de renseignements sensibles seront vraisemblablement communiqués au cours de l’audience, elle peut ordonner que celle-ci soit tenue entièrement ou partiellement à huis clos ou en l’absence des parties et de leurs représentants. Un tel pouvoir empêcherait la communication de certains types de renseignements sensibles, par exemple des renseignements qui, s’ils étaient rendus publics, risqueraient de compromettre la sécurité ou la défense nationale, de nuire aux relations internationales ou d’entraver les enquêtes ou poursuites en matière pénale. Le projet de loi permet également à la Commission d’ordonner, de sa propre initiative ou à la demande d’une partie ou d’un témoin, que l’audience soit tenue entièrement ou partiellement à huis clos ou en l’absence des parties lorsqu’elle est d’avis que les circonstances de l’affaire l’exigent.
Liberté d’expression (alinéa 2b))
L’alinéa 2b) de la Charte prévoit que chacun a la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. Cela inclut le « principe de publicité des débats judiciaires », selon lequel les membres du public ont le droit d’obtenir des renseignements sur les instances judiciaires.Par conséquent, les dispositions du projet de loi prévoyant que les audiences de la Commission pourront être tenues à huis clos et en l’absence des parties dans certaines circonstances sont susceptibles de faire intervenir l’alinéa 2b) de la Charte.
Les considérations qui suivent militent cependant en faveur de la conformité de ces dispositions au regard de la Charte. Comme pour tous les droits garantis par la Charte, le principe de publicité des débats judiciaires n’est pas absolu et peut être limité pour répondre à des objectifs urgents. Protéger les renseignements sensibles comme ceux qui ont été mentionnés ci-dessus est un intérêt public reconnu et important. Cela dit, le pouvoir proposé en l’espèce est discrétionnaire et la Commission l’exercerait au cas par cas. Il lui incomberait de décider judicieusement, en conformité avec les dispositions de la Charte et avec les règles énoncées dans le projet de loi, de l’opportunité de tenir telle audience entièrement ou partiellement à huis clos ou en l’absence des parties.
Pouvoirs de la Commission et infractions
Le projet de loi donnerait à la Commission le pouvoir d’assigner et de contraindre les témoins à comparaître, de même que celui de contraindre à témoigner et à produire les documents ou éléments dont elle juge avoir besoin pour enquêter, instruire une audience et examiner la plainte à fond.
Le projet de loi crée des infractions punissables par procédure sommaire liées aux travaux et aux instances de la Commission. Ces infractions peuvent entraîner l’imposition d’une amende ou d’une peine d’emprisonnement, voire les deux. Les interdictions comprennent le non-respect d’une assignation à comparaître, la tenue de propos insultants ou menaçants lors d’une instance, ainsi que le fait de gêner le travail de la Commission, notamment au moyen de harcèlement, d’intimidation ou de menaces à l’endroit de personnes impliquées dans une plainte. Comme il est mentionné plus haut, le projet de loi crée plusieurs infractions découlant de la violation des règles régissant l’utilisation et la communication de renseignements. Ces infractions visent principalement les membres, les dirigeants et les employés de la Commission, de même que d’autres personnes agissant au nom de celle-ci.
Droit à la liberté (article 7)
L’article 7 de la Charte garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Ces principes incluent l’exigence que la mesure législative qui touche à ces droits ne soit pas arbitraire, n’ait pas une portée excessive ou une incidence totalement disproportionnée à son objet. Une mesure législative est arbitraire lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 qui n’ont aucun lien rationnel avec son objectif. Une mesure législative a une portée excessive si elle est tellement large qu’elle vise un comportement qui n’a aucun lien avec son objectif. Une mesure législative est totalement disproportionnée si ses répercussions sur les droits garantis par l’article 7 sont graves au point d’être « sans rapport aucun » avec son objectif. Par ailleurs, les principes de justice fondamentale prévoient une protection résiduelle contre l’auto-incrimination.
Le pouvoir d’assigner un témoin à comparaître pourrait toucher aux droit protégés par l’article 7 de la Charte en privant les personnes de leur liberté; il doit donc être exercé en conformité avec les principes de justice fondamentale. De même, puisque les infractions prévues peuvent entraîner l’emprisonnement et priver des personnes de leur liberté, elles doivent aussi être compatibles avec ces principes.
Les considérations qui suivent appuient la compatibilité des dispositions avec la Charte. La capacité d’assigner à comparaître est un pouvoir dont la Commission a besoin pour enquêter efficacement sur les plaintes du public. Cependant, bien qu’une personne puisse être contrainte à témoigner ou à produire des éléments de preuve dans le cadre d’une enquête, le projet de loi interdit l’utilisation du témoignage ou de la preuve dans toute instance ultérieure contre cette personne, sauf en cas de poursuites pour parjure ou pour éclairer la prise de certaines décisions du président de la Commission.
Lorsqu’il a examiné les pouvoirs et les infractions proposés dans le projet de loi, le ministre de la Justice n’a pas relevé d’incompatibilité potentielle avec les principes de justice fondamentale que fait intervenir l’article 7. La portée de ces pouvoirs et infractions est justifiée en fonction de leurs objectifs, et le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine juste et appropriée, sur déclaration de culpabilité, revient ultimement au juge.
Liberté d’expression (alinéa 2b))
L’alinéa 2b) de la Charte repose sur des valeurs importantes, comme favoriser la recherche de la vérité et la participation publique à la prise de décisions sociales et politiques. Les formes d’expression violentes ou contribuant à la violence ne sont cependant pas protégées par la Charte. Les infractions proposées qui visent les propos insultants ou menaçants ou toute conduite ayant pour but de convaincre des personnes de ne pas témoigner pourraient porter atteinte à la liberté d’expression en limitant certaines formes de communication.
Les considérations qui suivent appuient cependant la compatibilité de ces infractions avec l’alinéa 2b) de la Charte. Celles-ci ont pour but d’assurer la bonne administration des audiences de la Commission. Les types de communications que visent les infractions proposées sont étroitement définis et il s’agit de communications ne reflétant pas les valeurs qui sous-tendent la liberté d’expression, et pouvant par conséquent être considérées comme étant secondaires au droit garanti par l’alinéa 2b). De telles communications mineraient l’autorité et le rôle de la Commission dans l’instruction des audiences relatives aux plaintes.
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