Projet de loi C-39 : Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)
Déposé à la Chambre des communes le 15 février 2023
Note explicative
L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant servi de base à l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.
Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-39, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Dans son examen, il a notamment pris en considération les objectifs et les caractéristiques du projet de loi.
Voici une analyse non exhaustive des façons dont le projet de loi C-39 pourrait faire intervenir les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Il ne s’agit pas de procéder à une description exhaustive de l’ensemble du projet de loi, mais plutôt de traiter des éléments pertinents dans le contexte d’un Énoncé concernant la Charte.
Aperçu
Suivant les dispositions actuelles du Code criminel, qui ont été adoptées par le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), l’admissibilité à l’aide médicale à mourir est exclue dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué à l’appui de la demande. Cette exclusion est assujettie à une disposition de temporisation et expirera le 17 mars 2023. Le projet de loi C-39 prolongerait cette exclusion et, s’il était adopté et entrait en vigueur avant le 17 mars 2023, il préserverait l’état actuel du droit pour une période d’un an. À l’expiration de la disposition de temporisation, les personnes pour qui la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué à l’appui d’une demande d’aide médicale à mourir ne seraient plus exclues de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Dès cette date, elles seraient soumises aux critères d’admissibilité et garanties procédurales qui s’appliquent actuellement lorsque l’aide médicale à mourir est demandée par des personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible.
Avec la disposition de temporisation, le projet de loi C-39 crée deux situations juridiques différentes et séquentiels, chacune ayant le potentiel de toucher les droits garantis par la Charte. Le présent Énoncé concernant la Charte décrit les effets potentiels que le projet de loi C-39 peut avoir sur les droits garantis par la Charte, d’abord durant la période de prolongation et ensuite à l’expiration de la disposition de temporisation dans une année.
L’aide médicale à mourir met en jeu un certain nombre de valeurs sociétales et d’intérêts divergents. Le projet de loi C-39 vise à établir un équilibre entre ces intérêts et ces valeurs, qui animent également les dispositions existantes et qui incluent l’autonomie des personnes admissibles à l’aide médicale à mourir, la protection des personnes vulnérables et l’enjeu important de santé publique que constitue le suicide. En prolongeant d’une année l’interdiction de l’aide médicale à mourir pour les personnes dont la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué, le projet de loi C-39 cherche à garantir que l’aide médicale à mourir soit offerte en toute sécurité dans ces circonstances. Plus précisément, l’objectif est d’accorder plus de temps aux médecins et infirmiers praticiens – notamment les évaluateurs et prestataires de l’aide médicale à mourir – pour allouer et mettre en place des ressources clés afin que le réseau de la santé soit bien préparé. Ceci s’accorde avec le rapport final du Groupe d’experts sur l’aide médicale à mourir et la maladie mentale qui a recommandé que des formations spécialisées soient mises à la disposition des évaluateurs et prestataires d’aide médicale à mourir avant de permettre l’accès à l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué. L’approche suivie par le projet de loi C-39 donne aussi au gouvernement plus de temps pour examiner le rapport final du Comité parlementaire mixte spécial sur l’aide médicale à mourir.
La Cour suprême du Canada a reconnu la tâche difficile du Parlement de légiférer dans ce domaine et de pondérer les perspectives des personnes qui demandent de l’aide pour mourir et les perspectives de celles qu’un régime permissif pourrait mettre en danger. La Cour a reconnu la nécessité d’accorder une grande déférence aux décisions du Parlement sur la façon de mettre en balance ces intérêts divergents. On peut répondre de différentes façons à la question difficile de permettre ou non l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladie mentale, tout en étant conforme à la Charte. Les considérations qui appuient la conformité avec la Charte des deux situations juridiques crées par le projet de loi C-39 – soit l’interdiction de l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladie mentale pendant la période de prolongation et l’autorisation de l’aide médicale à mourir après l’expiration de la disposition de temporisation – sont décrites ci-dessous.
Prolongement de l’interdiction de l’aide médicale à mourir aux personnes dont la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué
L’interdiction de l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué pourrait avoir des effets sur les droits garantis par la Charte; ces effets sont indiqués dans l’Énoncé concernant la Charte du projet de loi C-7, Loi modifiant la Loi sur le Code criminel (aide médicale à mourir) et reproduits ci-dessous avec des modifications mineures pour refléter le contexte du projet de loi C-39.
Vie, liberté et sécurité de la personne (article 7) et égalité (article 15)
L’article 7 garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et prévoit que le gouvernement ne peut porter atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Ces principes comprennent l’exigence que la mesure législative ne soit pas arbitraire et n’ait pas une portée excessive ou une incidence totalement disproportionnée à son objet. Une mesure législative est arbitraire lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui n’a aucun lien rationnel avec l’objectif de la mesure. Une mesure législative a une portée excessive lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui, bien que généralement rationnelle, va trop loin en visant un comportement qui n’a aucun lien avec l’objectif de la mesure. Une mesure législative est totalement disproportionnée lorsque ses répercussions sur les droits garantis par l’article 7 sont graves au point d’être « sans rapport aucun » avec l’objectif de la mesure.
Le paragraphe 15(1) de la Charte protège le droit à l’égalité. Il prévoit que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur les déficiences mentales ou physiques.
Dans l’arrêt Carter c. Canada (2015), la Cour suprême du Canada a statué que la réaction d’une personne à des problèmes de santé graves et irrémédiables est primordiale pour sa dignité et son autonomie. Pour les personnes dans cette situation, auxquelles la loi permettrait de demander une sédation palliative, de refuser une alimentation et une hydratation artificielles ou de réclamer le retrait d’un équipement médical de maintien de la vie, une prohibition criminelle de l’aide médicale à mourir empiéterait sur leur liberté et la sécurité de leur personne. Cette prohibition privait en effet ces personnes de la possibilité de prendre des décisions relatives à leur intégrité corporelle, ce qui peut entraîner de graves souffrances.
Étant donné que le projet de loi C-39 interdirait de façon temporaire l’aide médicale à mourir dans les circonstances où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué, cette disposition est susceptible de mettre en jeu le droit à la liberté et à la sécurité de la personne. Ce paragraphe déclenche également l’application de l’article 15, car l’exclusion de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir s’appliquerait aux personnes qui souffrent d’une maladie mentale. Les considérations suivantes appuient la conformité du projet de loi C-39 avec la Charte.
L’exclusion temporaire est formulée en des termes restrictifs. Plus particulièrement, cette exclusion s’appliquerait seulement dans les cas où la maladie mentale (qui relève principalement du domaine de la psychiatrie) constitue le seul fondement d’une demande d’aide médicale à mourir. L’exclusion ne repose pas sur l’hypothèse selon laquelle les personnes atteintes d’une maladie mentale ne sont pas capables de prendre des décisions. En outre, elle ne les rendrait pas inadmissibles à recevoir l’aide médicale à mourir si elles répondent aux critères d’admissibilité, par exemple si elles souffrent d’un autre problème médical admissible. Qui plus est, cette exclusion n’est pas fondée sur l’incapacité d’évaluer la gravité des souffrances que peut causer la maladie mentale. Elle est plutôt fondée sur les risques et la complexité que comporte la possibilité d’obtenir l’aide médicale à mourir dans des circonstances où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué à l’appui d’une demande. Par exemple, il peut se montrer particulièrement difficile d’évaluer la capacité décisionnelle des personnes dans ce contexte parce que les symptômes de l’état d’une personne ou ses expériences de vie peuvent influencer subtilement sa capacité à comprendre et à évaluer la décision qu’elle doit prendre. De plus, il est souvent plus difficile de prévoir l’évolution d’une maladie mentale que l’évolution d’une maladie physique. Enfin, étant donné que la pratique de l’aide médicale à mourir est relativement nouvelle au Canada, le corpus de preuves et de recherches sur les pratiques actuelles et potentielles, notamment en ce qui concerne les maladies mentales, est encore en cours d’élaboration.
Élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladie mentale (à l’expiration de la disposition de temporisation)
Après l’expiration de la disposition de temporisation, autoriser l’aide médicale à mourir dans les circonstances où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué peut avoir des répercussions sur les droits garantis par la Charte; ces répercussions ne sont pas exposées dans l’Énoncé concernant la Charte sur le projet de loi C-7. Cela est dû au fait que le projet de loi C-7, tel qu’il a été présenté au Parlement, ne comportait aucune disposition qui aurait permis l’aide médicale à mourir dans de telles circonstances. L’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes souffrant de maladie mentale a été introduit dans le projet de loi C-7 au cours du processus parlementaire et n’est pas abordé en tant que tel dans l’ancien Énoncé concernant la Charte. Comme cela a été mentionné précédemment, les Énoncés concernant la Charte décrivent certaines des considérations principales ayant servi de base à l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. Le présent examen a lieu avant la présentation du projet de loi au Parlement.
Cependant, l’Énoncé concernant la Charte portant sur le projet de loi C-7 exposait les répercussions sur les droits garantis par la Charte que pourrait avoir le fait d’autoriser l’aide médicale à mourir à une personne souffrant de problèmes de santé physique graves et irrémédiables, mais dont la mort naturelle n’était pas raisonnablement prévisible. Autoriser l’aide médicale à mourir sur le seul fondement d’une maladie mentale pourrait mettre en jeu les mêmes droits garantis par la Charte que ceux dont il a été question dans le projet de loi C-7. Ces conséquences possibles sur les droits garantis par la Charte sont présentées ci-dessous avec les modifications nécessaires pour refléter le contexte du projet de loi C-39.
Vie, liberté et sécurité de la personne (article 7) et égalité (article 15)
Le droit à la vie entre en jeu lorsqu’une loi ou une mesure prise par l’État a directement ou indirectement pour effet d’imposer la mort à une personne ou de l’exposer à un risque accru de mort. L’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir inclut l’expansion des exceptions aux prohibitions criminelles contre l’enlèvement intentionnel de la vie. Par conséquent, on pourrait porter atteinte au droit à la vie et à la sécurité de la personne garanti par l’article 7 si des mesures de sauvegarde suffisantes ne sont pas incluses pour protéger les personnes vulnérables contre les abus et les erreurs. Étant donné que les exceptions étendues s’appliqueraient lorsque la personne qui demande l’aide médicale à mourir souffre d’une maladie mentale grave et incurable, le projet de loi pourrait mettre en jeu le droit à la même protection de la loi que garantit l’article 15, sans discrimination fondée sur la maladie mentale.
Les considérations suivantes appuient la conformité de cet aspect du projet de loi avec les articles 7 et 15 de la Charte. Selon le projet de loi, les personnes souffrant d’une maladie mentale grave et irrémédiable continueraient d’être admissibles à l’aide médicale à mourir seulement si elles ont fait une demande de manière volontaire, sans pressions extérieures. Elles devraient y consentir de manière éclairée après avoir été informées des autres moyens disponibles pour soulager leurs souffrances. Le projet de loi érigerait au titre d’infraction criminelle le fait d’administrer l’aide médicale à mourir lorsque l’une des exigences imposées n’est pas respectée – que ce soient les critères d’admissibilité ou les garanties procédurales.
Les mesures de sauvegarde renforcées qui s’appliquent lorsque l’aide médicale à mourir est demandée par une personne dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible comprennent une période d’évaluation plus longue (minimum de quatre-vingt-dix jours). Cette période a été prolongée pour veiller à ce que les intervenants disposent de suffisamment de temps pour évaluer tous les aspects pertinents du dossier de la personne, dont les traitements ou les services qui sont mis à sa disposition pour alléger ses souffrances. Les mesures de sauvegarde renforcées prévoient également qu’il est nécessaire de consulter un médecin ou un infirmier praticien qui possède une expertise concernant la condition à l’origine des souffrances de la personne. Cela permet de s’assurer que toutes les options de traitement ont été établies et examinées et que les autres critères d’admissibilité ont été respectés. Ces deux mesures de sauvegarde vont de pair avec les dispositions précisant les exigences du consentement éclairé dans ce contexte (alinéas 241.1(3.1)g) et h)). Ces dispositions exigent que la personne soit informée des services de soutien disponibles et qu’elle puisse consulter les professionnels qui fournissent ces services. Elles prévoient également qu’elle et les praticiens s’entendent pour dire qu’ils ont discuté ensemble des moyens raisonnables d’atténuer ses souffrances et qu’elle les a sérieusement envisagés.
De plus, les considérations suivantes appuient la conformité de cet aspect du projet de loi avec l’article 15 de la Charte. À l’instar des dispositions législatives actuelles, le projet de loi serait fondé sur la reconnaissance que chaque vie humaine a la même valeur intrinsèque. Selon les dispositions législatives élargies, l’admissibilité à l’aide médicale à mourir ne serait pas fondée sur des stéréotypes négatifs qui associent la maladie mentale à la perte de dignité ou de qualité de vie. Elle reconnaîtrait le fait que les maladies mentales puissent causer des souffrances équivalentes à celles causés par les maladies physiques, et respecterait l’autonomie de toutes les personnes atteintes d’une maladie mentale grave et incurable de choisir l’aide médicale à mourir en réaction à des souffrances intolérables qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elles jugent acceptables.
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