Projet de loi C-3 : Loi modifiant le Code criminel et le Code canadien du travail

Projet de loi C-3 : Loi modifiant le Code criminel et le Code canadien du travail

Déposé à la Chambre des communes le 6 décembre 2021

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-3, Loi modifiant le Code criminel et le Code canadien du travail, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-3 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Elle ne constitue pas une description exhaustive de l’ensemble du projet de loi; elle est plutôt axée sur les éléments qu’il convient de prendre en compte aux fins d’un Énoncé concernant la Charte.

Aperçu

Le projet de loi C-3 vise à modifier le Code criminel afin d’y ajouter des dispositions établissant une nouvelle infraction liée à l’intimidation, soit le fait d’agir dans l’intention de provoquer la peur chez un professionnel de la santé ou chez une personne qui appuie un professionnel de la santé en vue de nuire à l’exercice de leurs attributions. Cette nouvelle infraction viserait aussi les actes posés dans l’intention de provoquer la peur chez toute autre personne en vue de l’empêcher d’obtenir des services de santé. De plus, de nouvelles dispositions établiraient l’infraction d’empêcher ou de gêner intentionnellement l’accès légitime par autrui à un endroit où des professionnels de la santé fournissent des services de santé. Dans ce cas, un moyen de défense serait prévu pour que l’infraction ne s’applique pas aux personnes qui se trouvent à un tel endroit aux seules fins d’obtenir ou de communiquer des renseignements. Les contrevenants seraient passibles d’un emprisonnement maximal de dix ans par voie de mise en accusation ou de deux ans moins un jour par procédure sommaire.

De plus, le projet de loi prévoit des circonstances aggravantes qui doivent être prises en compte au moment de la détermination de la peine, lorsqu’il y a de la preuve à l’effet que : (i) l’infraction a été perpétrée contre une personne qui fournissait des services de santé dans l’exercice de ses attributions; (ii) l’infraction a eu pour conséquence de nuire à l’obtention par autrui de services de santé.

Ces modifications législatives pourraient faire intervenir les droits et libertés garantis par les alinéas 2b) et 2c) et aux articles 7 et 12 de la Charte.

Infractions liées au fait d’intimider et d’empêcher l’accès

Comme l’indique ce qui précède, le projet de loi vise à modifier le Code criminel afin d’ériger en infraction le fait d’intimider et d’empêcher l’accès. L’infraction liée à l’intimidation criminaliserait les actes posés dans l’intention de provoquer la peur chez un professionnel de la santé ou chez une personne qui tente d’obtenir des services de santé. L’infraction liée au fait d’empêcher l’accès criminaliserait le fait d’empêcher ou de gêner intentionnellement l’accès par autrui à un endroit où des professionnels de la santé fournissent des services de santé.

L’alinéa 2b) de la Charte garantit à chacun la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. L’alinéa 2b) a été interprété de façon large pour englober toute activité ou communication, outre la violence ou les menaces de violence, qui transmettent ou tentent de transmettre une signification. L’alinéa 2c) est étroitement lié à la liberté d’expression et il garantit le droit de participer pacifiquement à des manifestations, à des protestations, à des défilés, à des réunions, à des piquets de grève et à d’autres genres de rassemblements..

Les facteurs qui suivent militent en faveur de la conformité des modifications au regard des alinéas 2b) et 2c) de la Charte. L’infraction liée à l’intimidation comporterait une exigence d’intention spécifique, c’est‑à‑dire qu’il faudrait prouver l’intention de provoquer la peur chez autrui. Comme il a été mentionné précédemment, l’alinéa 2b) ne protège ni la violence ni les menaces de violence, et des considérations semblables s’appliquent en ce qui a trait l’alinéa 2c). L’infraction liée au fait d’empêcher l’accès comporterait, serait quant à elle assortie d’un moyen de défense pour protéger les personnes qui se trouvent à un endroit à seules fins d’obtenir ou de communiquer des renseignements. Aucune de ces infractions n’interdirait la participation à des manifestations ou à des protestations pacifiques. Dans la mesure où ces infractions pourraient avoir une incidence sur des activités potentiellement protégées par les alinéas 2b) et 2c), cette incidence se manifesterait, tout au plus, en périphérie de ces libertés. L’article premier de la Charte prévoit que les droits et libertés sont assujettis à des limites raisonnables, pourvu que leur justification puisse être démontrée. Il peut être considéré que l’important objectif des mesures visant à protéger les personnes qui fournissent et obtiennent des services de santé consiste à atteindre un équilibre proportionnel entre ces mesures et tout effet périphérique sur les libertés. Les mesures peuvent êtrejustifiées pour cette raison.

L’article 7 de la Charte garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne; il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Étant donné que les nouvelles infractions peuvent conduire à l’emprisonnement, les modifications sont susceptibles de porter atteinte au droit à la liberté. En examinant les mesures pertinentes, le ministre de la Justice n’a pas relevé d’incompatibilité éventuelle entre les dispositions relatives aux infractions et les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7.

Circonstances aggravantes aux fins de la détermination de la peine

Comme il a été mentionné plus haut, le projet de loi établirait des circonstances aggravantes qui doivent être prises en compte au moment de la détermination de la peine lorsqu’il y a de la preuve à l’effet que l’infraction a été perpétrée contre une personne qui fournissait des services de santé dans le cadre de l’exercice de ses attributions ou que l’infraction a eu pour effet de nuire à l’obtention par autrui de services de santé.

L’article 12 de la Charte protège contre tous traitements ou peines cruels et inusités. Dans le cadre de la détermination de la peine, l’article 12 interdit l’infliction de peines exagérément disproportionnées. La prise en compte des nouvelles circonstances aggravantes — lorsque l’infraction a été perpétrée contre une personne qui fournissait des services de santé ou lorsqu’elle a eu pour effet d’empêcher une personne d’obtenir des services de santé — pourrait entraîner l’imposition de peines plus sévères qu’elles ne l’auraient été autrement dans certains cas.

Les facteurs suivants militent en faveur de la conformité des modifications avec l’article 12 de la Charte.  Des mesures législatives établissant des circonstances aggravantes ne prévoiraient pas elles‑mêmes des peines exagérément disproportionnées. Les modifications indiquent que les circonstances aggravantes qui peuvent être prises en compte au moment de la détermination de la peine incluent le fait que l’infraction ait été perpétrée contre des fournisseurs de services de santé ou qu’elle ait empêché autrui d’obtenir des services de santé. Cependant, les tribunaux conservent le pouvoir discrétionnaire d’infliger des peines proportionnelles en tenant compte de l’ensemble des circonstances pertinentes propres à chaque affaire.