Projet de loi C-40 : Loi modifiant le Code criminel, modifiant d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (révision des erreurs judiciaires)
Déposé à la Chambre des communes le 21 mars 2023
Note explicative
L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire relatif au projet de loi en question. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner les projets de loi afin d’évaluer s’ils sont compatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Lorsqu’il dépose un Énoncé concernant la Charte, le ministre énonce certaines des considérations principales ayant guidé l’examen visant à vérifier la compatibilité du projet de loi avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte qui sont susceptibles d’être visés par le projet de loi, et énonce brièvement la nature de ces répercussions eu égard aux mesures proposées.
Les Énoncés concernant la Charte présentent également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Ainsi, le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il y aura violation de la Charte uniquement si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Les Énoncés concernant la Charte visent à présenter au public et au Parlement des renseignements juridiques se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés, dans la mesure où ces effets ne sont pas négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de l’ensemble des considérations envisageables liées à la Charte. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique quant à la constitutionnalité du projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-40, Loi modifiant le Code criminel, modifiant d’autres lois en conséquence et abrogeant un règlement (révision des erreurs judiciaires) afin de relever toute incohérence avec la Charte conformément à son obligation au titre de l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Dans son examen, il a notamment pris en considération les objectifs et les caractéristiques du projet de loi.
Voici une analyse non exhaustive des façons dont le projet de loi C-40 pourrait faire intervenir les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue de guider le débat public et parlementaire en ce qui concerne le projet de loi. Elle ne constitue pas une description exhaustive de l’ensemble du projet de loi; elle est plutôt axée sur les éléments qu’il convient de prendre en compte aux fins d’un Énoncé concernant la Charte.
Aperçu
Le projet de loi C-40 remplacerait le processus de révision ministériel actuel relatif à des erreurs judiciaires sous le régime de la partie XXI.1 du Code criminel. À sa place, le projet de loi créerait un organisme indépendant dont le mandat serait d’examiner les demandes de révision qui lui sont présentées au motif qu’une erreur judiciaire aurait été commise dans une conclusion ou un verdict. Par la création d’une commission indépendante qui se consacrera exclusivement à l’examen des erreurs judiciaires, le projet de loi C-40 vise à améliorer l’accès à la justice en facilitant et en accélérant l’examen des demandes présentées par des personnes potentiellement condamnées à tort. La commission éliminerait des obstacles à l’accès pour les demandeurs, notamment pour les Autochtones, les Noirs et les membres de communautés marginalisées. La commission sera autorisée par la loi à réaliser des activités d’éducation juridique et de sensibilisation auprès de demandeurs potentiels, et aura accès à des fonds pour apporter du soutien aux demandeurs dans le besoin. Un traitement plus rapide des erreurs judiciaires contribuera à l’atténuation des conséquences dévastatrices qu’elles ont sur la personne condamnée, sa famille, les victimes, ainsi que le système judiciaire dans son ensemble.
La nouvelle Commission de révision des erreurs du système judiciaire serait composée d’un commissaire en chef, qui exercerait sa charge à temps plein, et de quatre à huit autres commissaires, qui exerceraient leur charge à temps plein ou à temps partiel. Le projet de loi C-40 prévoit que, en faisant ses recommandations de nomination aux postes de commissaires, le ministre de la Justice cherche à refléter la diversité de la société canadienne et tienne compte de considérations comme l’égalité des genres et la surreprésentation de certains groupes dans le système de justice pénale, notamment les Noirs et les peuples Autochtones.
Conformément au projet de loi C-40, la Commission serait tenue d’examiner les demandes de révision le plus rapidement possible et de présenter aux demandeurs des mises à jour régulières quant au statut de leurs demandes. Dans le cadre de son processus d’examen, la Commission devra établir la recevabilité de la demande, mener des enquêtes relatives aux demandes de révision au motif d’erreur judiciaire, et décider s’il convient d’accorder une réparation. La Commission serait autorisée à ordonner la tenue d’un nouveau procès ou d’une nouvelle audience, ou de renvoyer l’affaire à une cour d’appel, si elle a des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire pourrait avoir été commise et si elle conclut qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire. En prenant ses décisions, la commission devra prendre en compte, parmi d’autres facteurs, les difficultés spécifiques rencontrées par les demandeurs appartenant à certaines populations pour obtenir des mesures de redressement en cas d’erreur judiciaire, particulièrement en ce qui touche la situation des demandeurs autochtones ou noirs.
Mise en liberté provisoire par voie judiciaire
Le paragraphe 679(7) du Code criminel prévoit l’octroi de la mise en liberté provisoire dans le cas où le ministre de la Justice ordonne la tenue d’un nouveau procès ou d’une nouvelle audience, ou renvoie l’affaire à la cour d’appel. Le projet de loi C-40 modifierait cette disposition afin de tenir compte du rôle de la nouvelle Commission, qui examinerait, à la place du ministre, les demandes de révision au motif qu’une erreur judiciaire pourrait avoir été commise. Le projet de loi énoncerait le processus applicable pour déterminer l’admissibilité à la mise en liberté pendant que la Commission termine son examen d’une demande jugée recevable, en attendant la tenue d’un nouveau procès ou d’une nouvelle audience ordonnée par la Commission, ou en attendant l’issue d’une affaire renvoyée à la cour d’appel par la Commission. La disposition modifiée maintiendrait l’approche prévue au paragraphe 679(7), selon laquelle l’admissibilité à la mise en liberté dans ces circonstances est assujettie aux mêmes règles qui s’appliquent à une personne ayant interjeté appel d’une déclaration de culpabilité, plutôt qu’aux règles qui s’appliquent dans le cas où la personne est accusée d’une infraction pour la première fois.
L’article 7 de la Charte garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Comme la disposition proposée concernant la mise en liberté provisoire énonce la norme à appliquer pour déterminer si une personne ayant demandé une révision restera incarcérée ou sera libérée, et comme elle autorise la cour à imposer des conditions en cas de libération, cette disposition est susceptible de faire intervenir les droits résiduels à la liberté des personnes incarcérées.
Les considérations qui suivent appuient la compatibilité de la disposition proposée sur la mise en liberté provisoire avec l’article 7 de la Charte. Lorsqu’il a examiné le projet de loi, le ministre de la Justice n’a pas relevé d’incompatibilité éventuelle entre cette disposition et les principes de justice fondamentale énoncés à l’article 7. La disposition proposée concernant la mise en liberté provisoire permettrait de mettre une personne en liberté suivant les mêmes règles et considérations qui s’appliquent lorsqu’une personne interjette appel de sa déclaration de culpabilité. Ces principes sont bien établis et régulièrement appliqués par les tribunaux. Ce processus exige de la cour qu’elle réalise une évaluation équitable et personnalisée de la situation de la personne au moment de déterminer si celle-ci devrait être libérée et, le cas échéant, sous quelles conditions.
L’article 11 de la Charte garantit certains droits aux personnes accusées d’une infraction, notamment le droit de ne pas être privé sans juste cause d’une mise en liberté assortie d’un cautionnement raisonnable, prévu à l’alinéa 11e). Le droit à la mise en liberté sous caution est un droit préalable au procès qui s’applique à toute personne « inculpé[e] » au sens de l’article 11, et donc ne s’applique pas dans ces circonstances. La déclaration de culpabilité à l’endroit d’une personne dont la demande de révision a été jugée recevable par la Commission demeure valide même lorsque celle-ci ordonne la tenue d’un nouveau procès ou d’une nouvelle audience, ou renvoie l’affaire à la cour d’appel. Il en est ainsi parce que la Commission n’aurait pas le pouvoir d’annuler une déclaration de culpabilité. Par conséquent, une personne dont la demande de révision a été acceptée par la Commission se trouverait dans une situation semblable à celle d’une personne dont la déclaration de culpabilité est portée en appel, et ne serait plus « inculpé[e] » au sens de l’article 11.
Pouvoir de mener des enquêtes
Le projet de loi C-40 prévoirait que la Commission peut mener une enquête relative à une demande lorsqu’elle a des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire aurait été commise ou lorsqu’elle estime qu’il est dans l’intérêt de la justice de le faire. Aux fins d’enquête, la Commission aurait les pouvoirs d’un commissaire nommé en vertu de la partie I de la Loi sur les enquêtes. En particulier, elle aurait le pouvoir de convoquer des témoins et de les enjoindre à déposer des éléments de preuve oralement ou par écrit, ou de produire des documents ou d’autres pièces pertinents dans le cadre de l’affaire faisant l’objet de l’examen.
L’article 8 de la Charte garantit la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies « abusives ». L’objet de cet article est de protéger toute personne contre les intrusions abusives lorsqu’il y a une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. Une fouille, perquisition ou saisie est raisonnable si elle est autorisée par une loi, si la loi elle‑même est raisonnable (en ce sens qu’elle établit un équilibre entre le respect de la vie privée et les intérêts que poursuit l’État) et si elle est menée de manière raisonnable.
Comme le pouvoir de mener des enquêtes dont disposerait la Commission pourrait entraver le droit au respect de la vie privée, il est susceptible de faire intervenir l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces pouvoirs avec l’article 8. Les pouvoirs ne pourraient pas être exercés à des fins pénales. Ils viseraient plutôt à appuyer l’examen, par la Commission, des demandes de révision relatives à des erreurs judiciaires potentielles. En outre, ils ne pourraient être exercés que dans les cas où la Commission a des motifs raisonnables de croire qu’une erreur judiciaire pourrait avoir été commise, ou lorsqu’elle juge qu’il est dans l’intérêt de la justice de faire enquête relativement à une demande. Finalement, la Commission serait tenue de publier ses décisions de manière à protéger les renseignements confidentiels et sans nuire à la bonne administration de la justice dans les cas où elle ordonne une nouvelle audience ou un nouveau procès, ou ceux où elle renvoie l’affaire à une cour d’appel.
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