Projet de loi C-66 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois (Loi sur la modernisation du système de justice militaire)

Projet de loi C-66 : Loi modifiant la Loi sur la défense nationale et d’autres lois (Loi sur la modernisation du système de justice militaire)

Déposé à la Chambre des communes le 30 mai 2024

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice fasse déposer un Énoncé concernant la Charte pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le public et le débat parlementaire. L’une des responsabilités les plus importantes du ministre de la Justice est d’examiner les projets de loi pour s’assurer qu’ils ne sont pas incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés (la Charte). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre fait part de certaines des considérations principales qui ont guidé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que les droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où les effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles d’un projet de loi peuvent également être soulevées au cours de l’examen parlementaire et de la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-66, Loi sur la modernisation du système de justice militaire, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, conformément à l’obligation qui lui incombe en vertu de l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen a porté sur les objectifs et les caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-66 est susceptible de porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à orienter le public et le débat parlementaire sur le projet de loi. Il ne s’agit pas d’une description exhaustive de l’ensemble du projet de loi, mais plutôt d’une analyse des éléments pertinents pour les fins d’un Énoncé concernant la Charte.

Aperçu

La Loi sur la défense nationale prévoit un système de justice militaire destiné à maintenir la discipline, l’efficacité et le moral des Forces armées canadiennes (FAC). Le système de justice militaire du Canada fonctionne parallèlement au système de justice civil et le reflète à bien des égards. Le projet de loi C-66 apporterait des modifications à la Loi sur la défense nationale en vue de moderniser le système de justice militaire et de répondre aux recommandations formulées par deux anciens juges de la Cour suprême du Canada. De plus, le projet de loi modifierait la Loi sur la défense nationale et le Code criminel afin d’harmoniser le système de justice militaire avec les récents changements apportés au système civil. Ces modifications porteraient sur l’enregistrement des renseignements concernant les délinquants sexuels et sur la possibilité de prononcer des ordonnances de non-publication.

Renforcer l’indépendance des acteurs de la justice militaire (article 7 de la Charte)

Premièrement, le projet de loi mettrait en œuvre certaines recommandations formulées par l’honorable Morris J. Fish dans le rapport de l’autorité du troisième examen indépendant au ministre de la Défense nationale. En particulier, le projet de loi apporterait des changements visant à renforcer l’indépendance de trois acteurs de la justice militaire - le directeur des poursuites militaires, le directeur du service d’avocats de la défense et le grand prévôt des Forces canadiennes - dont le titre serait remplacé par celui de grand prévôt général. Ces acteurs clés de la justice militaire seraient nommés par le gouverneur en conseil.

La Loi sur la défense nationale préciserait en outre que le directeur des poursuites militaires et le directeur du service d’avocats de la défense sont nommés à titre inamovible. Ces deux titulaires pourraient être démis de leurs fonctions ou faire l’objet d’autres mesures disciplinaires ou correctives à la suite d’une enquête menée par un juge d’une juridiction supérieure - comme décrit plus en détail ci-dessous. En outre, la Loi sur la défense nationale permettrait au ministre de la défense nationale d’établir des lignes directrices ou de donner des instructions par écrit au directeur des poursuites militaires concernant une poursuite particulière. Actuellement, c’est le juge-avocat général qui a le pouvoir d’établir de telles lignes directrices ou de donner de telles instructions.

L’article 7 de la Charte protège contre la privation des droits d’une personne à la vie, à la liberté ou à la sécurité, à moins que cela ne soit fait conformément aux principes de justice fondamentale. Étant donné que les membres des FAC jugés par une cour martiale peuvent être condamnés à une peine d’emprisonnement et privés de leur liberté, l’article 7 s’applique et les poursuites militaires doivent se dérouler conformément aux principes de justice fondamentale.

La Cour suprême du Canada a reconnu l’indépendance des procureurs comme un principe de justice fondamentale en vertu de l’article 7 de la Charte. Par conséquent, les changements relatifs à la nomination et au mandat du directeur des poursuites militaires, ainsi que le pouvoir du ministre d’établir des lignes directrices ou de donner des instructions par écrit concernant une poursuite particulière, pourraient être perçus comme portant atteinte à l’article 7. Cependant, le principe de l’indépendance des procureurs n’a pas été jugé comme exigeant des dispositions institutionnelles particulières relatives à la nomination ou au rôle des chefs des poursuites. Le principe exige plutôt que les procureurs exercent leur pouvoir discrétionnaire de manière indépendante, sans aucun motif indu. Aucune disposition du projet de loi n’aurait d’incidence négative sur le devoir ou la capacité du directeur des poursuites militaires de prendre des décisions en matière de poursuite sans être influencé par des préoccupations partisanes ou d’autres considérations non pertinentes.

Enquête sur les mesures disciplinaires ou correctives (alinéa 2b) de la Charte)

Le projet de loi propose que le directeur des poursuites militaires et le directeur du service d’avocats de la défense puissent faire l’objet de mesures disciplinaires ou correctives à la suite d’une enquête menée par un juge d’une juridiction supérieure. La Loi sur la défense nationale préciserait que toute enquête de ce type doit être publique. Toutefois, le juge chargé de l’enquête aurait la possibilité de prendre des mesures pour assurer la confidentialité des procédures. Des mesures de confidentialité pourraient être prises pour répondre à trois préoccupations: un risque de divulgation de questions touchant les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales; un risque sérieux d’atteinte au droit à une enquête équitable de sorte que la nécessité d’empêcher la divulgation de renseignements l’emporte sur l’intérêt qu’a la société à ce que l’enquête soit publique; et une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne puisse être mise en danger.

L’alinéa 2b) de la Charte dispose que chacun a la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. Il comprend le « principe de la publicité des débats judiciaires » selon lequel les membres du public ont le droit de recevoir des renseignements se rapportant aux procédures judiciaires. Les interdictions de publication limitant l’accès à l’information sur les procédures judiciaires, comme les noms des victimes et des témoins, mettent en jeu le principe de publicité des débats. Les considérations suivantes appuient la compatibilité des dispositions relatives à l’interdiction de publication avec la Charte.

Selon les modifications proposées, un juge ne pourrait adopter des mesures de confidentialité qu’après avoir examiné toutes les solutions à sa disposition, garantissant ainsi que toute limite à l’accès à l’information est réellement nécessaire. En outre, ces mesures ne seraient possibles que pour répondre à trois préoccupations sérieuses et étroitement définies: la divulgation de questions touchant les relations internationales, la défense ou la sécurité nationales; un risque sérieux d’atteinte au droit à une enquête équitable; et une sérieuse possibilité que la vie, la liberté ou la sécurité d’une personne puisse être mise en danger. En cas de doute sur l’équité de l’enquête, un juge ne pourra rendre une ordonnance de confidentialité qu’après avoir mis en balance la nécessité d’empêcher la divulgation et l’intérêt de la société à ce que l’enquête soit publique. Les modifications proposées établissent ainsi un équilibre entre les préoccupations légitimes qui pourraient justifier la confidentialité et l’importance de la transparence des procédures et de l’accès à l’information.

Compétence à l’égard des infractions de nature sexuelle (alinéa 11d) de la Charte)

Dans le rapport de l’examen externe indépendant et complet du ministère de la Défense nationale et des Forces armées canadiennes (rapport Arbour), l’honorable Louise Arbour a formulé des recommandations visant à répondre à la gravité du harcèlement et des agressions de nature sexuelle dans l’armée et à mieux répondre aux besoins des victimes et des survivants de la violence sexuelle. Elle a notamment recommandé que toutes les infractions de nature sexuelle qui sont présumées avoir été commises par des membres des FAC fassent l’objet d’une enquête et de poursuites dans le cadre du système judiciaire civil. À l’heure actuelle, les systèmes judiciaires militaire et civil ont une compétence concurrente à l’égard des infractions de nature sexuelle prévues au Code criminel qui sont présumées avoir été commises au Canada.

En réponse au rapport Arbour, le projet de loi retirerait aux FAC la compétence d’enquêter à l’égard des infractions de nature sexuelle prévues au Code criminel ou commises dans un but sexuel, lorsque ces infractions sont présumées avoir été commises au Canada. De même, le projet de loi retirerait au système de justice militaire la compétence de juger les personnes accusées de telles infractions. Par conséquent, l’enquête et la poursuite des personnes accusées d’avoir commis des infractions de nature sexuelle au Canada relèveraient des autorités civiles chargées de l’application de la loi et du système judiciaire civil.

Les autorités militaires continueraient à exercer leurs pouvoirs et fonctions en attendant l’arrivée des autorités civiles compétentes, notamment en procédant à des arrestations, en effectuant des fouilles accessoires à l’arrestation et en recueillant ou en conservant des éléments de preuve. Le projet de loi exigerait des autorités militaires qu’elles transfèrent dès que possible les éléments de preuve et les personnes arrêtées aux autorités civiles compétentes.
L’alinéa 11d) garantit à tout inculpé le droit d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable, conformément à la loi, par un tribunal indépendant et impartial à l’issue d’un procès public et équitable. Étant donné que la poursuite et le procès pour infractions de nature sexuelle seraient assurés par les autorités civiles canadiennes compétentes, toute personne soumise au code de discipline militaire faisant l’objet d’accusations criminelles continuerait à bénéficier d’un procès équitable et public devant un tribunal indépendant et impartial.

Aligner le système de justice militaire sur les récents changements apportés au système civil

En octobre 2023, l’ancien projet de loi S-12 a reçu la sanction royale, apportant des modifications au Code criminel et à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels. L’ancien projet de loi S-12 comprenait des modifications visant à répondre à l’arrêt de la Cour suprême du Canada dans l’affaire R. c. Ndhlovu et à renforcer le fonctionnement et l’application du régime d’enregistrement des délinquants sexuels. En outre, il apportait des modifications au cadre juridique régissant les ordonnances de non-publication, afin que le système de justice pénale réponde mieux aux divers besoins des victimes et des survivants d’agressions sexuelles. Le projet de loi C-66 alignerait la Loi sur la défense nationale sur les changements apportés au système de justice civile lors de l’adoption de l’ancien projet de loi S-12.

Enregistrement des délinquants sexuels (article 7 de la Charte)

Ordonnances et obligations de se conformer à la Loi sur l’enregistrement de renseignements sur les délinquants sexuels (LERDS)

Le projet de loi C-66 modifierait la définition d’« infraction désignée » figurant dans la Loi sur la défense nationale et pouvant faire l’objet d’une ordonnance en vertu de la LERDS. Le projet de loi modifierait la définition afin de faire la distinction entre les « infractions primaires », qui sont intrinsèquement de nature sexuelle, et les « infractions secondaires », qui sont des infractions de nature non sexuelle mais qui peuvent être commises dans un but sexuel. Le projet de loi reprendrait les définitions des infractions primaires et secondaires qui ont été ajoutées au Code criminel par l’ancien projet de loi S-12.

Afin d’aligner le système de justice militaire sur le système civil, le projet de loi modifierait l’approche de l’enregistrement obligatoire et des ordonnances obligatoires applicables à perpétuité rendues en vertu de la LERDS. Le projet de loi limiterait les ordonnances obligatoires en vertu de la LERDS à deux situations impliquant des infractions de nature sexuelle particulièrement graves ou répétées. Premièrement, l’enregistrement conformément à une ordonnance en vertu de la LERDS serait obligatoire pour les infractions de nature sexuelle commises à l’égard d’un enfant et passibles d’une peine d’emprisonnement de deux ans ou plus. Deuxièmement, l’enregistrement serait obligatoire pour les délinquants sexuels récidivistes qui ont déjà été condamnés pour un délit primaire ou qui ont déjà fait l’objet d’une ordonnance en vertu de la LERDS.

Dans toutes les autres situations, il y aurait une présomption d’enregistrement, mais le juge conserverait le pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre une ordonnance en vertu de la LERDS si l’intéressé peut établir que l’ordonnance aurait un effet nettement démesuré sur lui, ou que l’ordonnance n’aurait aucun lien avec l’objectif d’aider les services de police à prévenir les crimes de nature sexuelle ou à enquêter sur ceux-ci. Le projet de loi définit les facteurs à prendre en compte par le tribunal dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire. Ces facteurs comprendraient : la nature et la gravité de l’infraction, l’âge de la victime et ses autres caractéristiques personnelles, la relation entre la victime et l’intéressé, les caractéristiques et la situation personnelle de l’intéressé, ainsi que ses antécédents criminels, et l’avis des experts qui ont examiné l’intéressé.

Le projet de loi modifierait l’approche de l’enregistrement à perpétuité au titre de la LERDS. Concernant l’intéressé condamné ou faisant l’objet d’un verdict de non-responsabilité criminelle pour une infraction désignée, une ordonnance en vertu de la LERDS s’appliquerait à perpétuité si l’intéressé a déjà été condamné pour une infraction primaire ou a déjà été assujetti à une obligation au titre de la LERDS. Dans les cas où l’intéressé est condamné ou fait l’objet d’un verdict de responsabilité criminelle pour plus d’une infraction désignée dans le cadre de la même procédure, une ordonnance à perpétuité serait requise si le tribunal est convaincu que les infractions démontrent que l’intéressé présente un risque accru de commettre de nouveau un crime de nature sexuelle. Si le tribunal n’est pas convaincu que la personne présente un risque accru de récidive, la durée de l’ordonnance en vertu de la LERDS serait basée sur l’infraction désignée pour laquelle la peine d’emprisonnement maximale est la plus longue.

Ordonnances de révocation

Le projet de loi assurerait également la compatibilité avec le système judiciaire civil en modifiant les dispositions de la Loi sur la défense nationale qui permettent aux délinquants de demander la révocation de leur ordonnance rendue en vertu de la LERDS. Tout d’abord, le projet de loi permettrait à l’intéressé déclaré non criminellement responsable pour cause de troubles mentaux de demander une ordonnance de révocation s’il reçoit une libération inconditionnelle de la part d’une commission d’examen constituée en vertu du Code criminel. La libération inconditionnelle n’est possible que si la commission d’examen conclut que l’intéressé ne constitue pas un risque important pour la sécurité du public. Cet intéressé pourrait demander une ordonnance de révocation, de la même manière que l’intéressé condamné peut demander une ordonnance de révocation lorsqu’il bénéficie d’un pardon ou d’une suspension du casier.

En outre, le projet de loi alignerait le critère qui s’applique aux ordonnances de révocation en vertu de la LERDS sur celui qui s’applique au moment de l’enregistrement. Une cour martiale serait autorisée à accorder l’ordonnance de révocation si le maintien de l’enregistrement a un effet nettement démesuré sur l’intéressé ou n’a aucun lien avec l’objectif d’aider les services de police à prévenir les crimes de nature sexuelle ou à enquêter sur ceux-ci.

Dispense pour les personnes faisant actuellement l’objet d’une ordonnance obligatoire

L’ancien projet de loi S-12 créait un cadre permettant aux personnes faisant l’objet d’une ordonnance en vertu de la LERDS, en raison des dispositions jugées inconstitutionnelles par la Cour suprême du Canada, de s’adresser à un tribunal civil pour obtenir réparation. Le projet de loi C-66 permettrait de prévoir un mécanisme parallèle dans le cadre de la Loi sur la défense nationale pour de telles demandes.

Les personnes qui ont été inscrites au registre entre la date d’entrée en vigueur de la disposition relative à l’enregistrement obligatoire et la date d’entrée en vigueur du projet de loi C-66 pourraient demander à être exemptées du registre. De même, les personnes assujetties à l’enregistrement obligatoire à perpétuité parce qu’elles ont été condamnées pour plusieurs infractions dans le cadre de la même procédure pourraient demander une modification de la durée de leur ordonnance. La demande de dispense ou de modification au titre de la LERDS serait examinée par une cour martiale ou par un tribunal civil en vertu des dispositions correspondantes du Code criminel. Le critère d’octroi d’une dispense serait le même que celui qui s’applique au moment de l’enregistrement, tel que décrit ci-dessus.

Considérations relatives à la Charte

L’article 7 de la Charte protège contre la privation des droits d’une personne à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne, à moins que cela ne soit fait conformément aux principes de justice fondamentale. Il s’agit notamment des principes contre le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion exagérée. Une mesure législative est arbitraire lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui n’a aucun lien rationnel avec l’objectif de la mesure. Une mesure législative est excessive lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui, bien que généralement rationnelle, va trop loin en visant un comportement qui n’a aucun lien avec l’objectif de la mesure. Une mesure législative est exagérément disproportionnée lorsque ses répercussions sur les droits garantis par l’article 7 sont graves au point d’être « sans rapport aucun » avec l’objectif de la mesure.

Une ordonnance en vertu de la LERDS implique une série d’obligations qui ont une incidence sur les droits à la liberté en vertu de l’article 7. Ces obligations comprennent l’obligation de se présenter chaque année à un endroit et à une heure donnés, ainsi que l’obligation de fournir régulièrement des renseignements précis aux responsables du registre. Le non-respect de ces obligations peut entraîner une peine d’emprisonnement. En conséquence, les modifications décrites ci-dessus, qui créent le pouvoir de rendre des ordonnances en vertu de la LERDS et établissent la possibilité d’obtenir des ordonnances de révocation et de dispense, doivent être conformes aux principes de la justice fondamentale. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces modifications avec l’article 7.

Les ajouts et les précisions apportés à la définition d’« infraction désignée » figurant dans la Loi sur la défense nationale concernent tous des comportements liés aux objectifs de la LERDS. Une ordonnance en vertu de la LERDS ne peut être rendue pour des infractions secondaires - qui ne sont pas intrinsèquement de nature sexuelle - que si le procureur établit au-delà de tout doute raisonnable que la personne a commis l’infraction avec l’intention de commettre une infraction primaire. L’ajout des infractions proposées à la définition de l’infraction désignée est lié à l’objectif d’aider les services de police à prévenir les crimes de nature sexuelle ou à enquêter sur ceux-ci en exigeant l’enregistrement de certains renseignements relatifs aux délinquants sexuels.

L’enregistrement obligatoire serait limité à deux situations impliquant un comportement particulièrement grave qui est associé à un risque accru de récidive - les infractions de nature sexuelle graves contre des enfants et les infractions de nature sexuelle répétées. Dans tous les autres cas, la cour martiale aurait le pouvoir discrétionnaire de ne pas rendre l’ordonnance en vertu de la LERDS lorsqu’une personne établit que l’ordonnance n’a aucun lien avec les objectifs de la LERDS ou que ses effets sont nettement démesurés.

L’imposition d’ordonnances obligatoires et à perpétuité aux personnes qui ont déjà été condamnées pour une infraction primaire ou qui ont déjà été soumises à des obligations au titre de la LERDS est liée aux objectifs législatifs. Une personne qui a commis des infractions désignées à plusieurs reprises a, par sa conduite, démontré un risque accru de récidive. Pour les délinquants reconnus coupables de plusieurs infractions désignées dans la même procédure, la cour martiale serait tenue d’imposer une ordonnance à perpétuité si elle est convaincue que les infractions démontrent un modèle de comportement qui est compatible avec un risque accru de récidive. Cela préserverait le pouvoir discrétionnaire de la cour martiale de ne pas prononcer d’ordonnance à perpétuité lorsque le comportement d’une personne ne démontre pas un risque élevé de récidive.

Le projet de loi permettrait de prévoir un cadre sous le régime de la Loi sur la défense nationale pour les personnes qui font actuellement l’objet d’ordonnances en vertu de la LERDS en raison de dispositions inconstitutionnelles et qui peuvent demander un recours personnel. Les délinquants ne pourraient pas bénéficier de dispenses si le comportement qui a donné lieu à leurs ordonnances en vertu de la LERDS concernait des infractions de nature sexuelle graves à l’encontre d’enfants ou des récidives. Dans d’autres circonstances, les délinquants peuvent demander une ordonnance de dispense - et la suppression des renseignements les concernant du registre - au motif que l’ordonnance n’a aucun lien avec les objectifs de la LERDS ou que ses effets sont nettement démesurés. De même, les délinquants soumis à un enregistrement obligatoire et à perpétuité pourraient demander que la durée de leur ordonnance en vertu de la LERDS soit raccourcie dans les cas appropriés.

Interdictions de publication (alinéa 2b) de la Charte)

Les interdictions de publication empêchent la diffusion de renseignements permettant d’identifier les victimes, les témoins ou, dans certaines circonstances, l’accusé. Elles visent à permettre aux victimes et aux témoins de participer au système judiciaire sans subir les conséquences négatives liées à la divulgation de leur identité, et à encourager le signalement des infractions qui ne sont pas suffisamment signalées, telles que les infractions de nature sexuelle. Les interdictions de publication sont discrétionnaires dans de nombreuses circonstances, mais obligatoires dans certains cas - par exemple, dans les procédures où la victime est âgée de moins de 18 ans et où le procureur ou la victime demande une ordonnance interdisant la publication de son identité.
Le projet de loi apporterait un certain nombre de modifications aux dispositions de la Loi sur la défense nationale régissant les interdictions de publication, conformément aux modifications apportées au Code criminel par l’ancien projet de loi S-12. Si elles sont adoptées, les modifications s’appliqueraient aux procédures de la cour martiale engagées en vertu de la Loi sur la défense nationale. Les affaires jugées par le système de justice civile se dérouleraient conformément aux dispositions parallèles du Code criminel, même si l’accusé est un membre des Forces armées canadiennes.

Premièrement, le projet de loi ajouterait l’infraction de publication non consensuelle d’une image intime au paragraphe 183.5(1) de la Loi sur la défense nationale, qui énumère les infractions pour lesquelles une interdiction de publication est obligatoire sur demande du procureur, de la victime ou de tout témoin âgé de moins de 18 ans. Deuxièmement, si un procureur demande une interdiction de publication, le projet de loi imposerait des obligations au juge militaire et au procureur afin de veiller à ce que les victimes ou les témoins qui seraient touchés par l’interdiction de publication soient informés et que le tribunal soit au courant de leurs souhaits. En outre, il préciserait que les personnes concernées par les interdictions de publication ont le droit de parler d’elles-mêmes et de leurs propres expériences, à condition qu’elles ne révèlent pas l’identité d’autres personnes protégées par une interdiction de publication. Il préciserait également que les victimes et les témoins concernés par les interdictions de publication ont le droit de divulguer des renseignements en privé, y compris lorsqu’ils s’adressent à des juristes, à des professionnels de la santé et à d’autres personnes en qui ils ont confiance. Enfin, le projet de loi renforce la procédure par laquelle les personnes peuvent demander la révocation ou la modification d’une interdiction de publication.

Comme il est expliqué ci-dessus, l’alinéa 2b) de la Charte prévoit que chacun a la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. Il comprend le « principe de la publicité des débats judiciaires » selon lequel les membres du public ont le droit de recevoir des renseignements se rapportant aux procédures judiciaires. Les interdictions de publication limitant l’accès à l’information sur les procédures judiciaires, comme les noms des victimes et des témoins, mettent en jeu le principe de publicité des débats en vertu de l’article 2b). Les considérations suivantes appuient la compatibilité des dispositions relatives à l’interdiction de publication avec la Charte.

Les dispositions de la Loi sur la défense nationale relatives à l’interdiction de publication visent à établir un équilibre entre la vie privée des victimes et des témoins, d’une part, et le principe de la publicité des débats, d’autre part. Elles visent à permettre aux victimes et aux témoins de participer au système judiciaire sans subir les conséquences négatives liées à la divulgation de leur identité et à encourager le signalement des infractions qui ne sont pas suffisamment signalées, telles que les infractions de nature sexuelle. Sauf dans certaines circonstances particulières - notamment dans les cas d’infractions de nature sexuelle, de pornographie juvénile ou de victimes âgées de moins de 18 ans - les juges conservent un pouvoir discrétionnaire quant à l’opportunité de rendre une ordonnance et quant à la portée de celle-ci.

Les modifications proposées renforceraient le respect de l’autonomie des victimes et des témoins et minimiseraient toute interférence avec le principe de la publicité des débats judiciaires. Les dispositions proposées relatives à l’interdiction de publication créeraient des mécanismes permettant l’accès à l’information liée aux procédures de la cour martiale dans des circonstances où les personnes qu’une interdiction de publication est censée protéger ne souhaitent pas qu’elle s’applique. En clarifiant les circonstances dans lesquelles les personnes touchées par une interdiction de publication peuvent parler de leur propre expérience, le projet de loi aiderait les victimes et les témoins à éviter de s’autocensurer inutilement. En outre, en créant des structures permettant de vérifier les souhaits des victimes et des témoins et de modifier et de révoquer les interdictions de publication, le projet de loi réduirait au minimum les restrictions inutiles à l’expression et à l’accès à l’information.