Énoncé concernant la Charte - Projet de loi C-70 : Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère
Déposé à la Chambre des communes le 4 juin 2024
Note explicative
L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre fait part de plusieurs des considérations principales qui ont guidé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte qui sont susceptibles d’être touchés par un projet de loi, et il explique brièvement la nature de ces répercussions eu égard aux mesures proposées.
Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Il s’ensuit que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il y aura violation de la Charte uniquement si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir au public et au Parlement des renseignements juridiques se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés, dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations envisageables liées à la Charte. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé concernant la Charte ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-70, Loi concernant la lutte contre l’ingérence étrangère, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, conformément à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.
Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-70 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Elle ne constitue pas une description exhaustive de l’ensemble du projet de loi; elle est plutôt axée sur les éléments qu’il convient de prendre en compte aux fins d’un Énoncé concernant la Charte.
Aperçu
Le Canada est souvent la cible d’États étrangers, ou de personnes agissant en leur nom, qui cherchent à promouvoir leurs propres objectifs stratégiques. Si les États étrangers défendent généralement leurs intérêts de manière légitime et transparente, certains agissent également de manière à menacer ou à intimider des personnes au Canada et leurs familles à l’étranger, ou de manière secrète et trompeuse, et nuisent aux intérêts nationaux du Canada. Souvent désignées par le terme « ingérence étrangère », ces activités trompeuses, coercitives et menaçantes peuvent cibler tous les ordres de gouvernement, le secteur privé, le milieu universitaire, diverses communautés et le grand public. Et même si les activités d’ingérence étrangère ne datent pas d’hier, elles ont augmenté en nombre et en complexité au cours des dernières années.
Le projet de loi C-70 propose un certain nombre de mesures visant à moderniser les lois existantes et à en combler les lacunes, et ainsi renforcer les outils disponibles pour lutter contre l’ingérence étrangère et assurer la sécurité nationale.
La partie 1 du projet de loi apporterait un certain nombre de modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité (Loi sur le SCRS). Il s’agit notamment de modifications au régime applicable aux ensembles de données de même qu’au mandat d’assistance du SCRS relativement au renseignement étranger dont il est question à l’article 16 de la Loi sur le SCRS. La partie 1 modifierait également la Loi afin de créer de nouvelles autorisations judiciaires et d’élargir le pouvoir du SCRS de divulguer des informations et des renseignements à des partenaires ne faisant pas partie du gouvernement fédéral.
La partie 2 du projet de loi modifierait la Loi sur la protection de l’information pour créer trois nouvelles infractions liées à l’ingérence étrangère et modifierait l’infraction existante prévue à l’article 20 de la même loi (intimidation, menaces ou violence pour le compte d’une entité étrangère ou d’un groupe terroriste). Elle moderniserait également l’infraction de sabotage énoncée à l’article 52 du Code criminel et ajouterait deux nouvelles infractions connexes relatives au sabotage d’infrastructures essentielles et à la fabrication, à la possession ou à la distribution de dispositifs conçus pour être utilisés à des fins de sabotage.
La partie 3 du projet de loi modifierait la Loi sur la preuve au Canada afin de créer un régime général pour traiter les renseignements qui concernent les relations internationales, la défense nationale ou la sécurité nationale dans le cadre de contrôles judiciaires ou d’appels prévus par la loi devant la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale relativement à des décisions administratives fédérales. Le nouveau régime général abrogerait et remplacerait les régimes autonomes existants, à l’exception du régime prévu par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, et s’appliquerait également aux régimes législatifs qui ne comportent pas actuellement de régime semblable. La partie 3 modifierait également la Loi sur la preuve au Canada pour prévoir qu’un appel d’une décision de ne pas divulguer des renseignements ne peut être interjeté qu’après que la personne a été déclarée coupable de l’infraction, à moins que des circonstances exceptionnelles ne justifient un appel plus tôt. Enfin, elle modifierait le Code criminel pour élargir les raisons pour lesquelles les renseignements inclus dans une demande de mandat peuvent faire l’objet d’une ordonnance de mise sous scellés.
La partie 4 édicterait la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère, dans le but de contrer les efforts déployés par des États étrangers ou des puissances étrangères et leurs intermédiaires pour influencer, de façon non transparente, les processus politiques et gouvernementaux au Canada. La nouvelle loi prévoirait la nomination d’un commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère et exigerait de certaines personnes qu’elles déclarent au commissaire les arrangements qu’elles ont conclus avec des commettants étrangers pour exercer des activités liées à des processus politiques ou gouvernementaux au Canada. Le commissaire serait tenu d’établir et de tenir un registre accessible au public contenant des renseignements relatifs à ces arrangements. Pour assurer l’exécution et le contrôle d’application de la loi, le projet de loi inclurait un certain nombre d’infractions et conférerait au commissaire le pouvoir de recueillir des renseignements et d’assigner devant lui des personnes.
Voici les principaux droits et les principales libertés protégés par la Charte qui sont susceptibles d’être touchés par les mesures proposées :
- Liberté d’expression (alinéa 2b)) – L’alinéa 2b) de la Charte garantit à chacun la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication. L’alinéa 2b) a été interprété comme englobant toute activité ou communication, sauf si celle-ci prend la forme de la violence ou de menaces de violence, qui transmet ou tente de transmettre une signification. L’alinéa protège le « principe de transparence judiciaire », selon lequel les membres du public ont le droit d’obtenir des renseignements sur les procédures judiciaires.
- Liberté de réunion pacifique (alinéa 2c)) – L’alinéa 2c) de la Charte est étroitement lié à la liberté d’expression et il garantit le droit de participer à des manifestations, à des réunions, à du piquetage et à d’autres rassemblements pacifiques.
- Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne (article 7) – L’article 7 de la Charte garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Ces principes prévoient que les lois qui font intervenir ces droits ne doivent pas être arbitraires, excessives, exagérément disproportionnées ou vagues. Une loi est arbitraire lorsqu’elle touche les droits garantis à l’article 7 d’une manière qui n’est pas rationnellement liée à l’objet de la loi. Une loi d’une portée excessive touche les droits garantis à l’article 7 d’une manière qui, bien que généralement rationnelle, va trop loin en visant certains comportements qui n’ont aucun lien avec l’objet de la loi. Une loi est exagérément disproportionnée lorsque ses effets sur les droits garantis à l’article 7 sont si graves qu’ils sont « sans rapport aucun » avec l’objet de la loi. Les principes de justice fondamentale comprennent également une protection résiduelle contre l’auto‑incrimination et le droit de garder le silence.
- Droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives (article 8) – L’article 8 de la Charte protège quiconque contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies « abusives », relativement à sa personne, à ses biens et à ses renseignements personnels. L’objet de l’article 8 est de protéger toute personne contre les intrusions injustifiées dans sa vie privée. La fouille, la perquisition ou la saisie ne sera pas abusive si elle est autorisée par la loi, si la loi elle‑même est raisonnable en ce qu’elle établit un juste équilibre entre les droits à la vie privée et l’intérêt de l’État, et si la fouille est effectuée de façon raisonnable.
- Droit à un procès équitable et à une défense pleine et entière (article 7 et alinéa 11d)) – Lus ensemble, l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte protègent le droit des personnes inculpées à un procès équitable et à une défense pleine et entière, y compris le droit de ces personnes de connaître la preuve qui pèse contre elles et le droit d’y répondre.
- Personnes inculpées d’une infraction (article 11) – L’article 11 de la Charte garantit certains droits aux inculpés, y compris le droit à un procès public et équitable devant un tribunal indépendant et impartial. Ses protections s’appliquent uniquement aux « inculpé[s] ». Au sens de l’article 11, une personne est inculpée lorsqu’elle fait l’objet d’une procédure de nature pénale, ou qui aboutit à de « véritables conséquences pénales ». Les véritables conséquences pénales comprennent l’emprisonnement et les amendes qui ont un objectif ou un effet punitif, comme lorsque l’amende ou la sanction est disproportionnée par rapport au montant requis pour atteindre les objectifs réglementaires.
- Protection contre tous traitements ou peines cruels ou inusités (article 12) – L’article 12 de la Charte garantit à chacun le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités. Dans le contexte de la détermination de la peine, l’article 12 interdit les peines exagérément disproportionnées.
Partie 1 – Modifications à la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité
Ensembles de données (article 8 de la Charte)
Le régime applicable aux ensembles de données a été incorporé à la Loi sur le SCRS en 2019 afin d’autoriser le SCRS à recueillir, à conserver et à utiliser des ensembles de données pertinents pour les fonctions du SCRS qui lui sont conférées aux articles 12 à 16 de la Loi, mais qui « dans l’immédiat, ne sont pas directement » liées à une menace pour le Canada. Le projet de loi C-70 apporterait un certain nombre de modifications au régime, ce qui permettrait d’éliminer les ambiguïtés qui ont été répertoriées et de résoudre les problèmes qui sont apparus lors de la mise en œuvre du régime.
Le projet de loi clarifierait, entre autres, l’application du régime et préciserait que les dispositions relatives aux ensembles de données ne portent pas atteinte aux pouvoirs préexistants de collecte et de conservation des renseignements énoncés dans la Loi, mais aussi qu’elles s’appliquent aux renseignements que le SCRS ne serait pas autrement autorisé à recueillir ou à conserver.
Le projet de loi prolongerait certains délais établis aux termes de la loi qui ont créé des problèmes pour la mise en œuvre du régime relatif aux ensembles de données. Par exemple, lors de la collecte initiale d’un ensemble de données, celui-ci doit être évalué afin de déterminer, entre autres, le type d’autorisation requise, le cas échéant, aux fins de sa conservation et de son utilisation. Il doit également être évalué aux fins d’y extraire certaines catégories de renseignements personnels. Dans le cadre de ce projet de loi, la période d’évaluation passerait de 90 à 180 jours. De plus, la période maximale de validité de l’autorisation de conservation passerait de deux à cinq ans pour les ensembles de données canadiens et de cinq à dix ans pour les ensembles de données étrangers.
Le projet de loi clarifierait et simplifierait le processus permettant de constituer un ensemble de données aux fins de conservation des informations qui ont été recueillies en application d’autres pouvoirs du SCRS, y compris des informations recueillies incidemment à l’exécution d’un mandat ou d’une ordonnance de communication. Les informations ainsi recueillies seraient assujetties aux règles relatives à la collecte et à l’évaluation de nouveaux ensembles de données à compter de la date à laquelle le SCRS parviendrait à la conclusion que ces informations constituent ou pourraient être utilisées pour constituer un ensemble de données. Cette date amorcerait le début de la période d’évaluation de l’ensemble de données pour laquelle l’utilisation de l’ensemble de données est aussitôt limitée. Si l’autorisation de conserver l’ensemble de données n’est pas demandée dans les délais prescrits par la loi, l’ensemble de données devra être détruit.
Le projet de loi C-70 étendrait les circonstances dans lesquelles il serait possible d’utiliser des ensembles de données canadiens en permettant au SCRS de les utiliser dans l’exercice de ses fonctions visées à l’article 15 de la Loi, à savoir de mener des enquêtes en vue d’effectuer des évaluations de sécurité et de formuler des conseils aux ministres.
Le projet de loi modifierait la Loi pour permettre la communication d’ensembles de données. La communication d’ensembles de données étrangers et canadiens nécessite l’obtention d’une autorisation ministérielle ou judiciaire, respectivement.
Enfin, le projet de loi vise à étendre les autorisations d’utilisation des ensembles de données lorsque des situations d’urgence se produisent pendant la période d’évaluation afin de permettre non seulement l’interrogation, mais aussi l’exploitation de ces ensembles. L’exploitation est définie dans la Loi comme l’analyse informatique d’un ou de plusieurs ensembles de données ayant pour but d’obtenir des renseignements qui ne seraient pas autrement apparents.
Les pouvoirs relatifs à la collecte, à la conservation, à l’utilisation et à la communication d’informations dans le cadre du régime applicable aux ensembles de données peuvent faire intervenir le droit à la vie privée visé par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la conformité des dispositions relatives aux ensembles de données avec la Charte, y compris à la lumière des modifications proposées dans le cadre du projet de loi C-70.
Le régime comprend de nombreuses garanties et mesures de responsabilisation visant à maintenir toute incidence potentielle sur le droit à la vie privée dans les limites de ce qui est raisonnable et proportionnel aux objectifs de sécurité nationale pour lesquels ces ensembles de données peuvent être utilisés par le SCRS. Une fois que la collecte a été effectuée, il faut procéder à l’évaluation de l’ensemble de données afin de déterminer, entre autres, le type d’autorisation requise, le cas échéant, aux fins de sa conservation et de son utilisation. Il doit également être évalué aux fins d’y extraire certaines catégories de renseignements personnels, notamment les informations médicales ou relatives à la santé ainsi que les informations protégées par le secret professionnel de l’avocat. Pendant la période d’évaluation, l’ensemble de données ne peut être utilisé que dans des circonstances exceptionnelles, avec l’autorisation du directeur et l’approbation du commissaire au renseignement. Une autorisation judiciaire est nécessaire aux fins de la conservation des ensembles de données canadiens. Les ensembles de données étrangers, quant à eux, requièrent une autorisation ministérielle et l’approbation de l’entité indépendante et quasi judiciaire qu’est le commissaire au renseignement. Le juge ou le ministre, respectivement, doit être convaincu que l’ensemble de données est susceptible d’aider le SCRS dans l’exercice de ses fonctions et que le SCRS s’est acquitté de ses obligations de supprimer les informations qu’il n’est pas autorisé à conserver.
Le fait d’accorder plus de temps pour l’évaluation des nouveaux ensembles de données aiderait le SCRS à mieux s’acquitter de ses obligations au cours de cette période, notamment de confirmer si l’ensemble de données est canadien, étranger ou accessible au public, d’examiner les ensembles de données afin de se conformer à son obligation de supprimer certaines catégories d’informations et de demander les autorisations ministérielles ou judiciaires appropriées. Malgré la prolongation de la période d’évaluation, les règles limitant l’utilisation des ensembles de données pendant la période d’évaluation seraient maintenues.
Les modifications proposées qui s’appliqueraient lorsque le SCRS souhaite transférer dans le régime applicable aux ensembles de données des informations recueillies en vertu d’autres autorisations dont elle dispose comprennent les mêmes garanties essentielles que celles qui s’appliquent à la collecte de nouveaux ensembles de données. Les règles et les garanties prévues par le régime applicable aux ensembles de données s’appliqueraient à compter de la date où le SCRS détermine que l’information constitue un ensemble de données ou pourrait être utilisée pour en constituer un. Toute information conservée par le SCRS dans l’attente d’une détermination resterait soumise à un ensemble plus vaste de règles régissant la conservation de l’information recueillie par le SCRS en vertu de ses autres autorisations. Ces règles comportent notamment des exigences qui découlent de la Loi elle-même et des conditions auxquelles est assujetti un mandat délivré par la Cour fédérale. Par exemple, un mandat peut prévoir la destruction obligatoire de toute information recueillie de manière incidente à l’exécution du mandat à une date déterminée, à moins que cette information ne satisfasse aux seuils de conservation prévus par les autorisations applicables.
Le fait d’autoriser l’interrogation et l’exploitation d’ensembles de données canadiens à des fins d’enquête au titre de l’article 15 de la Loi favoriserait la réalisation d’objectifs importants en matière de sécurité nationale, notamment de fournir des évaluations de sécurité aux fins d’obtention des habilitations de sécurité conditionnelles à l’emploi dans la fonction publique fédérale et de fournir des évaluations de sécurité dans un contexte d’immigration au cours de la procédure de demande de visas, d’asile ou de citoyenneté canadienne. L’interrogation et l’exploitation d’ensembles de données canadiens au titre de l’article 15 seraient soumises au même seuil élevé que celui qui s’applique à l’utilisation de ces ensembles de données par le SCRS dans l’exercice de ses fonctions au titre des articles 12 (enquêter sur les menaces envers la sécurité du Canada) et 12.1 (réduire les menaces). Plus précisément, le SCRS ne serait autorisé à interroger ou à exploiter un ensemble de données canadien que lorsque ce serait « strictement nécessaire » à l’exercice de ses fonctions au titre de l’article 15 (mener des enquêtes pour fournir des évaluations de sécurité et des conseils aux ministres).
Bien que le projet de loi permettrait la communication d’ensembles de données étrangers ou canadiens, elle ne pourrait avoir lieu que si l’autorisation de conservation le permet et elle serait soumise à toutes les conditions incluses dans l’autorisation à cet égard.
L’exploitation des ensembles de données qui ne font pas encore l’objet d’une autorisation judiciaire ou ministérielle serait soumise aux mêmes exigences et garanties que celles qui s’appliquent à l’interrogation d’ensembles de données au titre des dispositions actuelles de la Loi, dans de pareilles circonstances. Le directeur n’autoriserait l’activité d’exploitation que s’il est convaincu qu’elle est nécessaire afin d’acquérir des renseignements dans le but de préserver la vie ou la sécurité d’un individu ou d’acquérir des renseignements d’une importance considérable pour la sécurité nationale, dont la valeur sera réduite ou perdue si le Service s’en tient aux processus d’autorisation prévus. Pour qu’elle soit valide, une autorisation accordée par le directeur doit être approuvée par le commissaire au renseignement.
Les activités du Service concernant les ensembles de données sont soumises au contrôle de l’Office de surveillance des activités en matière de sécurité nationale et de renseignement (OSSNR). Si l’OSSNR indique dans un rapport que des mesures prises par le SCRS sont contraires à la loi ou à la Charte ou formule des recommandations en ce sens, le directeur est tenu par la loi de transmettre cette partie du rapport de l’OSSNR à la Cour fédérale pour qu’elle en tienne compte dans le cadre de son examen de l’affaire aux fins de réparation.
Collecte d’informations qui se trouvent à l’extérieur du Canada (article 8 de la Charte)
L’article 16 de la Loi sur le SCRS autorise le Service à prêter son assistance au ministre de la Défense nationale ou au ministre des Affaires étrangères, dans les limites du Canada, à la collecte d’informations concernant des États étrangers ou des personnes étrangères (renseignements étrangers). Le projet de loi C-70 viendrait combler un vide qui a été créé par les progrès technologiques en octroyant au SCRS le pouvoir de collecter des renseignements étrangers depuis le Canada, même si ces renseignements se trouvent à l’extérieur du Canada lorsque les autres exigences prévues à l’article 16 sont satisfaites. Étant donné que le projet de loi élargirait la portée du pouvoir de collecte prévu à l’article 16 pour y inclure les informations qui se trouvent à l’extérieur du Canada, il est susceptible de mettre en jeu le droit à la vie privée garanti par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de cet aspect du projet de loi avec la Charte.
La modification permettrait au SCRS de mieux remplir l’objectif important d’aider le gouvernement du Canada à gérer les relations étrangères et la défense nationale du pays grâce à la compréhension des moyens, des intentions ou des activités des États étrangers ou des personnes étrangères. Le pouvoir de collecter des informations qui se trouvent à l’extérieur du Canada serait soumis aux mêmes restrictions qui s’appliquent au titre de l’article 16 lorsque les informations collectées se trouvent au Canada. Plus précisément, la collecte doit se faire à la demande du ministre des Affaires étrangères ou du ministre de la Défense nationale, avec le consentement du ministre de la Sécurité publique. Il est important de noter que, lorsque la collecte porte une atteinte plus que minimale au droit à la vie privée, elle ne peut être effectuée qu’avec l’autorisation de la Cour fédérale et sous réserve des conditions imposées par celle-ci. En outre, toute collecte effectuée en vertu de l’article 16 ne peut viser des citoyens canadiens, des résidents permanents ou des personnes morales au Canada.
Communication d’informations (article 8 de la Charte)
Les dispositions actuelles de la Loi sur le SCRS autorisent la communication d’informations que le SCRS collecte dans l’exercice des fonctions qui lui sont conférées dans certaines circonstances. Le projet de loi C-70 apporterait plusieurs modifications à la disposition relative à la communication d’informations énoncée à l’article 19 de la Loi afin d’élargir le pouvoir du SCRS de communiquer des informations à des personnes ou à des entités ne faisant pas partie du gouvernement du Canada. Actuellement, le SCRS est autorisé, en vertu de l’alinéa 19(2)a) de la Loi, à communiquer des informations à des « agents de la paix » compétents pour mener une enquête relative à une infraction présumée à une loi fédérale ou provinciale. Cependant, les personnes compétentes pour mener une enquête relative à de telles infractions présumées n’ont pas toutes qualité d’« agent de la paix ». Le projet de loi modifierait la disposition actuelle pour autoriser la communication d’informations « aux personnes compétentes » pour mener l’enquête sur l’infraction alléguée.
L’article 19 prévoit également un pouvoir de communication d’informations à un ministre ou à une personne faisant partie de l’administration publique fédérale lorsque le ministre de la Sécurité publique estime que la communication est essentielle pour des raisons d’intérêt public et que celles-ci justifient nettement une éventuelle violation de la vie privée. Le projet de loi C-70 modifierait ce pouvoir afin d’autoriser la communication d’informations à « toute personne ou entité », tout en maintenant les exigences élevées qui s’appliquent à la communication d’informations fondée sur cette disposition.
Enfin, le projet de loi C-70 accorderait au SCRS un nouveau pouvoir de communication d’informations dans le but de renforcer la résilience aux menaces envers la sécurité du Canada. Ce pouvoir concernerait uniquement les informations qui ont déjà été communiquées à un ministère ou organisme fédéral exerçant des fonctions pour lesquelles elles sont pertinentes. Les informations communiquées au titre de cette disposition ne pourraient pas contenir de renseignements personnels concernant un citoyen canadien, un résident permanent ou un individu se trouvant au Canada. Elles ne pourraient pas non plus contenir le nom d’une entité canadienne ou d’une personne morale constituée ou prorogée sous le régime d’une loi fédérale ou provinciale. Étant donné que les pouvoirs proposés en matière de communication d’informations pourraient porter atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée, elles sont susceptibles de mettre en jeu l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces dispositions avec l’article 8.
L’autorisation de communiquer des informations aux « personnes compétentes » pour mener l’enquête relative à une infraction présumée aux lois canadiennes ne modifierait pas fondamentalement la nature ni les objectifs du pouvoir actuellement prévu à l’alinéa 19(2)a) de la Loi. Il s’agirait plutôt de moderniser les pouvoirs dont dispose le SCRS pour tenir compte de l’ensemble des acteurs compétents en la matière. Le pouvoir discrétionnaire de communiquer des informations conféré par cette disposition devrait être exercé de manière conforme à la Charte.
Les modifications proposées à l’alinéa 19(2)d) de la Loi pour autoriser la communication des informations à « toute personne ou entité » faisant partie ou non du gouvernement fédéral constituent une réponse à la nature changeante des menaces que présentent l’espionnage et l’ingérence étrangère, qui ont une incidence croissante sur les autres ordres de gouvernement et tous les secteurs de la société, tels que les communautés canadiennes, le milieu universitaire, les médias et les entreprises privées. Bien que modifié, le pouvoir de communiquer des informations demeurerait soumis aux exigences très élevées qui s’appliquent déjà en vertu de la loi en vigueur. La communication d’informations serait uniquement autorisée au titre de cette disposition lorsque le ministre est convaincu que la communication est « essentielle pour des raisons d’intérêt public » et que celles-ci « justifient nettement » une éventuelle violation de la vie privée. Le SCRS serait quand même tenu de présenter un rapport sur la communication à l’OSSNR le plus tôt possible après la communication.
Le pouvoir de communication d’informations proposé dans le but de renforcer la résilience aux menaces envers la sécurité du Canada a été conçu afin de réduire au minimum toute éventuelle incidence sur la vie privée. Le pouvoir proposé ne permettrait pas la communication de renseignements personnels concernant des citoyens canadiens, des résidents permanents ou des individus se trouvant au Canada. Il ne permettrait pas non plus la communication du nom de sociétés ou d’entités canadiennes. Ce pouvoir permettrait au SCRS d’engager des discussions franches avec ses partenaires afin de les aider à mieux connaître les menaces, notamment les menaces d’ingérence étrangère, qui pèsent sur eux et à prendre des mesures de protection pour y résister.
Autorisations judiciaires et mandats (article 8 de la Charte)
Ordonnance de préservation
Le projet de loi permettrait au SCRS de demander à un juge désigné de la Cour fédérale du Canada de rendre une ordonnance de préservation. Cette dernière contraindrait un tiers à préserver des informations, des documents ou des objets pour lesquels il existe des motifs raisonnables de soupçonner qu’ils aideraient le SCRS à faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou à exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16 de la Loi en ce qui concerne la défense du Canada ou la conduite des affaires internationales du Canada. Ce pouvoir assurerait la préservation des informations, des documents ou des objets pendant que le SCRS demande la délivrance d’une ordonnance de communication ou d’un mandat en vue de les obtenir. En empêchant les personnes de contrôler leurs propres informations, documents ou objets, le pouvoir proposé pourrait porter atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée, au point de mettre en jeu l’article 8 de la Charte.
Les considérations suivantes appuient la compatibilité avec la Charte du pouvoir de demander une ordonnance de préservation. La raison d’être de l’ordonnance est d’empêcher la perte ou la destruction d’informations qui aideraient le SCRS à s’acquitter de l’important mandat qui lui incombe de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada et pour prêter assistance au ministre de la Défense nationale et au ministre des Affaires étrangères relativement à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités des États étrangers ou des personnes étrangères. La préservation des informations donnerait au SCRS le temps nécessaire pour demander un mandat ou la délivrance d’une ordonnance de communication en vue d’obtenir ces informations. Les personnes ne pourraient se voir contraintes de préserver les informations qu’après qu’un juge – indépendant et impartial – a été convaincu qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que ces informations aideront le SCRS dans l’exercice de ses fonctions, qu’une ordonnance est nécessaire en vue de préserver les informations, et que le SCRS a demandé ou a l’intention de demander un mandat ou la délivrance d’une ordonnance de communication pour obtenir ces informations. Le juge conserverait le pouvoir discrétionnaire de délivrer ou non une ordonnance. L’ordonnance de préservation ne serait en vigueur que pendant quatre-vingt-dix jours afin de garantir que le mandat est exécuté rapidement ou que les informations ne sont pas préservées indéfiniment. Le juge aurait le pouvoir discrétionnaire de prévoir dans l’ordonnance toute mesure qu’il estime nécessaire dans l’intérêt du public. Enfin, toute information préservée en vertu d’une ordonnance de préservation devrait être détruite à l’expiration de l’ordonnance, sauf si elle était conservée dans le cadre normal des activités commerciales ou assujettie à d’autres obligations légales de conservation.
Ordonnance de communication
Le projet de loi permettrait au Service, sur approbation du ministre, de demander à un juge désigné de la Cour fédérale du Canada de délivrer une ordonnance de communication. L’ordonnance de communication obligerait un tiers à produire toute information ou tout document à l’égard desquels le Service a des motifs raisonnables de croire qu’ils pourraient lui permettre d’obtenir des informations ou des renseignements qui l’aideront à faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou à exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16 de la Loi relativement aux domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada. En permettant à un juge d’ordonner à des personnes de communiquer leurs informations ou documents, le pouvoir proposé de délivrer une ordonnance de communication est susceptible de porter atteinte à l’attente raisonnable en matière de protection de la vie privée de manière à faire entrer en jeu l’article 8 de la Charte.
Les considérations suivantes militent en faveur de la conformité du pouvoir de délivrer une ordonnance de communication avec la Charte. Le but est de permettre au Service d’obtenir des informations qui l’aideront dans l’exécution de son mandat important de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada et de prêter son assistance au ministre de la Défense nationale et au ministre des Affaires étrangères à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger ou d’une personne. Il n’y aurait atteinte au droit à la protection de la vie privée des personnes que si un juge désigné de la Cour fédérale, indépendant et impartial, est convaincu de l’existence de motifs raisonnables de croire que les informations demandées aideront le Service à remplir ses fonctions. Le juge conserverait le pouvoir discrétionnaire de délivrer ou non une ordonnance. Le juge aurait également le pouvoir discrétionnaire de prévoir dans l’ordonnance toute mesure qu’il estime nécessaire dans l’intérêt public. Pour réduire au minimum toute incidence imprévue ou potentiellement excessive en matière de protection de la vie privée, la personne visée par une telle ordonnance pourrait demander au juge de révoquer ou de modifier l’ordonnance, s’il est déraisonnable, dans les circonstances, d’exiger la communication des informations ou documents ou si la communication révélait des renseignements protégés par le droit applicable en matière de divulgation ou de privilèges. Enfin, toute information visée par une ordonnance de préservation devrait être détruite lorsqu’une ordonnance de communication est exécutée ou révoquée, à moins que l’information soit conservée dans le cadre normal de l’activité commerciale ou si elle doit être conservée au titre d’autres obligations légales.
Mandat
Le projet de loi permettrait au Service, sur approbation du ministre, de demander à un juge désigné de la Cour fédérale du Canada de lui décerner un mandat, lorsque le Service a des motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire afin de lui permettre d’obtenir toute information ou tout document ou tout objet qui l’aidera à faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada ou à exercer les fonctions qui lui sont conférées en vertu de l’article 16 de la Loi relativement aux domaines de la défense et de la conduite des affaires internationales du Canada. Le Service pourrait exercer notamment les activités suivantes qui seraient autorisées dans le cadre de ce pouvoir de décerner un mandat : l’accès à un lieu ou un objet, la recherche, l’enlèvement de tout document ou de tout objet, le prélèvement de toute information et l’établissement de copies ou l’installation de tout objet. Le recours à ce pouvoir est susceptible de porter atteinte à l’attente raisonnable en matière de protection de la vie privée de manière à faire entrer en jeu l’article 8 de la Charte.
Les considérations suivantes militent en faveur de la conformité du pouvoir de décerner un mandat avec la Charte. Le but est de permettre au Service d’obtenir des informations qui l’aideront dans l’exécution de son mandat important de faire enquête sur des menaces envers la sécurité du Canada et de prêter son assistance au ministre de la Défense nationale et au ministre des Affaires étrangères à la collecte d’informations ou de renseignements sur les moyens, les intentions ou les activités d’un État étranger ou d’une personne. Il n’y aurait atteinte au droit à la protection de la vie privée des personnes que si un juge désigné de la Cour fédérale, indépendant et impartial, est convaincu de l’existence de motifs raisonnables de croire que le mandat est nécessaire afin de permettre au Service d’obtenir des informations qui l’aideront à remplir ses fonctions. Le juge conserverait le pouvoir discrétionnaire de décerner ou non un mandat. Au titre de cette disposition, le Service ne serait autorisé à obtenir les informations que lors d’une seule tentative. Dans le mandat qu’il décerne, le juge pourrait imposer les conditions qu’il estime indiquées dans l’intérêt public. La durée de validité du mandat est d’au plus 120 jours. Enfin, toute information visée par une ordonnance de préservation devrait être détruite une fois qu’elle est obtenue en vertu d’un mandat, à moins que l’information soit conservée dans le cadre normal de l’activité commerciale ou si elle doit être conservée au titre d’autres obligations légales.
Mandat d’enlèvement de certains objets
Le projet de loi apporterait des modifications à l’article 23 de la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité, qui permet à un juge désigné de la Cour fédérale du Canada de décerner un mandat autorisant l’enlèvement d’un objet d’un lieu où il avait été installé en conformité avec un mandat décerné. La modification proposée élargirait le pouvoir de manière à permettre aussi au Service de demander un mandat autorisant l’enlèvement d’un objet d’un lieu où il avait été installé sur consentement. Un mandat d’enlèvement de certains objets pourrait être décerné si le Service a des motifs raisonnables de croire que ce mandat est nécessaire. L’autorisation d’enlever un objet d’un lieu où il aurait été installé pourrait porter atteinte à l’attente raisonnable en matière de protection de la vie privée et serait donc susceptible de faire entrer en jeu l’article 8 de la Charte.
Les considérations suivantes militent en faveur de la conformité du pouvoir de décerner un mandat d’enlèvement de certains objets avec la Charte. Le but du mandat est, de manière générale, de permettre au Service de réaliser ses enquêtes relatives à la sécurité nationale. Un mandat d’enlèvement de certains objets permet notamment au Service de préserver l’intégrité de l’enquête en évitant la détection et de conserver les ressources publiques. Il n’y aurait atteinte au droit à la vie privée des personnes que si le juge, indépendant et impartial, est convaincu de l’existence de motifs raisonnables de croire qu’un mandat est nécessaire afin de permettre au Service d’enlever un objet d’un lieu où il l’avait installé. Le juge conserverait le pouvoir discrétionnaire de décerner ou non un mandat, et serait autorisé à imposer les conditions qu’il estime indiquées dans l’intérêt public.
Partie 2 – Mesures pour lutter contre l’ingérence étrangère
Modifications à la Loi sur la protection de l’information afin de créer de nouvelles infractions relatives à l’ingérence étrangère (article 7 de la Charte)
Le projet de loi C‑70 modifierait la Loi sur la protection de l’information (la LPI) en créant trois nouvelles infractions relatives à l’ingérence étrangère et en modifiant l’infraction prévue à l’article 20 de la Loi.
- Intimidation, menaces ou violence pour le compte d’une entité étrangère ou d’un groupe terroriste – L’article 20 de la LPI érige en infraction les menaces ou la violence pour le compte d’une entité étrangère. Le projet de loi C‑70 modifierait l’infraction actuelle afin d’en faire une infraction simple et de simplifier les poursuites. L’infraction modifiée se rapporterait à l’intimidation, aux menaces et à la violence (en supprimant la mention des termes « accusations » et « menaces ») et, lorsque l’infraction est perpétrée au Canada ou qu’elle implique des personnes ayant des liens particuliers avec le Canada, il ne serait plus nécessaire de prouver que l’acte prohibé a été commis en vue d’accroître la capacité d’une entité étrangère de porter atteinte aux intérêts canadiens ou de façon à y porter vraisemblablement atteinte. Toutefois, la preuve d’un tel acte serait nécessaire pour des infractions pour lesquelles il n’y a aucun autre lien avec le Canada.
- Commettre un acte criminel pour une entité étrangère – À l’instar des infractions en matière de terrorisme et de crime organisé prévues au Code criminel, cette proposition de modification érigerait en infraction distincte le fait de commettre un acte criminel sur l’ordre d’une entité étrangère, en collaboration avec elle ou pour son profit.
- Conduite ou omission pour une entité étrangère – Le projet de loi C‑70 créerait une nouvelle infraction générale d’ingérence étrangère. L’infraction s’appliquerait dans le cas où une personne, sciemment, sur l’ordre d’une entité étrangère, en collaboration avec elle ou pour son profit, a une conduite subreptice ou trompeuse, ou omet, subrepticement ou dans le but de tromper, d’accomplir quelque chose. Le ministère public devra prouver que la personne a eu la conduite ou a commis l’omission dans un dessein nuisible à la sécurité ou aux intérêts de l’État ou qu’elle ne se souciait pas de savoir si la conduite ou l’omission causera vraisemblablement un tel préjudice.
- Ingérence dans les affaires politiques pour une entité étrangère – Le projet de loi C‑70 érigerait en infraction le fait pour une personne, sur l’ordre d’une entité étrangère ou en collaboration avec elle, d’avoir une conduite subreptice ou trompeuse en vue d’influencer un processus politique ou gouvernemental canadien ou l’exercice d’un droit démocratique au Canada.
Toutes les infractions proposées seraient punissables d’une peine maximale d’emprisonnement à perpétuité. Le projet de loi prévoit également que la peine infligée à une personne pour ces infractions devrait être purgée consécutivement à toute autre peine sanctionnant une autre infraction basée sur les mêmes faits ou à toute autre peine en cours d’exécution, sauf une peine d’emprisonnement à perpétuité.
Étant donné que les infractions proposées donnent lieu à une possibilité d’emprisonnement, elles mettent en jeu le droit à la liberté garanti à l’article 7 de la Charte et doivent donc respecter les principes de justice fondamentale. Les infractions d’intimidation pour le compte d’une entité étrangère ou d’ingérence dans les affaires politiques pour une entité étrangère pourraient mettre en jeu la liberté d’expression prévue à l’alinéa 2b) de la Charte. Les considérations suivantes militent en faveur de la conformité des infractions proposées avec la Charte.
Les infractions proposées visent particulièrement les activités d’ingérence étrangère qui sont intrinsèquement préjudiciables aux intérêts nationaux du Canada et sont adaptées à l’objectif de protection du Canada et des Canadiens contre les préjudices associés à ce genre d’activités. Les modifications proposées à l’infraction prévue à l’article 20 de la LPI simplifieraient la preuve de l’infraction lorsqu’elle est commise au Canada ou lorsqu’elle implique des personnes ayant des liens précis avec le Canada, comme la résidence au Canada. Bien que dans ce cas il ne soit plus nécessaire de prouver l’existence d’une intention de porter atteinte aux intérêts canadiens ou à y porter vraisemblablement atteinte, la portée de l’infraction serait restreinte, de manière à ce qu’elle n’englobe qu’une conduite qui est suffisamment grave pour justifier une sanction pénale (une conduite qui équivaut à une menace, à de l’intimidation ou à de la violence). L’infraction proposée, qui consiste à commettre un acte criminel pour une entité étrangère, engloberait une conduite qui fait déjà l’objet d’une interdiction criminelle, mais traduirait la gravité d’avoir une telle conduite pour une entité étrangère. L’infraction proposée, qui consiste pour une personne à avoir une conduite subreptice, ou à omettre d’accomplir quelque chose, pour une entité étrangère, serait restreinte dans sa portée par l’élément de la mens rea (intention criminelle), ce qui exigerait de prouver que la personne avait eu cette conduite ou avait commis cette omission dans un dessein nuisible à la sécurité ou aux intérêts de l’État, ou qu’elle ne se souciait pas de savoir si la conduite ou l’omission conduirait à un tel résultat. L’infraction ne viserait pas des activités légitimes qui ne sont ni secrètes ni trompeuses, même si elles sont exercées au profit d’une entité étrangère. L’infraction d’ingérence dans les affaires politiques compléterait les mesures portant sur l’ingérence étrangère prévues dans la Loi électorale du Canada, mais s’appliquerait en tout temps, y compris en dehors de la période électorale, et à tous les ordres de gouvernement. Étant donné que l’infraction ne s’appliquerait qu’à la conduite subreptice ou trompeuse, elle ne viserait pas les activités démocratiques de revendication ou de lobbying légitimes et transparentes menées par des personnes ou des États étrangers, qui ne sont pas par ailleurs interdites par la loi. Pour toutes ces infractions, le juge aurait le pouvoir discrétionnaire d’imposer une peine qu’il estime juste et appropriée.
L’exigence relative aux peines consécutives concernant l’infraction qui consiste à commettre un acte criminel pour une entité étrangère est également susceptible de faire entrer en jeu les droits garantis à l’article 12 de la Charte dans le cas où cette peine serait imposée conjointement avec une peine à infliger à l’égard d’une infraction punissable d’une peine minimale obligatoire. Les considérations suivantes militent en faveur de la conformité de l’exigence relative aux peines consécutives avec l’article 12 de la Charte.
La nouvelle infraction proposée n’est pas en soi punissable d’une peine minimale obligatoire. Le juge chargé de prononcer la peine pour cette infraction conserverait le pouvoir discrétionnaire de déterminer une peine globale qu’il estime juste et appropriée, conformément aux principes généraux de détermination de la peine. Il s’agit notamment du « principe de totalité » qui veut que la peine cumulative infligée pour plusieurs infractions ne soit pas indûment longue ou sévère ni disproportionnée eu égard à la culpabilité globale du délinquant.
Modifications à l’infraction de sabotage prévue par le Code criminel (les alinéas 2b) et 2c) et l’article 7 de la Charte)
Le projet de loi moderniserait également l’infraction de sabotage prévue à l’article 52 du Code criminel et ajouterait deux nouvelles infractions complémentaires relatives l’une au sabotage d’infrastructures essentielles et l’autre à la fabrication, à la possession ou à la distribution de dispositifs conçus pour commettre un acte de sabotage. Le consentement du procureur général serait requis pour engager des poursuites à l’égard de l’une ou l’autre de ces infractions.
L’infraction de sabotage actuellement prévue à l’article 52 serait modifiée de façon à ce que l’élément de mens rea (l’intention coupable) soit plus clair. Il serait précisé que la personne devrait commettre un acte prohibé avec l’intention de mettre en péril soit la sécurité, la sûreté ou la défense du Canada, soit la sécurité ou la sûreté des forces navales, des forces de l’armée ou des forces aériennes qui sont légitimement présentes au Canada. Le projet de loi indiquerait également, pour plus de certitude, que l’infraction ne s’appliquerait pas aux personnes qui prendraient part à des revendications, à des protestations ou à des manifestations d’un désaccord sans avoir l’intention de provoquer l’un des préjudices précisés.
En outre, le projet de loi créerait une nouvelle infraction, soit celle de gêner, par acte ou omission, l’accès à une infrastructure essentielle, ou encore d’en entraîner la perte ou la rendre inutilisable, dangereuse ou impropre à l’usage. Le terme « infrastructure essentielle » serait défini au sens large comme une infrastructure, un service ou un système public ou privé essentiel à la santé, à la sûreté, à la sécurité ou au bien-être économique de personnes au Canada, et une liste non exhaustive d’infrastructures essentielles serait fournie. Cette nouvelle infraction comporterait un fort élément de mens rea. Lorsque des poursuites seraient engagées, il faudrait prouver que la personne avait l’intention de provoquer l’un des préjudices suivants : porter atteinte à la sécurité ou à la défense du Canada; porter atteinte à la sécurité ou à la sûreté des forces militaires légitimement présentes au Canada; compromettre gravement la santé ou la sécurité de tout ou partie de la population. Cette infraction comporterait les mêmes exceptions que l’infraction de sabotage principale. Comme l’actuelle infraction de sabotage, la nouvelle infraction ne s’appliquerait pas aux arrêts de travail liés à un conflit entre employés et employeurs ou à des problèmes de sécurité, ni à la conduite d’une personne qui se trouve dans un lieu ou près de ce lieu à seules fins d’obtenir ou de communiquer des renseignements. De plus, le projet de loi indiquerait clairement que les entraves à des infrastructures essentielles commises dans le contexte de revendications, de protestations ou de manifestations d’un désaccord sans qu’il y ait eu intention de causer les préjudices précisés ne seraient pas visées.
Le projet de loi érigerait également en infraction la fabrication, la possession, la distribution ou la vente d’un dispositif en vue de la commission de l’une ou l’autre des infractions de sabotage. Au titre de cette infraction, le terme « dispositif » serait défini comme un mécanisme ou un outil, y compris un programme d’ordinateur, conçu pour faciliter la commission d’une infraction de sabotage.
Les infractions proposées étant passibles d’emprisonnement, elles mettent en jeu le droit à la liberté prévu à l’article 7 de la Charte et doivent donc être conformes aux principes de la justice fondamentale. Comme elles pourraient avoir une incidence sur les personnes prenant part à des revendications ou à des protestations, elles peuvent également mettre en jeu la liberté d’expression et la liberté de réunion pacifique prévues aux alinéas 2b) et 2c) de la Charte. Les considérations qui suivent appuient la compatibilité des infractions de sabotage proposées avec la Charte.
Le champ d’application des infractions de sabotage proposées serait adapté à l’objectif législatif de protéger les intérêts canadiens importants et les infrastructures essentielles contre les préjudices graves. L’infraction de sabotage principale et l’infraction de sabotage d’infrastructures essentielles comporteraient toutes deux un élément d’intention coupable strict, qui exigerait l’intention de causer l’un des préjudices graves précisés. Les activités légitimes de revendication, de protestation ou de manifestation d’un désaccord où il n’y a aucune intention de causer les préjudices précisés ne seraient pas visées par les infractions. L’infraction complémentaire de fabrication, de possession, de vente ou de distribution d’un dispositif en vue de la commission d’une infraction de sabotage vise uniquement les dispositifs conçus expressément pour faciliter une infraction de sabotage. Ces trois infractions préservent le pouvoir discrétionnaire conféré au juge de première instance d’infliger une peine appropriée.
Partie 3 – Mesures relatives à la protection des renseignements
Instances sécurisées de contrôle des décisions administratives (alinéa 2b) et article 7 de la Charte)
Le projet de loi modifierait la Loi sur la preuve au Canada de façon à établir un régime d’application générale régissant la divulgation, la protection et l’utilisation de renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables au cours d’instances administratives devant la Cour fédérale ou la Cour d’appel fédérale, telles que les contrôles judiciaires ou les appels prévus par la loi découlant de décisions administratives fédérales. Le terme « renseignements sensibles » s’entend des renseignements concernant les relations internationales ou la défense ou la sécurité nationales et à l’égard desquels le gouvernement du Canada prend des mesures de protection. Le terme « renseignements potentiellement préjudiciables » s’entend des renseignements qui sont susceptibles de porter préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. Le régime remplacerait tous les actuels régimes autonomes indépendants autres que le régime établi par la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés. Il s’appliquerait également aux contextes administratifs pour lesquels de telles instances ne sont pas encore en place. Le projet de loi modifierait également la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés de façon à ce que les renseignements concernant les relations internationales ou la défense nationale soient protégés, et ce, afin que la portée de la protection prévue par le régime corresponde à celle prévue par la Loi sur la preuve au Canada.
Sous le régime proposé, lorsqu’une personne participant à un contrôle judiciaire ou à un appel prévoirait que des renseignements sensibles ou potentiellement préjudiciables seraient divulgués, un avis devrait être transmis au procureur général du Canada, sauf dans les circonstances précisées. Sauf si le procureur général autorise la divulgation des renseignements, la question serait présentée au juge saisi du contrôle judiciaire ou de l’appel pour que celui-ci rende une ordonnance concernant la divulgation. Le juge serait autorisé à nommer un conseiller juridique spécial lorsque, à son avis, des considérations d’équité et de justice naturelle l’exigeraient. Le conseiller juridique spécial aurait accès à la preuve déposée dans l’instance sous-jacente, y compris tous les renseignements sensibles non divulgués. Le rôle du conseiller juridique spécial serait de défendre les intérêts de la partie non gouvernementale lorsque des renseignements et d’autres éléments de preuve ou des observations sont présentés à huis clos et en l’absence de cette partie et de son avocat. Cette situation pourrait se produire dans le contexte d’une requête en non-divulgation, de la procédure sous-jacente ou d’un appel. Pour remplir ce rôle, le conseiller juridique spécial pourrait présenter des observations, oralement ou par écrit, à l’égard des renseignements non divulgués. Il pourrait également participer à toute partie d’une instance tenue à huis clos et en l’absence de la partie non gouvernementale et de son avocat, et y contre‑interroger les témoins. Enfin, il pourrait exercer, avec l’autorisation du juge, tout autre pouvoir nécessaire à la défense des intérêts de la partie non gouvernementale.
Le juge pourrait autoriser la divulgation des renseignements, sauf lorsqu’il conclurait qu’elle porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. Le juge pourrait également autoriser la divulgation de tout ou partie des renseignements sous réserve des conditions qu’il estimerait indiquées. Lorsque le juge conclurait que la divulgation des renseignements serait préjudiciable, mais que les raisons d’intérêt public qui justifient la divulgation l’emportent sur les raisons d’intérêt public qui justifient la non-divulgation, il pourrait autoriser la divulgation des renseignements ou d’un résumé de ceux-ci.
Lorsqu’une ordonnance ou une décision rendue au titre de la Loi sur la preuve au Canada ou de toute autre loi fédérale entraînerait la divulgation de renseignements, le procureur général du Canada serait autorisé sous le régime proposé à délivrer un certificat interdisant la divulgation de renseignements. La Cour d’appel fédérale pourrait examiner le certificat et le modifier ou l’annuler lorsque les renseignements, en tout ou en partie, ne porteraient pas sur des renseignements obtenus à titre confidentiel d’une entité étrangère ou concernant une telle entité, ni sur la défense ou la sécurité nationales.
Le juge saisi du contrôle judiciaire sous-jacent ou de l’appel interjeté en vertu de la loi pourrait s’appuyer sur des renseignements non divulgués pour l’examen du bien-fondé de l’instance, recevoir des observations et tenir une audience à huis clos et en l’absence de la partie non gouvernementale et de son avocat à cette fin. Toutefois, lorsqu’il jugerait impossible la tenue d’une audience équitable parce que la partie non gouvernementale ne serait pas raisonnablement informée du dossier, il pourrait ordonner que des mesures de réparation indiquées soient prises à l’égard de la partie non gouvernementale afin que les renseignements protégés soient divulgués.
Les dispositions autorisant les instances judiciaires à huis clos mettent en jeu le principe de la publicité des débats judiciaires visé à l’alinéa 2b) de la Charte. Selon la nature de l’instance administrative sous-jacente et des types d’intérêts qui y sont en jeu, les dispositions autorisant les restrictions à la divulgation de renseignements pourraient également mettre en jeu des droits prévus à l’article 7 de la Charte ainsi qu’à d’autres dispositions de celle-ci. Les considérations qui suivent appuient la compatibilité du régime proposé avec la Charte.
À l’instar d’autres droits garantis par la Charte, le principe de la publicité des débats judiciaires n’est pas absolu et peut être limité s’il existe des objectifs d’État plus urgents. La protection de renseignements sensibles dont la divulgation porterait atteinte aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales est un objectif d’État reconnu et important. Le régime proposé est élaboré de façon à ce que le recours aux instances desquelles les parties et le public sont exclus soit limité aux situations où une telle mesure est nécessaire pour la protection de renseignements sensibles. Il reviendrait au juge présidant l’instance de déterminer si la divulgation des renseignements entraînerait les préjudices énumérés. Surtout, les dispositions qui autoriseraient la tenue d’une audience à huis clos ou en l’absence de la partie non gouvernementale et de son avocat s’appliqueraient seulement aux portions de l’instance où des renseignements sensibles sont en cause. Le reste de l’audience serait ouvert au public et le demandeur pourrait y participer. Tout résumé des éléments de preuve fourni au demandeur serait versé au dossier de la cour accessible au public. Le régime proposé comprend des garanties procédurales et permettrait au juge d’exercer son pouvoir judiciaire discrétionnaire pour assurer l’équité de l’instance. En particulier, le pouvoir de nommer un conseiller juridique spécial, dont le rôle serait de protéger les intérêts de la partie non gouvernementale, contribuerait à garantir l’équité d’une instance tenue en l’absence de cette partie et de son avocat. Autre garantie importante, le juge disposerait du pouvoir discrétionnaire d’autoriser la divulgation de tout ou partie des renseignements potentiellement préjudiciables, ou d’un résumé de ceux-ci, lorsque les raisons d’intérêt public justifiant la divulgation l’emporteraient sur les raisons d’intérêt public justifiant la non-divulgation. Lorsqu’il jugerait impossible la tenue d’une audience équitable parce que la partie non gouvernementale ne serait pas raisonnablement informée du dossier, il disposerait toujours du pouvoir discrétionnaire d’ordonner que des mesures de réparation appropriées soient prises. Le nouveau régime proposé s’inspire largement de régimes actuels établis par la Loi sur la preuve au Canada et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés qui ont été confirmés par la Cour suprême du Canada au titre de la Charte.
Appels interlocutoires (article 7 et alinéa 11d) de la Charte)
Suivant les dispositions actuelles de la Loi sur la preuve au Canada, les ordonnances judiciaires de divulgation ou de non-divulgation rendues par la Cour fédérale et le tribunal de première instance concernant des renseignements relatifs au privilège d’intérêt public (article 37) ou au privilège fondé sur la sécurité nationale (article 38) peuvent faire l’objet d’un appel pendant que le procès criminel sous-jacent est en suspens. Le projet de loi C-70 modifierait la Loi sur la preuve au Canada de façon à ce qu’elle prévoie que toute décision de ne pas divulguer des renseignements d’intérêt public ou de sécurité nationale visés ne peut faire l’objet d’un contrôle qu’après la conclusion du procès, dans le cadre d’un appel de la condamnation. Le tribunal conserverait le pouvoir discrétionnaire de permettre qu’un appel soit interjeté avant la condamnation dans des circonstances exceptionnelles. Le préjudice causé par la divulgation de renseignements étant irréparable, la Couronne pourrait toujours interjeter appel d’une ordonnance de divulgation de renseignements de façon interlocutoire. Comme les dispositions proposées s’appliqueraient à des poursuites relatives à des infractions passibles d’emprisonnement, elles mettent en jeu le droit à la liberté garanti à l’article 7 de la Charte et le droit à un procès équitable protégé par l’article 7 et l’alinéa 11d) de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces dispositions avec la Charte.
Les principes de justice fondamentale ne comprennent généralement pas le droit d’interjeter appel. L’instruction de l’appel d’une ordonnance de non-divulgation seulement après la conclusion du procès contribuerait à une meilleure utilisation des ressources du tribunal, simplifierait le processus judiciaire et, surtout, pourrait permettre d’éviter des retards qui porteraient atteinte au droit d’être jugé dans un délai raisonnable. Le juge de première instance conserverait le pouvoir discrétionnaire de permettre qu’un appel soit interjeté avant la condamnation dans des circonstances exceptionnelles.
Ordonnance de mise sous scellés (alinéa 2b) de la Charte)
L’article 487.3 du Code criminel confère au juge le pouvoir de rendre une ordonnance interdisant l’accès aux renseignements présentés au tribunal en vue de l’obtention d’un mandat et la communication de ces renseignements. Actuellement, plusieurs facteurs que le juge peut prendre en considération pour déterminer s’il y a lieu de rendre une ordonnance de mise sous scellés sont énumérés au paragraphe 487.3(2). Le projet de loi C-70 ajouterait à cette liste de facteurs la question de savoir si la communication des renseignements porterait préjudice aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales. Comme le projet de loi ajouterait des circonstances dans lesquelles une ordonnance de mise sous scellés pourrait être accordée, il limiterait l’accès du public aux renseignements présentés à l’appui d’une demande de mandat et met en jeu le principe de la publicité des débats judiciaires visés à l’alinéa 2b) de la Charte.
Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces dispositions avec la Charte. À l’instar d’autres droits garantis par la Charte, le principe de transparence judiciaire n’est pas absolu et peut être limité s’il existe des objectifs d’État plus urgents. La protection de renseignements sensibles dont la divulgation porterait atteinte aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales est un objectif d’État reconnu et important. Le juge serait responsable de déterminer si la divulgation des renseignements porterait atteinte aux préjudices énumérés. Pour rendre une ordonnance de mise sous scellés, le juge devrait être convaincu que le préjudice porté aux relations internationales ou à la défense ou à la sécurité nationales l’emporte sur les raisons d’intérêt public justifiant l’accès aux renseignements.
Partie 4 – Édiction de la Loi sur la transparence et la responsabilité en matière d’influence étrangère
La partie 4 du projet de loi édicterait une nouvelle loi visant à contrer les tentatives d’États ou de puissances étrangères et de leurs intermédiaires d’influencer de façon non transparente les processus politiques et gouvernementaux au Canada. Ces tentatives ont des effets systémiques négatifs à l’échelle du pays, en particulier sur certaines communautés, et mettent en danger la démocratie, la souveraineté et les valeurs fondamentales canadiennes.
Communication de renseignements sur les arrangements conclus avec des commettants étrangers (alinéa 2b) de la Charte)
La loi proposée prévoit la nomination d’un commissaire à la transparence en matière d’influence étrangère. Les personnes qui concluraient des arrangements avec des commettants étrangers au titre desquels elles s’engageraient à exercer des activités liées à des processus politiques ou gouvernementaux au Canada seraient tenues de fournir au commissaire des renseignements sur ces arrangements. Les processus politiques ou gouvernementaux en question comprendraient toute procédure d’un corps législatif, l’élaboration de propositions législatives, l’élaboration ou la modification d’orientations ou de programmes, la prise de décisions par le titulaire d’une charge publique ou un organisme gouvernemental, notamment l’attribution d’un marché, la tenue d’une élection ou d’un référendum et la nomination d’un candidat ou l’élaboration d’une plateforme électorale par un parti politique. Les renseignements visés concernant les arrangements conclus et l’influence sur de tels processus seraient inscrits dans un registre public que le commissaire serait chargé d’établir. L’obligation pour les particuliers et les entités de communiquer au commissaire les renseignements sur les arrangements conclus avec des commettants étrangers afin de pouvoir s’exprimer légalement en leur nom et l’obligation pour le commissaire d’inscrire ces renseignements dans un registre pourraient porter atteinte à la liberté d’expression.
Les considérations qui suivent appuient la compatibilité du projet de loi avec la Charte. Les propos visés par l’obligation de communication pourraient être attribués à un État étranger, mais les États étrangers ne sont pas titulaires de droits garantis par la Charte. En général, les gouvernements doivent respecter les droits et les libertés, mais ils ne sont pas protégés par eux. La liberté d’expression pourrait être autrement en jeu, mais l’objectif de protection de la souveraineté et de la démocratie canadiennes contre l’influence étrangère est d’une importance fondamentale. Empêcher les États étrangers d’influencer secrètement la politique et la gouvernance canadiennes en exigeant de la transparence de la part des personnes et des entités qui concluent des arrangements avec eux pour tenter d’influencer les processus politiques et gouvernementaux peut être considéré comme un moyen rationnel d’atteindre cet objectif. Le projet de loi ne comprend pas de restrictions sur les propos ni d’interdiction de s’exprimer. Les personnes qui concluent des arrangements en vue d’engager la communication auraient plutôt seulement l’obligation administrative de fournir des renseignements qui seraient inscrits au registre. En outre, comme les personnes qui concluraient de tels arrangements disposeraient de 14 jours pour en informer le commissaire, l’obligation de fournir des renseignements ne porte pas atteinte à la liberté d’engager des communications de dernière minute ou non planifiées.
Pouvoir d’assigner des personnes (article 7 de la Charte)
En vertu de la loi proposée, le commissaire se verrait conférer des pouvoirs d’enquête lui permettant d’assurer l’application de la loi, y compris le pouvoir d’assigner devant lui des personnes et leur enjoindre de déposer oralement ou par écrit, sous serment ou sous affirmation solennelle, ou de produire les documents et autres pièces qu’il croit utiles à son enquête. Le pouvoir d’assigner devant lui des personnes et de leur enjoindre de répondre à des questions sous serment peut priver de liberté ces personnes et, s’il y a lieu, il doit être exercé en accord avec les principes de la justice fondamentale, dont le droit au silence et le principe interdisant l’auto‑incrimination.
Les considérations qui suivent appuient la compatibilité de ce pouvoir avec la Charte. Les pouvoirs d’enquête proposés sont habituels en droit canadien, et des pouvoirs analogues ont été jugés conformes à la Charte et confirmés par les tribunaux. Les pouvoirs d’enquête viseraient à assurer le respect du régime d’inscription des renseignements au registre, et non pas de faire progresser une enquête pénale. En outre, le projet de loi prévoit la protection des personnes assignées contre l’utilisation des renseignements qu’elles fourniraient comme éléments de preuve à leur encontre dans une instance ultérieure.
Infractions (article 7 de la Charte)
Le projet de loi propose également plusieurs nouvelles infractions notamment passibles d’emprisonnement, dont l’infraction consistant à ne pas communiquer les renseignements requis au commissaire. Comme ces infractions pourraient priver les contrevenants de leur liberté, elles doivent être conformes aux principes de la justice fondamentale.
Les considérations qui suivent appuient la compatibilité des infractions proposées avec la Charte. Ces infractions appuient les objectifs généraux de la loi à la fois directement, par l’interdiction de ne pas fournir les renseignements visés au commissaire, et indirectement, par l’interdiction de lui communiquer des renseignements faux ou trompeurs et d’entraver son action dans l’exercice de ses attributions. Lorsqu’il a examiné les mesures envisagées, le ministre de la Justice n’a relevé aucune incompatibilité éventuelle entre les dispositions prévoyant ces infractions et les principes de justice fondamentale.
Collecte et communication de renseignements (article 8 de la Charte)
L’obligation, pour les particuliers et les entités, de faire connaître au commissaire leurs arrangements privés avec des commettants étrangers et, pour le commissaire, de les rendre publics pourrait porter atteinte à une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée.
Les considérations qui suivent appuient la compatibilité du projet de loi avec l’article 8 de la Charte. L’objectif de protection de la souveraineté et de la démocratie canadiennes contre l’influence étrangère est d’une importance fondamentale. Empêcher les États étrangers d’influencer secrètement la politique et la gouvernance canadiennes en exigeant de la transparence de la part des personnes et des entités qui concluent des arrangements avec eux pour tenter d’influencer les processus politiques et gouvernementaux peut être considéré comme un moyen raisonnable d’atteindre cet objectif. Les renseignements qui devraient être communiqués au commissaire seraient précisés par règlement. Il devrait s’agir de renseignements utiles à l’atteinte des objectifs de la loi. Il en irait de même des renseignements que le commissaire devrait rendre publics par l’intermédiaire du registre.
Le pouvoir d’enquête du commissaire qui lui permet d’enjoindre à des personnes de produire des documents pourrait également porter atteinte à une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. Les pouvoirs d’enquête du commissaire sont habituels en droit canadien, et des pouvoirs analogues ont été jugés conformes à la Charte et confirmés par les tribunaux. Les pouvoirs d’enquête visent à assurer le respect du régime d’inscription des renseignements au registre, et non pas de faire progresser une enquête pénale. Tout ordre de produire des documents doit servir cette fin.
La loi proposée prévoit une certaine protection des renseignements qui devraient être fournis au commissaire et de ceux que le commissaire obtiendrait au cours de ses enquêtes. Elle imposerait au commissaire et aux personnes agissant pour son compte ou sous son autorité de protéger le caractère confidentiel de tout renseignement dont ils prendraient connaissance dans l’exercice de leurs attributions sous le régime de la loi, à peu d’exceptions près.
Sanctions administratives pécuniaires (article 11 de la Charte)
La loi proposée ferait d’une contravention à certaines de ses dispositions une violation passible d’une sanction administrative pécuniaire. Lorsque le commissaire aurait des motifs raisonnables de croire qu’une violation a été commise, il pourrait dresser un procès-verbal. Le procès-verbal devrait mentionner la nature de la violation, la sanction pécuniaire encourue et la faculté qu’aurait l’auteur prétendu de présenter des observations au commissaire. En fonction des sanctions pécuniaires, lesquelles seraient précisées par règlement, et si elles visaient à punir, le projet de loi pourrait porter atteinte aux droits garantis par l’article 11 de la Charte.
Les considérations qui suivent appuient la compatibilité de la disposition avec la Charte. Les procédures conduisant à l’infliction d’une sanction pécuniaire seraient de nature administrative. Tel qu’il est mentionné dans le projet de loi, l’infliction de la pénalité viserait non pas à punir, mais plutôt à favoriser le respect de la loi proposée. Le projet de loi ne prévoit pas de sanction pécuniaire minimale obligatoire. Dans ce contexte, l’approche proposée n’entraînerait pas de « véritables conséquences pénales » pouvant déclencher l’application de l’article 11 de la Charte.
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