Projet de loi S-5: Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), apportant des modifications connexes à la Loi sur les aliments et drogues et abrogeant la Loi sur la quasi-élimination du sulfonate de perfluorooctane
Déposé à la Déposé au Sénat le 30 mars 2022
Note explicative
L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.
Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), apportant des modifications connexes à la Loi sur les aliments et drogues et abrogeant la Loi sur la quasi-élimination du sulfonate de perfluorooctane, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.
Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi S-5 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.
Aperçu
Le projet de loi S-5, Loi modifiant la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), apportant des modifications connexes à la Loi sur les aliments et drogues et abrogeant la Loi sur la quasi-élimination du sulfonate de perfluorooctane, vise à renforcer la gestion des produits chimiques au Canada par la modernisation de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) et du plan de gestion des produits chimiques du Canada. Ce projet de loi précise que le gouvernement du Canada doit, dans le cadre de l’application de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999), protéger le droit à un environnement sain, comme l’oblige la Loi, et élaborer un cadre de mise en œuvre précisant la façon dont ce droit sera considéré dans l’exécution de la Loi. Ce projet de loi modifierait également la Loi sur les aliments et drogues afin de créer, pour les drogues, un régime d’avis environnemental, d’évaluation et de gestion des risques.
Les modifications proposées à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) qui sont susceptibles d’avoir des effets sur les droits ou libertés protégés par la Charte comprennent les dispositions qui élargiraient les pouvoirs de collecte de renseignements prévus à la Loi afin de viser un plus large éventail de produits, les dispositions qui modifieraient certaines règles concernant la confidentialité des renseignements recueillis en vertu de la Loi, et les dispositions qui introduiraient de nouvelles infractions et qui modifieraient la portée de certaines infractions existantes.
Les modifications proposées à la Loi sur les aliments et drogues qui sont susceptibles d’avoir des effets sur les droits et libertés protégés par la Charte comprennent les dispositions qui créeraient des pouvoirs d’exiger et de communiquer des renseignements à des fins de protection de l’environnement, les dispositions qui créeraient des pouvoirs d’ordonner la modification des étiquettes et des emballages de produits thérapeutiques lorsqu’on a décelé qu’ils posent un risque pour l’environnement, et une disposition qui créerait une nouvelle interdiction assortie d’une infraction.
Fouilles, perquisitions ou saisies (article 8 de la Charte)
L’article 8 de la Charte protège les individus contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives. L’objectif est de protéger les gens contre une intrusion abusive de l’État lorsqu’il y a une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. Une fouille, perquisition ou saisie sera jugée raisonnable si elle est autorisée par la loi, si la loi elle-même est raisonnable (en ce qu’elle établit un juste équilibre entre les droits à la vie privée et l’intérêt de l’État) et si elle est effectuée de façon raisonnable.
Portée et exécution des pouvoirs prévus à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)
Les mesures qui visent à élargir les pouvoirs de collecte de renseignements prévus à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) et à favoriser leur exécution efficace pourraient faire intervenir l’article 8. Ces mesures comprennent les dispositions à l’article 9, qui feraient correspondre les pouvoirs de collecte de renseignements du ministre à une approche modernisée. Cette nouvelle approche viserait un plus large éventail de substances et de produits, notamment des produits qui sont susceptibles de rejeter des substances dans l’environnement, et ferait de l’évaluation de ces substances une priorité. D’autres modifications, prévues à l’article 50, appuieraient la protection de la confidentialité des renseignements commerciaux sensibles, notamment en prévoyant que toute demande de confidentialité soit motivée. Des changements additionnels proposés à l’article 53 conféreraient au ministre, dans des circonstances particulières, le pouvoir discrétionnaire de communiquer certains renseignements faisant l’objet d’une demande de confidentialité. Ce serait le cas, par exemple, lorsqu’un délai important s’est écoulé depuis la soumission des renseignements. Par application de l’article 52, le projet de loi S-5 élargirait aussi le pouvoir existant du ministre de communiquer des renseignements dans le cadre d’un accord ou d’une entente. Les commissions ou organismes fédéraux seraient maintenant inclus à la liste des destinataires admissibles.
Les considérations suivantes permettent d’appuyer la conformité de ces mesures avec l’article 8. Les nouveaux renseignements qui seront recueillis portent sur les substances et les activités réglementées dans l’intérêt public, et ce pouvoir constitue une extension minimale des pouvoirs existants dans la Loi. Ces renseignements aideront à gérer un régime réglementaire important en fonction de données probantes. Ils seront recueillis dans le but d’assurer le respect d’exigences législatives s’inscrivant dans un contexte fortement réglementé, ce qui mène généralement à une attente raisonnable en matière de vie privée limitée. Des mesures en place continueront d’offrir une protection aux renseignements commerciaux confidentiels. Ces mesures comprennent un mécanisme permettant aux personnes qui fournissent des renseignements en vertu de la Loi de demander à ce que ces renseignements soient traités comme des renseignements confidentiels et d’être consultées pour les décisions de communication. Lorsque le ministre doit décider s’il y a lieu de communiquer des renseignements, il aura le pouvoir discrétionnaire de concilier la protection des renseignements confidentiels, l’intérêt du public à l’égard de la transparence et les objectifs de réglementation de la Loi.
Nouveaux pouvoirs d’exiger des renseignements et de les communiquer sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues
L’article 65 propose d’ajouter un nouvel article 21.301 à la Loi sur les aliments et drogues. Cet article conférerait au ministre le pouvoir d’ordonner à toute personne de lui fournir des renseignements s’il estime qu’un produit thérapeutique peut présenter un risque grave pour l’environnement et que ces renseignements sont nécessaires pour décider si tel est le cas. Il permettrait également au ministre de communiquer des renseignements commerciaux confidentiels si un produit présente un risque grave pour l’environnement et de le faire si l’objet de la communication est lié à la protection de l’environnement. Les pouvoirs de demander et de communiquer des renseignements commerciaux confidentiels pourraient porter atteinte à une attente raisonnable en matière de vie privée, et donc faire intervenir l’article 8 de la Charte.
Les considérations suivantes permettent d’appuyer la conformité de cet article avec l’article 8 Le pouvoir d’exiger des renseignements n’entre en jeu que lorsque le ministre estime que ces renseignements sont nécessaires pour déterminer si un produit présente un risque grave pour l’environnement. Ce pouvoir est donc lié à l’important intérêt de l’État qui est recherché par la loi –répondre aux risques environnementaux. Il est également exercé dans un contexte hautement réglementé où les intérêts en matière de vie privée sont moindres. Le pouvoir de communiquer des renseignements aux fins de la protection de l’environnement se limite à la communication à d’autres administrations, aux personnes que le ministre consulte et aux personnes qui exercent des fonctions relatives à la protection de l’environnement. Ces utilisations sont toutes étroitement liées à l’objectif initial pour lequel les renseignements ont été obtenus. Le pouvoir de communiquer des renseignements à un plus large éventail de personnes ne s’applique que lorsque le ministre a déterminé que le produit présente un risque grave pour l’environnement.
Liberté d’expression (alinéa 2b) de la Charte)
L’alinéa 2b) de la Charte protège le droit à la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, ce qui inclut l’expression commerciale. Les mesures élargissant le pouvoir de réglementer la publicité et l’emballage des substances assujetties à la Loi canadienne sur la protection de l’environnement et à la Loi sur les aliments et drogues pourraient faire intervenir l’alinéa 2b) de la Charte.
Expression commerciale sous le régime de la Loi sur les aliments et drogues
L’article 65 propose d’ajouter un nouvel article 21.302 à la Loi sur les aliments et drogues. Cet article permettrait au ministre, s’il l’estime nécessaire pour prévenir un risque grave à l’environnement, d’ordonner au titulaire d’une autorisation relative à un produit thérapeutique de modifier l’étiquette de ce produit ou de modifier ou de remplacer son emballage. Ces pouvoirs pourraient limiter la liberté d’expression garantie par l’alinéa 2b) de la Charte.
Les considérations suivantes permettent d’établir que les limites imposées à la liberté d’expression dans cet article sont justifiables. Ce pouvoir ne peut être exercé que si le ministre estime qu’il est nécessaire pour prévenir un risque grave à l’environnement. Ainsi, toute restriction à la liberté d’expression doit être liée à l’objectif important de la loi. En outre, lorsque le ministre exerce son pouvoir discrétionnaire, il doit concilier les limites imposées aux droits protégés par la Charte et les objectifs de la loi.
Droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne (article 7)
L’article 7 de la Charte garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne, et prévoit qu’il ne peut être porté atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale.
Une infraction criminelle qui entraîne une possibilité d’emprisonnement fait intervenir le droit à la liberté, et par conséquent, ne doit pas être contraire aux principes de justice fondamentale. Cela inclut le principe selon lequel les lois ne doivent pas être arbitraires, excessives ou exagérément disproportionnées. Une loi est arbitraire lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis à l’article 7 d’une façon qui n’a aucun lien rationnel avec l’objectif de la loi. Elle est excessive lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis à l’article 7 d’une façon qui, bien que généralement rationnelle, va trop loin en visant un comportement qui n’a aucun lien avec l’objectif de la loi. Une loi est exagérément disproportionnée lorsque ses répercussions sur les droits garantis par l’article 7 sont graves au point d’être « sans rapport aucun » avec l’objectif de la loi.
Infractions nouvelles et infractions modifiées dans la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999)
Étant donné que les dispositions d’application actuelles de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) s’appliqueront à un plus large éventail d’activités et de personnes, cela pourrait faire intervenir l’article 7 de la Charte. De nouvelles infractions ciblées punissables d’une peine d’emprisonnement seraient ajoutées à la Loi, et des modifications mineures seraient apportées à certaines infractions existantes. Les nouvelles infractions concerneraient la contravention à une autorisation accordée au titre de certains règlements pris en vertu de la Loi, comme le prévoient les articles 33 et 46, ou un défaut de fournir certains avis aujourd’hui requis par la Loi, comme le prévoient les articles 27 et 44. Le projet de loi contient d’autres mesures qui modifieraient certaines dispositions dont la contravention est déjà punissable d’une peine d’emprisonnement. Par exemple, le défaut de se conformer à un ordre de prendre des mesures correctives à l’égard d’une substance ou d’un produit contenant une substance délivrée en vertu de la partie 5 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) constitue actuellement une infraction. L’article 37 propose d’élargir les pouvoirs du ministre d’ordonner la prise de mesures correctives de manière à ce que ceux-ci visent aussi les produits susceptibles de rejeter une substance dans l’environnement, et d’élargir en conséquence la portée de l’infraction correspondante. Ainsi, certaines activités liées à de tels produits constitueraient une infraction et seraient visées par les dispositions de détermination de la peine prévues dans la Loi.
Les considérations suivantes appuient la conformité des mesures qui précèdent avec l’article 7. Les nouvelles infractions punissables d’une peine d’emprisonnement sont liées aux exigences élargies en matière d’avis prévues à la Loi ou à certaines obligations imposées par règlement. Ces infractions viseraient les comportements qui nuisent aux objectifs réglementaires importants du gouvernement et qui sont susceptibles de mettre le public à risque. Elles permettraient de veiller à ce que le non-respect des nouvelles obligations prévues à la Loi soit puni de la même manière que les infractions existantes. Les peines possibles varient sur le plan de la sévérité et seraient adaptées aux circonstances de chaque cas lors de la détermination de la peine. Dans les situations où les dispositions qui énoncent les obligations formant déjà la base des infractions sont modifiées, les modifications proposées apportent seulement des changements terminologiques mineurs ou élargissent progressivement la portée des obligations existantes d’une manière conforme à l’approche modernisée de la Loi à l’égard de la réglementation des substances toxiques. Lorsque le ministre a examiné ces dispositions, il n’a pas relevé d’incohérence possible avec les principes de justice fondamentale.
Nouvelle infraction à la Loi sur les aliments et drogues
À l’article 64, le projet de loi propose d’ajouter un nouvel article 11.1 à la Loi sur les aliments et drogues afin d’interdire la vente, la fabrication, la préparation, la conservation, l’emballage ou l’emmagasinage, pour la vente, de drogues qui contiennent une substance prévue par règlement, à moins que le ministre n’ait évalué le risque pour l’environnement que présente cette substance en conformité avec les règlements pris en vertu de la Loi. L’effet général de cette proposition est semblable au processus concernant les nouvelles substances énoncé à l’article 81 de la Loi canadienne sur la protection de l’environnement (1999) et dans les règlements connexes. Le non-respect de cette interdiction serait punissable en tant qu’infraction prévue aux articles 31 et 31.2 de la Loi sur les aliments et drogues. Puisque ces deux infractions entraînent une possibilité d’emprisonnement, cette proposition pourrait priver une personne de sa liberté. En conséquence, elle doit être conforme aux principes de justice fondamentale.
Les considérations suivantes appuient la conformité de l’interdiction proposée avec l’article 7. L’objectif stratégique du régime est d’adopter une approche prudente à l’égard des substances contenues dans les drogues par rapport au risque environnemental. Tenant compte de cet objectif, le nouveau paragraphe 30(1.01) proposé obligerait le ministre à tenir compte du degré d’incertitude quant aux risques pour l’environnement liés à l’emploi d’une substance avant de recommander la prise d’un règlement l’interdisant. Dans tous les cas, l’interdiction proposée est logiquement liée à l’objectif de la loi, car elle permet de veiller à ce que toute substance prescrite contenue dans une drogue fasse l’objet d’une évaluation quant aux risques qu’elle présente pour l’environnement. Par ailleurs, il n’y a aucune peine minimale; les articles 31 et 31.2 de la Loi sur les aliments et drogues confèrent aux juges chargés de la détermination de la peine le pouvoir discrétionnaire d’infliger une peine appropriée et juste dans tous les cas.
- Date de modification :