Projet de loi S-6 : Loi concernant la modernisation de la réglementation

Projet de loi S-6 : Loi concernant la modernisation de la réglementation

Déposé à la Déposé au Sénat le 10 mai 2022

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi S-6, Loi concernant la modernisation de la réglementation, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse des façons par lesquelles le projet de loi S-6 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi. Elle ne constitue pas une description exhaustive de l’ensemble du projet de loi; elle est plutôt axée sur les éléments qu’il convient de prendre en compte aux fins d’un Énoncé concernant la Charte.

Le projet de loi vise à moderniser certaines lois qui ont une incidence sur le contexte réglementaire; cela se fait dans le cadre de l’initiative de modernisation de la réglementation. Le projet de loi supprime ou modifie les dispositions qui sont devenues, au fil du temps, des obstacles à l’innovation et à la croissance économique et ajoute certaines dispositions en vue d’encourager l’innovation et la croissance économique. L’objectif est de favoriser l’innovation et la compétitivité des entreprises en veillant à ce que les règlements fédéraux demeurent pertinents et à jour, tout en continuant de protéger la santé et la sécurité des Canadiens ainsi que l’environnement.

Voici les principaux droits et libertés protégés par la Charte qui sont susceptibles d’être touchés par les mesures proposées :

Modifications à la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration

Pouvoir de communiquer des renseignements

Le projet de loi vise à modifier la Loi sur le ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration pour permettre au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de communiquer, à certaines fins, des renseignements personnels qui relèvent de ce ministère. Plus précisément, le projet de loi permettrait au ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration de communiquer au sein de son ministère les renseignements personnels qui relèvent de celui ci dans l’exercice des attributions qui lui sont conférées. Il permettrait également au ministre de communiquer, aux fins d’exécution ou de contrôle d’application de toute loi fédérale ou provinciale, certains renseignements personnels à d’autres organismes ou ministères du gouvernement fédéral, au gouvernement d’une province, ou à une société d’État relevant du gouvernement fédéral ou du gouvernement d’une province.

Ces pouvoirs de communiquer des renseignements personnels sont susceptibles de porter atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité des dispositions avec l’article 8 de la Charte. Le projet de loi permettrait au ministre de communiquer des renseignements personnels au sein du ministère de la Citoyenneté et de l’Immigration uniquement dans l’exercice des attributions qui lui sont conférées. Pour ce qui est des renseignements personnels qu’il pourrait communiquer à l’extérieur du Ministère en vertu des pouvoirs qui lui sont conférés, il pourrait communiquer uniquement les renseignements personnels concernant l’identité d’une personne physique, son statut d’immigration ou de citoyenneté au Canada et le contenu ou le statut des documents qui lui ont été délivrés, y compris tout renseignement relatif à la délivrance, au refus de délivrance, à la validité ou à la résiliation de ces documents.

Modifications à la Loi sur les arpenteurs des terres du Canada

Le projet de loi vise à modifier la Loi sur les arpenteurs des terres du Canada afin de renforcer le processus de traitement des plaintes et la procédure disciplinaire régissant les arpenteurs des « terres du Canada », qui comprennent les terres situées dans les trois territoires canadiens, dans les parcs fédéraux et dans les réserves des Premières Nations. Les modifications proposées visent à réduire le fardeau réglementaire du ministre des Ressources naturelles en habilitant le conseil de l’Association des arpenteurs des terres du Canada (« l’Association »), qui régit les arpenteurs des terres du Canada, à prendre des règlements administratifs concernant un large éventail de questions et à améliorer la mobilité de la main d’œuvre au Canada en veillant à ce que les processus qui doivent être suivis pour devenir un arpenteur des terres du Canada soient menés conformément à l’Accord de libre échange canadien.

Pouvoir d’exiger des renseignements

Le projet de loi permettrait au comité des plaintes de l’Association d’enjoindre aux membres ou aux titulaires de permis de répondre à toute demande de renseignements au sujet d’une plainte sur laquelle il enquête. Le pouvoir d’exiger aux membres ou aux titulaires de permis de fournir, à des fins réglementaires, des renseignements concernant des plaintes est susceptible de porter atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité des dispositions avec l’article 8 de la Charte. Le droit à la vie privée est réduit dans les contextes réglementaires et administratifs. Les pouvoirs conférés par la loi qui permettent d’exiger la production ou la communication de renseignements pertinents à des fins réglementaires ou administratives plutôt qu’à des fins d’enquête sur des infractions criminelles ont été jugés raisonnables au regard de l’article 8. Après examen des dispositions pertinentes, le ministre de la Justice n’a pas relevé d’effets possibles qui pourraient constituer une atteinte déraisonnable au droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8.

Pouvoir d’assignation

Le projet de loi permettrait au comité de discipline de l’Association d’assigner et de contraindre des témoins à comparaître devant lui relativement aux plaintes dont il est saisi. En vertu de ce pouvoir, le comité de discipline pourrait contraindre des personnes à témoigner et à produire les documents ou autres éléments de preuve qu’il estime nécessaires à l’examen complet d’une plainte.

Le pouvoir d’assigner des témoins à comparaître est susceptible de porter atteinte aux droits garantis par l’article 7 de la Charte en privant les personnes de leur liberté, et il ne peut être porté atteinte à ces droits qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Les considérations suivantes appuient la compatibilité du pouvoir de l’Association d’assigner des témoins à comparaître avec l’article 7 de la Charte. Ces dispositions sont des outils nécessaires qui permettent à l’Association d’enquêter efficacement sur les plaintes déposées par des membres du public au sujet d’arpenteurs des terres du Canada. Comme il s’agit d’un pouvoir discrétionnaire, le comité de discipline peut décider s’il est approprié dans les circonstances d’assigner un témoin à comparaître en tenant compte des répercussions que cela aura sur la liberté de cette personne ainsi que d’autres considérations pertinentes. Cette souplesse permettrait au comité de discipline d’éviter les répercussions sur la liberté qui seraient arbitraires ou totalement disproportionnées. Après examen des dispositions pertinentes, le ministre de la Justice n’a pas relevé d’incohérences possibles avec les principes de justice fondamentale.

Audiences publiques

Le projet de loi vise à modifier la Loi sur les arpenteurs des terres du Canada afin d’exiger que toutes les audiences du comité de discipline de l’Association soient publiques. Une exception s’appliquerait toutefois à cette exigence : le comité de discipline pourrait tenir des audiences à huis clos s’il le juge nécessaire pour des questions d’ordre public, notamment pour assurer le secret professionnel ou protéger la vie privée, la sécurité ou la réputation d’une personne.

Selon le principe de la publicité des débats judiciaires, il est présumé que les audiences judiciaires sont ouvertes au public et aux médias. Comme les modifications permettraient au comité de discipline de tenir ses audiences en l’absence du public et des parties dans certaines circonstances, l’exercice de ce pouvoir proposé est susceptible de porter atteinte aux droits garantis par l’alinéa 2b) de la Charte. Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces dispositions avec l’alinéa 2b) de la Charte. Il est présumé que les audiences du comité de discipline de l’Association seront ouvertes au public. Le principe de la publicité des débats judiciaires n’est pas absolu et peut être limité en vue de la réalisation d’autres objectifs urgents de l’État, dont ceux qui s’appliquent à la tenue exceptionnelle d’une audience à huis clos lorsque cela est nécessaire pour, par exemple, protéger la vie privée ou la sécurité d’une personne. Il incombe au comité de discipline de l’Association de décider s’il est nécessaire de tenir une audience à huis clos. Le comité doit exercer son pouvoir de limiter l’accès du public aux audiences conformément à la Charte. Les décisions du comité de discipline doivent être écrites et motivées et doivent être fournies au membre ou au titulaire de permis visé par la décision ainsi qu’au plaignant.

Modifications à la Loi relative aux aliments du bétail, à la Loi sur les engrais et à la Loi sur la santé des animaux

Violation de conditions ou d’arrêtés d’urgence

Le projet de loi conférerait le pouvoir, en vertu de la Loi relative aux aliments du bétail et à la Loi sur les engrais, d’imposer des conditions réglementaires pour l’approbation ou l’enregistrement de tout aliment, tout engrais et tout supplément. Toute personne qui fabrique, vend ou importe des aliments serait tenue de respecter toutes les conditions dont l’approbation ou l’enregistrement de ces aliments est assorti. De même, toute personne qui vend ou importe des engrais ou des suppléments serait tenue de respecter toutes les conditions dont l’approbation ou l’enregistrement de ces engrais ou de ces suppléments est assorti. Le ministre responsable pourrait assortir l’approbation ou l’enregistrement des conditions additionnelles qu’il estime indiquées, notamment en ce qui touche la prévention de tout préjudice à la santé humaine ou animale ou à l’environnement. Toute violation de ces conditions constituerait une infraction à la Loi relative aux aliments du bétail ou à la Loi sur les engrais.

Le projet de loi vise également à modifier la Loi sur la santé des animaux afin de permettre au ministre de prendre un arrêté d’urgence pouvant comporter les mêmes dispositions qu’un règlement pris en vertu de cette loi, s’il estime qu’une intervention immédiate est nécessaire afin de parer à un risque appréciable pour la santé et la sécurité des personnes ou des animaux ou pour l’environnement. Toute violation des modalités d’un arrêté d’urgence constituerait une infraction à cette loi.

Les modifications à la Loi relative aux aliments du bétail, à la Loi sur les engrais et à la Loi sur la santé des animaux établiraient de nouvelles obligations juridiques, ce qui élargirait donc l’étendue des actes susceptibles de constituer une infraction sous le régime de ces lois. Comme la perpétration de ces infractions est notamment passible d’une peine d’emprisonnement, ces modifications sont susceptibles de porter atteinte au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte. Après examen des mesures, le ministre de la Justice n’a pas relevé d’incohérences possibles avec les principes de justice fondamentale visés à l’article 7. La portée de ces infractions est adaptée à leurs objectifs, et à la suite d’une déclaration de culpabilité, le juge aura la discrétion d’imposer une peine juste et appropriée.

Modifications à la Loi sur les produits antiparasitaires

Conditions d’autorisation

Le projet de loi vise à modifier la Loi sur les produits antiparasitaires en vue de conférer au ministre de la Santé le pouvoir d’autoriser toute personne à fabriquer, à manipuler, à stocker, à transporter, à importer, à exporter, à distribuer ou à utiliser un produit antiparasitaire ou à en disposer, ou de modifier ou de renouveler une telle autorisation. Le projet de loi conférerait également au ministre le pouvoir d’accorder une autorisation similaire à l’égard d’un produit antiparasitaire plutôt que d’accorder une autorisation à une personne en particulier. Quel que soit le type d’autorisation accordée, le ministre peut l’assortir de conditions d’autorisation telles que la communication de renseignements concernant les ventes, les risques sanitaires ou environnementaux et la valeur du produit antiparasitaire.

Les modifications visant à autoriser la communication de certains renseignements au sujet des produits antiparasitaires sont susceptibles de porter atteinte aux droits garantis par l’article 8 de la Charte. Les considérations suivantes appuient la conformité de ces modifications avec l’article 8 de la Charte. Le droit à la vie privée est réduit dans les contextes réglementaires et administratifs. Les pouvoirs d’exiger la collecte, la production ou la communication de renseignements pertinents à des fins réglementaires ou administratives plutôt qu’à des fins d’enquête sur des infractions ont été jugés raisonnables au regard de l’article 8. Après examen des dispositions pertinentes, le ministre n’a pas relevé d’effets possibles qui pourraient constituer une atteinte déraisonnable au droit au respect de la vie privée protégé par l’article 8. De plus, les renseignements commerciaux confidentiels et les données d’essai confidentielles demeureront protégés par les restrictions applicables de la Loi sur les produits antiparasitaires.

Le défaut de respecter les conditions d’une autorisation constituerait une infraction à la Loi sur les produits antiparasitaires. Comme la perpétration des infractions applicables est notamment passible d’une peine d’emprisonnement, ces modifications sont susceptibles de porter atteinte au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte. Après examen des mesures, le ministre n’a pas relevé d’incohérences possibles avec les principes de justice fondamentale visés à l’article 7. La portée de ces infractions est adaptée à leurs objectifs, et à la suite d’une déclaration de culpabilité, le juge aura la discrétion d’imposer une peine juste et appropriée.

Pouvoir de faire le rappel de produits antiparasitaires

Le projet de loi vise à élargir le pouvoir de faire le rappel de produits antiparasitaires. Les modifications permettraient au ministre de faire le rappel d’un produit antiparasitaire s’il a des motifs raisonnables de croire que ce produit présente un danger pour la santé ou la sécurité humaines ou pour l’environnement. En vertu de ce pouvoir, le ministre pourrait également imposer les mesures qu’il estime indiquées, comme faire cesser la fabrication, l’importation ou l’exportation du produit. Le projet de loi créerait une nouvelle infraction mixte pour l’inobservation des rappels ou des mesures imposées.

Comme la perpétration de cette nouvelle infraction est notamment passible d’une peine d’emprisonnement, la disposition prévoyant cette infraction est susceptible de porter atteinte au droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte. Après examen de cette disposition, le ministre de la Justice n’a pas relevé d’incohérences possibles entre la mesure et les principes de justice fondamentale visés à l’article 7. La portée de cette infraction est adaptée à ses objectifs, et à la suite d’une déclaration de culpabilité, le juge aura la discrétion d’imposer une peine juste et appropriée.

Modifications à la Loi sur la protection des pêches côtières

Violation d’une condition ou d’une modalité d’une licence ou d’un permis

Le projet de loi vise à modifier la Loi sur la protection des pêches côtières afin d’exiger expressément le respect de toutes les conditions ou modalités d’une licence ou d’un permis accordé sous le régime de cette loi. Quiconque contrevient à cette obligation commet une infraction et encourt, sur déclaration de culpabilité, une amende dont le montant est fixé par la Loi.

Bien que cette infraction ne soit pas passible d’une peine d’emprisonnement, la violation de l’obligation de respecter les modalités ou les conditions d’une licence ou d’un permis pourrait faire l’objet d’accusations criminelles et d’un procès qui pourraient faire intervenir les droits à un procès équitable garantis par l’article 11 de la Charte. Toutefois, après examen des dispositions pertinentes, le ministre de la Justice n’a pas relevé d’incohérences possibles entre la disposition prévoyant cette infraction et les droits garantis par l’article 11.