2. Discours d’ouverture
Sénat
Projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême)
Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles
Mot d’ouverture du ministre de la Justice
Juin 2022
Merci de l’invitation à comparaître devant vous pour discuter du projet de loi C-28.
Le 13 mai 2022, dans ses décisions Brown, Sullivan et Chan, la Cour suprême du Canada a conclu que l’article 33.1 du Code criminel était inconstitutionnel. L’article 33.1 empêchait d’invoquer la défense d’intoxication volontaire extrême pour la plupart des infractions avec violence, notamment les voies de fait et les agressions sexuelles.
La Cour suprême a conclu à l’inconstitutionnalité de cet article parce qu’il empêchait de soulever la défense de l’intoxication volontaire extrême dans tous les cas, même lorsque l’accusé ne pouvait raisonnablement savoir que sa consommation de substances intoxicantes pouvait entraîner la perte de la maîtrise de ses actes et causer un préjudice à autrui.
L’intoxication extrême est un état rare où une personne n’a pas conscience de ses gestes et est incapable de former une intention de base, fondement à la responsabilité criminelle. La vaste majorité des crimes commis par des personnes intoxiquées ne sont pas des situations d’intoxication extrême.
Ces décisions ont créé un vide en droit criminel parce que les individus qui commettent des crimes violents comme les voies de fait graves, ou même les homicides involontaires coupables, peuvent ne pas être tenus responsables de ces crimes, même si ces individus savaient ou auraient dû savoir que leur consommation de substances intoxicantes pouvait mener à de la violence incontrôlée.
Ces décisions ont mené à une compréhension erronée importante et inquiétante chez certains, selon laquelle il serait acceptable de boire quelques bières et de commettre une agression sexuelle parce que maintenant, ils ne pouvaient pas être tenus criminellement responsables. Cela démontre une fois de plus la nécessité d’agir rapidement : la loi doit prévoir que toute personne est tenue entièrement responsable du préjudice causé à autrui en raison de la consommation volontaire négligente de substances intoxicantes.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé le projet de loi C-28, cinq semaines seulement après la publication des décisions de la Cour suprême.
Par exemple, conformément au projet de loi C-28, une personne qui cause un préjudice à une autre personne de façon violente après qu’elle se soit mise dans un état d’intoxication extrême, sera passible de la même condamnation, des mêmes pénalités et du même casier judiciaire qu’une personne qui pose les mêmes gestes en étant sobre. Leur intoxication extrême ne bénéficierait d’aucune peine au rabais.
Le projet de loi C-28 prévoit un nouvel article 33.1 qui reflète les objectifs de protection et de responsabilisation de l’ancien article 33.1, mais qui a été révisé pour répondre aux préoccupations de la Cour suprême et pour assurer la conformité avec la Charte.
La nouvelle disposition criminaliserait les personnes qui consomment des substances intoxicantes de façon négligente dans une mesure extrême et qui causent un préjudice aux autres. La différence essentielle avec l’ancienne loi est que, conformément au projet de loi C-28, les individus ne seraient pas tenus criminellement responsables lorsque le risque de la perte de maîtrise violente de ses actes n’était pas prévisible ou, si elle était prévisible, que les individus ont fait des efforts raisonnables pour éviter ce type de préjudice.
Dans tous les cas, les tribunaux devront déterminer si la perception de risque de l’accusé et toute mesure prise pour l’éviter constituent un écart marqué par rapport à ce qu’une personne raisonnable aurait fait compte tenu des circonstances.
Donc, aujourd’hui, être en état d’intoxication extrême peut donner lieu à une défense; toutefois, si ce projet de loi est adopté, lorsqu’une personne se place dans cet état de façon négligente, cela constituera une nouvelle façon de prouver la perpétration d’un crime violent.
En pratique, l’accusé aurait soulevé la défense d’intoxication extrême au moyen de la déposition d’experts en plus de répondre à d’autres exigences. La poursuite pourrait certainement contester l’allégation selon laquelle l’accusé était en était d’intoxication extrême, et ces allégations sont souvent, en réalité, rejetées en fonction des faits.
Cependant, grâce au projet de loi C-28, la poursuite pourrait aussi avoir l’occasion de prouver que la consommation par l’accusé de substances intoxicantes, avant l’acte de violence, était négligente. Le jury ou le tribunal examinerait l’ensemble de la preuve à la fin du procès pour établir le verdict approprié. La négligence criminelle est bien connue et comprise par les juges et les praticiens en droit criminel, qui pourront appliquer la nouvelle loi en conséquence.
Je suis persuadé que le projet de loi C-28 assurera la responsabilisation, protégera les victimes et respectera la Charte.
Merci.
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