2. Discours d’ouverture
Chambre des communes
Ancien projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême)
Étude par le Comité permanent de la justice et des droits de la personne
Discours d’ouverture
Ministre de la Justice
Octobre 2022
Merci de m’avoir invité à l’étude de l’ancien projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême). Comme vous le savez, ce projet de loi est entré en vigueur le 23 juin 2022, moins de six semaines après les décisions R. c. Brown et R. c. Sullivan et Chan, rendues par la Cour suprême du Canada. Dans ces décisions, la Cour suprême a conclu à l’inconstitutionnalité de l’ancienne version de l’article 33.1 parce qu’elle écartait la défense d’intoxication extrême dans tous les cas, que la personne ait agi par négligence ou ait commis une faute lors de la consommation. Ces décisions ont eu pour effet de rétablir la défense d’intoxication extrême comme moyen de défense complet pour les crimes violents et de permettre aux personnes accusées d’échapper à la responsabilité. L’adoption rapide du projet de loi reflétait, à mon avis, le fait que tous les parlementaires souhaitaient que soit comblée rapidement la lacune en droit créé par ces décisions. La disposition législative prévoit maintenant que les personnes qui font preuve de négligence criminelle dans la consommation volontaire de substances intoxicantes peuvent être tenues responsables des préjudices qu’elles causent à autrui alors qu’elles se trouvent dans un état d’intoxication extrême.
Le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes a décrit l’ancien projet de loi C-28 comme une solution « approfondie, nuancée et constitutionnelle » à l’égard de la lacune mineure, mais importante, que les décisions de la CSC ont laissée en droit. Les objectifs de l’ancien projet de loi C-28 sont les mêmes que ceux de l’ancien projet de loi C-72, qui avait édicté l’ancienne version de l’article 33.1 en 1996 : protéger les victimes d’actes de violence commis par un contrevenant en état d’intoxication en tenant responsables les personnes qui s’intoxiquent volontairement par négligence et qui causent des préjudices à autrui. Dans l’arrêt Brown, la Cour a reconnu ces objectifs comme étant légitimes et urgents et a suggéré deux voies constitutionnellement viables que le législateur pourrait adopter pour garantir la responsabilité dans les cas appropriés. L’approche que nous avons adoptée était la seule qui permettait le prononcé d’une déclaration de culpabilité pour le crime violent qui fait l’objet de l’accusation, comme l’homicide involontaire coupable ou l’agression sexuelle.
En vertu du nouvel article 33.1, le poursuivant peut demander le prononcé d’une déclaration de culpabilité pour un crime violent en établissant qu’une personne a fait preuve de négligence criminelle dans la façon dont elle a consommé des substances intoxicantes avant de se trouver dans un état d’intoxication extrême et de causer des préjudices. La personne serait tenue criminellement responsable s’il est établi qu’elle s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable dans les circonstances relativement à la consommation de substances intoxicantes. Un « écart marqué » signifie que la conduite de la personne était en deçà de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances pour éviter un risque prévisible, soit la perte de maîtrise avec violence dans le cas présent. Bien entendu, comme le nouvel article l’indique clairement, le tribunal prend aussi en compte tous les efforts que l’accusé a déployés pour minimiser le risque de violence.
Vous vous souviendrez que l’intoxication extrême est un état mental rare, qui s’apparente à l’automatisme, lorsqu’un accusé perd la maîtrise de ses actes, mais est encore capable d’agir. Permettez-moi de préciser une fois de plus que cet état est exceptionnellement rare, et que l’intoxication, même à un degré avancé, ne répond pas à la définition d’intoxication extrême. Et, je le répète, l’intoxication ne constitue jamais un moyen de défense à l’égard de crimes comme l’agression sexuelle.
Il est très difficile d’utiliser l’intoxication extrême comme moyen de défense. Pour avoir gain de cause, l’accusé doit satisfaire à un seuil de preuve plus élevé que celui qui s’applique normalement en convainquant le juge, selon la prépondérance des probabilités et au moyen d’une preuve d’expert, qu’il était dans un état d’intoxication extrême au moment de l’acte de violence.
Certains ont laissé entendre que la nouvelle disposition est inexécutoire parce qu’il serait trop difficile pour le poursuivant d’en faire la preuve, en particulier la prévisibilité du risque de violence. À mon avis, cette nouvelle disposition est exécutoire et les personnes qui s’intoxiquent dans des circonstances démontrant un mépris flagrant pour la sécurité d’autrui seront tenues responsables si elles commettent des actes de violence. Je note tout particulièrement que la disposition ne fait état que d’un risque de perte de maîtrise avec violence. À mon avis, si elle est bien interprétée, cette disposition prévoit un seuil de preuve peu exigeant par rapport à d’autres dispositions du Code criminel qui exigent que l’acte « expose » la personne à un résultat particulier, comme en vertu de l’article 215 qui prévoit qu’une personne qui « expose » à un péril permanent la santé d’une autre personne peut être tenue responsable de manquer à son devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence.
Les Canadiens raisonnables veulent connaître les risques — même les risques rares — qui sont associés aux substances intoxicantes qu’ils prévoient prendre et à la façon dont ils prévoient les prendre. Et tout Canadien raisonnable est préoccupé par la sécurité d’autrui lorsque leurs actes présentent un risque.
Il existe beaucoup d’information relevant du domaine public et au sein des collectivités particulières au sujet de ces risques. Des poursuivants pourraient faire valoir que certaines substances sont si dangereuses, et leurs méfaits si bien connus, qu’il serait raisonnable pour les tribunaux d’en déduire que les personnes qui les consomment mettent les autres en danger. Ce sont les types d’éléments de preuve et d’arguments qui peuvent être utilisés pour démontrer une négligence criminelle en vertu du nouvel article 33.1, à la lumière des faits de chaque affaire.
Mes fonctionnaires et moi suivrons de près votre étude de cette importante question, et j’attends avec impatience de lire votre rapport final. Entretemps, nous continuerons de travailler en étroite collaboration avec nos partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux afin de garantir l’efficacité de la mise en œuvre du projet de loi.
Je vous remercie.
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