2. Discours d’ouverture
Ancien projet de loi C-28, Loi modifiant le Code criminel (intoxication volontaire extrême)
Étude par le Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles
Discours d’ouverture
Ministre de la Justice
Décembre 2022
Je vous remercie de m’avoir invité à participer à votre étude sur l’intoxication volontaire, où vous examinerez l’intoxication extrême dans le contexte du droit pénal et de l’article 33.1 du Code criminel.
Comme vous le savez, ce projet de loi est entré en vigueur le 23 juin 2022, moins de deux mois après les décisions R. c. Brown et R. c. Sullivan et Chan, rendues par la Cour suprême du Canada (CSC). Dans ces décisions, la Cour suprême a conclu à l’inconstitutionnalité de l’ancienne version de l’article 33.1 parce qu’il empêchait une personne accusée d’utiliser la défense d’intoxication extrême dans tous les cas, qu’elle ait été négligente ou non dans la façon dont elle a consommé les substances intoxicantes.
Les décisions de la CSC ont eu pour effet de permettre une fois de plus l’utilisation de la défense d’intoxication extrême comme défense complète pour les crimes de violence et, en cas de succès, de permettre aux accusés d’échapper à leur responsabilité. L’ancien projet de loi C-28 a été adopté rapidement, ce qui, à mon avis, reflète le désir de tous les parlementaires de combler sans délai la lacune en droit créé par ces décisions. La loi prévoit maintenant que les personnes qui font preuve de négligence criminelle dans la façon dont elles consomment des substances intoxicantes, et se mettent dans un état d’intoxication extrême volontaire, peuvent être tenues responsables des dommages qu’elles causent à autrui.
L’ancien projet de loi C-28 a été décrit comme une solution « approfondie, nuancée et constitutionnelle » par le Fonds d’action et d’éducation juridique pour les femmes. Les objectifs de l’ancien projet de loi C-28 sont les mêmes que ceux de l’ancien projet de loi C-72, qui avait édicté l’ancienne version de l’article 33.1 en 1996 : protéger les victimes d’actes de violence commis par un contrevenant en état d’intoxication en tenant responsables les personnes qui s’intoxiquent volontairement par négligence et qui causent des préjudices à autrui. Dans l’arrêt Brown, la Cour a reconnu ces objectifs comme étant légitimes et urgents et a suggéré deux voies constitutionnellement viables que le législateur pourrait adopter pour garantir la responsabilité dans les cas appropriés. Nous avons adopté la seule approche qui permettait le prononcé d’une déclaration de culpabilité pour le crime violent qui fait l’objet de l’accusation, comme l’homicide involontaire coupable ou l’agression sexuelle.
En vertu du nouvel article 33.1, le poursuivant peut demander le prononcé d’une déclaration de culpabilité pour un crime violent en établissant qu’une personne a fait preuve de négligence criminelle dans la façon dont elle a consommé des substances intoxicantes avant de se trouver dans un état d’intoxication extrême et de causer des préjudices. Si la Couronne prouve que la personne s’est écartée de façon marquée de la norme de diligence attendue d’une personne raisonnable dans les circonstances en ce qui concerne la façon dont elle a consommé des substances intoxicantes, ce qui est la norme minimale de négligence en droit pénal, la personne peut être déclarée coupable et condamnée en conséquence. Un « écart marqué » signifie que la conduite de la personne était en deçà de ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances pour identifier un danger dans la ligne de conduite proposée et pour éviter de mettre d’autres personnes en danger. Les tribunaux doivent se demander s’il existait un risque prévisible, soit la perte de maîtrise avec violence, au moment où les substances intoxicantes ont été consommées, du point de vue d’une personne raisonnable placée dans ces mêmes circonstances. Bien entendu, comme l’indique clairement le nouvel article 33.1, les efforts déployés par l’accusé personnellement pour minimiser le risque de violence incontrôlée sont également pris en compte.
Vous vous souviendrez que l’intoxication extrême est un état mental rare, qui s’apparente à l’automatisme, lorsqu’un accusé perd la maîtrise de ses actes, mais est encore capable d’agir. Permettez-moi de préciser une fois de plus que cet état est exceptionnellement rare, et que l’intoxication, même à un degré avancé, ne répond pas à la définition d’intoxication extrême. Et, je le répète, l’intoxication ne constitue jamais un moyen de défense à l’égard de crimes comme l’agression sexuelle.
Il est très difficile d’utiliser avec succès la défense d’intoxication extrême. L’accusé doit satisfaire un seuil de preuve plus élevé que celui qui s’applique normalement. L’accusé doit convaincre un juge, selon la prépondérance des probabilités et à l’aide de preuves d’experts, qu’il était extrêmement intoxiqué – ce qui signifie qu’il n’avait pas le contrôle volontaire de ses actions – au moment de la violence.
Certains ont laissé entendre que la nouvelle disposition est inexécutoire parce qu’il serait trop difficile pour le poursuivant d’en faire la preuve. À mon avis, cette nouvelle disposition est exécutoire et les personnes qui s’intoxiquent dans des circonstances démontrant un mépris flagrant pour la sécurité d’autrui seront tenues responsables si elles commettent des actes de violence. Cette opinion a été confirmée par les deux témoins de la poursuite qui ont témoigné devant le comité JUST lors de son examen de l’ancien projet de loi C-28 en octobre. En particulier, la directrice générale du Service des poursuites du Manitoba, Michele Jules, a déclaré qu’elle s’attendrait à ce que les tribunaux puissent conclure à la négligence criminelle en vertu du nouvel article 33.1 lorsqu’une personne cause du tort à une autre après avoir consommé des substances intoxicantes dangereuses, en quantités excessives ou pendant une période prolongée, ou en combinaison avec d’autres substances inconnues.
Je note tout particulièrement que la disposition ne fait état que d’un risque de perte de maîtrise avec violence. À mon avis, si elle est bien interprétée, cette disposition prévoit un seuil de preuve peu exigeant par rapport à d’autres dispositions du Code criminel qui fixent un seuil précis à un niveau plus élevé. Certaines dispositions du Code exigent que l’acte « expose » la personne à un résultat particulier, comme en vertu de l’article 215 qui prévoit qu’une personne qui « expose » à un péril permanent la santé d’une personne peut être tenue responsable de manquer à son devoir de fournir les choses nécessaires à l’existence.
Les Canadiens raisonnables veulent connaître les risques – même les risques rares – qui sont associés aux substances intoxicantes qu’ils prévoient prendre et à la façon dont ils prévoient les prendre. Et tout Canadien raisonnable est préoccupé par la sécurité d’autrui lorsque leurs actes présentent un risque.
Mes fonctionnaires et moi suivrons de près votre étude de cette importante question, et j’attends avec impatience de lire votre rapport final. Entretemps, nous continuerons de travailler en étroite collaboration avec nos partenaires fédéraux, provinciaux et territoriaux afin de surveiller tout nouveau cas et de garantir l’efficacité de la mise en œuvre du projet de loi.
Je vous remercie.
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