Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes – Projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)

Discours d’ouverture

Sénat

Project de loi C-7,
Loi modifiant le Code criminel

(aide médicale à mourir)

Comité permanent des affaires juridiques et constitutionnelles (étude préalable)

Mot d’ouverture du ministre de la Justice – 15 minutes

Novembre 2020

Merci, Madame la Présidente, de l’invitation à comparaître devant le Comité pour discuter du projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir).

J’aimerais décrire brièvement les principaux aspects du projet de loi C-7, qui apporte des changements importants au régime d’aide médicale à mourir, ou d’AMM.

Premièrement, en réponse directe à la décision Truchon, le projet de loi C-7 abrogerait le critère d’admissibilité exigeant que la mort naturelle soit raisonnablement prévisible. L’accès à notre régime d’aide médicale à mourir ne serait donc plus limité aux personnes qui souffrent en fin de vie. Ce changement permettrait aux Canadiennes et aux Canadiens qui souffrent, sans toutefois être en fin de vie, de choisir d’avoir une mort paisible si, selon eux, leur situation est devenue intolérable. Ce changement respecte l’autonomie des Canadiens et des Canadiennes.

J’aimerais prendre un moment pour vous parler des vives réactions d’organismes nationaux de défense des droits des personnes handicapées à l’égard de ce changement envisagé. Le Comité de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a entendu les témoignages de personnes handicapées et d’organismes nationaux de personnes handicapées qui ont exprimé leurs préoccupations concernant la modification législative proposée. Nous avions entendu des préoccupations semblables aux tables rondes qui ont réuni des intervenants et des experts en janvier 2020. Les points de vue de ces associations sont restés les mêmes depuis l’adoption de la première loi sur l’aide médicale à mourir en 2016; elles ont toujours considéré l’exigence d’une mort raisonnablement prévisible comme la mesure de sauvegarde la plus fondamentale. Nous comprenons leurs points de vue. Cependant, d’autres personnes handicapées peuvent avoir des perspectives différentes sur la question. Notre gouvernement a également entendu des personnes handicapées, comme M. Truchon, Mme Gladu et Mme Lamb de Colombie-Britannique, dire que le régime actuel de l’aide médicale à mourir ne respecte pas leur autonomie ni leur droit à l’autodétermination en ce qui concerne leur corps et leur vie.

L’aide médicale à mourir a toujours été une question très complexe qui génère des points de vue opposés sur les mêmes questions. Elle exige de tenir compte d’intérêts différents. Je crois fermement que le projet de loi C-7 y parvient. La loi continuerait d’exiger un consentement éclairé et une demande volontaire de la part d’une personne ayant la capacité de prendre des décisions, et le projet de loi prévoirait un ensemble robuste de mesures de sauvegarde à respecter quand la mort naturelle de la personne n’est pas raisonnablement prévisible. Ces mesures exigeraient de porter une attention particulière à toutes les autres solutions qui pourraient aider à soulager la souffrance d’une personne dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible.

Nous pensons qu’un régime comme celui que nous proposons peut fonctionner de façon sécuritaire en protégeant contre les pressions manifestes et subtiles visant à demander l’aide médicale à mourir que la communauté des personnes handicapées redoute, tout en permettant à plus de Canadiennes et de Canadiens de faire, pour eux-mêmes, ce choix d’une grande importance.

De manière générale, accroître la liberté de certains peut aussi accroître les risques pour d’autres. Pour faire contrepoids à l’élargissement de l’accès à l’aide médicale à mourir, le projet de loi C-7 ajoute deux autres mesures visant à protéger les personnes des risques excessifs : l’exclusion des personnes souffrant d’une maladie mentale uniquement et un ensemble distinct et robuste de mesures de sauvegarde pour les personnes dont le décès n’est pas raisonnablement prévisible, comme je l’ai déjà mentionné.

L’exclusion des personnes dont la seule condition médicale invoquée est la maladie mentale est fondée sur les préoccupations des experts, dont les avis divergent sur la question de savoir si une maladie mentale peut être considérée comme irrémédiable, et, plus fondamentalement, sur la question de savoir si et comment l’aide médicale à mourir pourrait être mise à la disposition de ces personnes en toute sécurité. Je sais que ces questions préoccupent beaucoup certains sénateurs.

Nous savons que les personnes qui ont une maladie mentale peuvent souffrir de manière insupportable, qu’une maladie mentale peut être débilitante et qu’elle peut avoir un impact profond sur la qualité de vie. Toutefois, de nombreux experts en santé mentale qui se soucient grandement du bien-être de leurs patients insistent sur le fait que certaines maladies mentales présentent des caractéristiques qui posent des défis pratiques et éthiques uniques. Contrairement à la plupart des maladies physiques, de nombreuses maladies mentales suivent des trajectoires imprévisibles pour lesquelles il existe toujours une possibilité d’amélioration ou de rétablissement soudain.

Cela signifie que selon des experts, il est impossible de prédire, pour un individu donné, si ses symptômes s’amélioreront un jour ou s’ils persisteront toute sa vie. La possibilité de mettre fin à la vie d’une personne dont l’état pourrait s’améliorer est un aspect très important de la question d’admissibilité, et c’est en partie pourquoi nous sommes d’avis qu’il est prudent de ne pas autoriser l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, compte tenu des contraintes de temps avec lesquelles nous devons composer dans le cadre du projet de loi C-7. Un autre motif pertinent de l’exclusion est qu’il peut être particulièrement difficile de distinguer les personnes dont le désir de mourir est un symptôme de leur maladie des personnes pour qui c’est une réponse rationnelle à celle-ci. De plus, l’incertitude et les avis divergents persistent quant aux répercussions potentielles sur la prévention du suicide si l’aide médicale à mourir était élargie aux personnes atteintes d’une maladie mentale lorsque celle-ci est la seule condition médicale invoquée.

Le Comité permanent de la justice et des droits de la personne de la Chambre des communes a entendu différents témoins sur l’exclusion de la maladie mentale. Nous avons constaté, comme c’était le cas avec le groupe de travail que le Conseil des académies canadiennes avait mis sur pied pour étudier la question, qu’il n’y a pas de consensus parmi les experts sur la question de savoir s’il est indiqué de fournir l’aide médicale à mourir lorsque la maladie mentale est le seul motif, ni sur la manière de le faire. Relativement à une question d’une telle importance, devant tant d’incertitude et de divergences d’opinions parmi les experts, il convient d’agir avec prudence et précaution. J’ai également indiqué très clairement que la question devrait faire l’objet d’études supplémentaires, le plus rapidement possible après l’adoption du projet de loi C-7, lors de l’examen parlementaire à venir concernant le régime d’aide médicale à mourir.

En plus de s’interroger sur l’exclusion en soi, des personnes se sont demandé quelles conditions sont visées par le terme « maladie mentale » et si les praticiens seront constants dans leur interprétation de l’exclusion. Compte tenu des préoccupations particulières des experts en santé mentale concernant l’aide médicale à mourir, l’exclusion vise à englober les conditions qui sont principalement traitées par un psychiatre, qui présentent une trajectoire imprévisible ou qui ont comme symptôme possible le désir de mourir. Je tiens à préciser que le but de l’exclusion n’est pas d’englober les troubles neurocognitifs attribuables à la maladie d’Alzheimer ou de Parkinson, ni les troubles neurodéveloppementaux comme les troubles de la parole et de la motricité, qui touchent également le fonctionnement du cerveau, mais qui ne présentent pas le même type de risques inhérents que ceux signalés par les experts en santé mentale. Ces troubles peuvent dans certains cas soulever des questions sur la capacité de prendre des décisions, mais celles-ci sont d’un autre ordre que les risques inhérents associés aux maladies mentales.

Je suis au courant des préoccupations de certains quant au caractère imprécis de la notion de « maladie mentale ». Je suis sensible à leur inquiétude, en particulier lorsqu’il est question de droit criminel. Je suis ouvert à toutes les suggestions que votre comité pourra fournir et particulièrement aux suggestions des témoins experts que vous entendrez. Nous voulons certainement que les mesures prévues dans le projet de loi C-7 soient mises en œuvre de façon uniforme dans tout le pays.

Notre gouvernement défend toujours l’égalité, l’autonomie et la dignité des personnes atteintes de maladies mentales, et nous appuyons l’examen exhaustif de l’enjeu complexe de la santé mentale que permettra l’examen parlementaire.

Le projet de loi propose également un ensemble distinct de mesures de sauvegarde adaptées aux risques associés à l’aide médicale à mourir dans le cas des personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible. Mettre fin à la vie des personnes dont la souffrance est fondée sur leur qualité de vie n’est pas la même chose que d’offrir une mort paisible quand le processus de la mort serait autrement douloureux ou prolongé, ou porterait atteinte au sentiment de dignité d’une personne. Le projet de loi C-7 propose donc un ensemble robuste de mesures de sauvegarde à utiliser lorsque la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. Comme c’était le cas lors de l’adoption de la loi en 2016, le critère de mort naturelle raisonnablement prévisible exige un lien temporel, mais flexible, avec la mort.

Les mesures de sauvegarde pour ceux dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible se fondent sur les mesures existantes, avec des éléments en surplus. De manière importante, les évaluations médicales de l’admissibilité d’une personne doivent durer au moins 90 jours. Il ne s’agit pas d’exiger qu’une personne attende 90 jours après avoir été informée qu’elle est admissible à l’aide médicale à mourir. Le praticien doit plutôt, pendant au moins trois mois, examiner en profondeur l’état de santé de la personne, ainsi que la nature et les causes des souffrances, et collaborer avec la personne pour trouver un traitement raisonnable ou d’autres possibilités de soutien, lesquels doivent faire l’objet de discussions avec la personne. La personne qui souhaite obtenir l’aide médicale à mourir n’est pas obligée de suivre un traitement. Mais, comme nous nous préparons à élargir le régime d’aide médicale à mourir, nous croyons que nous pouvons aller de l’avant de façon sûre si nous sommes convaincus que toutes les options connues ont été portées à l’attention de la personne et qu’elles ont été envisagées sérieusement.

Le dernier aspect du projet de loi C-7 dont j’aimerais discuter est celui de la renonciation au consentement final dans des circonstances particulières. C’est une question qui a été soulevée à maintes reprises au cours de nos consultations, et il s’agit selon nous d’une question d’équité fondamentale. Si une personne dont la mort est raisonnablement prévisible veut l’aide médicale à mourir et est trouvée admissible à la recevoir, elle n’aurait plus à choisir de mourir plus tôt qu’elle le souhaite, ou refuser de prendre des médicaments contre la douleur, parce qu’elle craint de ne plus avoir la capacité de consentir au moment de la procédure. Ce changement ciblé et prudent permettrait d’éviter l’injustice de ces situations.

Le projet de loi C-7 prévoit qu’une personne peut donner son consentement au préalable, au moyen d’une entente avec le médecin, de manière à permettre la prestation de l’aide médicale à mourir à la date fixée même si elle perd sa capacité à consentir dans l’intervalle.

Nous savons que cette mesure ne va pas aussi loin que certains le souhaiteraient. La question des demandes anticipées en est une nettement plus complexe sur les plans éthique et pratique que celle de la renonciation au consentement final. En toute franchise, cette question n’a rien à voir avec le régime d’aide médicale à mourir que nous connaissons, car elle suppose de demander l’aide médicale à mourir et d’y consentir avant, peut-être très longtemps avant, de ressentir une souffrance intolérable, ou même le désir de mourir. Le passage du temps, et l’absence d’expérience vécue au moment où la demande serait formulée, sont des facteurs qui augmentent les risques de permettre aux praticiens de mettre fin à la vie d’une personne qui ne peut pas y consentir à ce moment-là. Il s’agit d’une question totalement différente à l’égard de laquelle il faut faire preuve de prudence.

Les experts ne sont pas tous du même avis sur la question de savoir s’il est approprié, sur le plan éthique, de permettre que soient données à l’avance des consignes pour obtenir l’aide médicale à mourir. Si les demandes anticipées pour obtenir l’aide médicale à mourir étaient permises, des mesures de sauvegarde et des processus complexes devraient être mis en place. Ils seraient requis non seulement au moment de donner l’aide médicale à mourir, mais aussi à l’étape préalable, lorsque la personne prépare la demande anticipée, de sorte à s’assurer que ce qui figure dans la demande est vraiment ce que veut la personne. La complexité de cette dynamique, qui implique deux activités pertinentes séparées dans le temps, ne peut pas être facilement transposée dans le régime existant d’aide médicale à mourir prévu au Code criminel.

Beaucoup d’autres consultations doivent avoir lieu. Nous devons, à titre de législateurs, aussi veiller à concilier le désir des Canadiens d’avoir à accès à ces mesures et la volonté des praticiens de les mettre en œuvre. Aux Pays-Bas, le seul pays qui permet l’aide médicale à mourir sur le fondement d’une demande anticipée si la personne est consciente, mais a perdu la capacité d’y consentir, les demandes anticipées sont souvent formulées, mais rarement exécutées. Il y a un risque de donner aux Canadiens la fausse impression qu’ils ont obtenu l’accès à un tel mécanisme, alors que, dans les faits, peu de praticiens voudraient ou pourraient agir en ce sens.

Comme dans le cas des personnes où la maladie mentale est la seule condition médicale invoquée, les demandes anticipées d’aide médicale à mourir sont un aspect qui demande davantage d’études et de débats, et nous sommes d’avis qu’il doit s’agir d’une partie importante de l’examen parlementaire. Merci, Madame la Présidente.