1. Discours d’ouverture
Discours d’ouverture
Projet de loi S-11, Loi d’harmonisation n° 4 du droit fédéral avec le droit civil
Comité sénatorial permanent des affaires juridiques et constitutionnelles
Décembre 2022
Messieurs, Mesdames, honorables sénateurs, il me fait plaisir d’être devant ce comité dans le cadre de l’étude du projet de loi S-11, Loi no 4 visant à harmoniser le droit fédéral avec le droit civil du Québec et modifiant certaines lois pour que chaque version linguistique tienne compte du droit civil et de la common law.
Ce quatrième projet de loi d’harmonisation supporte notre engagement visant à faciliter l’accès à la justice, en fournissant aux Canadiennes et aux Canadiens accès à des textes législatifs qui sont respectueux, dans les deux langues officielles, de la tradition de droit civil ou de common law qui les régit en matière de droit privé.
Comme certains d’entre vous le savent déjà, j’ai été professeur de droit à McGill pendant près de 20 ans et un des cours que j’ai enseigné portait sur les traditions juridiques. Je suis à même de parler de l’importance de l’harmonisation et de ce projet de loi.
Tel que le titre du projet de loi l’indique, ce projet n’est pas le premier de ce genre, mais bien le quatrième. S-11 est aussi le plus substantiel des projets de lois d’harmonisation jusqu’à maintenant. Il a pour but de modifier 51 lois qui relèvent de neuf ministères. Une part importante de ce projet de loi vise les lois régissant les institutions financières.
Les neuf ministères responsables de ces lois ont travaillé avec le ministère de la Justice afin d’élaborer les modifications d’harmonisation proposées dans le projet de loi S-11. Les modifications proposées sont techniques et non controversables. Les changements résultant de l’harmonisation sont terminologiques et ne visent pas à modifier la politique législative qui sous-tend les dispositions concernées.
Si les interventions sont terminologiques, le travail d’harmonisation demande une analyse approfondie des textes législatifs sur le plan du fond. Il consiste à réviser toutes les lois et tous les règlements fédéraux, dont l’application requiert le recours au droit privé provincial ou territorial, et ensuite, à concilier, au besoin, le contenu de sorte qu’il intègre à la fois les notions, principes et concepts de droit civil québécois et de common law.
Comme vous le savez, dans la province de Québec, les droits et obligations relevant du droit privé sont généralement régis par le Code civil du Québec entré en vigueur en 1994, tandis que les autres provinces et les territoires sont sous le régime de la common law.
Le but de l’initiative d’harmonisation est d’assurer que chaque version linguistique des lois et règlements fédéraux prenne en compte les traditions du droit civil et de la common law. On désigne cette coexistence et cette interaction de ces deux traditions par le terme bijuridisme. Cette caractéristique est le témoin de l’histoire du Canada et de sa structure juridique et constitutionnelle.
Le système juridique canadien est un système de droit mixte qui se définit notamment par son pluralisme juridique. Ce pluralisme reflète la diversité de multiples sources du droit et de multiples systèmes juridiques qui coexistent et interagissent entre eux. Cela comprend les traditions, ordres et systèmes juridiques autochtones, qu’ils soient inuit, métis et des premières nations. Le bijuridisme qui fonde l’initiative d’harmonisation est une des manifestations de ce pluralisme.
Pour comprendre les origines de l’harmonisation et du bijuridisme, tentons de nous souvenir de nos cours d’histoire. C’est en 1774 avec l’Acte de Québec, que les autorités britanniques ont reconnu à la population francophone, vivant principalement dans ce qui est aujourd’hui la province de Québec, le droit d’avoir un régime d’inspiration française. Les Pères de la Confédération canadienne ont réitéré cette réalité historique dans l’Acte de l’Amérique du Nord britannique de 1867. Encore aujourd’hui, la Loi Constitutionnelle maintient cette réalité au Canada en conférant aux provinces une compétence exclusive sur la propriété et les droits civils. Ainsi, depuis l’Acte de Québec de 1774, le droit civil et la common law cohabitent formellement au Canada. Quant aux territoires, leur compétence en matière de propriété et droits civils découle pour chacun d’une dévolution législative du Parlement.
En matière de droit privé, c’est généralement le droit provincial ou territorial qui détermine les concepts à utiliser. Quand le Parlement fédéral adopte des lois qui réfèrent à des concepts de droit privé, il le fait en ayant conscience qu’il s’en remet aux droits provinciaux et territoriaux existants.
Ainsi, lorsque nécessaire, notre compréhension de la législation fédérale est complétée par le droit privé de la province ou du territoire dans lequel la législation fédérale est appliquée.
Je suis accompagné de certains de mes fonctionnaires de la Direction des services législatifs, qui pourront répondre aux questions techniques du projet de loi. C’est cette direction du ministère de la Justice qui a le mandat d’harmoniser la législation fédérale. Elle est chargée d’effectuer le travail nécessaire pour les fins de l’harmonisation, en collaboration avec les ministères responsables de l’application des lois et règlements affectés par les propositions de modifications. Une fois que cette première phase est complétée, des propositions de modifications aux lois et règlements sont élaborées, et ensuite soumises à une consultation publique.
Il est important de souligner que les lois d’harmonisation sont présentées devant le Parlement une fois qu’elles ont été révisées et commentées par des membres de la communauté juridique et des parties prenantes.
L’objet de cette nouvelle loi, qui poursuit la mise en œuvre du bijuridisme canadien, s’inscrit dans la continuité des projets de loi d’harmonisation antérieurs.
Toutes les Canadiennes et tous les Canadiens bénéficient du fait que la législation fédérale soit compatible avec le droit privé de toutes les provinces et de tous les territoires. Cela assure ainsi une administration de la justice efficace et efficiente à travers tout le Canada. Ce faisant, l’harmonisation clarifie l’application de la législation fédérale et réduit les risques et le nombre de poursuites judiciaires inutiles et, du même coup, les coûts reliés à l’administration de la justice pour toutes les Canadiennes et tous les Canadiens.
Je tiens à souligner la valeur de l’atout qu’est le bijuridisme pour le Canada. Je termine en remerciant ce comité de m’avoir donné l’occasion de parler du projet de loi S-11.
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